Addiction

Une fois devant chez elle, Caïn ne frappa même pas et entra. Il profita du laps de temps entre son intrusion et la réaction de Lucie pour tourner la clé dans la serrure et les enfermer dans la maison. Puis il se retourna pour faire face à la commandante qui venait de remarquer sa présence.

- Fred ? Qu'est-ce que tu fous ici ?

- C'était moi au téléphone. Je me doute de ce qui t'as fait péter un cable. Ne t'inquiètes pas ton Aimé est sain et sauf.

- Je t'interdis de recommencer avec ça !

Lucie se précipita sur lui et avant qu'il ait eu le temps de rien voir arriver elle lui avait envoyé un crochet du droit si spectaculaire que le choc le fit se renverser. Lucie s'était changée en furie et ponctuait chacun de ses propos par un grand coup de pied dans les côtes.

- C'est votre faute ! À tous les deux ! Je suis sans cesse tiraillée entre vous ! Je dois toujours prendre parti. Je dois vous départager ! Je ne veux pas ! Je ne veux plus !

- Et pourtant tu l'as fait, dit Caïn entre deux grincements de dents pour ne pas se plaindre trop fort.

Son effort fut récompensé au moment où Lucie comprit ses mots et s'arrêta. Caïn n'osait pas bouger, il regardait la femme qui le surplombait. Il s'était recroquevillé sur lui-même pour éviter les coups mais elle avait alors frappé les épaules.

Elle avait les yeux injectés de sang, les pupilles dilatées à un point qui réduisaient l'iris à une fine ligne et puis elle avait la face trodue dans une expression absolument étrangère à Lucie. Ce visage lui posait une question alors que ses lèvres ne disaient rien.

- C'est avec lui que tu joues à Roméo et Juliette.

- Évidement toi tu passes la moitié de ton temps à être insupportable !

- Mauvaise réponse. Il fallait dire « évidement parce que je l'aime ».

Caïn se délecta de son silence comme une vengeance pour les ecchymoses qui ne tarderaient pas à couvrir son corps. Il vit passer, comme une ombre, l'écho de ce qu'était Lucie.

- Pourquoi est-ce que tu tenais tant à ce que je ne lui dise rien ?

- Il aurait posé des questions, répondit-elle les yeux fermés.

- Que lui aurais-tu répondu ?

Lucie gardait les paupières closes. Même comme cela il avait du mal à la reconnaître. Sa posture avait quelque chose d'intrinsèquement différent de la façon dont elle se tenait habituellement. Elle fermait les yeux comme un enfant qui ne veut pas être vu, qui ne veut pas répondre mais Caïn avait passé l'âge de jouer à ces jeux-là.

- Je lui aurais menti le moins possible, répondit-elle d'une voix faible. Fred, je …

- C'est bon. Tu m'as roué de coups, tu ne vas pas m'achever avec des mots.

Caïn savait que Lucie sauterait sur la moindre occasion pour rester silencieuse. Et cela ne manqua pas. De plus le capitaine n'allait pas lui redemander de parler car au ton de sa voix, il savait que Lucie aurait dévié sur un sujet glissant et il n'avait aucune envie d'avoir ce genre de conversation avec elle alors qu'elle était shootée.

Peut-être ne l'avait-elle pas fait consciemment mais dans sa folie Lucie avait fait rouler plus loin son fauteuil. Caïn était déterminé à reprendre le dessus sur la situation sauf que pour l'instant il était vautré par terre, le nez en sang. La première étape consistait donc à s'approcher de son fauteuil, ensuite et seulement ensuite, il remontrait dessus et règlerait ses comptes.

Le simple mouvement qu'il fit pour se mettre à plat ventre lui arracha un grognement de douleur. Son estomac lui faisait mal et ses épaules meurtries peinaient à le faire avancer. Il serrait les dents à chaque geste. Évidement elle n'avait pas été assez aveuglée pour se défouler uniquement sur ses jambes mais avait privilégié toutes les zones où il avait encore de la sensibilité.

Caïn vit Lucie s'approcher de son fauteuil, visiblement pour l'aider.

