Vice-versa

Caïn se réveilla plus tôt qu'à son habitude. Il avait mal dormi. Il s'habilla rapidement et sortit courir en laissant la fenêtre ouverte à l'air du matin. Une heure dehors ne suffit pas à dissiper la brume de malaise qui persistait en lui. Même la boulangère le sentit ailleurs. Il rentra jusqu'à la maison en quatrième vitesse malgré des jambes qui commençaient à lui faire mal et grimpa avec le sac entre les dents presque sans perdre de vitesse. Habituellement il filait directement à la douche mais ce matin-là il ressentait la nécessité de descendre.

Il posa le pain et les croissants sur la table. La maison était parfaitement silencieuse. Cela n'arrivait pas souvent, chez elle Lucie vivait en musique. À défaut du son, tout était rempli de son odeur. Caïn commençait à se détendre quand il entendit un bruit, très léger mais qui mit tous ses sens en alerte. Il s'approcha de la chambre de Lucie et entendit de nouveau cette plainte.

- Lucie ?, appela-t-il, faisant savoir sa présence en frappant doucement la porte.

Il obtint une réponse mais ce ne fut pas celle qu'il espérait puisque de l'autre côté du mur s'éleva un véritable gémissement de douleur. Le sang du capitaine ne fit qu'un tour, il ouvrit et pénétra dans la chambre.

Lucie était allongée entre les draps à moitié emmêlée, à moitié découverte. Elle était rouge et trempée de sueur. Elle leva un instant le regard vers lui avant de tourner de l’œil. Caïn se précipita à ses côtés.

- Lucie ! Qu'est-ce qui passe ? Est-ce qu'il y a quoi que ce soit que je puisse faire ?

Elle avait saisi la main qu'il avait approché et la serra si fort que Caïn ne put s'empêcher de penser qu'elle devait souffrir le martyr.

- Mon téléphone … appelle … le docteur …

Fred se souvenait d'avoir aperçu la maudite machine dans le salon. Il voulait rester avec Lucie presque autant qu'il souhaitait l'aider, malheureusement ces deux volontés étaient incompatibles. C'est en voyant Lucie grogner une nouvelle fois et lui broyer les phalanges qu'il se décida à bouger. Il se fit violence pour défaire la poigne de Lucie et aller prendre le téléphone.

En s'éloignant, il entendit Lucie marmonner sur un ton presque pleurant mais il ne comprit pas ce qu'elle disait. Il courut jusqu'au salon, ne s'arrêta pas, attrapa le téléphone et retourna auprès de sa partenaire. La quitter des yeux quelques instants à peine, avait été une véritable épreuve.

Son téléphone était verrouillé par un code que Lucie parvint à lui transmettre. Il n'y avait qu'un seul docteur dans son répertoire. Il appela. Malgré ses explications pressées et paniquées, son interlocuteur resta calme. Il lui assura que l'adresse du Lucie était dans son dossier et qu'il envoyait immédiatement une ambulance.

Jamais un quart d'heure ne parut si long au capitaine. Il scrutait le visage de Lucie qui se tordait de grimaces pour exprimer ses pics de douleur. Caïn serrait les dents au point d'en faire tétaniser ses muscles.

Il manqua presque l'arrivée des secours. Dès qu'il leur ouvrit la porte, le temps sembla s'écouler différemment. Caïn avait l'impression que tout allait au ralenti. Il aurait voulu dire à ces hommes de se dépêcher mais, comme lui-même semblait aussi lent que gênant, il ne put que rester sur le côté et les regarder emmener Lucie.

Il fut sur sa moto au départ de l'ambulance et la suivit jusqu'à l'hôpital. Là il essaya de garder un œil sur elle mais on l'en empêcha, prétextant qu'il fallait l'opérer sans délai.

oOo

Fred ne se souvenait pas bien d'avoir appelé Jacques pourtant ce dernier arriva droit sur lui.

- Fred ! Comment va Lucie ? Où est-elle ? … Est-ce que ça va ? Tu trembles comme une feuille.

- Lucie est encore au bloc. Les médecins disent qu'elle va s'en tirer mais que la vis qui a causé cette infection aurait pu être bien plus destructive que ça.

- Fred ? Je te reconnais à peine. Tu veux quelque chose à boire ou à manger ?

- Je n'ai servi à rien ! Je n'ai pu que la regarder se tordre de douleur sans rien pouvoir faire. Je n'ai jamais été aussi inutile de toute ma vie.

- Tu m'as dit la même chose après l'accouchement de Gaëlle.

- J'ai vraiment cru que j'allais la perdre, Jacques.

- C'est dans ta nature de te mettre dans des états pareils pour les femmes que tu aimes.

Caïn ne prit même pas la peine de le contredire. Il avait bien assez de soucis pour commencer à se battre avec son meilleur ami. Heureusement pour lui, c'est à ce moment qu'un infirmier vint les voir.

