La remarque de trop
- Capitaine Caïn … encore vous …
- Qui d'autre ?, répondit ce dernier avec un sourire.
Le policier retint mal un soupire et s'approcha. Caïn aurait voulu lui dire qu'il pouvait très bien se débrouiller seul mais il aurait alors dû se tortiller jusqu'à l'étage.
- C'est bon Dubreuil, je m'en occupe.
Le capitaine ne vit d'abord pas qui avait parlé mais le premier arrivant s'écarta pour laisser la place à un second. Plus familier.
- Nassim ! Mon sauveur !
Sans s'émouvoir le moins du monde, Borel poussa le fauteuil près du capitaine avachi contre le mur et l'y installa avec des gestes experts et une facilité qui laissait présager de ses nouvelles fonctions d'infirmier auprès de Caïn.
- Qu'est-il arrivé à votre main ?
Caïn baissa les yeux sur la-dite extrémité. Elle tremblait depuis son poignet et tous ses doigts avaient doublé volume alors que les jointures et la paume étaient noires.
- Je ne vois vraiment pas de quoi vous voulez parler.
Peut-être que ce fut le ton si innocent de Caïn plus que l'état dans lequel il s'était mis qui fit sortit le lieutenant de ses gonds.
- Capitaine, j'en ai marre. Marre de vous. C'est pas parce que vous êtes triste à en mourir et perdu sans Lucie que vous avez le droit de vous pourrir la vie, et la mienne avec. Sinon vous allez vous trouver quelqu'un d'autre pour jouer les aides handicapés.
- Ça me pique peut-être un peu finalement …
Borel emmena Caïn chez le médecin. Ce dernier se montra presque admiratif que quelqu'un ait pu réduire sa propre main en charpie à ce point. Le capitaine eut donc droit à une atèle complète et interdiction de se servir de sa main pendant au moins un mois. Autant dire que pour un paraplégique cela ne laissait plus grand chose. Mais Caïn n'avait pas vraiment écouté puisque tout son esprit était dirigé vers cette fiche qui l'attendait dans sa poche.
Ce fut sa première tâche une fois rentré au SRPJ. Borel l'avait déposé à son bureau, en lui rappelant bien qu'il ne pouvait plus bouger tout seul avant de sortir. Caïn extirpa la feuille de son pantalon. Il voulait tout savoir de cette Julie Delarme. Certes le nom était quasiment similaire, pour ne pas dire trop mais il ne fallait négliger aucune piste.
Julie Delarme avait sensiblement le même âge que Delambre, la même taille aussi. Le reste de sa fiche divergeait mais pour Caïn il sentait le faux. Julie avait fait partie d'un petit service calme dans une petite ville et avait demandé sa mutation à Bordeaux pour être un agent infiltré. La mission à laquelle elle était assignée n'avait rien de dangereux, c'est à peine si c'était de la surveillance. Elle devait vivre dans un immeuble accueillant beaucoup d'anciens détenus ou des gens en sursis. Aucun crime grave, que des petites frappes tombées pour vol, violence ou deal.
L'agent infiltré s'insérait à la fin d'une démarche de réinsertion et était simplement dans l'immeuble pour jauger l'ambiance et les résultats des programmes appliqués. CaÏn aurait tant voulu que ce soit elle. Il fit ses recherches, comme pour les autres, mais cette fois-ci rencontra un os. Julie Delarme n'existait pas.
Il mit à sérieux profit tout le mois suivant qu'il passa vissé à son bureau. Delarme n'avait pas existé avant de demander sa mutation. Mais maintenant elle elle existait bel et bien. Il remonta toutes les pistes, unes et unes. Souvent il avait l'impression de chercher une aiguille dans une botte de foin mais la flamme que cette Delarme avait allumé en lui était suffisamment de carburant pour le maintenir à fond jusqu'à ce qu'il soit sûr que c'était elle.
Il appela le commissariat où Delarme était censée avoir travaillé mais dont il ne subsistait aucune trace. Le commandant sur place fut vague dans ses explications. Quand Caïn fit des recherches sur lui, il découvrit qu'il avait connu Lucie lorsqu'elle était encore en formation. De même l'homme qui avait validé la mutation était l'un de ses anciens camarades.
Caïn savait bien que cela ne l'avançait pas à grand chose. La plupart des flics d'une même région se connaissait, surtout dans leur milieu. Que l'un ait été de sa génération ne prouvait rien et l'autre avait été l'instructeur de centaines d'autres policiers.
Ce n'était pas tant la peur de frapper chez la mauvaise personne que la crainte de perdre du temps dans le déplacement qui le faisait prendre toutes ces précautions. Bordeaux n'était pas la porte à côté surtout pour un fauteuil roulant. Voyager jusque là-bas ce serait perdre au moins une semaine à pouvoir fouiller les archives ici.
Bien sûr il avait une autre raison, plus profonde. S'il allait là-bas en étant persuadé d'y trouver Lucie pour qu'au final ce soit une inconnue qui lui ouvre la porte, il n'était pas certain de pouvoir tenir le choc. Déjà parfois après avoir examiné un dossier prometteur, la déception l'abattait presque totalement alors là … Ce serait sûrement quitte ou double.