NIGHTWING

Chapitre 1 : BATMAN EST MORT

11092 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

CHAPITRE I : BATMAN EST MORT

 

Blüdhaven ne se réveille jamais. Elle reste juste là, allongée dans ses propres fluides, haletante, crasseuse, figée entre le coma et la convulsion. Une ville fatiguée de respirer.

Les immeubles sont gris, ruisselants de pluie et de remords. Certains penchent, d’autres gémissent sous le poids des antennes, des souvenirs et des sirènes qui ne s’arrêtent jamais. Les gouttières vomissent un ciel huileux. Les rues, elles, sont des tranchées où rampent les derniers bouts d’humanité. Et les égouts… les égouts bavent plus que la surface. On y trouve des choses qu’on ne cherche plus. Des corps sans papiers, des enfants sans noms, des cris sans témoins.

Le port est un cimetière d’acier. Les containers rouillés s’empilent comme des cercueils géants. Certains ne s’ouvrent plus. D’autres… ne devraient jamais être ouverts. La mer elle-même semble malade, chargée de plastique, de secrets et de mauvaises décisions.

Chaque quartier a sa propre maladie. Les Heights, gangrenés par les feux de bagnole et les trafics de nuit. Cobble Hill, où les riches se planquent derrière des vitres blindées et des sourires sponsorisés par le chantage. Et Downriver, l’enfer dans l’enfer, là où même la lumière demande la permission avant d’entrer.

Les gens survivent. Pas tous. Mais assez pour faire tourner la machine.

Les flics ferment les yeux, ou tirent avant.

Les juges dorment sur des enveloppes.

Les enfants dessinent des armes avant de savoir écrire.

On ne parle pas d’avenir ici. On parle de demain comme d’un accident potentiel.

« Parfois j’oublie que j’ai été un enfant.

Je me souviens du cirque, de l’odeur de la sciure, du bruit des trapèzes, du public.

Je me souviens de voler.

Pas avec un costume. Juste avec le corps. Juste avec la confiance.

Mes parents étaient des étoiles en mouvement. Et un soir, elles sont tombées.

Depuis, je tombe aussi.

Mais je tombe debout.

J’ai grandi sous une cape. Une ombre plus grande que moi. Plus lourde que la nuit.

J’ai appris à me battre. À encaisser. À choisir qui mérite d’avoir peur.

J’ai été un soldat. Un fils. Une promesse.

Et puis… plus rien.

Il est parti.

Et il n’est pas revenu.

Alors j’ai pris Blüdhaven.

Pas parce que je le voulais.

Mais parce que personne d’autre ne l’a fait.

Et que cette ville… elle te mange si tu la regardes trop longtemps.

Je patrouille chaque nuit.

Pas pour sauver.

Mais pour retarder l’agonie.

Je ne suis pas Batman.

Je n’ai pas sa rage froide.

Je n’ai plus ses principes.

Mais j’ai encore cette chose en moi… cette braise qui refuse de mourir.

Celle qui me fait sauter du toit au lieu de sauter dans le vide.

Il pleut ce soir. Encore. Toujours.

J’atterris dans une ruelle. Deux dealers, une adolescente inconsciente à leurs pieds.

Je frappe. Je frappe encore.

Pas pour punir.

Juste pour faire taire.

Le sang se mélange à l’eau de pluie. Les sirènes ne viennent pas. Elles ne viennent plus.

Et puis je lève les yeux.

Face à moi, un mur.

Dégueulasse. Craquelé.

Et dessus, une phrase, peinte à la bombe, en rouge baveux.

Des lettres sales, tremblantes, rageuses.

BATMAN EST MORT.

Je reste là. Immobile. Silencieux.

Je ne réponds pas.

Je ne peux pas.

 

Depuis deux ans, Dick Grayson est inspecteur à Blüdhaven.

Son arrivée a fait l’effet d’un choc thermique dans les couloirs poisseux de la MPD. Il ne parlait pas beaucoup. Il regardait droit dans les yeux. Il ne prenait pas les enveloppes, ne buvait pas avec les autres, ne souriait pas pour rien. Et surtout, il obtenait des résultats.

Dès sa première année, une série de démantèlements éclaire ont secoué plusieurs réseaux de proxénétisme, de trafic d’armes et de drogue dans le Sud et les docks. Des arrestations majeures. Des dossiers montés comme des opérations chirurgicales. Une quarantaine d’hommes incarcérés, dont plusieurs étaient liés de près aux branches souterraines de Black Mask. On aurait pu croire à une accalmie. Une victoire.

Mais Blüdhaven ne fonctionne pas comme ça.

Les rats que Dick avait débusqués ont été remplacés, doublés, triplés. Le monstre a changé de peau, de nom, d’habitudes. Plus discret. Plus sadique. Plus ancré dans les veines de la ville. Et pour chaque gang tombé, deux ont poussé. Mieux financés. Mieux équipés. Mieux connectés à la mairie.

Aujourd’hui, le poste de police ressemble à une forteresse en sursis.

Certains officiers sont à bout de nerfs. D’autres ont disparu.

Les plus jeunes tiennent grâce à la routine.

Les anciens ne tiennent plus que par colère ou par whisky.

Les rapports s’accumulent. Les appels ne s’arrêtent jamais.

Et les patrouilles reviennent de plus en plus souvent avec du sang sur les pneus.

Dans les couloirs, on parle de Grayson comme d’un spectre — celui qui bosse tard, qui refuse les renforts, qui interroge seul, qui disparaît dès la nuit tombée.

Certains disent qu’il est fêlé. D’autres qu’il est dangereux.

Mais tous s’accordent sur une chose : depuis qu’il est là, plus rien n’est pareil.

Un café brûlant. Des feuilles de dossier tâchées de cendre. Le bourdonnement lointain d’un néon qui claque au plafond. Des pas. Une silhouette passe la porte principale.

Dick Grayson entre au poste.

Veste en cuir noir par-dessus une chemise bleu foncé, manches retroussées, badge au cou, mâchoire serrée. Il salue d’un simple hochement de tête. Pas de sourire. Pas de bonjour. Juste le silence poli d’un homme qui en a déjà trop vu avant même que la journée ne commence.

Dick traverse le couloir. Tous les regards ne se tournent pas vers lui, mais certains s’arrêtent plus longtemps que d’autres. Il inspire l’admiration, le malaise, l’interrogation — selon qui regarde.

Il passe entre les bureaux, tasse de café vide en main. Le badge accroché autour du cou. Pas un mot.

Un craquement retentit dans un bureau latéral. Une voix rauque l’appelle, fatiguée comme une tempête passée :


— T’as encore l’air d’un type qui a dormi dans un sac poubelle. Ça me rassure. Dit Bullock

Dick entre, sans frapper. Bullock est affalé sur sa chaise, veste ouverte, barbe en friche, sandwich pas encore attaqué posé sur un dossier classé confidentiel.


— Ce n’est pas le sac poubelle qui fatigue… c’est les ordures dedans. Dit Dick calme et moqueur à la fois

Bullock grogne un rire rauque. Il lui tend un dossier. Les photos à l’intérieur sont floues, mais les corps sont nets. Trop nets.


— Quartier des docks. Trois types encastrés dans un container. Alignés proprement. Pas de douilles. Juste une rose sur chaque poitrine. La signature revient.

Dick feuilletant les photos :

— Ce n’est pas une signature, c’est une carte de visite.


— Black Mask te cherche. Faut croire qu’il commence à s’ennuyer.


— Faut croire qu’il veut qu’on pense ça.

À ce moment-là, Renée Montoya entre. Dos droit, regard aiguisé, dossier sous le bras. Elle lance un regard vers Dick et Bullock.


— Les deux enfants terribles de Blüdhaven, déjà en pleine poésie morbide. C’est trop tôt pour vos conneries.

Elle jette le dossier sur la table. Dick la regarde en coin, un demi-sourire au coin des lèvres.


— Renée… Si tu continues à parler comme ça, je vais finir par croire que tu t’inquiètes.


— Je m’inquiète que t’aies encore oublié de manger. Ou de dormir. Ou les deux.

