BioShock Beyond – Tome 2 : Retour vers les abysses

Chapitre 4 : CMP Interactive

3624 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/12/2020 15:11

Chapitre 4 : CMP Interactive


           Les derniers mois avaient été particulièrement éprouvants, et me souvenir de tout cet enchaînement d’évènements, assise sur le lit de cette chambre d’hôtel, au cœur de Londres, le fut tout autant. La photo de mon mari me rappelait constamment à quel point mon choix avait été difficile et pouvait sembler abject, mais elle me rappelait aussi que ce choix ne devait pas être vain. Je devais comprendre.

           Je réussis difficilement à me lever et jetai un œil par la fenêtre. Le ciel était gris. De fins flocons de neige flottaient en l’air et atterrissaient délicatement sur le sol, où ils finissaient piétinés par les centaines de personnes qui marchaient sur le trottoir, occupées à se ruer vers les magasins, pour trouver les quelques cadeaux qui leur manquaient avant Noël. Toute la ville était en effervescence, pour ce dernier week-end avant le jour fatidique où tous les enfants sages seraient récompensés de leur patience.

           Tout cette agitation me fit sourire. Ces gens étaient heureux, ils vivaient leur petite vie sans se douter un seul instant que le monde était rempli de lieux qui leur donneraient la chair de poule. Tant mieux pour eux.

           Alors que je m’étais endormie en sous-vêtements, je me dirigeai vers la salle de bain pour m’offrir un petit brin de toilette. Je pris une douche bien méritée et m’habillai chaudement pour affronter la rudesse de l’hiver londonien. J’enfilai un t-shirt, un jean long et un pull à col roulé vert, avant de passer un manteau bien rembourré. Je rentrai mes pieds dans mes chaussures hautes et fit le point sur mon attirail. Il ne me manquait rien.

           Je commençai à ouvrir la porte de ma chambre avant de me souvenir de prendre le papier que Sally m’avait confié. Je l’avais posé sur la console, juste à côté de la porte. Je l’attrapai d’un geste rapide de la main, avant de fermer la porte de ma chambre à clef.


*

*        *

           Observer la foule depuis ma chambre d’hôtel était assez amusant, mais se retrouver dedans était une toute autre histoire. Je peinais à avancer parmi les Londoniens, qui ne semblaient pas gênés par toute cette animation.

           Je jetai quelques coups d’œil au nom des rues et parvins à peu près à me repérer pour atteindre mon objectif, qui se trouvait quelques rues plus loin de l’hôtel.

           Le bâtiment ne payait pas forcément de mine de l’extérieur, il ressemblait à beaucoup d’immeubles londoniens que j’avais croisé depuis mon arrivée ici. Mais le logo m’interpella directement, avec ses couleurs vivaces. Sur la devanture était écrit CMP Interactive. C’était l’une des seules entreprises de développement de jeux vidéo, basée à Londres. Leurs jeux étaient exportés à l’international, y compris aux Etats-Unis, et ils semblaient avoir pas mal de succès, au vu de ce que m’avait raconté Sally.

           Après avoir admiré la façade quelques instants, je pris une grande inspiration et pénétrait dans le bâtiment par une petite porte vitrée. A l’intérieur, l’espace était étonnement plutôt aéré, avec un bureau d’accueil et des chaises par-ci par-là. Quelques plantes vertes ajoutaient une jolie touche à cet environnement assez neutre. Derrière, l’accueil, une petite porte affublée d’un hublot semblait cacher une grande salle remplie de bureaux.

           Je me présentai à l’accueil, d’un pas mal assuré. La réception était tenue par une jeune fille blonde aux cheveux bouclés et au visage fin maculé d’un maquillage rose et d’un fond de teint de premier prix. Elle ne remarqua pas ma présence au premier coup d’œil, bien trop occupée à lire un magazine à la couverture en mauvais état et à mâcher un vieux chewing-gum rose et à faire de grosses bulles avec, comme une enfant dans la cour de récré.

           Bien décidée à me faire entendre, je raclai le fond de ma gorge et la fille daigna lever les yeux de son magazine de mode.

« Vous voulez quoi ? lâcha-t-elle, d’un ton dédaigneux.

— Bonjour, dis-je, un peu anxieuse, je viens voir Charles Milton Porter. Je sais qu’il travaille ici.

— Bien-sûr qu’il travaille ici, c’est sa boîte ! répondit la fille, avec un air de mépris.

           Elle marqua une pause pour arrêter de mâcher son chewing-gum et souffla une grosse bulle avant de la faire éclater.

