Partenaire
- Tu m'emmerdes ! Tu me fais chier ! Tu me casses les couilles ! J'en ai marre de toi, de tes manières parfaites, de ton respect de la procédure. Tout le monde t'adore, les commandants, les juges, mon fils … et bien moi pas ! Si tu te souviens de ce que je te disais quand tu étais dans le coma, ma position n'a pas changé. Tu es tout ce que je déteste : docile, maniaque, à fond dans la paperasse et tellement franche que tu ne te payes pas le luxe du moindre secret. Pourtant tout le monde agit avec toi comme si tu avais besoin d'être protégé du méchant capitaine à roulettes. Qu'est-ce que je pourrais bien te faire ?! Physiquement il n'est pas nécessaire de préciser que je n'aurais aucune chance, et professionnellement non plus puisque tu as presque tout le parquet dans ton camp avec ce putain de Félix …
- Laisse-le en dehors de tout ça.
Jusqu'à lors Alice avait écouté le capitaine sans bouger d'un cil mais dès qu'il avait prononcé le nom de son ami, ses traits s'étaient durcis. Pourtant après tout ce qu'il avait dit elle ne semblait pas vouloir intervenir plus que cela et était immédiatement retournée dans son mutisme attentif. Le capitaine avait été coupé dans son monologue et ne repartait plus. Il se contentait de fixer Alice d'un œil noir et furibond.
- Tu as fini ? , demanda-t-elle simplement.
- Non ! , hurla-t-il sans pour autant reprendre sa diatribe.
- Et bien moi, si tu veux bien, j'aurais deux choses à te dire.
Malgré sa déclaration, elle ne dit rien. Elle attendit, regarda Fred rouler des épaules pour se calmer et tenter d'approfondir sa respiration. Bien sûr Alice ne s'attendait pas à ce qu'il lui donne la parole mais elle patientait pour voir dans ses yeux le signe qu'il écoutait. Cela pouvait prendre un certain temps mais Alice savait qu'en restant elle-même calme elle le pousserait à s'adoucir.
- Bon. Premièrement, me crois-tu assez stupide pour essayer de coucher avec le fils de mon patron quand le-dit patron a un tel caractère de merde ?
- Tu fais très bien illusion.
- Tu ne vois que ce que tu veux voir Fred. Ben est un gars bien alors évidement que je m'entends avec lui. Il est facile à vivre. Pas comme toi.
- Tu cherches à me calmer ou à m'énerver encore plus ?
Alice choisit de ne pas répondre à cette question. Elle regarda le capitaine faire quelques ronds rageurs pour se contenir. Il aurait sûrement souhaité briser quelque chose mais ils avaient été prévenant et avaient choisi un endroit désert pour se retrouver. Fred saisit alors son arme pour en ôter le chargeur et le mettre dans sa poche puis il se remit face à Alice, les yeux dans les yeux.
- Et quelle est la deuxième nouvelle ?
- Tu vas mieux aimer. Je quitte la maison de Lucie, lui dit-elle.
- Pourquoi ?
- Tu vas moins aimer. Je vais habiter avec Ben.
- TU TE FOUS DE MA GUEULE ! Après c'est moi qui voit des choses !
- C'est juste une collocation, en toute amicalité. On se connaît à peine, se justifia Alice face au courroux du capitaine.
- Et tu m’annonces ça avec la bouche en cœur, ragea-t-il.
- Ben ne voulait même pas te le dire du tout.
Ce fut la phrase de trop. Fred tourna les roues et s'éloigna de plusieurs dizaines de mètres. Alice l’observait sans rien faire car elle savait qu'il devrait revenir, la voiture était derrière elle. Le capitaine s'immobilisa d'abord, dos à elle. Il resta dans cette position un temps infini. Alice se refusa à regarder l'heure. Elle s'était assise sur un rocher proche et attendait qu'il fasse le chemin inverse.
Effectivement Fred finit par faire demi tour et s'approcha de nouveau. Ses gestes étaient excessivement lents et contrôlés. Il mit pour le retour trois fois plus de temps que pour l'aller, Alice ne s'en plaignit pas. Peut-être avait-il voulu qu'elle le laisse là ? Même s'il le lui avait clairement demandé, c'est elle qui serait partie à pied mais ça il ne le savait pas.
Lorsqu'il fut assez près, Alice vit que malgré son attitude mesurée ses yeux brillaient d'un étincelle de rage. Elle le laissait venir sans se lever de son roc. Au fur et à mesure qu'il diminuait la distance qui les séparait, Alice l'entendait de mieux en mieux.
- Je vais lui casser un truc. Je vais lui en mettre une. Une droite ou une gauche. Dommage que je ne puisse plus lui botter le cul. Elle va le sentir passer. Je vais te défoncer la gueule !, lui cria-t-il une fois à portée.
Pas un instant il n'interrompit sa litanie. Alice ne recula pas devant cette violence. Elle conserva un calme olympien. Elle tendit même la joue.
- Vas-y.
Elle ferma les yeux, prête à accueillir le coup. Les minutes passèrent et elle ne sentit rien. Alice se résolut donc à rouvrir les paupières. Fred n'était plus là. Il s'était éloigné d'à peine un mètre et tourné vers la mer. Il avait lui aussi les yeux fermés et les mains posées sur les genoux. Lorsqu'il entendit Alice arriver derrière lui il dit simplement sur un ton neutre :
- On rentre ?
Et ils rentrèrent.