Avant qu'Henry ne revienne

1940 - 1959

Au début, tout était très excitant.

Elle avait encore un peu mal, et ne serait retournée dans la machine à encre pour rien au monde, mais elle n'avait jamais été aussi heureuse.

Elle était installée dans une loge avec son nom dessus. Elle ne pouvait pas encore en sortir, mais elle ne cessait de recevoir des gens venus l'admirer, principalement de riches amis de Joey. Elle devait donc porter en permanence la robe d'Alice, ses chaussures, son halo et toujours penser à faire sa voix, mais c'était sans importance. C'était son rôle maintenant, et il lui tenait à cœur. Pour s'y plonger absolument, elle avait recréé autour d'elle un décor propret et joyeux qui convenait à un ange, amélioré ses costumes en se faisant d'autres robes, et s'appliquait à vivre dans la joie et la bonne humeur comme elle pensait que son personnage le pourrait si elle existait vraiment.

Devenir Alice, c'était comme monter sur une scène sans plus jamais pouvoir en sortir.

Et elle adorait ça.

Tout allait bien, vraiment. Tant qu'elle souriait, chantait et s'appliquait à être la meilleure Alice possible, c'était le bonheur. Joey était adorable, et il lui promettait un avenir radieux, fait de romans-photos, de rencontres prestigieuses, d'interviews pour ses fans grands et petits et de nombreuses sorties. Elle savait que toute une partie du Studio allait lui être dédiée : Joey lui avait assuré que la construction commencerait prochainement. Elle serait une star, adorée par tous, son talent reconnu. Elle était promise à une vie radieuse comme dans les dessins animés qu'elle aimait tant. Elle avait la chance de devenir son personnage, de rentrer dans son monde. Les toons sont toujours heureux et ils ne leur arrive jamais rien de grave, car tout fini toujours bien. Qui ne voudrait pas avoir le même destin ?

Tout était merveilleux, oui, absolument merveilleux... Même si une toute petite chose vient jeter une ombre au tableau.

La Voix avait commencé à chuchoter dans sa tête.

Ce n'était que des phrases diffuses qui se mêlaient à ses propres pensées, des pointes de doutes, le soir devant son miroir. Elle ne savait pas si elle allait y arriver, si Joey allait vraiment tenir ses promesses, et si au fond, elle n'avait pas fait une énorme erreur en allant jusqu'à donner son corps et sa vie pour ce rôle. Elle essayait de ne pas se laisser envahir, bien sûr que tout allait aller pour le mieux ! Alice était une part d'elle-même. Mais elle avait beau s'accrocher à ça, quand Elle parlait, elle ne pouvait pas s'empêcher de l'écouter. Et si elle doutait, son corps... Son corps changeait. Il s'abîmait et les rondeurs adorables d'Alice devenaient laides. Ça la terrifiait. Elle avait tout, et elle pouvait tout perdre si elle n'était pas assez forte.

Très vite, elle comprit quelque chose. Susie était vulnérable à la Voix, mais pas Alice. Elle devait donc complètement entrer dans son personnage, oublier Susie, oublier les doutes. Elle était Alice, et elle était parfaite. Peu importait la douleur, les sacrifices, la solitude et la peur. Peu importait aussi ce qu'elle avait dû faire, ce qu'elle fera encore et les ténèbres à la périphérie de son regard.

Jouer un rôle toute sa vie ne lui faisait pas peur, si elle pouvait ainsi faire de son rêve une réalité.