Le Rouge et le Bleu

Chapitre 1 : Le Rouge et le Bleu

Chapitre final

3979 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/12/2023 17:26

Pour @Hestha


Fic écrite dans le cadre du Secret Santa, de novembre-décembre 2023. Hestha, joyeux Noël : j'espère que cette histoire te plaira.


Bonne lecture !





Les canaux puaient la pisse et la poiscaille. Et le cadavre étalé sur les planches gluantes du ponton n’améliorait pas l'odeur. 


— L’Oblivion nous emporte ! Ses… lèvres…


Une vendeuse ambulante l’avait trouvé au petit matin sur le chemin de la pêcherie. Elle avait aussitôt gueulé pour donner de l’alerte.


— Encore un…. Eh, si tu le défroquais, son trou du cul serait de la même couleur. 


Un môme. C’était rien qu’un môme, tout pâle et tout raide. Dix-sept ans, pas plus. Pourtant ses cheveux, ternes et filasses, étaient déjà rares et cassants. Ses yeux jaunis fixaient le plancher avec le regard vide des harengs que proposaient la vendeuse qui l’avait découverte. Son visage était émacié, couvert de petites taches, ridé avant l’âge. 


Quelques mouches s'envolèrent, dérangées dans leur festin, lorsque j’approcha mon doigt de sa bouche. Je l’ouvrit doucement, dévoilant un arc-en-ciel de chicots noirs, jaunes, bruns et manquants. Ainsi qu’une langue et des gencives bleues. Comme ses lèvres. Et, à n’en pas douter, d’autres muqueuses moins avouables. 


Ça recommençait…


— Vous, là ! Au nom du jarl, arrêtez vous ! 


Sans déconner, les gens se croyaient tout permis. Elle se voyait bien, non, la zone tracée autour du cadavre pour laisser à la garde l’espace de faire correctement son enquête ? Eh bien ce suffisait visiblement pas à empêcher un khajiit ahuri de la franchir comme si c’était le grand boulevard. Et mes collègues se tenaient là comme des ronds de flanc, sans oser réagir. 


Je me levais et, furieux, roulais des muscles pour m’en aller dégager cet abruti de chat. 


— C’est vous qui êtes en charge de cette enquête ? demande-t-il. Le jarl m’a dit de vous trouver ici. 


Un léger accent déformait ses syllabes mais il avait le bon goût de parler normalement. Je m’arrêtais devant lui. 


— En effet. Schrader. Officier Hank Shrader, de la garde de Faillaise. Et vous êtes…


— Le lieutenant Gomez, des Lames de l’Empereur. 


Je reculais instinctivement, les lèvres entrouvertes. Les Lames, c’était pas rien. Pas tous les jours que les services secrets de l’Empire se mêlaient de nos oignons. Je retrouvais vite le sourire que je destinais à mes collaborateurs et serrait sa patoune velue dans la mienne. Je m’attendais à la trouver flasque et fuyante, mais non : Gomez écrasa virilement mes phalanges autant que je broyait les siennes. 


— Les Lames ? Je veux pas être indiscret, monsieur Gomez : mais qu’est qui amène les Lames par ici ? 


Gomez désigna du pouce le cadavre étalé par terre. 


— C’est cette nouvelle drogue. De Bravil à Daguefilante, tous les accros au skooma s’y convertissent et tombent d’overdose les uns après les autres. Une putain d’épidémie. 


— Oui, il se passe pas une semaine sans qu’on retire des canaux un nouveau cadavre, avec la langue toute bleue. Ce skooma bleu, c’est une saloperie, c’est incroyable. 


— Chez nous, on le surnomme le “bleu de Balmora. “ C’est là-bas qu’il a commencé à être distribué en masse. 


Je ricanais doucement : pour une fois j’avais un coup d’avance.


—Ce n’est pas étonnant, avec les réseaux de contrebande dunmer. Mais c’est ici, à Faillaise que se cache le fils de pute qui le fabrique. 