T’as vu ta gueule ? Même la machine à café aurait besoin d’un shot après toi.


— J’essaie un nouveau régime : insomnie, café noir et cadavres en série. Résultats garantis.

Elle soupire, mais son regard reste tendre. Elle le connaît trop bien. Elle lui pose la main sur l’épaule. Un geste rare. Fraternel.

À cet instant, une porte claque plus loin. Jim Harper entre dans le bureau, écouteurs autour du cou, café à moitié renversé sur sa chemise blanche, sourire en coin comme un sale gosse arrivé en retard en cours.


— Salut la famille !

Je vous ai manqué ou vous avez juste attendu que je ne sois pas là pour avoir l’air cool ?

Dick, les yeux fixés sur son dossier :

— Tu veux vraiment une réponse ou t’as juste besoin d’attention aujourd’hui ?


— Les deux.

Mais d’abord, quelqu’un peut me dire pourquoi y’a un gamin avec une grenade en plastique qui a essayé de braquer une supérette ce matin en criant "Longue vie au masque" ?

Un silence passe. Le genre de silence qui alourdit l’air. Dick lève les yeux. Il les regarde tous.


— Parce que la ville pourrit plus vite que nous.

Et que ceux qui vivent encore pensent que la mort leur offrira une meilleure vie.

Harper hoche la tête, plus sérieux d’un coup. Bullock sort une flasque. Montoya s’appuie contre le mur, bras croisés.

Dick regarde à travers la vitre. Une pluie grise commence à tomber sur les vitres du poste.


— On n’a pas le luxe d’être fatigués.

Pas aujourd’hui.

Pluie sur les vitres. Le dossier est resté ouvert sur la table. Trois corps, trois roses. Black Mask. Encore lui. Dick fixe les photos. Ses doigts tapotent lentement le bord du bureau. Bullock, Montoya et Harper l’entourent.


— J’me demande si un jour on va ouvrir un dossier sans voir sa signature en bas.

Trois mecs, trois fleurs, et tout le monde se tait. Même la presse.

Tu dis “Black Mask”, les gens changent de trottoir. Dit Harper.


— Tu dis “Black Mask” et t’as deux types du service des affaires internes qui te regardent bizarrement le lendemain.

Ce connard est partout. Et nulle part. grogna Bullock.


— Il a le maire dans sa poche.

Hill signe les réformes, Mask récolte les miettes. Mais dans ce cas-là, les miettes valent des millions. Déclara Montoya.


— Ce n’est pas juste de la corruption. C’est de l’architecture.

Les mecs redessinent littéralement la ville pour qu’elle leur profite.

Regarde le projet du Port Est. Logements sociaux rasés, remplacés par des résidences "éco-intelligentes" à 5000 dollars le mètre carré. Qui va vivre là ?

Pas ceux qu’on ramasse sous la pluie. S’écria Harper.

Dick de manière calme et coupant :

— Le taux de criminalité a augmenté de 17% en six mois.

Cambriolages, agressions, incendies criminels.

Et les chiffres sont sous-estimés. Volontairement.

Bullock le regarda désabuser :

— Merci, Capitaine Statistiques. Mais les chiffres, on les sent dans nos godasses.

Tu veux la vraie info ?

Y’a des quartiers où la radio des flics ne capte plus rien. Volontairement brouillée.

Des zones mortes.

Les mecs patrouillent même plus là-bas. On les appelle les “trous noirs”.

Tu rentres, tu ne sors pas.

Montoya de manière sèche :

— Et pendant ce temps, Hill continue de vanter “le renouveau urbain” dans ses communiqués.

Il vend la ville aux enchères, morceau par morceau.

Et Black Mask en est le principal acquéreur.

Harper légèrement remonté :

— On a essayé de remonter jusqu’à lui. Dossiers, écoutes, sources... Mais tout ce qu’on trouve, c’est du vent.

Le type est un fantôme avec des gants en soie et une armée de monstres.

Silence. Dick observe ses collègues. Il soupire, lentement. Il sait ce qu’ils savent tous : ils ne tiennent la ligne que par orgueil, fatigue, loyauté. Pas parce qu’ils croient qu’ils peuvent gagner.


— Il ne cherche pas à régner sur Blüdhaven.

Il veut qu’elle lui ressemble.

Pleine de masques, de sang, et de silences. Fit Dick


— Tu crois vraiment qu’on peut l’atteindre ? chuchota Bullock à voix basse.

Dick lève les yeux vers lui. Un long silence. Il répond, sans élever la voix.


— Non.

Mais on peut le faire saigner.

Et parfois, c’est tout ce qu’il faut pour que les gens se rappellent qu’un monstre, ça reste mortel.

Montoya échange un regard avec Harper. Bullock écrase sa cigarette. L’ambiance est lourde.

Mais dans ce bureau, dans cette pièce noyée de lumière sale et de fatigue chronique, quelque chose tient encore debout. Un fil tendu. Une colère lucide. Une volonté de continuer.


— On a un nouveau cadavre sur les quais. Tête couverte d’un sac. Mains liées. Aucune trace d’entrée.

Si c’est Black Mask, il commence à nous envoyer des messages.

— Et moi qui croyais qu’on était déjà abonnés à sa newsletter. Dit Harper, ironique


— Il veut nous fatiguer.

Mais il a oublié une chose.


— Laquelle ? Harper se focalisant sur Dick.


— Je ne dors jamais.

Il attrape le dossier, passe sa veste sur ses épaules, et sort du bureau sans un mot de plus.

La pluie continue de tomber.

Dans Blüdhaven, c’est un jour normal.

INT. STUDIO BHTV – 18H58 – DIRECT IMMINENT

Les caméras pivotent. Les projecteurs s’allument un à un dans un bruit électrique régulier.

Le plateau est sobre, presque vide.

Un bureau en verre. Une chaise droite. Deux fauteuils. Un fond blanc cassé avec le titre de l’émission en lettres noires :

"À l’heure dite".

Les techniciens vont et viennent, sans un mot de trop.

Dans l’ombre, un homme est déjà assis. Il ne bouge pas. Il attend.

Costume gris foncé, chemise blanche impeccable, bouton de manchette noir.

Il lisse son poignet, vérifie la symétrie de sa manche, puis lève lentement les yeux.

Julian Day.

Ses traits sont nets. Rasé de près. Visage pâle.

Son regard ?

Ni froid, ni chaud. Mesuré. Irréversible.

Une femme du staff compte :

— Cinq secondes.

Il ne cligne pas des yeux.

Elle tend la main.

— En direct… maintenant.

Silence.



JULIAN DAY (voix calme, parfaite diction)

"Bonsoir, Blüdhaven."

Pause. Il fixe la caméra, comme s’il regardait chacun, un par un, dans leur salon.

"Chaque soir, à la même heure, nous nous retrouvons pour parler.

Non pas pour faire du bruit. Mais pour écouter. Pour tenter… d’ordonner le chaos."

Il croise les mains. Les pose sur le bureau.

"Je suis Julian Day.

Et vous êtes exactement là où vous devez être."

Un générique très bref s’affiche. Minimaliste. Une horloge.

Puis il revient à l’écran.

Julian est immobile. Dos droit. Mains croisées.


Blüdhaven est une ville qui souffre.

On le sait tous.

Mais ce soir, la question n’est pas de savoir ce qui fait souffrir la ville…

C’est de comprendre pourquoi, année après année, ses habitants apprennent à vivre avec cette douleur. À ne plus la ressentir.

À la normaliser.

Il tourne les yeux vers ses invités. Un par un. Lentement.

Docteur Thompkins. Vous passez vos journées à soigner ceux que la ville oublie. Les sans-abris. Les drogués. Les enfants seuls. Est-ce qu’on s’est simplement… habitués à leur présence ?

— Ce n’est pas qu’on s’est habitués. C’est qu’on a baissé les yeux. On s’est convaincus que c’était un décor. Que leur souffrance fût… ordinaire.

Parce que si on la regarde trop longtemps, on se sent coupable. Fit-elle, légèrement tendue.


