L'homme choisit, l'esclave obéit

Chapitre 14 : Chapitre 13

Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 07:33

Rapture, deux ans et onze mois plus tôt

 

 

Ryan était attablé avec ses plus proches collaborateurs, au bar du Hall de la Marine. Le bar était situé juste en dessous de la salle de spectacle. Décoré dans un cadre plutôt intime, le bar servait de point de ralliement au public après le spectacle. Ryan y disposait d'une table permanente. Règlé comme une horloge, il s'y rendait systématiquement après avoir assisté aux shows.

Ce soir, une chanteuse du nom d'Anna Culpepper venait de faire ses premières armes en tenant la première partie du show de Cohen. Ryan trouvait qu'elle était douée. Ce n'était pas l'avis de Cohen, qui avait pris en grippe la chanteuse dès qu'elle avait posé le pied sur les planches. Mais Ryan croyait savoir pourquoi Cohen était si réfractaire aux chants de Culpepper : il avait peur. Avec un bon travail, Culpepper pouvait atteindre le talent de Cohen. Et les deux le savaient. Leur conflit naissant amusait Andrew. En toute honnêteté, bien que Cohen était un génie, il avait une fâcheuse tendance à se reposer sur ses lauriers. Un peu de compétition ne ferait qu'améliorer le niveau général des artistes de la Forteresse Folâtre.

La table en bois de rose était de forme pentagonale. Ryan occupait la place d'honneur, à l'autre extrémité de la pointe de la table. A côté de lui, de droite à gauche se tenaient Sullivan, qui était autant là pour être en compagnie du maître de la ville que pour veiller à sa sécurité, Cohen qui quittait régulièrement la table comme en ce moment pour aller se donner en spectacle devant ses fans dans la salle, MacDonagh avec qui Ryan pouvait discuter des menus problèmes de la ville et enfin, la dernière place à l'extrémité gauche de Ryan était laissée libre. Ryan permettait ainsi à n'importe qui de venir s'attabler avec eux. Ce soir, la place était occupée par un chirurgien plastique d'origine allemande, arrivé depuis peu dans la ville. Ryan porta sa tasse de café à ses lèvres.

_Pouvez-vous me rappeler votre nom ?

 

_Steinman. Docteur Joseph Steinman.

 

Sullivan se pencha vers Ryan et lui glissa quelques mots au creux de l'oreille. Ryan opina du chef et continua sa discussion.

 

_Sullivan me dit que vous étiez un médecin professionnel respecté au Benjamin Church Medical College. Et que le docteur Richard Clerkwell vous tenait en grande estime.

 

Surpris par la précision des informations, Steinman ne put qu'hocher la tête.

 

_Oui, c'est vrai.

 

Ryan masqua son sourire en absorbant un peu de café. Il en venait à se demander si Sullivan pouvait un jour se tromper. Il ne savait pas comment l'irlandais faisait pour avoir autant d'informations alors qu'ils se cachaient tous au fin fond de l'Océan. Ryan finit son café et joua machinalement en faisant tourner la tasse entre ses doigts.

 

_Alors dites-moi, pourquoi avez vous choisi de quitter votre vie à New York pour nous rejoindre ?

 

_La lassitude, répondit honnêtement Steinman. Je n'en pouvais plus de devoir encore et toujours rectifier un nez ou effacer un grain de beauté disgracieux...j'en devenais fou. Les gens étaient obsédés par la symétrie, rêvant d'avoir les deux parties du visage rigoureusement identiques. J'ai fini par craquer et quand j'ai appris l'existence de cette ville, je m'y suis rendu.

 

Andrew hocha la tête. Effectivement, une répétition sans fin devait être terrible à vivre.

 

_Et bien docteur Steinman, déclara Ryan en continuant de jouer avec sa tasse, je suis sûr qu'ici au moins vous...

 

Mais Ryan n'eut pas l'occasion de finir sa phrase. Sander Cohen venait de se joindre à la tablée, coupant Andrew dans son élan.