— Ah ?


— Je vais vous expliquer : 



***


— Oncle Hank, tu nous raconte une autre histoire d’arrestation que tu as faite ? 


Le visage de Walter Junior affichait toujours la même expression béate lorsque je parlais de mon boulot. Tabasser des méchants, arrêter des criminels, il trouvait ça “cool.” Aujourd’hui, avec ma masse d'armes qui lui pesait lourdement entre les mains et mon casque, trop grand pour lui, qui lui recouvrait la tête, il était aux anges. Le gosse était du genre chétif, mais il aspirait à la vie d’homme, de vrai, dont rêvaient tout les jeunes de son âge. 


— Fais attention avec ca, Junior, tu vas te faire mal… prévint son père d’une voix absente.


Cela avait beau être le jour de son anniversaire, mon beau-frère Walter White avait la tête ailleurs. Si je ne faisais pas d’efforts pour mettre un peu d’ambiance, l’atmosphère dans la maison des White serait très certainement morbide. 


— T'inquiète pas, papa. Je fais attention, assura Junior. 


— Ça a l’air très lourd…


— Eh oui, ça l'est, répondis-je non sans fierté. Ce truc là est fabriqué pour casser des crânes, Walt. C’est pas pour les filles…


Marie et Skyler soupirèrent, mais j’aimais bien les taquiner un peu. 


— Et si au lieu de dire des bêtises tu aidais plutôt à débarrasser la table ?  


— Ouais, ouais, après, maugréai-je en emportant une bouteille de vieux Roncenoir et deux gobelets. On va prendre l’air, tu viens Walt ? 


La brume flottait au-dessus du voisinage. Les White habitaient dans un quartier un peu à l'écart et de leurs miasmes fétides, mais on ne pouvait vraiment échapper nul part au climat de cette foutue ville. Il faisait frais. On entendait une chouette, perchée sur un toit et le vol placide de quelques flammouches ponctuaient l’obscurité de leur perçante lueur. 


Je servais deux verres, pour moi et pour Walt qui m’avait suivi. Il s’assit sur un tronc d’arbres et contempla le ciel vide d’étoiles, en se massant distraitement le coude. 


Bon temps pour une pipe. Je l’extrayais de son étui et emplit le fourneau de cet excellent tabac brun de Stros M’kai, offert par les collègues.


— Je peux ? s’enquit Walt par dessus son verre d’hydromel. 


— Tu es sûr que…


— Il ne faudra rien dire à Skyler, assura-t-il avec un sourire entendu. 


J’allumais la pipe, aspirait une bouffée et la lui tendit. Il tira dessus à son tour, recracha la fumée avec délectation et leva son verre devant lui, après en avoir humé le bouquet. 


— Santé !


— Santé ! 


Je trempais mes lèvres dans l'onctueux breuvage sucré, savourant la subtilité de chacune des saveurs qui s’en dégageaient. J’accordais cette première gorgée avec une nouvelle bouffée de tabac. 


— Alors, ta maladie…demandais-je après que je l’eusse recrachée. 


— Je préfère ne pas en parler, Hank, m’interrompit Walt. 


Je haussais les épaules. Ce n’étaient pas mes oignons, bien sûr. Mais je m'inquiétais quand même pour mon beau-frère. Ce genre de saloperie, ça ne guérissait pas simplement par un aller-retour au temple le plus proche. Ça pesait sur la vie et le moral. Walt allait chaque mois à Fordhivers, consulter au Collège un spécialiste de la magie de restauration. Ce n'était pas donné, mais heureusement, ses proches le soutenaient tous. Ses anciens confrères de la Guilde des Mages s’étaient cotisés pour lui payer le traitement. 


Oh, justement ; j’y pensais :


— Dis voir, tu t’y connais un peu en alchimie, non ? 