— Et qu’est-ce qu’on fait d’une ville où plus personne ne se sent coupable ? Julian braqua son regard sur Gloria Rowe, légèrement déconcertée au moment d’intervenir :

— On élit des monstres.

On fabrique du bruit.

Et on récompense les plus bruyants.


— Et vous pensez que le bruit est une réponse à l’indifférence… ou une manière de la camoufler ? Un fin sourire se dessina sur le visage de Julian.

— Moi j’vous le dis franchement.

Le bruit, c’est ce que les gosses font pour qu’on les remarque.

La vraie indifférence, elle est silencieuse.

Elle s’installe chez ceux qui peuvent agir… mais choisissent de dormir. Déclara Hardy Hayes, un ancien flic détaché de Gotham City.

Julian hoche doucement la tête. Sa voix est calme, presque basse.

“La douleur devient acceptable quand elle devient quotidienne.”

C’est ce qu’écrivait un sociologue local… trois semaines avant d’être retrouvé sans vie dans son appartement.

Un blanc. Tous se figent une seconde. Les caméras n’ont pas bougé. Julian fixe les invités.

Personne n’a remarqué. Pas de cri. Pas d’indignation.

Seulement… un nouveau fait divers.

Et pourtant, cet homme écrivait sur nous.

Sur cette ville.

Il se penche légèrement. Le ton baisse encore.

Alors dites-moi.

À quel moment une ville cesse d’être une ville ?

Et devient un cimetière d’indifférences en marche ?

Personne ne répond tout de suite. Leslie croise les bras. Gloria regarde le sol. Hayes serre les poings.

Julian sourit. Pas par plaisir. Par confirmation. Puis il regarde la caméra.


Blüdhaven ne pleure plus.

Elle ne crie plus.

Elle se tait.

Et parfois, les villes qui se taisent... appellent des voix plus sombres pour parler à leur place.

Générique.

Fin d’émission.

INT. STUDIO BHTV – COULISSES – 19H47

La lumière rouge “ON AIR” s’éteint.

Les caméras baissent. Les techniciens respirent. Le son ambiant revient doucement dans la pièce.

L’émission est terminée. Mais Julian Day reste immobile encore quelques secondes, les mains croisées sur le bureau.

Il se redresse lentement. Se lève.

D’un geste fluide, il détache son micro-cravate et le tend à l’assistante son.

Elle le récupère avec un sourire légèrement gêné.

— Merci, monsieur Day. Toujours aussi… poignant.

Il incline doucement la tête. Un sourire bref, poli.

— Vous êtes trop indulgente, Ella. C’est l’angle qui porte, pas la voix.

Il quitte le plateau. Pas une trace de stress. Il marche lentement, avec élégance, presque sans bruit.

Les membres de l’équipe s’activent autour de lui, mais sans jamais le heurter. On ne touche pas à Julian Day.

Il ne le demande pas. C’est instinctif.

Les invités sont réunis dans le petit salon adjacent, autour d’un buffet modeste.

Verres d’eau, assiettes de fruits, rien d’ostentatoire.

Julian entre. Les conversations baissent d’un ton.


— Julian, encore une fois… je crois que vous m’avez fait dire plus que prévu. Gloria était légèrement gênée par son intervention au sein de l’émission.

Julian s’approche, sourire fin.

— Je ne fais que tendre un miroir. C’est vous qui choisissez ce que vous y voyez.


— Et parfois, ce qu’on y voit fait mal. Intervint Leslie.

— La douleur a ceci de précieux, docteur, dit-il calmement, c’est qu’elle confirme qu’on est encore humain.

Ce que je crains, c’est le jour où ce miroir ne renverra plus rien. Répondit Julian, l’air pensif.


— Vous parlez toujours comme ça, ou c’est juste pour la caméra ? D’un air légèrement agacé, Hardy Hayes toisa du regard Julian.

Julian incline légèrement la tête, amusé.

— Seulement quand le silence le permet.

Petit rire dans le salon. Même Hayes sourit.

Une jeune productrice s’approche avec une tablette.

— Monsieur Day, on vous propose un prolongement de l’émission sur le thème “violence institutionnelle”. Les audiences de ce soir ont explosé.

Julian prend la tablette. Lit brièvement. Rend la tablette sans montrer d’émotion.

— C’est une idée à creuser. Invitez des voix opposées. Mais gardez une structure claire.

Pas de débats de chiffonniers. Blüdhaven a assez de bruit comme ça.

— Bien, monsieur.

Elle s’éloigne.

Julian revient vers Leslie.

Il parle plus doucement.

— Vous devriez écrire. Vous avez une lucidité que peu possèdent.

Et vous touchez une douleur que les autres fuient.

Leslie l’observe, surprise.

— Je suis médecin, pas essayiste.

— Les deux sauvent des vies, parfois.

Mais l’un peut le faire en silence.

Elle sourit, mais son regard reste hésitant.

Julian s’incline légèrement vers les trois invités.

— Merci d’avoir partagé cette heure avec moi.

Votre voix aura résonné plus loin que vous ne l’imaginez.

Il serre poliment les mains.

Puis quitte le salon.


INT. COULOIR – STUDIO – 19H59

Julian avance seul dans le couloir vide. Le bruit des studios s’efface.

Il arrive devant sa loge. Entre.


INT. LOGE – MINUTE PLUS TARD

La pièce est sobre, nette, parfaitement ordonnée.

Une armoire. Une commode. Un miroir.

Une seule photo sur le mur : une horloge ancienne.

Julian retire lentement sa veste. Puis sa montre.

Il la pose dans une boîte noire.

À l’intérieur, on distingue plusieurs montres.

Toutes arrêtées.

Il sort un petit carnet, à la reliure grise.

Page blanche.

Il écrit :

19 avril — Hayes : colère maîtrisée. Leslie : lucidité utile. Gloria : peur mal déguisée.

Il referme le carnet.

S’assied. Fixe son reflet.

Un silence parfait.

Puis, à voix basse :

— Mais quelqu’un a parlé trop tôt. Je l’ai entendu.

Un mince sourire.

Il se lève.

Range tout.

Éteint la lumière.

EXT. RUE DE RIVERSIDE — BAS DE L’IMMEUBLE DE DICK — FIN D’APRÈS-MIDI

Le moteur vrombit une dernière fois, grave, profond, puis s’éteint.

Dick retire lentement son casque, laissant ses cheveux en bataille.

Il descend de la bécane. Une Triumph noir mat, sobre, magnifique.

Ses lunettes de vue teintées toutes noires reposent calmement sur son nez. Rondes, fines. Une clope dépasse de la poche de son blouson. Il ne l’allumera pas.

L’air est lourd, encore chargé de la pluie de la veille. Le trottoir brille doucement.

Il sort ses clés, les fait tourner autour de son doigt… quand une voix l’interpelle.

— Monsieur Grayson !

Il se retourne.

La voix vient du perron. Une femme descend doucement les marches avec un petit garçon qui court devant elle.

— J’vous ai encore entendu arriver à l’angle, dit-elle avec un sourire.

— Elle commence à avoir sa signature, cette bécane, répond Dick avec son demi-sourire.

La femme s’appelle Naomi. Jeune mère célibataire. Toujours épuisée, toujours digne.

Son fils, Eliott, a peut-être cinq ans. L’énergie de trois gamins. Le regard d’un rêveur.

Le gamin s’arrête net devant la moto. Ouvre grand les yeux.

— C’est toujours la plus belle moto du monde.

Dick s’accroupit lentement à sa hauteur.

— Et toi, t’es toujours le meilleur gardien de trottoir de Blüdhaven ?

— Ouais ! J’ai crié sur un monsieur qui a jeté un chewing-gum tout à l’heure !

— T’es un héros.

Il lui tend le poing. Eliott le cogne sans hésiter.

Naomi sourit, l’air mi-exaspéré, mi- tendre.

— J’vous l’échange contre deux nuits complètes, monsieur Grayson.

Dick se relève, amusé.

— Trop risqué. Il me piquerait la moto avant le lever du soleil.

Elle rit. Un rire court, mais réel.

Dick croise son regard, le temps d’un silence. Il hoche doucement la tête, respectueux.