— Vous avez un rendez-vous avec le boss ?

— A vrai dire, non. Je pensais qu’il allait pouvoir me recevoir.

— Le boss reçoit pas les gens comme ça, il faut un rendez-vous pour le voir. Désolée.

Je commençai à nouveau à perdre patience.

— Vous pouvez au moins l’appeler quand même, non ?

           La fille examina un instant ma tête, avant de se résoudre à appeler le directeur de l’entreprise. Elle décrocha le téléphone.

— Dites lui que j’ai grandi dans la ville où il a vécu, ça le fera peut-être changer d’avis. »

           La réceptionniste me dévisagea une seconde, comme si je lui demandais l’impossible. Finalement, elle acheva sa conversation et réussit à m’obtenir un rendez-vous avec son « boss ».

           Elle m’indiqua comment accéder à son bureau, qui se trouvait au second étage. Je lui adressai mes remerciements, ce à quoi elle répondit d’un simple signe de tête avant de reprendre nonchalamment sa lecture. Je montai les marches du grand escalier qui menait aux étages, avant de tomber sur le bon.

           Le second étage était composé d’un grand couloir qui desservait plusieurs portes de bureaux. Des noms divers étaient inscrits sur chaque porte. Je n’eus pas besoin de trouver celui que je cherchais : un vieil homme noir, à la barbe et aux cheveux blancs m’attendait au bout du couloir.

           Je ne l’avais jamais vu de ma vie, ni à Rapture, ni ailleurs, mais son visage tendre et chaleureux inspirait tout de suite confiance. Plus je me rapprochai, plus je me rendis compte qu’il était en fait assez grand, malgré un embonpoint assez évident.

« Bonjour, jeune fille, je m’appelle Charles Milton Porter, se présenta-t-il, d’une voix chaude et rassurante, en me tendant la main.

           Je la lui serrai, un peu intimidée, et répliquai un timide bonjour en me présentant à mon tour.

— Mais j’imagine que vous le savez déjà, continua-t-il, en riant. Il paraît que nous avons des tas de choses en commun, c’est bien cela ?

           J’opinai d’un signe de tête.

— Venez dans mon bureau, alors, nous devons parler. »


*

*        *

           Son bureau était une véritable caverne d’Ali Baba pour quelqu’un qui s’intéressait un tant soit peu au jeu vidéo. Des posters et des affiches de jeu ornaient les murs en plâtre, des cartouches de jeu étaient rangées en vrac dans de petites boîtes en plastique au-dessus de plusieurs étagères. Au milieu de la salle étroite trônait un vieux bureau en bois avec des tiroirs desquels dépassaient quelques dossiers.

           Porter m’invita à m’asseoir sur la chaise devant son bureau. Malgré l’aura agréable et rassurante qui se dégageait de lui, je ne pouvais m’empêcher d’être un peu désemparée. J’avais l’impression d’être à un entretien d’embauche, alors que j’étais simplement là pour lui poser quelques questions.

           Tandis qu’il fit le tour de son bureau pour s’asseoir dans son fauteuil, je me mis à l’observer avec attention. Il devait avoir une cinquantaine ou une soixantaine d’années. Il avait l’air en forme pour son âge, mais je ne pus m’empêcher de remarquer qu’il boitait légèrement et que son dos était légèrement arqué.

           Porter sembla comprendre que je l’examinais sous toutes les coutures et m’adressa un léger sourire.

« L’armure d’un Protecteur sur le dos pendant plusieurs mois, cela laisse des traces indélébiles, me fit-il remarquer.

           Je clignai des yeux rapidement, essayant de masquer le fait que je l’épiais.

— Vous avez été un Protecteur ? réalisai-je avec étonnement. Je ne comprends pas. Comment avez-vous fait pour… revenir à votre état normal ?

           Porter s’assit lourdement dans son fauteuil de bureau, qui émit un léger grincement, et soupira de soulagement, comme si chaque pas jusqu’ici avait été une épreuve.

— Je dois mon salut à une seule femme : Brigid Tenenbaum. C’est elle qui m’a soigné des tous mes maux. C’est grâce à elle si je suis là aujourd’hui.

           Le soulagement apparut en moi et illumina mon visage.

— Vous connaissez Tenenbaum ?

           Porter hocha la tête tandis qu’il sortit une bouteille de whiskey de l’un de ses tiroirs et qu’il commença à se servir un verre.

— Où est-elle ? demandai-je.

           Porter fit couler un filet de whiskey dans son verre avant de refermer la bouteille.