Une question évidemment rhétorique. Bien sûr que Walt s’y connaissait en alchimie. Il serait facilement devenu le plus grand alchimiste de Tamriel si la malchance ne s’en était mêlée. C’était le type le plus intelligent que je connaissais. Il haussa les épaules, modeste : 


— Oh, oui, on peu dire ça.


Je fouillais ma poche et lui présentais son contenu.


— Est-ce que tu saurais me dire c’est quoi ça ? 


Walt recueillit précautionneusement le petit flacon, fronça les sourcils. 


— On a trouvé ça sur une scène de meurtre dans les bois, expliquais-je tandis qu’il les examinait. Une affaire sérieuse, très sérieuse avec de la magie, des vampires, des daedras et tout. Je t’épargne les détails, tu dormirais pas de la nuit.


— Hank, c’est du skooma, ca ? 


— Oui, oui, je sais que c’est du skooma. Mais est-ce que tu peux me dire pourquoi il est bleu


— Oh, je ne sais pas exactement : si ce n’est pas du colorant, alors c’est une question de formule alchimique, de pureté du processus de raffinage. Peut-être une réduction par sel du vide. 


— Qu’est ce que ça veut dire ?


— Tu me poses ces questions ! Je ne peux pas dire grand-chose sans analyser sérieusement ton produit ! Et puis je suis professeur d'alchimie, pas raffineur de sucrelune. C’est toi qui a l’habitude de démanteler des laboratoires clandestins. Tu ne connais donc pas d'autres experts ? 


— Aucun d’eux n’a jamais vu de skooma bleu…


Walt soupira. Il se massait le coude nerveusement. Je n’aimais pas le mêler à ces histoires, mais je n’avais pas le choix. Je me creusait les méninges sur cette histoire de skooma bleu depuis qu’on en avait découvert les échantillons. Et personne d’autre ne savait comment cela pouvait être possible. 


Je récupérais le flacon confié à Walt et le remettais distraitement dans ma poche, songeur. 


— Une réduction par sel du vide, répéta-t-il plus calmement. Entre autres facteurs. C’est un un processus complexe mais pour que teinte bleue soit si prononcée, cela implique un contrôle absolu de l’absence d’impureté. 


Je hochais la tête, guère plus avancé que je ne l'étais. La consultation de Walt ne m’apportait qu’une confirmation : celle que le type qui fabriquait cette saloperie était un putain de génie en la matière. 



***


— On s’les pèlent, m’sieur White ! Yo, vous croyez que c’est une heure ou un lieu pour un rendez-vous ? Ca grouille d’ours dans le coin, putain ! 


Jesse frappa un cailloux de toute la force de son pied. Il disparut un instant dans la pénombre qui, lentement, tombait sur les bois avant que ne retentisse un lointain “plouf” lorsqu’il heurta la surface du lac Honrich. 


Je ne répondis rien. Je jetais un coup d'œil à droite, un coup d'œil à gauche, guettant entre les troncs des bouleaux la silhouette de l’homme qui deviendrait, je l'espérais, notre futur associé. Mais malgré le soleil voilé de nuages qui déjà disparaissait derrière les collines, nous étions toujours seuls. 


Il faisait froid, mais une goutte de sueur perla le long de mon cou. Mes doigts, de leur propre volonté, glissèrent pour la gratter frénétiquement.   


— J’m’en fous, je rentre chez moi ! s'exclama Jesse. Il jeta à l’eau une autre pierre de toute ses forces et s’éloigna, longeant la berge. 


— Reste-là, dis-je d’une voix qui se voulait calme et autoritaire. 


Jesse se retourna, seulement pour me dédier un geste grossier. 


— Reste-là, répétais-je entre mes dents. Il va arriver. 


Un juron résonna dans la nuit, qui nous enveloppait maintenant pour de bon. Mais Jesse se résout à s’asseoir sur un rocher, d’où il bombarda méticuleusement la surface huileuse du lac des galets qui lui tombaient sous la main. 