— Vous tenez bon ?

— Comme tout le monde ici. Avec du scotch, du silence, et un peu de miracle.

— S’il vous manque du scotch, j’ai une trousse de secours à l’étage.

Elle sourit.

Puis elle prend Eliott par la main.

— Bonne soirée, Dick. Et merci.

— Bonne soirée, Naomi.

Ils s’éloignent.

Dick les regarde monter l’escalier.

Puis il glisse les clés dans la serrure.

Pousse la porte.

Et monte jusqu’au dernier étage, deux à deux, sans faire de bruit.

INT. LOFT DE DICK — FIN DE JOURNÉE

La porte claque doucement derrière lui.

Le loft est sobre, haut de plafond, bois brut et métal. Pas de déco inutile.

Juste ce qu’il faut pour respirer, pour exister.

Sur un mur, une immense carte de Blüdhaven.

Des fils tendus, des post-it collés.

Des photos, des cercles au feutre noir.

Des dates.

Dick enlève sa veste. L’accroche. Retire ses lunettes, les dépose avec précaution sur la table.

Il allume une petite lumière jaune. S’approche du mur.

Son regard devient plus dur. Plus précis.

“19 avril” — encerclé trois fois.

“Silence” — écrit en majuscules.

“Horloge arrêtée — 19:32.”

Il trace une ligne entre deux quartiers.

Puis sort un dossier de la pile.

Il ouvre.

Photographies. Rapports d’autopsie. Dépositions.

Il lit tout, sans bouger, sans boire, sans manger.

Juste les yeux, qui vont et viennent.

À voix basse, presque en sourdine :

— Pourquoi maintenant. Pourquoi lui. Pourquoi ce message.

Il note une phrase sur un post-it.

“Il parlait lorsqu’il ne le devait pas.”

Puis il recule. Observe.

Il cherche un schéma. Un rythme. Une réponse.

Il frotte son visage.

Ses yeux se ferment quelques secondes. Juste assez pour sentir la fatigue.

Puis son téléphone vibre.

Un rappel.

"Thérapie – 20h00 – Strange."

Il soupire. Longtemps.

Puis se redresse.

Il remet sa veste. Ses lunettes.

Et sort.

INT. CABINET DU DR HUGO STRANGE – 20H02

Le cabinet du docteur Strange est baigné d’une lumière ambrée, douce, chaleureuse.

Trop chaleureuse, presque maternelle, comme un piège douillet.

Tout y est parfait : les livres sont alignés au millimètre, les plantes taillées sans une feuille de travers, le tapis persan ne laisse aucune trace.

L’ambiance rassure. C’est fait pour.

Mais chaque détail est un filet invisible, tendu sous les pas de ceux qui s’y livrent.

Dick entre. Enlève ses lunettes teintées, les replie soigneusement.

Strange se lève avec un sourire paisible, un rien théâtral dans sa douceur.

— Bonsoir, inspecteur Grayson. Vous êtes ponctuel, comme toujours.

— Vieille habitude, murmure Dick.

— Certaines vieilles habitudes méritent d’être conservées.

Strange l’invite à s’asseoir.

Dick s’installe. Dos droit, regard dur, mais lointain. Comme un soldat qui ne baisse jamais la garde — sauf ici, peut-être.

Strange le fixe un instant, puis s’appuie contre le dossier de son fauteuil.

Il n’ouvre pas encore son carnet.

— Comment s’est passée votre journée ?

— Chargée. Les gens parlent trop, ou pas assez.

Et entre les deux, on enterre les morts.

Strange penche la tête, lentement.

— La ville vous épuise.

— Elle est ce qu’elle est. J’essaie juste d’y faire ma part.

Il marque une pause. Puis, plus bas :

— Même si parfois, je ne sais plus très bien à quel rôle je joue.

Strange l’observe sans commenter. Il hoche doucement la tête.

— Vous avez toujours ce sentiment de double présence ?

Dick regarde droit devant lui. Son ton change à peine, mais une tension apparaît dans sa mâchoire.

— J’ai grandi dans un monde où les gens portaient des masques. Certains pour faire peur. D’autres pour rassurer.

Un silence.

— J’ai mis longtemps à comprendre qu’un masque, parfois… ça tient mieux que le visage.

Strange incline lentement la tête. Il joue l’ignorant, mais son regard brille à peine plus.

— Et vous ? Le vôtre, vous le portez pour quoi ?

Dick lève les yeux. Il hésite.

— Pour que le monde ne voie pas ce qu’il y a en dessous.

Et parfois… pour ne pas l’oublier moi-même.

— Vous parlez d’un rôle que vous jouez… ailleurs qu’au poste ?

Dick esquisse un sourire sec.

— Je vous ai déjà dit que j’ai eu une vie… parallèle.

Avant ça. Avant les bleus.

Un genre de cirque inversé.

Où on apprend à tomber sans bruit.

Strange sourit à son tour, presque amusé.

— Vous faites souvent référence au cirque.

— C’est là que j’ai appris à voler. Et à tomber.

Un silence.

Strange croise les doigts, feint la curiosité.

— Vous étiez… un acrobate ?

— En quelque sorte.

J’ai longtemps suivi les traces d’un homme qui… voyait le monde dans l’ombre.

Et qui m’a appris à marcher dans le silence.

— Il vous manque ?

Dick baisse les yeux.

Puis hausse à peine les épaules.

— Par moments. Mais il n’est plus là.

Strange note intérieurement. Il le savait. Mais maintenant, il sent la douleur s’ouvrir.

— Et vous, Dick ? Qui êtes-vous sans l’ombre de cet homme ?

Dick se renferme un peu.

Son regard devient plus froid. Il se lève légèrement dans son fauteuil.

— Un peu de lui. Un peu de moi.

Et beaucoup de quelque chose que je crains encore de nommer.

Strange sourit. Doucement.

— Vous n’avez pas à tout nommer tout de suite.

Il se penche. Prend son carnet. Enfin.

Mais il n’écrit rien encore.

— Il y a quelque chose en vous… que vous tentez de contenir.

Quelque chose que vous avez peut-être vu chez cet homme.

Ou que vous avez rencontré chez ceux que vous arrêtez.

Une colère... plus ancienne que vos blessures.

Dick ne répond pas. Mais son regard devient plus lourd. Moins fixe.

Strange referme doucement son carnet, même s’il n’y a rien écrit.

— Ce que vous ressentez n’est pas un échec. C’est… une mémoire.

Un rappel que vous tenez encore la ligne.

Et que vous savez ce qu’il y a de l’autre côté.

Un silence.

Puis il ajoute, d’une voix parfaitement calme :

— La ligne… c’est ce qui vous sépare de ceux qui choisissent de corriger le monde avec leurs poings.

Et qui, parfois, ne savent plus s’arrêter.

Dick reste figé.

C’est comme une aiguille dans un point sensible. Il détourne le regard, lentement.

— J’essaie de m’arrêter.

Strange se lève.

— Essayez seulement de ne pas oublier pourquoi vous commencez.

Dick hoche la tête, mécaniquement. Il se lève.

— Même heure la semaine prochaine ?

— Toujours. Vous êtes un homme de rythme, Dick.

Et le rythme est… précieux.

Dick s’en va. Ne se retourne pas.

La porte se ferme doucement.

Strange reste seul. Son carnet ouvert.

Et cette fois, il écrit.

"Il parle en cercles. Il s’approche.

Il évoque l’ombre, la chute, le rôle.

Puis il trace un cercle noir sur la page.

Un cercle fermé.

Parfait.

INT. PIZZÉRIA “LUNA'S” — 22H08 — BLÜDHAVEN EST

Une clochette tinte à l’entrée.

Dick pousse la porte d’une vieille pizzéria au carrelage usé, l’odeur de pâte chaude et de mozzarella dans l’air.

Les murs sont couverts de photos anciennes en noir et blanc : familles, joueurs de baseball, policiers moustachus des années 70.

Assise dans un coin, bière à la main, Renée Montoya lui fait signe sans lever les yeux de son téléphone.

