Inconnue au bataillon
Après avoir pris quelques photos du lieu, de la douille et de la vue, la commandante contacta la balistique. Elle resta dans la chambre pour les attendre pendant que Caïn s'en fut pour frapper aux portes voisines. Le capitaine n'avait aucune patience, Delambre se demandait souvent comment il avait fait à l'hôpital et en rééducation avec une telle bougeotte. Il avait dû être insupportable. Elle était bien contente de ne l'avoir récupéré qu'après cela. De par sa position elle vit arriver la camionnette de la PTS de loin.
Caïn n'avait rien trouvé de plus. Personne n'avait rien vu. Tout le monde avait entendu le coup de feu. Ils confièrent la douille au premier technicien qui sortit de l'ascenseur et retournèrent au SRPJ. En chemin Delambre contacta l'hôpital mais ils n'avaient toujours aucune nouvelle alors elle les prévint simplement qu'elle posterait un garde devant la porte de la chambre. Même si au bout du téléphone son contact s'enquit de connaître les raisons de cette assignation, il ne posa pas plus de questions lorsque, visiblement, elle refusa de lui répondre.
Une fois au poste c'est Legrand qui leur sauta dessus. Comme toujours, il s'adressa plus à Lucie qu'à son capitaine sans que ceux-ci ne sachent s'il le faisait consciemment ou non.
- J'ai du nouveau. J'ai pu identifier les portraits que vous m'avez donné. Ils faisaient tous partie de nos fichiers. Ce sont soit des criminels récemment sortis de prison, soit ils sont soupçonnés d'être en lien avec des trafics mais on n'a jamais eu assez de preuves pour les coincer. Ils ont absolument tous un casier judiciaire.
- Même nous vous voulez dire ?
Legrand tourna la tête pour regarder Caïn sans comprendre.
- Nous faisons partie des photos ciblées qu'Alice a prise.
- C'est étrange. Ni Lucie, ni vous ne correspondez au schéma des autres. La vict … Alice a l'air de ne s'intéresser qu'aux personnes avec un passif en justice récent. Ce n'est pas du tout votre cas.
- Mais ça nous fait un mobile. La petite fouineuse à commencé à photographier les mauvaises personnes. Soit le commanditaire du meurtre est dans les photos que l'on a, soit il va falloir que l'on trouve où elle gardait les autres.
- J'ai une piste !, déclara Borel en arrivant. Les clés trouvées sur elle correspondent aux clés utilisés dans les hôtels de la chaîne Ibis. Il y en a plus d'une dizaine à Marseille, sans compter les alentours proches.
- Et bien répartissez vous cela avec Legrand. Si elle restait à l'hôtel c'est sûrement là que l'on trouvera qui voulait la tuer.
- Bien capitaine.
Il n'en fallu pas plus au lieutenant pour partir. Legrand n'eut pas d'autre choix que de le suivre. Quand ils furent seuls, Caïn pivota vers Delambre mais c'est elle qui prit la parole en premier.
- Si Alice reste dans un hôtel …
- … c'est qu'elle n'est pas de Marseille …
- … alors on n'obtiendra rien si on n’élargit pas la diffusion de son signalement à toute la région.
- On fait toujours une bonne équipe. Vous devriez penser à …
- Dans vos rêves, le coupa-t-elle en s'éloignant.
- Vous ne croyez pas si bien dire.
En la voyant faire volte-face, Caïn ajouta :
- C'est ce que l'on fait de mieux nous, les paraplégiques, rêver.
Lucie ne semblait pas satisfaite de cette réponse mais n'avait aucunement envie de lancer une conversation sur ce sujet glissant avec son capitaine, alors elle le laissa, souriant, derrière elle. Caïn aurait pu rentrer chez lui et laisser ses lieutenants avancer dans l'enquête mais décida de tout vérifier en fouillant les dossiers de jeunes femmes disparues. Le capitaine n'aurait jamais pensé que tant de dossiers correspondaient à sa recherche pourtant précise. Sa petite vérification prit une tournure d'épluchage fastidieux de tous les dossiers qui l'occupa toute une partie de l'après-midi.
La journée se termina ainsi, sans qu'aucun des membres de sa brigade n'est fait le moindre avancement. Alice n'était portée disparue nulle part mais cela ne constituait pas une véritable progression. Borel et Legrand avaient couvert trois quart des hôtels de Marseille sans rien trouver de nouveau. Ils reprendraient leurs recherches à la première heure le lendemain. Caïn se serait peut-être encore acharné quelques heures en brassant de l'air si Delambre ne lui avait pas demander de rentrer chez lui se reposer.