Je marchais et marchais en rond. Là-haut, Masser et Secunda se foutaient bien de la gueule des deux crétins que nous étions. 


Pas une branche ne craqua. Pas un bruit n’annonca sa venue. Soudain, simplement, il était là. 


— Oh, putain ! bondit Jesse qui manqua de tomber à la renverse. 


Mon cœur, l’espace d’un instant, cessa de battre dans ma poitrine avant de repartir avec la vitesse d’un cheval au galop. Un sursaut, violent, électrisa chaque parcelle de mon corps dans un frisson qui refusa de se dissiper bien longtemps après que je fus remis de mes émotions. 


— C’est vous ? demandais-je d’une petite voix.  


— Vous avez la marchandise ? demanda l’homme à son tour, sans répondre à ma propre question. 


Il portait une grande cape, une tunique et des bottes de couleur sombre. Je distinguais sous sa capuche les traits d’un homme entre deux âges, une peau pâle, un nez crochu, de longues méches de cheveux gras, des joues mal rasées. 


Ça commençait mal. Très mal. Je me laissais un instant pour réfléchir. Il n’était pas très grand, ni très costaud. Et je ne voyais pas d’armes, cachées sous les plis de ses vêtements. 

Lentement, je portais la main à la sacoche que je gardais, bien serrée entre mes doigts crispés. Jesse me retint : 


— Yo ! Je fais pas affaire avec ce type là, il fait flipper ! Ça pue les emmerdes. 


Trop tard, on ne pouvait plus reculer. Du regard, j'invitais Jesse au calme et à la confiance. Quant à l’homme, il lui jeta un regard assassin. Ses yeux brillaient comme deux globes jaunes dans l’obscurité.  


Je lui tendis la petite bouteille, remplie jusqu’au goulot de ma précieuse création : le skooma parfait. Le skooma ultime. Le plus pur jamais créé, la plus sophistiquée des drogues disponible sur le marché. 


Je m’attendais à ce que l’homme allume une lanterne pour examiner le produit de plus prés, mais non. Il se contenta de lever la bouteille devant ses pupilles luisantes pour l’observer à travers le voile nocturne. 


— M’sieur White, je crois que… me chuchota Jesse. 


— Il est bleu ! déclara l’homme. 


Une remarque prévisible, venant d’un profane. J’étais d'ors et déjà préparé à le rassurer à ce sujet. 


— Oui, c’est normal, c’est parce que… 


— Il est bleu ! Bleu ! Savez-vous seulement à qui vous avez affaire ? 


— C’est la pureté exceptionnelle du produit qui… 


Jesse tira sur ma manche avec insistance : 


— M’sieur White… 


— Je suis Venarus Vulpin, maître de la Tanière d’Eaurouge ! “D’Eaurouge !” 


— Mais…


Rouge ! Mon skooma est rouge ! Rouge comme les baies de givreboises dans un arbuste enneigé, rouge comme les lèvres d’une jouvencelle brétonne assoupie dans son lit, rouge comme le sang que j’utilise dans sa fabrication ! 


Venarus Vulpin jeta l'échantillon de toutes ses forces sur le sol. J’amorcai un geste pour le retenir, trop tard. Il rebondit sur les feuilles humides et alla se perdre quelque part dans le noir.


— M’sieur White ! 


Jesse était livide. 


— Pas de bleu. Je dois vous faire disparaître. Vous en savez trop. 


Il bondit, les mains brandies vers mon visage. Je n’eut que le temps de lui opposer ma sacoche pour éviter d’être frappé, ou pire. Je supportais à peine le choc. La force extraordinaire de Venarus Vulpin me fit vaciller. Mes pieds s'emmêlèrent. Haletant, je parvint à garder l'équilibre mais mes bras, eux, cédaient. Ils ne pouvaient résister à l’implacable poigne de ce cinglé. 


— C’est un vampire, putain, c’est un putain d’vampire ! entendis-je Jesse beugler. 