 

_Messieurs, déclara t-il tout de go, je suis sûr que vous me pardonnerez mon interruption mais j'aimerais vous présenter quelqu'un.

 

_Justement non, lança sèchement Ryan. Sander, j'étais en train de parler et...

 

Pour la seconde fois en moins d'une minute, Ryan ne put finir sa phrase. Mais la seconde était entièrement de son propre fait.

 

Il venait de porter les yeux sur une jeune femme qui se tenait juste à côté de Cohen. Ou plutôt non, il venait de les porter sur une déesse : une splendide blonde d'à peine trente ans, aux yeux aussi verts que deux émeraudes. Elle portait une robe rouge sang, toute simple mais qui lui allait divinement.

 

Il n'arrivait pas à détourner son regard. C'était plus fort que lui. Pourtant, il avait l'habitude de fréquenter les jolies femmes -ne passait-il pas pour le plus grand séducteur de Rapture ?-. Mais là, il ne pouvait tout simplement pas. Il était comme dans une bulle hors du temps. Il avait l'impression de sentir son cœur hésiter entre s'arrêter et exploser s'il faisait le moindre mouvement.

 

Ce fut finalement Cohen qui le tira hors de cette situation en reprenant la parole comme si de rien n'était.

 

_Je voulais donc vous présenter mademoiselle Jolene, dit le chanteur en invitant la jeune femme à s'approcher. Mary-Catherine, c'est cela ?

 

_Mes amis m'appellent Jasmine, déclara t-elle en souriant.

 

Elle avait une voix magnifique. Comme si un ange venait d'ouvrir la bouche.

 

_Jasmine...répéta Ryan d'une voix qu'il ne reconnut pas lui-même.

 

Il voulut l'inviter à s'assoir mais se rendit compte que toutes les places étaient prises.

 

_Ce n'est pas grave monsieur Ryan, je peux rester debout.

 

Andrew secoua négativement la tête. Il se refusait à l'idée qu'une femme comme Jasmine doive rester debout. Il se tourna vers Steinman.

 

_Docteur, ce vous ennuierait-il de laisser votre place à mademoiselle Jolene ? demanda le maître de la ville sur un ton aimable.

 

_Bien sûr que non. Je comptais rentrer dormir de toute façon, répondit le plasticien en se levant et en cédant sa place à la jeune femme.

 

_ Merci, murmura Jasmine en prenant place à la table pentagonale.

 

Ryan vit nettement Sullivan observer la jeune femme avec attention. C'était logique puisque après tout, le chef de la sécurité était réputé -et payé- pour sa paranoïa. Il ne laissait généralement personne s'approcher de Ryan sans un examen complet. Nul doute que cette nuit, l'irlandais irait fouiller dans le passé de Jolene.

 

_Alors dites moi mademoiselle Jolene, commença Ryan en tentant de cacher le trouble dans sa voix. Qu'est-ce qui a amené une aussi belle femme que vous ici  ?

 

_Le travail, répondit-elle simplement. J'avais trop de problèmes à la surface avec mon métier. Quand j'ai entendu parler de cet Eden, je n'ai pas hésité un seul instant.

 

_Votre métier ?

 

_Je suis danseuse.

 

Ryan fronça les sourcils. Il ne voyait pas en quoi le fait de danser pouvait poser un quelconque problème à qui que ce soit. Ce fut Cohen qui éclaira sa lanterne :

 

_Mademoiselle Jolene vient tout juste d'être engagée au Jardin d'Eve.

 

Ryan comprit instantanément : le Jardin d'Eve était comme on le disait pudiquement un club de gentlemen. Le genre de clubs qui s'accordaient peu avec la morale puritaine qui étranglait les Etats-Unis. Pour sa part, Ryan n'avait jamais été vraiment choqué. Après tout, chacun disposait de son corps comme il le voulait. Ce n'était pas aux politiques de réguler cela.