— Huit minutes de retard, Grayson. T’es en train de devenir un cliché de détective torturé.

Dick retire ses lunettes rondes, les range dans son blouson. Il sourit.

— J’fais monter la tension dramatique.

Et puis on a dit 22h, pas 22h08, Capitaine ponctualité.

— J’ai dit "manger un morceau", pas "m’évanouir de faim", répond-elle en repliant son tel.

— Tu tiens plus l’attente ? On a marché ensemble dans une ruelle pleine de rats et de tripes de porc, mais t’as peur d’un quart d’heure vide ?

— Les rats j’les entends pas gronder dans mon estomac.

Ils se marrent tous les deux alors qu’un serveur leur dépose deux verres d’eau.

Dick s’installe en face d’elle.

Montoya le regarde un instant. Son sourire se teinte de tendresse.

— T’as cette gueule fatiguée de mec qui fait semblant que tout va bien.

— C’est parce que je vais bien, dit Dick avec son éternel ton joueur.

C’est juste que mon sommeil est aux abonnés absents depuis, disons… ma naissance ?

Montoya sourit, mais elle l’observe vraiment.

Puis elle change de sujet.

— J’ai croisé Harper aujourd’hui. Il disait que t’avais encore corrigé trois rapports de fond en comble.

— J’aime quand les mots sont bien placés.

— Non, t’aimes pas quand les trucs débordent. Tu contrôles tout, Dick.

Il s’appuie sur la table, voix douce, sourire en coin :

— Et toi t’aimes bien me le rappeler. C’est ta manière de dire que tu m’aimes, non ?

Elle roule des yeux.

— Si j’avais un dollar pour chaque fois que tu m’as dit ça, j’aurais une maison à Gotham et une autre à la plage.

— Tu dis ça, mais t’as pas encore quitté Blüdhaven. Tu veux pas me laisser seul avec Bullock.

— Personne ne mérite d’être seul avec Bullock. Même pas toi.

Ils rient. Puis la serveuse arrive avec deux énormes parts de pizza fumantes.

Dick fixe la sienne.

— Elle me regarde comme un rendez-vous amoureux que j’aurais pas vu depuis dix ans.

— Me dis pas que t’as toujours pas de copine sérieuse, Grayson.

— Pourquoi faire ? J’ai toi.

— Ew.

— Mais si je dois choisir, reprend-il en mordant dans sa part, y’a une journaliste qui m’a accosté l’autre jour. Jolie. Intelligente. Regard de sniper.

— Laisse-moi deviner… Vicki Vale ?

Dick lève les sourcils, surpris.

— Comment tu sais ça ?

— Parce que tout mec hétéro avec une moitié de cerveau et des yeux fonctionnels se fait dégommer en croisant Vicki Vale.

Et aussi parce qu’elle a appelé deux fois au central cet aprèm pour avoir ton nom de service.

— Sérieux ?

— Sérieux. Tu l’as touchée, Cowboy.

— Tu crois ? Elle avait ce regard genre “je te dévore ou je te démonte”, j’ai pas su choisir.

Montoya secoue la tête.

— T’as vraiment un problème.

— J’en ai plein. Mais t’es la seule à supporter la liste complète.

Ils mangent en silence un instant. Puis Montoya reprend, plus calme.

— C’est étrange, hein ? Malgré tout ce qu’on voit, tout ce qu’on encaisse… y’a encore des moments comme ça. Pizza tiède, bière pas fraîche, deux vieux potes qui rigolent.

Dick la regarde. Son sourire est plus sincère, plus doux.

— C’est parce que malgré tout… on est pas encore morts dedans.

Un silence.

Montoya hoche la tête, pensivement.

— T’as raison.

Il ajoute, plus bas :

— Et puis j’ai encore des trucs à vivre. Genre te traîner au karaoké quand tu seras trop bourrée pour dire non.

— Tu fais ça, je te flingue.

— Tu tires, je me relève. Comme toujours.

Elle le regarde. Elle sait qu’il ne plaisante qu’à moitié.

Et dans leurs sourires fatigués, leurs regards cabossés,

il y a quelque chose de pur.

Quelque chose de vivant.

Quelque chose qui mérite d’être protégé.

Montoya pose sa part de pizza, repue, l’air à la fois comblée et sur le point de sombrer dans le coma alimentaire.

— J’vais pas me lever de cette chaise. Ils vont devoir me ramener chez moi en brouette.

Dick termine sa bière d’une traite, essuie ses lèvres du revers de la main.

— Je savais que t’allais t’écrouler après la troisième bouchée. C’est toujours la troisième, chez toi.

— Je te hais.

— Je sais. Et j’en vis très bien.

Elle cherche l’addition des yeux. Mais Dick appelle déjà le serveur d’un claquement de doigts.

— Patron, on fait comment ?

Le serveur arrive avec un demi-sourire :

— C’est déjà réglé. Monsieur Grayson a payé en arrivant. Discret, mais efficace.

Montoya se tourne vers lui, bouche entrouverte.

— Tu te fous de moi.

— Pas du tout. J’ai des valeurs, j’invite les dames.

— T’as des valeurs, mais t’as surtout de l’avance.

— C’est une compétence. Faut que je sois plus rapide que toi sur les scènes de crime… alors je m’entraîne partout.

Elle le pousse légèrement de l’avant-bras, faussement agacée.

— Un jour, je t’en collerai une, Grayson.

— Promis ?

Ils rient encore, puis se lèvent. Dick laisse un billet supplémentaire sur la table.

— Pour le sourire du serveur. Rare ici.

EXT. RUE DE BLÜDHAVEN — DEVANT LA PIZZÉRIA — 23H10

L’air est plus frais. Un léger vent agite les papiers au sol.

La rue est à moitié vide, comme souvent à cette heure-là.

Dick sort une clope. L’allume d’un zippo usé, gravé “Fly high”.

Il tire une bouffée, lève les yeux vers les lampadaires.

Montoya s’approche.

— File-moi une taffe.

Il lui tend la clope sans un mot.

Elle tire dessus, puis la lui rend.

Dick la récupère calmement, toujours aussi posé. Puis…

Il sort ses lunettes teintées noires, les ajuste sur son visage.

Ses yeux disparaissent derrière les verres opaques.

Tout de suite, il semble intouchable.

Mystérieux. Éteint et brûlant à la fois.

— Tu ne peux pas t’empêcher d’avoir l’air de sortir d’un clip rock dépressif, hein ?

— Je t’épargne la guitare et les métaphores. C’est déjà pas mal.

Ils marchent côte à côte.

Pas de bruit. Juste leurs pas sur les trottoirs encore humides.

— J’ai pensé à arrêter.

Dick tourne légèrement la tête.

— La clope ou la police ?

— Les deux.

Il reste silencieux.

Puis, calmement :

— Moi j’ai pensé à m’arrêter… tout court.

Montoya s’arrête. Le fixe. Il continue à marcher doucement, puis s’arrête à son tour.

Il retire lentement ses lunettes. La regarde. Plus sincère que jamais.

— Parfois, j’me dis que tout ce que je fais… c’est pour pas disparaître.

Comme si bouger, courir, cogner, résoudre… ça suffisait à me faire croire que j’existe encore.

Elle s’approche. Lève la main. Lui ajuste doucement ses lunettes.

— Et si t’existes que dans le bordel, c’est pas grave. T’es né dans une tempête.

Moi j’crois que t’as juste besoin de quelqu’un qui reste… quand la foudre retombe.

Un temps.

Il sourit.

— T’es la meilleure sœur que j’ai jamais eue.

— Je suis la seule sœur que t’aies jamais eue.

— C’est pour ça que je t’aime.

Ils reprennent la marche. Ensemble. Deux ombres qui traversent la ville, à la frontière entre le feu et le silence.

EXT. RUE DE BLÜDHAVEN — 23H23

Ils sont presque arrivés à la voiture de Montoya.

Le calme est rare. Trop rare.

C’est Blüdhaven — et Blüdhaven ne dort jamais paisiblement.

Dans la radio de service de Montoya, le grésillement soudain fait sursauter les deux.