Il avait attrapé une branche et frappa Venarus dans le dos. Le coup le fit à peine tressaillir et avant que Jesse ne puisse réitérer, il se retourna le temps de le balayer d’un revers de bras. 

J’en profitais pour tenter de fuir mais déjà, ses griffes fendaient l’air de nouveau en direction de ma gorge. La sacoche, une fois de plus, me sauva la vie. Dans un craquement sinistre, elle se déchira et éparpilla son contenu à la ronde. Je tombai au sol. Mon coude heurta violemment une pierre. Une vague de douleur se répandit à travers mon bras. 


Venarus me dominait. Ma main tâtonna fébrilement. Une arme. Il me fallait une arme. Il me fallait cette pierre. Il me la fallait maintenant.  


Jesse revint à la charge. Sa branche se brisa sur le crâne de Venarus. Il ne tressaillit même pas, mais poussa un hurlement bestial. Ses lèvres retroussées dévoilèrent une paire de canines acérées, qui brillaient sous l'éclat lunaire comme deux lugubres échardes d’os. 


Mes doigts se refermèrent sur un objet dur. Ce n’était pas la pierre. Juste un flacon d'ingrédient, échappé de ma sacoche et ramassé par hasard. Dans un réflexe presque puéril, je le portais devant mes yeux pour vérifier de quoi il s’agissait. 


Et si…


Venarus renversa Jesse. Il rampa, tenta de s’échapper, hurlant et pleurant. 


Il me fallait l’autre. 


Terreur ? Douleur ? Les cris désarticulés de Jesse me vrillaient les oreilles, mais je ne prêtait plus attention à sa lutte désespérée pour la vie. Mes doigts tâtaient le sol, se refermèrent sur la surface polie d’un galet que je jetais au loin. Je fouillais les lambeaux épars de ma sacoche massacrée. 


Là ! Je l’avais !


Avec les dents, je décapsulai les deux flacons. Je tremblais, versai dans l’un le contenu de l’autre. Mes lèvres peinait à articuler les mots, mais je parvint à lancer à Venarus : 


— Laisse-le tranquille ! Recule ! 


Jesse gisait à terre. Veranus se tourna vers moi. J’avais l’air stupide comme ca, à brandir mon flacon comme si cette bouteille pouvait nous sauver la vie. Il laissa échapper un sifflement méprisant. Cet idiot ignorait que c’etait le cas. 


— Laisse-le tranquille, répétais-je, plus menaçant, lorsqu’il approcha ses crocs de la gorge de Jesse. 


— Que comptes-tu faire ? M’assomer avec ta stupide bouteille de skooma bleu ? 


— Ce n’est pas une bouteille de skooma. Ce sont des sels de feu. Mélangés à du nitrate d’argent. 


— C’est pour niquer les vampires dans ton genre, salope… bégaya Jesse, hargneux. 


Veranus ne s’enfuit pas. Il rugit, bondit sur moi. Je fermais les yeux. C'était la fin. En l’espace d’un battement de cœur, ma main se détendit d'elle-même et mes doigts amorphes laissèrent échapper la préparation improvisée. 


Une vague de chaleur enveloppa mon visage. Je perçu à travers mes yeux fermés la vive lueur d’un éclair. Des cris et une insoutenable odeur de porc grillé envahirent l'atmosphère. 

Je les rouvrit timidement. 


A mes pieds, Veranus se tordait de douleur. Un brasier . Des flammes liquides creusaient les entrailles et dissolvaient la chair. Je n’avais pas pris le temps de fermer le flacon. Le mélange s'était répandu à terre et sur ses membres, où dansaient de petites flammèches. 


Jesse se releva maladroitement.


Je tournais la tête à droite, à gauche. Venarus vivait toujours. Ses cris pitoyables me fendaient le cœur. Les flammes s’éteignirent peu à peu. Pas ses gémissements. 

Je m’approchais de lui mais la main qu’il me tendit, griffue, me fit reculer. Il fallait dégager d’ici. Détruire les preuves. 