- Ne touche pas à ça ! Je n'ai pas besoin de l'aide d'un bipède et encore moins d'une droguée.

L'empressement mêlé à la douleur donnaient à ses propos une coloration agressive et grognante qui avait fait reculer Lucie jusqu'au canapé où elle se laissa tomber plus qu'elle ne s'assit. Elle avait les mains posées sur les genoux et les yeux humides. Elle ne regardait Caïn que du coin de l'oeil comme si elle avait peur qu'il ne lui saute à la gorge.

De son côté Caïn rampait pitoyablement au sol. Cette attitude n'était habituellement pas glorieuse et ce soir ne faisait pas exception. Tous les muscles qu'il utilisait se plaignaient des coups de talons qu'ils avaient reçu. Même une fois arrivé au fauteuil, Caïn n'avait jamais eu tant de mal à s'y installer. Il chuta deux fois avant de parvenir à ses fins. Il savoura même la sensation, tant détestée autrefois, d'être assis sur son tas de ferraille.

Il s'approcha de Lucie. Étant assise, il pouvait la toiser d'égal à égal mais elle fixait ses chaussures. Caïn cherchait à capter son regard sans pouvoir parvenir à quoi que ce soit. Il lui prit donc le menton d'une main pour la forcer à lever la tête.

- Qu'est-ce qui t'es arrivé ? En ce moment j'ai en face de moi une petite chose pitoyable et sans défense. Lucie Delambre n'est pas cela. La Lucie que j' … avec qui je travaille n'est pas comme ça. Elle est forte.

- Je n'y arrive pas. J'ai essayé tellement de fois mais je n'y arrive pas, sanglota-telle.

- Peut-être mais maintenant tu n'es plus toute seule. Je ne te laisserais pas.

- Promis ?

- Si tu t'engages de ton côté à te donner à fond.

- À vos ordres capitaine !

- Notes bien ce soir comme le dernier soir où j'ai eu affaire à cette pale copie de toi-même parce qu'à partir de demain tu seras au pain sec et à l'eau.

À ces mots Lucie avait retrouvé un enthousiasme enfantin qui désespérait Caïn tant parce qu'il sonnait faux chez Lucie que parce qu'il n'était objectivement pas adapté à la situation. En effet elle aurait plutôt dû être en train de trembler face à sa descente aux enfers prochaine. Le capitaine la laissa un instant seule à danser dans le salon. Quand il revint il portait un sac sur ses genoux.

- Déshabilles-toi.

- Pardon ?

Lucie s'était arrêtée en plein mouvement et dévisageait Caïn. Ce dernier semblait sûr de lui mais avait une expression totalement neutre. Il s'attendait à ce qu'elle le giffle, à se qu'elle s'indigne comme l'aurait fait Lucie Delambre alors il en rajouta une couche.

- Enlèves tes vêtements. Tous.

Mais évidement au lieu d'avoir la réponse attendue elle se mit à glousser comme une enfant.

- Tu veux que je me mette nue sans demander aucune explication ?

- À quoi bon si je suis obligé de tout répéter dès demain ?

- Et tu vas aussi me dire que tu n'en profiteras pas pour te rincer l'oeil ?

- Si tu veux savoir en ce moment Nassim en nuisette m'exiterait plus que toi.

Lucie repartit à rire avec un tel accent de stupidité que Caïn en leva les yeux au ciel. Heureusement pour lui elle s'exécuta. Une fois qu'elle fut nue comme au jour de sa naissance, Caïn lui tendit les vêtements qu'il avait été chercher, un peu plus tôt, dans son placard. Avec cette docilité exaspérante, elle enfila le pantalon de jogging et le t-shirt qui lui étaient donnés.

- Allez viens maintenant on y va.

- On va où ?, demanda-t-elle légèrement hagarde.

- Chez moi.

Là encore, outre quelques gloussements, elle n'eut aucune objection, éteignit toutes les lumière chez elle et attendit le capitaine près de la porte. Mais qu'est-ce que ces merdes ont fait de toi, Lucie ?, désepérait Caïn en son for intérieur.