“Ici centrale, à toutes unités disponibles — braquage en cours, secteur nord, First Colonial Bank.

Individus lourdement armés, clients retenus à l’intérieur. Aucune communication établie.

Priorité rouge. Renforts immédiats.”

Montoya lève les yeux vers Dick. Elle sait déjà ce qu’il va faire.

Il ne répond pas tout de suite. Il fixe un point au loin, puis sort ses clés.

— Je vais me rapprocher par les toits.

Montoya cligne des yeux.

— Tu veux dire en contournant le périmètre, ou…

Il sourit doucement. C’est un autre regard.

Pas celui de l’inspecteur.

Celui du fantôme de la ville.

— Je veux dire… j’ai une tenue à enfiler.

Elle le fixe.

Pas de surprise. Pas de refus.

Seulement une fierté muette, et un soupir résigné.

— Sois pas trop classe, ça m’complexe.

Il recule déjà. Marque une pause.

Lunettes sur le nez. Demi-sourire aux lèvres.

— Je ferai des efforts.

Il disparaît dans la ruelle à côté.

Une échelle de secours.

Un saut. Un toit.

Et la ville bascule de nouveau dans sa vraie nature.



INT. TOIT D’IMMEUBLE — MINUTE PLUS TARD

Le sac est là, planqué sous une bâche grise.

Il l’ouvre. Délicatement. Comme un rite.

Le costume.

Noir. Fluide. Résistant.

Les gants. Le masque. Les bâtons.

Les ailes rétractables.

Les fréquences radio intégrées.

Il respire lentement.

Et il devient lui.

Nightwing.

L’homme qui plane dans la nuit.

L’homme que la peur n’atteint plus.

L’homme que la ville murmure en silence quand elle veut encore être sauvée.

Il met le masque.

Les lentilles bleues s’activent.

La fréquence du central résonne dans son oreille.

“Unité 23 en approche, prise de position nord-ouest.

Deux assaillants confirmés. Possible troisième. Munitions automatiques.”

Nightwing recule.

Court.

S’élance dans le vide.

Et déploie ses ailes.



EXT. CIEL DE BLÜDHAVEN — MÊME INSTANT

Il glisse entre les bâtiments, en flèche noire, acrobatique, précis,

trop rapide pour être vu,

trop silencieux pour être entendu.

Le cœur de la ville bat plus fort.

Elle sait qu’il est de retour.

Et lui, il sait qu’il n’a plus droit à l’erreur.

INT. FIRST COLONIAL BANK – 23H35

Le marbre des sols est taché.

Les murs portent encore les impacts des premières rafales.

Ils sont six.

Six hommes, tous armés, tous en masque, tous vêtus de noir.

Professionnels. Coordonnés. Rapides. Froids.

Les otages — une quinzaine — sont allongés au sol.

Bouche fermée. Visages contre les dalles.

Un des braqueurs fait les cent pas. Il garde l’entrée, fusil en main.

— J’veux pas de regard levé, hurle-t-il. Sinon je tire, j’vous le dis tout de suite !

Le chef, plus grand que les autres, casque lisse sans aucune marque, parle peu.

Il reste derrière le comptoir, yeux sur sa montre.

— Trente-deux minutes. Temps limite : trente-cinq.

Après ça, on quitte.

Avec ou sans sacs.

Dans la salle des coffres, deux types sont à genoux devant un terminal.

Explosifs silencieux. Séquence de déclenchement programmée.

Un autre surveille les caméras de sécurité. Il coupe les flux manuellement, un à un.

— Pas encore d’intervention.

Ils nous encerclent, mais ils attendent.

Peut-être une équipe spéciale.

— Y’aura pas d’équipe, dit le chef.

Ils savent pas si on veut négocier ou tout faire sauter.

Il regarde le couloir d’accès.

Lève la voix, posément.

— Préparez les sacs.

Et chargez les armes.

La scène est tendue, mais maîtrisée.

Les types savent ce qu’ils font.

Ils sont entrés pour l’argent.

Mais ils sont prêts à tuer pour sortir.


EXT. DEVANT LA BANQUE – PERIMÈTRE POLICIER – MÊME INSTANT

Les gyrophares inondent les façades.

Les hommes sont en place.

Montoya se tient accroupie derrière une berline banalisée.

Gilet par-balles. Glock en main. Regard vissé sur l’entrée de la banque.

À ses côtés : Harper, casque d’intervention sur la tête, yeux rivés sur les jumelles.

Derrière eux, Bullock, clope au bec, veste ouverte, arme à la ceinture, l’air tendu.

— Six types confirmés, dit Harper.

Peut-être un septième. Pas de mouvement visible à l’étage.

Trois dans la salle principale, deux aux coffres, un au contrôle.

Possiblement un chef qui ne bouge pas.

Bullock crache sa clope, l’écrase d’un talon.

— On attend quoi, exactement ? Qu’ils sortent en souriant avec un bouquet et une lettre d’excuse ?

— On attend qu’ils fassent une connerie, réplique Montoya.

Et qu’on sache si l’un d’eux panique.

Harper :

— Ils sont bons. Trop bons.

Mais y’a un truc bizarre. Pas de revendication. Pas de contact.

C’est pas un braquage pour envoyer un message. C’est pour le pactole.

Bullock lâche un rire bref.

— On les cueillera à la sortie. Et s’ils tirent, on arrose.

Montoya le fixe.

— On a quinze otages à l’intérieur, Harvey.

Un silence. Bullock ravale sa colère. Il se penche plus bas, marmonne :

— Quinze raisons de pas foirer cette nuit.

Montoya lève les yeux, balaye le haut des immeubles.

Quelque chose bouge.

Trop rapide. Trop fluide.

Elle plisse les yeux. Rien.

Mais elle sait.

Il est déjà là.

Et ça lui arrache un mince sourire.

— On va peut-être avoir un joker dans la manche, souffle-t-elle.

Harper hausse un sourcil.

— De qui tu parles ?

— Chut. Écoute.

Il tend l’oreille. Rien.

Et c’est justement ça.

— Quand tu n’entends plus rien… c’est qu’il est déjà en train de grimper.

EXT. TOIT DE LA BANQUE — 23H43

Accroupi au bord du toit, Nightwing observe.

Son regard, dissimulé derrière les lentilles bleues de son masque en forme loup, scanne méthodiquement les entrées, les ombres, les signaux.

Vision thermique activée.

Fréquence radio piratée.

Il voit les positions. Il entend les battements.

Il reconstruit la scène dans sa tête.

"Six à l’intérieur. Trois en salle principale. Deux aux coffres. Un au contrôle.

Mais c’est trop net. Trop bien coordonné.

Soit c’est un hasard… soit y’en a d’autres.

Et y’a toujours d’autres."

Il inspire lentement. La voix dans sa tête est familière.

Grave. Calme. Éduquée dans le sang.

"Comment Batman aurait fait ?"

Une pause.

"Il aurait fait comme moi. Mais sans trembler."

Ses bras se tendent. Il ancre les grappins à la rambarde.

Un saut parfait.

Il plonge dans le vide.

Et disparaît dans l’angle mort du bâtiment.


INT. SALLE ANNEXE – ÉTAGE SUPÉRIEUR

Une bouche d’aération s’ouvre.

Silencieuse.

Un souffle passe.

Puis une silhouette.

Fluide. Contrôlée. Redoutable.

Nightwing est à l’intérieur.

"Commencer par la salle de contrôle. Isoler. Aveugler. Puis neutraliser les coffres."

Il avance. Rampant dans l’ombre.

Ses bâtons à la main, charge électromagnétique activée.

Il localise la salle de contrôle à travers le mur.

Un garde seul, casque sur les oreilles.

Parfait.

Un mouvement. Une impulsion.

Le bâton traverse la vitre latérale.

Le choc électrifie le garde. Il s’effondre sans un bruit.

Nightwing entre. Le désarme. Coupe l’alimentation visuelle de la banque.

Plus de caméras. Plus de relais.

Le silence se resserre.



INT. COULOIR VERS LES COFFRES

Deux gardes. Tournent à tour de rôle.

Talkie allumé. Casques, protection, fusils automatiques.

