Avant qu'Henry ne revienne

Je... Je ne sais pas où je suis.

C'est noir. C'est froid, humide. Je ne sais pas ce que c'est, mais j'ai la même sensation que lorsque je suis sous l'eau. Et pourtant, je n'étouffe pas.

Je me rends compte que je ne respire pas.

C'est comme... Ce noyer dans de la peur. Plus rien n'existe à part ce sentiment, hurlant, écrasant, qui broie la réflexion et efface le monde. Mais je ne sais pas de quoi j'ai peur. Je n'arrive même pas à me souvenir de qui je suis, de ce qui s'est passé.

Je ne perçois pas mon corps.

Je ne sens rien, à part le liquide tout autour de moi.

Ça pourrait être apaisant. Comme être revenu dans le ventre de ma mère. Mais c'est trop sombre, trop... Étrange. L'angoisse persiste, comme si mon esprit essayait d'attirer mon attention sur quelque chose. Mais je ne parvins pas à me concentrer. Il y a trop de choses qui manquent, j'ai l'impression d'être une maison pillée.

Et je ne sais pas si je veux savoir ce qui se passe.

La tristesse qui pulse toujours dans mes pensées comme un écho ne me donne pas envie de chercher.

Peut-être que... Peut-être que je dors et que tout va bien ? Je n'ai jamais eu autant l'impression d'être seul, mais... Ou je suis mort. L'idée s'impose à moi comme une évidence. Oui, je dois être mort. Et c'est ça, la vie après la mort : le silence, les ténèbres et l'oubli. Étrangement, le soulagement m'envahit. " Au moins, je ne suis pas en Enfer!" Cette pensée m'étonne, et sa puissance me glace. J'essaye de repousser la terreur qui m'envahit à nouveau, mais je n'ai rien à me raccrocher et je n'ai pas la possibilité de penser à autre chose.

Le temps s'étire et mes pensées s'emballent et tournent en rond. Les mêmes questions rebondissent dans mon esprit alors que je ne peux pas y répondre : c'est une boucle d'angoisse qui ne me mène à rien, mais je ne peux pas m'en empêcher. " Qui suis-je ? Qu'ai-je fait pour finir dans cet endroit? Est-ce que je vais rester ici ? Est-ce que je vais aller en Enfer après ? Mais pourquoi irai-je ? Je ne me souviens pas de qui j'étais... Oui, mais si j'avais autant peur d'y aller, c'est qu'il y avait une raison... Alors qu'ai-je fait?.."

J'aurais pu rester ainsi à me torturer, suspendu dans le noir avec l'impression que chaque seconde dure des heures, si un bruit tonitruant ne s'était pas fait entendre. Soudain, tout bouge et je me sens attiré en avant et brusquement pressé de tous côté si fort que je ne peux plus penser. La sensation d'être étiré en longueur est étrange, terrifiante. Pas naturelle. Je ne sais plus de quelle couleur était mes cheveux ou mes yeux, mais je sais que je n'ai jamais pu me tordre de cette façon. Personne avec des os et de la chair ne le pourrait.

Un rond de lumière jaune apparaît devant moi et je me sens littéralement couler hors de l'énorme tuyau que je vois brièvement avant de m'écraser sur une pièce de métal grillagée. Je ne sens aucune douleur. Je relève la tête et me déplie doucement. Se retrouver à nouveau dans un corps est déstabilisant, mais je suis surtout heureux de ne plus être tordu dans tous les sens. En levant le regard, je retrouve la bouche béante par laquelle je suis tombé. Un liquide épais et sombre en goutte encore, et je lève la main en ouvrant la paume pour en saisir une. La grosse goutte tombe, puis disparaît dans ma peau noire.

Et soudain, je me souviens de ce que c'est.

De l'encre.

Je viens de sortir de la machine à encre.

Je laisse tomber mon regard sur mon corps liquide et mouvant alors que la terreur revient et enfle dans ma tête. Soudain, je ne suis pas aussi sûr de ne pas être en Enfer.