Partenaire

 Après cela elle parlèrent encore longtemps et quand elles rejoignirent le salon, Fred les fixa à la fois inquiet et soulagé. Il scruta tout particulièrement Lucie mais cette dernière prenait soin d'éviter son regard. Cela n'aidait pas le capitaine à se détendre car confirmait qu'elles avaient, à un moment où à un autre, parlé de lui. Qu'est-ce que Gaëlle avait bien pu lui dire ?

Il ne se souvenait que trop bien de ce qu'elle lui avait dit à lui la dernière fois qu'ils s'étaient vu. Et si elle avait sorti le même genre de sottises à Lucie ? À la vérité Fred ne s'en serrait pas réellement plaint.

Le jeu s'arrêta car Félix et Elizabeth avait une obligation et durent partir. Borel les suivit avec une excuse bancale mais personne ne le retint. Il ne restait plus que Ben, Alice, Fred, Lucie et Gaëlle. Ce groupe donnait des airs de réunions de famille un peu étrange et absolument pas conventionnelle. Avec une famille qui n'en était pas une mais qui en donnait toute l'illusion.

À la seconde où Gaëlle montra les premiers signes de fatigue de son voyage, Ben prit la décision de rentrer. Alice ne chercha même pas à discuter et ils se dirigèrent vers la sortie après avoir souhaité une bonne nuit à Fred et Lucie. Gaëlle se montrait flattée de toute la sollicitude que déployait son fils à son égard.

• Je vois que vous avez fait en sorte que Fred puisse venir aussi.
• Oui. On a tout pensé en fonction de lui aussi, répondit Ben avec un sourire.
• Il aurait été impensable que ton père ne puisse pas venir chez nous, ajouta Alice.

À ses mots Ben, comme Gaëlle, se tournèrent vers elle. Alice comprit que quelque chose qu'elle avait dit les chiffonnait sans parvenir à savoir exactement quoi.

• C'est aussi ton père.
• Je sais. C'est juste que …
• Tu ne peux pas te résoudre à simplement être sa fille sans pour autant parvenir à être juste une lieutenante, déclara Gaëlle.
• Comment est-ce que tu …
• Lucie m'a dit quelque chose d'assez similaire concernant Fred. Je pensais que peut-être cela pourrait s'appliquer aussi à toi.

Alice acquiesça sans rien ajouter. C'est Ben qui rompit ensuite le silence en changeant à peine de sujet.

• Au fait de quoi as-tu parlé avec Lucie dans la cuisine ?
• De divers choses, de vous mais on a aussi parlé de Fred pendant un bon moment. Je crois que je l'ai légèrement troublé à ce sujet.

Ben et Alice la regardèrent en fronçant des sourcils sans pour autant formuler leur question à voix haute. Elle était pourtant si évidente sur leurs faces que Gaëlle la comprit totalement. Malgré tout elle choisit de ne pas leur répondre, de simplement leur sourire en retour.

Une fois les autres partis la maison de Lucie était redevenue soudainement silencieuse. Fred en avait presque les oreilles qui lui sifflaient. Ils avaient organisé la journée de telle manière que le soir venu, ils ne leur restaient presque rien à ranger. Fred fut donc libre de faire des infusions alors que Lucie était partie se laver.

En faisant chauffer l'eau, le capitaine repensa aux événements de la journée. Les enfants avaient eu une très bonne en proposant ce repas. Cependant le fait que Gaëlle ait pu parler seule à seule avec Lucie pendant plus d'une heure l'inquiétait vaguement pourtant il n'était pas sûr d'avoir vraiment envie de savoir de quoi elles avaient discuté, ou même de qui.

Lorsqu'elle revint, Lucie sentait le savon et le shampoing. Il se souvenait qu'au début elle attendait qu'il soit couché pour aller à la douche, maintenant elle ne prenait plus cette précaution. Cela apaisait Fred qui avait un peu moins l'impression d'être un intrus. Elle portait en revanche toujours le même pyjama ample qui ne donnait à l'imagination rien à se mettre sous la dent.

Lucie s'assit en face de lui. Il lui servit son infusion. Être avec elle de cette manière lui avait permis de remarquer quelques habitudes qu'elle avait. Par exemple le soir, une fois sa boisson chaude dans sa tasse,elle posait ses mains contre la surface du récipient, fermait les yeux ou non et profitait de la chaleur. Il ne servait à rien d'essayer de lui parler avant qu'elle ait pris sa première gorgée.

• Tu ne me demandes pas ce dont m'a parlé Gaëlle ? , l'interrogea Lucie.
• Me répondrais-tu si je le faisais ?

Il vit Lucie s'arrêter pour penser. Toute la conversation devait défiler pour elle en ce moment sans qu'il ait aucun moyen d'y avoir accès. Au moins Lucie considérait réellement sa question.

• Probablement pas, concéda-t-elle.
• Et qu'as-tu pensé d'elle ?

Lucie n'aimait pas beaucoup cette question. Elle ressemblait beaucoup trop à celle d'un adolescent qui présente sa petite-amie. Sauf que la-dite petite amie avait été sa femme et la mère de son enfant avant qu'ils ne divorcent. Pourquoi voulait-il savoir de toute façon ?

• C'est une femme juste, attentionnée. Elle doit être une très bonne mère. Elle a du caractère. Il n'est pas difficile d'imaginer pourquoi tu l'as épousé.
• J'ai divorcé depuis.

Bien sûr il n'avait pas besoin de préciser cela et pourtant il s'en était senti obligé en n'appréciant pas vraiment le ton défensif qu'il avait lui-même utilisé. Comme il savait qu'il n'admettrait pas ce qui l'avait poussé à faire ça, il ne s'attarda pas plus sur la question. À vrai dire quelque chose d'autre retint immédiatement son attention. Alors même qu'ils avaient été en pleine conversation à peine quelques secondes auparavant, Lucie semblait complètement absorbée dans ses pensées.

• Lucie ?
• As-tu déjà fait quelque chose que tu regrettes, même encore aujourd'hui ? Moi oui, une fois. Te souviens-tu de la première fois que tu es venu ici, Fred ?
• Oui. On enquêtait encore sur les morts « accidentelles » dans un couvent. Mais pourquoi …
• C'est mon plus grand regret.
• Les nonnes ?
• Non. Ce soir-là, de ne pas t'avoir ouvert la porte, c'est mon plus grand regret.