 

Cohen enchaîna auprès de Jolene sur sa dernière prestation et sur le clivage qu'il y avait entre lui et Culpepper. Ryan fit poliment semblant d'écouter. L'égo de l'artiste était quelquefois lassant. Il pouvait parler des heures sans discontinuer sur son talent. Ryan pouvait presque prédire à l'avance les mots qui sortiraient de sa bouche...

 

Sachant que Cohen ne s'en formaliserait pas, Andrew parcourut la salle du regard. Il aurait bien aimé parler à Jolene seul à seule mais il ne pouvait quand même pas éjecter son ami ainsi de la conversation. Le regard du maître de la ville se cristallisa sur l'entrée de la pièce. Il venait de voir Fontaine arriver, accompagné de Tenenbaum. C'était d'ailleurs amusant de voir à quel point les deux hommes étaient antagonistes, jusqu'à la façon dont ils s'habillaient : Ryan mettait un point d'honneur à toujours être élégant mais sans trop en faire néanmoins. Il préférait les coupes discrètes et des couleurs ternes comme le brun. Fontaine au contraire porté dans la démesure. Costumes criards, bijoux, tout était bon pour attirer l'attention. Il revendiquait ainsi sa position de seconde fortune de la ville, juste derrière Ryan.

 

Fontaine adressa un salut de la main à Ryan qui lui rendit. La fortune de Fontaine s'était vraiment faite vite. Son commerce sur les docks avait littéralement explosé. Sullivan soupçonnait d'ailleurs que la position de Fontaine ne lui permette de s'adonner à la contrebande qui empoisonnait la ville. Mais Ryan en absence de preuves avait interdit toute intervention, officielle ou non.

 

Tenenbaum se tenait dans le sillage de Fontaine. La scientifique s'était adressée à Fontaine, comme Ryan lui avait conseillé. Et il avait prit très au sérieux son projet avec cette limace. Les rumeurs disaient que la substance tirée des limaces donnait des résultats étonnants bien que tout n'était encore qu'en projet expérimental.

 

Fontaine alla à une table à l'autre bout de la salle où un homme de petite taille et aux grosses lunettes l'attendait. C'était le docteur Yi Suchong, expert en génétique. Sullivan en avait découvert peu sur lui hormis qu'il était né en Chine et avait échappé au massacre de Nankin en collaborant avec les troupes japonaises. A la fin de la guerre, il était venu se réfugier ici pour échapper à la justice de son pays. Ryan ne l'aimait pas beaucoup. Suchong avait été engagé par Fontaine très rapidement. Ryan n'aimait pas voir des esprits aussi brillants que Tenenbaum et Suchong au service de Fontaine. Il ne pouvait pas dire pourquoi mais il sentait que Fontaine préparait quelque chose.

 

_Monsieur Ryan ? Ca va ?

 

La voix de Jolene le tira hors de ses pensées.

 

_Oui, pardon, répondit Andrew. J'étais ailleurs.

 

Ryan sourit, ravi d'occuper son esprit avec une personne bien plus agréable que Fontaine.

 

_Monsieur Ryan, je voulais vous demander...il y a quelque chose que je ne comprends pas bien. Vous avez bâti Rapture sur le libéralisme. Alors, si je peux comprendre que vous prenez parti contre l'Union Soviétique, je ne comprends pas que vous fassiez de même contre les Etats-Unis.

 

Ryan réfléchit. En temps normal, il aurait été incisif, voire blessant quand on l'ennuyait avec des questions aussi creuses. Mais il ne voulait absolument pas blesser Jolene.

 

_Bien. Je vais tenter d'être plus clair : le libéralisme est un idéal qui place la liberté au dessus de tout. Nous pensons que pour être heureux, l'homme doit pouvoir penser, parler et entreprendre librement, sans contrainte de la part de l'Etat.

 

Ryan pointa son index en direction du plafond.