- Mademoiselle Delambre a été transféré dans la chambre en attendant de se réveiller. Vous pouvez aller la rejoindre.

Fred partit si vite que Jacques dût presque courir pour le suivre. Il emprunta les escaliers qu'il gravit quatre à quatre. Dans la chambre, Lucie semblait dormir. Le capitaine s'installa à son chevet et ne bougea plus.

Jacques essaya de rester avec son ami mais au bout d'une heure, ne tenait plus. Il changea maintes fois de position sur sa chaise avant de se lever pour marcher un peu. Il détailla tout le paysage visible par la fenêtre. Finalement il décida de prendre une pause.

- Tu veux un café, Fred ?

- Non merci, ça va.

- Dépêche-toi de te réveiller Lucie ! Sinon je crains qu'il ne reste à se morfondre pour l'éternité ici.

Avec Jacques partit, Fred put se rapprocher et murmura à l'oreille de sa partenaire mille suppliques pour la faire revenir. Il avait arrêté de trembler quand il avait pu de nouveau la voir. Il ne manqua pas le moment où elle entrouvrit les yeux.

Même s'il n'avait pas eu le regard rivé sur elle, il s'en serait rendu compte. La respiration de Lucie changea pour devenir bruyante et laborieuse.

- Tu veux que j'appelle un médecin ? , demanda Caïn, inquiet.

Elle prit une profonde inspiration saccadée comme s'il lui était difficile de respirer ou comme si elle retenait une crise de panique.

- Sors.

- Pardon ?

Lucie avait parlé tellement bas qu'il n'était même pas vraiment sûr de l'avoir entendu, alors encore moins comprise.

- Sors d'ici. Sors de chez moi. J'ai assez joué les services sociaux. Je veux être seule maintenant. J'en ai marre de toi.

Elle avait dit cela entre le ton de la conversation et celui de la confession. Parfois son souffle l'abandonnait mais Caïn saisissait parfaitement le sens de ses mots.

- Jacques est là. Il pourra te ramener. Je vais me trouver un endroit rapidement.

Le capitaine quitta l'hôpital sans demander son reste. Heureux que Lucie soit réveillée et qu'elle ait déjà récupéré son mordant. Ce soir-là il faisait beau. Caïn fit la route jusqu'à chez Gaëlle. Il voulait récupéré son sac de couchage pour dormir à la belle étoile. Ben lui ouvrit la porte. Bien que surpris de voir son père sur le perron, il l’accueillit à bras ouvert. Gaëlle était dans le canapé, assise tout contre Antoine. En le voyant elle se leva et se plaça entre lui et son amant.

- Qu'est-ce que tu veux Fred ?

Il aurait pu la rassurer en la jouant détendu et détaché mais elle risquait de se poser des questions alors il serra visiblement les poings et jeta un regard mauvais à l'occupant du sofa.

- Ne t'inquiètes donc pas pour lui. Je suis simplement venu chercher un sac de couchage.

- Laisse, je vais te le chercher, tu vas avoir besoin d'un temps infini pour le trouver.

Elle ne devait pas être ravie de le laisser seul avec Ben et Antoine. Caïn était sûr qu'elle avait fait ses calculs. Plus dangereux de le laisser longtemps ou seul ? À l'étage il explorerait sûrement plus que nécessaire. Finalement elle avait opté pour le mettre dehors le plus vite possible.

Dès que Gaëlle disparut, Caïn arrêta son jeu. Antoine, qui avait eu la décence de paraître effrayé jusqu'à lors, se détendit aussi.

- Ta mère à l'air rayonnante.

- C'est comme ça depuis que les papiers du divorce sont signés. Mais dis-moi papa, pourquoi est-ce qu'il te faut un duvet ?

- Ce soir je dors dehors.

- Tu t'es fait jeté de chez Lucie ?

- Comment tu sais pour Lucie, toi ?

- Maman m'a raconté que c'est grâce à elle que tu as signé mais ne t'inquiètes pas. Antoine m'a tout raconté.

Caïn lança un regard noir au concerné.

- On avait un accord.

- Tu m'as dit pas Gaëlle sans jamais mentionner Ben. Je ne pourrais pas mentir à un fils au sujet de son père tout de même.

- Je ne répéterais rien à maman. Promis. Tu es génial, papa. Est-ce que je peux venir dormir avec toi ?

Caïn ne pouvait pas refuser ça à son fils. Ce dernier fila à l'étage pour chercher un deuxième duvet.

- Tu sais Fred, tu pourrais rester ici pour la nuit.

- Comment j'expliquerais à Gaëlle que je n'essayerais même pas de t'étriper ?

- Voilà pour toi Fred !, déclara la concernée en descendant les marches quatre à quatre. Ben arrive avec ses affaires.

Elle avait eu peur pour Antoine et s'était dépêché de redescendre. Même s'il avait accepté les choses, il restait douloureux de voir la preuve de l'amour de son ex-femme pour cet homme.