Je me jetais à genoux, ramassais les restes de ma sacoche, rassemblait les flacons brisés, éparpillés pêle-mêle. Il en manquait un. 


— L’échantillon ? Où est l’échantillon ?


Jesse se releva. Il saignait. Retomba à terre. 


J’abandonnais les recherches. Blessé par un vampire, il lui restait peu de temps. Peut-être la malédiction courait-elle déjà dans ses veines. Mais on pouvait le sauver. Si l’on agissait vite, si l’on trouvait un prêtre. 


Je pris Jesse dans mes bras, l’aidait à se mettre debout. Bras dessus, bras dessous, il fallait rentrer en ville. Venarus gémissait plus. Il ne bougeait plus. Son corps ratatiné en position fœtale s'était figé, raide et desséché. Pour Jesse, il n'était pas trop tard. Et pour mon affaire, je devrais trouver un autre moyen pour distribuer le produit…  



***



— Ce vampire qu’on a retrouvé près du lac, Venarus Vulpin : il dirigeait une petite auberge dans le bois de Vernim, qui servait de couverture à une fumerie de skooma et un laboratoire clandestin. Quand on a débarqué pour faire le ménage, on a trouvé une chiée de vampires qui vidaient les clients de leur sang lorsqu'ils étaient trop abrutis par la drogue pour s’en rendre compte. 


Gomez et moi avions fini la journée à la taverne, où je lui racontais en détail autour d’une bonne bière et d’une assiette de poulet rôti tout ce que je savais à propos de ce mystérieux skooma bleu. 


— Leur skooma il était rouge, c’était une vraie saloperie : Venarus Vulpin utilisait une genre de fontaine maudite qui déversait du sang pour fabriquer sa merde et la rendre encore plus addictive, encore plus abrutissante. 


Je revis les corridors de cette grotte impie, les cadavres exsangues et mutilés. Et cette fontaine… cette fontaine de sang. 


Je réprimais un haut le cœur, que je dissimulais derrière le sourire désabusé d’un homme que les horreurs n’impressionnaient guère. Mais la vue dans mon assiette de mes restes d’os de poulet me coupait l'appétit. Je me forçais à avaler une gorgée de bière pour faire bonne figure. 


— Je suis pas qu’un peu content d’avoir démantelé ce repère de trafiquants vampires. Le jarl m’a félicité personnellement… Mais il y avait quand même une ombre pour noircir ce tableau…


— Le flacon de skooma bleu, retrouvé sur la scène du crime de ce vampire ? 


— Exact. C’est pas quelque chose que Vulpin aurait pu fabriquer lui-même. Son skooma rouge était une immondice sans nom, coupé au sang et autres additifs. Mais ce skooma bleu… Il est pur, très pur. C’est pas à la portée de n’importe quel guignol et son établis d’alchimie. C’est un gros poisson qui le fabrique, un très gros poisson. Le meurtre de Venarus Vulpin, ça ressemble à un réglement de compte. Et comme par hasard, on retrouve quelques semaines plus tard ce “bleu de Balmora” partout en ville, puis sur tout le continent. 


— Le meurtrier de Venarus Vulpin serait le fabricant du bleu de Balmora, qui souhaitait éliminer la concurrence ?  


— Ou ils ont voulu s’associer, et ça a mal tourné. Maintenant, ce mystérieux alchimiste a trouvé un nouveau réseau. Un réseau assez vaste et puissant pour exporter partout en Tamriel… 


Gomez s’égara dans ses pensées. 


— Messieurs, je vous ressers un peu de poulet ? 


L’aubergiste, un dunmer au sourire avenant, se tenait derrière nous avec deux assiettes neuves. Finalement, je réalisais que j’avais encore faim. Toute ces énigmes insolubles, l#air de rien, ça creusait. 


— Oui, s’il vous plaît, votre poulet est toujours excellent. Merci, Gustavo. 

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