Nightwing attend.

Puis se glisse dans leur dos.

Un saut. Une roulade. Une frappe à la gorge.

Électrocution rapide. Coup de genou.

Un autre tombe. L’autre se retourne — trop tard.

Dick l’envoie valser contre le mur, l’assomme d’un crochet en plein casque.

Deux de moins.

Mais l’un d’eux a appuyé sur sa gâchette.

Une balle perdue… ricoche contre une conduite.

Dans la salle principale, ça réagit.

— Y’a un problème aux coffres !

Trop tard.

Le silence explose.

Nightwing surgit du plafond, ses bottes frappant la rambarde d’escalier dans un fracas métallique.

Avant que les braqueurs ne réagissent, il déploie ses deux bâtons d’un geste rapide.

Le premier est lancé à la volée et frappe l’arrière du crâne du garde le plus proche — impact sourd, l’homme s’effondre sans bruit.

Il atterrit juste derrière le deuxième, et frappe directement dans le creux poplité, forçant le genou à se plier à l’envers dans un craquement mouillé.

L’homme hurle. Dick le frappe au foie du coude droit, puis attrape sa tête à deux mains et l’écrase latéralement contre le bord du guichet.

Un filet de sang coule, le masque est fendu.

Le troisième tire une rafale. Dick plonge dans une roulade latérale, percute une table, la retourne et l’utilise comme bouclier.

Un otage crie.

La tension monte d’un cran.

Dick bondit par-dessus la table, profite de l’élan pour frapper le tireur dans l’aine avec son genou, puis lui tord le bras jusqu’à entendre la luxation,

avant de le soulever par la veste et le projeter contre une colonne.

Sa tête heurte la pierre. Il s’écroule, groggy.

LES RENFORTS ENTRENT

Trois autres braqueurs surgissent d’une porte latérale.

Casques, fusils, pas hésitants.

Dick attrape un des fusils au sol, l’utilise comme matraque,

frappe le premier homme à la gorge,

pivote sur un pied, et frappe en revers dans le nez d’un autre.

Le sang jaillit.

Il brise le fémur du troisième d’un coup de pied plongeant dans le genou,

puis, au sol, frappe la cheville de ce dernier avec la crosse volée pour le désarmer.

Il se relève.

Le quatrième, plus massif, arrive par la droite.

Il balance une batte métallique vers le flanc de Dick.

Dick pare avec son bâton gauche, mais encaisse le choc — il grimace.

Il recule de deux pas, jauge l’ouverture.

Puis il fonce.

Coup de pied latéral dans les côtes,

frappe la gorge avec la tranche de la main gauche,

suit d’un uppercut retourné dans la tempe.

L’homme titube.

Dick se jette à genoux, glisse sous lui, le déséquilibre en crochetant ses jambes et le projette face première contre le comptoir en marbre.

Le bruit est effroyable. Une dent saute. Du sang éclabousse un écran.

Un cri étouffé retentit à gauche.

Une otage tente de fuir.

Un des braqueurs panique. TIRE.

BANG.

Une balle frappe une femme à l’abdomen.

Dick s’arrête. Un instant.

Tout se fige.

Le souffle. Le monde. Le feu dans sa gorge.

Elle s’effondre lentement. Une traînée rouge se dessine sur le sol.

LA LIMITE FRANCHIE

Quelque chose se brise en lui.

Il laisse tomber son bâton.

Et marche.

Droit.

Le prochain homme se jette sur lui.

Dick le frappe à la tempe du revers de la main,

l’attrape par la nuque,

et le plaque violemment contre le sol en lui écrasant le crâne.

Il ne s’arrête pas.

Le suivant tente de fuir.

Dick lui tire la jambe, le fait tomber,

lui brise l’épaule d’un coup de genou,

puis lui plante la main dans le visage et l’écrase contre le carrelage.

Ses gants sont trempés. Il respire fort. Il tremble.

Le chef arrive.

Il est calme. Armé. Prépare une grenade.

Dick le voit.

Il court.

Un pas. Deux. Il bondit.

Ils se percutent.

Dick écrase son genou dans l’estomac du chef,

lui arrache la grenade, la désarme en vol et la jette à travers la pièce.

Il plaque le chef contre le mur.

Le chef crache du sang, rit.

— Tu crois que t’as gagné… ?

Dick lui enfonce son avant-bras dans la gorge.

— Parle.

— Tu crois qu’on agit seuls ?

Un silence.

Dick le regarde. Son poing se serre.

Mais il se contrôle.

De justesse.

Il recule.

Se tourne vers l’otage.

Elle ne bouge plus.

INT. SALLE PRINCIPALE – 23H46

Le dernier coup est tombé.

Le chef est au sol. Ses gémissements se mêlent au silence.

Le marbre est taché de sang, brisé par endroits.

Le comptoir est fissuré. Les corps des braqueurs jonchent le sol comme des morceaux d’ombres fracassées.

Dick reste debout.

Ses épaules bougent lentement sous sa respiration.

Son masque bleu encore vibrant laisse deviner ses yeux, écarquillés.

Puis il la voit.

L’otage.

Allongée sur le flanc, dans une flaque rouge qui s’étale doucement sous elle.

Ses cheveux trempés. Ses doigts figés.

Pas de respiration apparente.

Dick s’approche.

Chaque pas est une pierre dans sa gorge.

Il s’agenouille à côté d’elle.

Soulève doucement sa tête. Cherche une pulsation.

Rien.

Il ferme les yeux. Son poing serre son gant.

"Tu étais là.

Tu as tout donné.

Et ça n’a pas suffi."

Il pose sa main sur le sol. Le marbre froid.

Puis la retire.

Sa paume est couverte de sang.

Il fixe le rouge sur ses gants.

Il se redresse lentement.

Son regard traverse la salle. Tous ces corps. Ces morceaux d’échecs.

Il ne tremble pas.

Mais ses yeux brillent.

Pas de colère. Pas encore.

Juste ce vide familier.

Celui qu’il pensait avoir appris à contenir.

Et dans ce silence…

Des pas. Une radio qui grésille. Une porte qui s’ouvre en force.

INT. ENTRÉE DE LA BANQUE – MÊME INSTANT

Montoya entre la première.

Arme levée. Mains prêtes.

Elle s’arrête net.

Harper derrière elle. Bullock aussi.

Ce qu’ils voient les fige.

— Bordel de…

Des braqueurs étalés. Certains inanimés. D’autres qui rampent dans leur sang.

Le chef, à moitié conscient, gémissant contre une colonne.

Et au milieu de tout ça… Nightwing.

Debout. Imposant.

Son masque criblé de micro-impacts. Son costume maculé de sang, de poussière, de morceaux de verre.

Montoya avance doucement.

— Dick ?

Il ne répond pas. Il fixe encore le corps de la femme.

Bullock, l’arme encore levée :

— C’est lui ? C’est… C’est Nightwing ?!

Montoya baisse doucement son arme, sans détourner les yeux de Dick.

— Il a tout arrêté, murmure-t-elle.

Mais il n’est pas intact.

Harper approche aussi. Sidéré.

— On est arrivés trop tard.

Dick se retourne lentement vers eux.

Un simple mouvement de tête.

— Appelez les secours pour l’otage. Maintenant.

Il ne crie pas. Sa voix est tranchante. Vidée. Froide.

Montoya hoche la tête, active sa radio en vitesse.

Bullock le regarde, bouche entrouverte.

— C’est donc pour ça que tu disparais quand les choses tournent mal…

Dick ne répond pas.

Il s’approche du chef à terre. Le saisit par la veste.

— Qui t’a envoyé ?

Le chef, entre deux râles :

— T'es dans un jeu… Tu ne connais pas les règles…

Dick le frappe — pas fort, mais assez pour l’empêcher de finir sa phrase.

Il répète :

— Qui ?

Le chef lâche, un demi-sourire fendu de sang :

— Black… Mask.

Dick le lâche. Se redresse.

Montoya revient, inquiète.

— Dick… tu saignes.

Il ne répond pas.

Puis…

Un bruit sourd, au loin.