 

_A la surface, deux modèles s'affrontent. Un communisme où l'Etat est tout-puissant et un libéralisme. Il est vrai que durant un temps, j'ai cru aux USA. Mais j'ai fini par comprendre que les Etats-Unis lâchaient petit à petit l'essence même du libéralisme pour ne se concentrer que sur son aspect économique. En faisant cela, les Etats-Unis vont glisser vers une ploutocratie. Où les riches auront le pouvoir. Ce n'est plus du libéralisme. C'est du capitalisme.

 

Jolene cligna des yeux, un peu surprise de la masse d'informations que venait de lui assener Ryan. McDonagh éclata de rire.

 

_Vous avez fait une erreur en entrainant Andrew sur ce terrain là, jeune fille !

 

L'hilarité de Bill fut communicative et bientôt, ce fut Ryan lui-même qui ne put se retenir de pouffer.

 

_Vous avez raison, Bill. Excusez-moi.

 

_Ne vous excusez pas, monsieur Ryan. C'était très intéressant.

 

A sa grande surprise, Ryan vit dans ses yeux qu'elle était sincère. C'était rare de voir une femme qui s'intéressait vraiment à ses idées et non pas qu'à son immense fortune.

 

Jolene regarda sa montre et s'exclama qu'il était temps pour elle de rentrer. Ryan se proposa de la raccompagner. Il lui demanda d'attendre à l'extérieur du bar, devant encore discuter d'une dernière chose avec ses collaborateurs en privé. Jasmine acquiesça et les quitta. Ryan se leva et enfila son pardessus tout en donnant ses instructions.

 

_Bill, je compte sur vous pour régler ce souci de fuite dans le Cœur. Si l'eau pénètre dans la machinerie de Rapture, nous allons au devant de graves problèmes.

 

_Mais monsieur Ryan, ne ne pouvons pas régler les problèmes de fuite de l'intérieur, vous le savez bien.

 

_Alors faites donc fabriquer ces scaphandres renforcés dont vous m'aviez parlé. Ceux avec ce projet de pistolet à rivets, et de foreuse.

 

Bill hocha la tête. Ryan rajusta sa cravate et continua ses instructions en s'allumant une cigarette.

 

_Sander...bonne prestation ce soir. Mais je vous assure que Culpepper n'est pas si mauvaise que ça. Essayez de travailler avec elle, on ne sait jamais.

 

Enfin ses yeux se posèrent sur Sullivan.

 

_Sullivan, je veux que vous vous concentriez sur Fontaine et ses activités avec Tenenbaum et Suchong. Je me méfie de ce qui pourrait sortir de leur limace.

 

_A vos ordres monsieur...

 

Sullivan lorgna en direction de la porte d'entrée.

 

_Et pour elle ?

 

_Pas de recherches.

 

Le ton était sec et sans appel.

 

_Quoi ? Mais monsieur Ryan, je suis en charge de la sécurité et je...

 

_Pas d'enquête sur mademoiselle Jolene. J'espère être assez clair mon ami.

 

Sullivan soupira.

 

_C'est vous le patron monsieur. Mais faites quand même attention à ne pas perdre la tête avec cette fille.

 

Ryan secoua la tête et s'en alla d'un pas vif. Il retrouva Jolene à l'extérieur. Comme promis, il la raccompagna chez elle en parfait gentlemen. En temps normal, il n'aurait pas hésité un seul instant et aurait embrassé Jasmine sur le pas de la porte. C'était ce qu'il faisait toujours, lui, le plus grand séducteur de Rapture. Il se pencha vers elle...et se contenta de déposer un baiser sur sa main.

 

_Bonne nuit Jasmine.

 

Il disparut ensuite avant qu'elle n'eut put faire un geste.

 

Alors qu'il marchait dans les rues de la ville, cette boule toujours présente dans le ventre, Ryan n'arrivait pas à comprendre. Qu'est-ce qui s'était passé ? Qu'est-ce qui l'avait retenu ?

 

Pourtant, avec les femmes, c'était vraiment facile...non ?



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