Caïn savait bien qu'elle allait se rendre à l'hôpital pour voir Alice. Il aurait pu lui proposer de l'accompagner mais sa présence n'aurait pas aidé. Leur victime, si obstinément muette, l'agaçait. Il fit donc comme s'il ne se doutait de rien, la salua et sortit pour retrouver sa décapotable. Lucie avait bien vu dans les yeux de Caïn que celui-ci avait compris, elle lui fut donc reconnaissante de n'avoir rien dit et d'avoir accepté en silence. Aimé, lui, avait toujours besoin de parler, d'obtenir des réponses explicites. Cela la changeait de sa relation avec Fred où les seuls moments de calme étaient ces non-dits.
Effectivement peu après que Caïn soit parti, Delambre quitta aussi le SRPJ. Comme le capitaine n'avait deviné, elle prit la direction de l'hôpital. Elle n'avait rien dit à Aimé et elle ne lui dirait rien. En arrivant elle échangea un regard entendu avec le réceptionniste et monta jusqu'à la chambre. Là-hait elle montra son badge à l'officier de garde et entra.
La chambre était silencieuse, comme toute les autres fois où Lucie était venue. Alice était allongée sur le ventre, immobile. Son visage était presque entièrement couvert par le masque qui l'aidait à respirer. Son état était encore trop précaire pour que les médecins osent se fier uniquement à sa respiration autonome. Tout le bas de son corps était couvert d'un drap mais ses bras étaient posés au dessus des couvertures pour laisser libre accès aux transfusions sur ses avants-bras. Au bras droit elle avait un bracelet d'hôpital, comme les nouveaux-nés, à sa demande elle y était aussi appelée « Alice ».
Sans savoir vraiment pourquoi Lucie pouvait passer des heures assise à côté du lit. C'est ce qu'elle fit ce soir-là. Lucie ne comprenait pas pourquoi le cas de cette jeune fille l'affectait autant. Certes leurs victimes étaient souvent mortes mais le simple espoir de pouvoir lui parler semblait un argument un peu faible pour expliquer la façon dont Lucie se sentait attirée vers Alice. Elle lui parla de l'enquête, des difficultés qu'ils avaient à trouver le moindre information la concernant. Et puis elle lui parla du SRPJ, de Caïn, de Borel, d'elle-même. Elle se sentit gênée en mentionnant Legrand, alors elle ne le fit plus. Elle lui parla jusqu'à s'endormir à ses côtés.
Le garde à la porte ne vint pas la réveiller. Il avait reçu des ordres, sous le manteau, de la part du capitaine mais ça Delambre n'en savait rien. Au lieu de la tirer du sommeil pour qu'elle continue sa nuit chez elle, il lui apporta même une couverture et la lui posa délicatement sur les épaules. Il passa le mot à l'agent qui prit sa relève et la commandante put continuer sa nuit sans craindre d'être dérangée.
Cette nuit-là, Lucie rêva.
Elle arrivait au SRPJ un matin. Borel l'accueillit dès la sortie de sa voiture. Il était tout sourire et semblait ne vouloir rien de plus que de l'emmener à l'intérieur. Lucie se laissa guider jusqu'à la porte et découvrit qu'entre les murs se jouaient un spectacle singulier. Alice était réveillée, et même en pleine forme, sans que Lucie ne sache comment ne sache comment elle était arrivée jusqu'au SRPJ. Tous les agents étaient réunis dans l'open space pour assister à un véritable combat.
Alice et Caïn se faisaient face au centre du groupe. Le capitaine essayait de contrôler sa colère en faisant des plaisanteries mais sa voix était clairement plus énervée que celle d'Alice. La jeune fille le toisait d'égal à égal, son ton était ferme et autoritaire sans rien perdre de mesure ou de justesse. Il était évident qu'elle parlait librement et avec tout son cœur alors que Caïn s'empêtrait dans des « collègue » et « commandante » qui ne semblaient qui ne semblaient que vouloir cacher d'autres mots plus profonds et plus vrais. Lucie comprit tout à coup qu'elle était le sujet de la dispute entre les deux.
À un moment tout s'arrêta. Alice et Caïn se tournèrent vers elle, semblant lui laisser le choix entre eux deux. Aimé était là aussi mais à l'extérieur du cercle, parmi les spectateurs. Tous la regardèrent, attendant un geste ou un mot. Alice attachait son regard avec un sourire simple et communicatif. Fred, lui, la fixait, perdu et terrifié à l'idée qu'elle puisse choisir l'autre. Lucie s'avança et enlaça Alice.