— Malheureusement, je n’en ai aucune idée, Sarah. Je n’ai plus aucune nouvelle depuis à peu près cinq ans. Elle a tout simplement disparu, comme si elle n’avait jamais existé.

           Le soulagement ressenti fut donc de courte durée.

— Alors, elle vous a remis sur pied, c’est ça ?

           Il but une petite gorgée avant de répondre.

— Oui, tout à fait. Juste après avoir quitté Rapture en 1968. Elle m’a emmené dans l’un de ses labos, qu’elle avait acheté dans tout le pays. C’étaient des petits labos de fortune, qui lui avaient coûté une bouchée de pain, mais c’était déjà ça. Il fallait rester discret de toute manière, nous ne voulions pas attirer l’attention sur nous, sachant l’état pitoyable dans lequel j’étais.

— Comment est-ce qu’elle a fait ? Enfin, je veux dire… La dernière fois que j’étais à Rapture, les Protecteurs n’avaient aucune chance de s’en sortir et l’ADAM était un vrai fléau dans les rues.

           Porter éclata de rire.

— Ce n’était pas un problème pour Tenenbaum. Pas avec le Penseur sous la main.

— Le Penseur ? m’enquis-je.

— Tu ne te souviens pas du Penseur ? Le calculateur le plus puissant et sophistiqué au monde ?

           J’opinai sans grande conviction. Quelques bribes de souvenirs de cet étrange appareil revinrent un peu du fond de ma mémoire. Il y avait bien quelques publicités à Rapture qui invitaient les habitants à observer le Penseur de plus près, mais je ne l’avais jamais vu de mes yeux. Mais si c’était le cas, je ne m’en souvenais plus.

— Tu ne le sais peut-être pas, Sarah, mais c’est le Penseur qui faisait pratiquement tourner Rapture à lui tout seul ! Mon invention était littéralement le cerveau de Rapture.

           Porter marqua une pause. Les traits de son visage se durcirent.

— Jusqu’au jour où mon associé, Reed Wahl, m’a trahi et a voulu accaparer la machine pour lui tout seul, alors même que j’avais tant fait de progrès avec elle. Il m’a fait accuser auprès de Ryan, en échange du contrôle total de la machine. J’ai été arrêté. Et ils m’ont transformé… en un monstre de métal.

           Porter, désabusé, plongea le regard au fond de son verre, comme hypnotisé. Evidemment, je ne pouvais que compatir à sa situation. Il n’était pas la seule personne à avoir été transformée en monstre, dans cette ville.

           — Mais, expliqua-t-il, grâce à Tenenbaum et au Penseur, j’ai pu m’échapper de cette satanée cité. Elle cherchait un moyen de guérir les chrosômes de leur addiction et des effets néfastes de la drogue. Grâce aux données du Penseur, que j’ai pu récupérer avant de partir, et grâce à sa puissance de calcul, elle a réussi à trouver le moyen d'annuler les effets de l’ADAM et de la transformation en Protecteur. Je suis passé de Sujet Sigma à Charles Milton Porter.

           Porter se leva péniblement et contempla l’horizon grisâtre depuis la fenêtre de son bureau, qui se trouvait derrière lui, le verre toujours à la main.

— Après cela, j’ai beaucoup travaillé avec Tenenbaum. Je lui expliquais toutes les subtilités du Penseur, tandis qu’elle essayait de m’expliquer l’instabilité des cellules de l’ADAM. Mais elle est toujours restée très discrète quant à sa vie privée. Elle ne m’a jamais dit où elle habitait. Par mesure de précaution, j’imagine.

— Vous ne savez pas avec qui elle peut se trouver, aujourd’hui ? demandai-je.

— A la surface ? Je n’en sais absolument rien. Bien-sûr, des rumeurs sur elle, à Rapture, j’en ai entendu beaucoup. Certains lui prêtaient des relations assez farfelues. Je sais de source sure, en revanche, qu’elle entretenait une relation plus ou moins suivie avec Frank Fontaine, qui l’employait à l’époque.

           Porter jeta un dernier coup d’œil, termina son verre en une gorgée et posa son verre avec vigueur sur le bureau.

— Mais heureusement pour nous tous, conclut-il, Fontaine est mort. Et il gît à plusieurs centaines de mètres sous la surface de l’océan Atlantique. 

           Tandis que Porter s’apprêtait à se rasseoir, le téléphone posé sur son bureau sonna bruyamment. Nous échangeâmes un regard avant qu’il ne décroche. Je ne pus comprendre toute la conversation, mais la personne à l’autre bout du fil n’était autre que la réceptionniste que j’avais croisé quelques minutes auparavant. Elle semblait essayer de le prévenir. Mais de quoi ? Je fus incapable de le discerner.

