Version d'attente de Laocoon

Chapitre 1 : Cuite à l'eau

575 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/11/2021 22:10

Dans la petite mansarde régnait un parfum de fête foraine. On était d’abord happé par un effluve de pop-corn caramélisé. Le sucre grésillait puis, flottait un arôme léger de barbe-àpas. Enfin pour fixer la sensation la note de cœur éclatait en un bouquet de poudre de feu d’artifice qui exhalait rapidement une délicate fragrance d’écume. Quand la sensation semblait passer, un joli petit vaporisateur de parfum pompait copieusement de sa poire pour disperser autour de lui un peu de l’élixir divin qu’il contenait en chantant joyeusement : « What da woïd ? ». Il avait les couleurs irisées d’un arc-en-ciel enchantant un soir d’été. Ses formes généreuses évoquaient une lanterne japonaise oubliée au fond d’un jardin millénaire. Il se drapait dans les soies du lit défait, lascif.

Les premiers rayons du jour percèrent l’espace de mille faisceaux à travers le rideau de velours mité. Une brise entra par la fenêtre mal fermée. Le flacon de parfum soupira, s’étira, se flasquifia, grandit… Des bras, des jambes lui poussèrent. La pompe se mua en chevelure épaisse et autour du diffuseur se dessina une bouche très rouge et deux grands yeux outrancièrement maquillés. De doux rêves berçaient la vieille prostituée. Les cloches des Accoules sonnèrent midi. Madame Marcelle bailla. Elle avait si bien dormi.

Elle avait rêvé comme jamais depuis longtemps. Mais, alors qu’elle le saisissait par une sensation, il s’en fut tout à fait. Un rêve n’est qu’un rêve après tout. Sa perte ne l’affecta pas plus qu’une mouche vagabonde échappée par la fenêtre. Elle tira les rideaux effaçant l’illusion de ciel étoilé. L’azur était bleu. Les clients commençaient déjà à arpenter la rue. Pas de fête, pas de jour férié, pas de dimanche, que des pèlerins 365 jours par an venu porter leur aumône à la sainte verge. Elle était une des rares indépendantes de la rue. Elle n’était plus une femme soumise ! Les nervis la respectaient. C’était bizarre venant d’homme qui ne respectaient rien et surtout pas les femmes. Elle avait survécu à tous ses souteneurs. Elle avait déniaisé la plupart. On l’appelait la veuve noire derrière son dos mais personne ne lui aurait attribué les meurtres. Avec les affrontements qui avaient trouvé leur paroxysme quelques mois auparavant les bandes de Saint- Mauront avaient été repoussées et un calme relatif avait fait suite. Mais parfois encore, la nuit, elle était rassuré de voir les faux dandys se pavaner dans sa rue. Eux la ménageait, les gars de Joliette et du Lazaret étaient moins tendres quand ils décidaient encore de faire une descente, juste pour affoler la clientèle de petit bourgeois coincés. Elle s’apprêta avec lenteur. Elle n’avait que des réguliers, à son âge, elle ne pouvait rien espérer de mieux ; ils faisaient leur apparition bien plus tard ou bien plus tôt, directement à sa porte. Peut-être que Fenby lui rendrait « visite » aujourd’hui. Son petit œil triste et ses manies lui rappelaient qu’elle avait pu être tendre pour de vrai, avant, enfin peut- être…


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