           Petit à petit, des pas se firent entendre dans le couloir, de l’autre côté de la porte qui se trouvait derrière moi. Puis, des éclats de voix résonnèrent. On aurait dit une dispute. Soudain, la porte s’ouvrit sur la jeune fille de l’accueil.

— Désolé, Charles, je n’ai pas pu l’en empêcher.

— Ce n’est pas grave, Bethany, laisse-la entrer, approuva-t-il d’un geste de la main.

           Bethany, en sueur, l’air abattu, fut bien obligée de s’écarter pour laisser place à cette fameuse intrue, qui fit une entrée plutôt remarquable. Elle s’approcha d’un pas leste, en applaudissant, le visage flanqué d’un sourire narquois.

— Charles. Milton. Porter.

           L’inconnue devait avoir entre vingt et vingt-cinq ans, tout au plus. Ses cheveux lisses d’un noir ébène n’étaient contrastés que par une minuscule mèche d’un violent éclatant, qui s’alliait parfaitement avec sa tenue punk, composée d’une veste en cuir, d’un t-shirt et d’un jean noir. Son visage anguleux et son nez fin et légèrement pointu lui donnait un air sournois et espiègle. Ses lèvres subtilement pulpeuses et son regard d’un brun profond aurait pu lui donner un pouvoir de séduction inégalé, mais elle ne semblait guère intéressée par le soin de son apparence. La peau de son front, constellé de quelques petits boutons, brillait sous la lampe de la pièce, comme un astre luisant.

— On se connaît, jeune fille ? s’étonna Porter.

           La mystérieuse fille ferma la porte du bureau derrière elle.

— Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais.

           Après avoir balayé la petite pièce du regard, elle posa ses yeux sur moi. De mon point de vue, alors que je me trouvais là, enfoncée dans mon fauteuil, l’inconnue semblait me toiser, m’étudier comme un animal. Je ne savais pas encore si je devais la craindre ou non. J’espérais ne pas avoir à attendre pour le découvrir.

— Comment ? demanda Porter, qui, heureusement, n’avait pas perdu son sang-froid.

           L’étrangère s’approcha du bureau à ma gauche et posa délicatement ses fesses dessus. C’est à ce moment que je remarquai enfin ce qu’elle avait dans la bouche depuis son arrivée, un simple bâton de sucette, qu’elle s’amusait à mâcher et à retourner dans sa bouche, comme un chat s’amuserait avec une proie.

— Voyons ! Vous êtes une légende, Charles. Le fondateur de l’une des plus grandes sociétés de développement de jeu vidéo au monde. Super Spitfire, c’était vous, pas vrai ?

— Exact, répliqua-t-il du tac-au-tac, d’un ton monotone, qui ressemblait grandement à une colère refoulée.

— Voilà ! s’exclama-t-elle, victorieuse. Vous savez, vous êtes un peu mon papa Noël à moi. Tous les gosses s’arrachent vos jeux, chaque année !

— Où voulez-vous en venir, jeune fille ? continua Charles, imperturbable.

           L’inconnue, qui le regardait jusque-là avec une admiration —sans doute un peu simulée— lui jeta un regard noir, en tripotant avec ses mains le bâton de sucette qu’elle avait dans la bouche.

— Relax, papy ! s’écria-t-elle. Je dis juste ça pour faire la conversation. Pas la peine de se vexer.

« Décidément, cette fille-là commence sérieusement à devenir vexante », pensai-je à part moi. Cependant, s’il était utilisé à bon escient, son côté rebelle pouvait définitivement avoir quelque chose d’assez séduisant. Dans ce cas-là, elle était surtout offensante.

— Comment vous appelez-vous? Et qu’est-ce que vous lui voulez ? intervins-je, irritée.

L’inconnue tourna son regard vers moi, avec un air offensé. Mais elle ne répondit pas tout de suite à ma question, on aurait dit qu’elle essayait simplement de me jauger. Au lieu de cela, elle fixa à nouveau Charles droit dans les yeux.

— A vrai dire, je suis là pour affaires. Je m'appelle Elaine Fitzgerald et j’ai une proposition à vous faire, à tous les deux.

Mon cœur s’arrêta de battre pendant un millième de seconde, lorsque les paroles d’Alan repassèrent dans mon esprit, tel le disque rayé d’un vieux juke-box. Je ne devais pas refuser la proposition de Charles. Je devais refuser la sienne. Mais en serais-je capable?

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