Des pneus. Un moteur. Un écho rapide.

Dick lève les yeux.

Ce n’est pas fini.

NT. SALLE PRINCIPALE – BANQUE – 23H49

La tension est palpable.

Bullock et Harper inspectent les braqueurs neutralisés.

Montoya reste proche de Dick, radio à l’oreille, tentant de coordonner les secours.

Dick reste figé.

Il regarde encore l’otage.

Puis vers les membres de son équipe.

Son regard est ailleurs, mais son instinct… s’éveille.

Un bourdonnement au loin. Faible. Anormal.

Il se redresse d’un coup.

Fixe l’entrée.

Lève la main :

— Reculez. Tout de suite.

Montoya sursaute.

— Quoi ? Qu’est-ce que…

BOOM.

Une explosion ravage l’entrée latérale de la banque.

Des morceaux de pierre volent. Le souffle projette Harper contre un pilier.

Des silhouettes surgissent dans la fumée.

Masques noirs. Fusils courts. Mouvements synchronisés.

Ils ne parlent pas.

Ils savent exactement où aller.

Dick plaque Montoya au sol, la protège de son corps.

Une rafale lacère le mur au-dessus de leurs têtes.

Bullock riposte, tire deux fois.

L’un des hommes tombe, mais les autres couvrent leur fuite.

Ils s’emparent du chef toujours au sol, inconscient.

Un autre récupère un des sacs de billets.

Dick roule sur le côté, bondit sur ses pieds.

Il attrape son bâton resté au sol, l’active.

Harper crie depuis l’arrière :

— Bordel, ils emportent le chef ! Et le fric !

Montoya se redresse à moitié, blessée au bras.

— Dick ! Tu fais quoi ?!

Il la regarde.

Son regard est froid. Sombre. Tremblant de rage.

Il analyse la position de ses alliés. Les blessures.

Il vérifie que personne ne soit en danger immédiat.

Puis il murmure, plus pour lui que pour eux :

— Je ne vous laisse pas seuls.

Mais eux… je ne les laisse pas partir.

Il bondit.



EXT. RUES DE BLÜDHAVEN – PLEINE VITESSE — 23H50

Le van noir de la seconde équipe déchire l’asphalte.

Derrière, une silhouette se projette d’un toit, plane avec ses ailes intégrées.

Nightwing.

Il est froid. Rapide. Chirurgical. Mais enragé.

Il active ses lunettes en vision nocturne.

Repère les mouvements à travers la tôle du van.

— Trois à l’intérieur. Un conducteur. Deux blessés. Un sac. Et lui.

Le chef.

Il plante ses grappins dans le rebord d’un immeuble, se projette plus loin.

Passe au-dessus d’un pont, descend en vrille sur une benne à ordures,

rebondit en salto sur un lampadaire,

et s’accroche au toit du van en pleine vitesse.


COMBAT SUR LE VAN — TOIT

Un des hommes sort par le toit ouvrant.

Dick le saisit par l’épaule,

le frappe à la tempe avec la pointe de son bâton,

puis au sternum d’un coup percussif qui le fait tomber à genoux.

Il place son pied droit derrière le genou du type,

lui attrape la nuque,

et écrase sa tête contre le toit du van,

avant de le faire rouler dans le vide comme un sac de viande.

Une voiture de flics freine brutalement pour éviter le corps. Klaxon. Hurlement de pneus.



INT. VAN – MÊME TEMPS

Un des survivants regarde dans le rétro.

— PUTAIN IL EST SUR NOUS !

Le conducteur jure.

Un autre prépare une arme automatique.

Mais Dick fait exploser la porte latérale à coups de pied.

Il entre.

Frappe le tireur à la gorge,

puis dans le ventre — trois fois —,

le soulève par la ceinture, et le balance hors du véhicule.

Le chef se réveille.

Essaye de ramper hors du champ.

Dick le rattrape.

Mais un dernier homme surgit de l’arrière.

Poignard en main.

Dick pivote, bloque le bras avec son avant-bras gauche,

utilise le manche de son bâton pour bloquer la trachée,

puis donne un coup de genou si violent que le plexus de l’homme s’effondre.

Il attrape le poignard encore dans la main,

et le plante dans la roue intérieure du van.

BOUM.

Le van se déstabilise. Glisse.



EXT. FIN DE POURSUITE — 23H55

Le van fait une embardée et se retourne violemment.

Dick s’éjecte en roulade, atterrit sur l’asphalte, glisse,

puis se relève en haletant, les mains couvertes de sang.

Le véhicule est en feu.

Il s’approche.

Le chef est là.

Encore vivant. Coincé dans les débris.

Dick le tire dehors. Le plaque contre le bitume encore chaud.

— Tu ne sais pas ce que t’as déclenché, dit-il.

Sa voix est posée, mais glaciale.

Dick serre les dents.

Et lui enfonce le bâton contre le torse.

Pas pour le tuer.

Mais pour que ça reste.

Pour qu’il s’en souvienne.

EXT. RUELLE PRÈS DE LA VOIE EXPRESS — 00H03

Le van est en flammes, abandonné.

Des gyrophares approchent.

Des sirènes déchirent la nuit.

Nightwing s’éloigne à pied, rapide, le souffle court, la mâchoire serrée.

Ses bras sont couverts de sang séché.

Son masque encore vibrant d’une lumière bleu pâle.

Mais il le sent :

les renforts arrivent.

Et pas pour le féliciter.

“Pas de merci.

Jamais.

Seulement les menottes… ou la chasse.”

Il coupe à travers un grillage, bondit dans une ruelle.

Mais une voiture banalisée surgit à l’angle.

Trois flics sortent. L’un crie :

— STOP ! Mains en l’air ! MAINTENANT !

Nightwing ralentit.

Les regarde à travers ses lentilles.

Ils le fixent, visages partagés entre admiration, peur… et ordre à exécuter.

— T’es pas le bienvenu ici, justicier, crache l’un d’eux.

Tu veux jouer au héros ? Joue dans un autre quartier.

Dick ne bouge pas.

— Vous devriez être contents d’être encore en vie.

— À genoux ! Tout de suite !

Il soupire. Ferme les yeux un instant.

Puis… il désactive son masque.

Les lentilles s’éteignent. Il le retire d’un geste fluide.

— Désolé, les gars.

Et il passe à l’action.



COMBAT — RUELLE ÉTROITE

Premier flic :

Dick s’élance, frappe dans l’arme du poignet avec son bâton droit,

désarme le premier homme,

le fait tourner sur lui-même d’une torsion du bras,

et le plaque au mur d’un coup de genou au ventre.

Deuxième flic :

Il tire. Dick plonge,

frappe l’arrière du genou,

puis frappe le sternum avec le bout du bâton gauche,

l’assomme en le projetant contre un container.

Troisième :

Tente de prendre Dick à revers.

Il esquive de justesse,

le désarme avec un mouvement circulaire,

le projette au sol d’un balayage,

puis pose son pied sur son thorax.

— Vous êtes trop bons pour ce job.

Mais pas assez pour m’arrêter.

Il relâche la pression. Disparaît.



EXT. TOIT D’UN IMMEUBLE – 00H07

Il s’écarte.

Sa respiration est plus lente maintenant.

Il sent ses muscles hurler. Sa hanche lui fait mal.

Mais il grimpe.

Un sac est caché sous une trappe.

Il l’ouvre.

Costume civil. Pantalon sombre. Chemise. Badge. Lunettes.

Dick Grayson renaît.

Il passe la main dans ses cheveux. Essuie les traces de sang.

Enfile ses lunettes.

Le justicier s’évanouit.

L’inspecteur prend sa place.


INT. COMMISSARIAT DE BLÜDHAVEN – 00H30

Il pousse la porte.

L’air est lourd.

Les regards se tournent.

Certains savent. Certains suspectent. D’autres ferment les yeux.

Bullock le fixe depuis le fond du couloir.

— T’étais où, Grayson ?

Dick lève à peine les yeux.

— J’étais sur le terrain.

Comme tout le monde.

Bullock s’approche.

Il le regarde, vraiment.

— T’as du sang sur la manche.

— Pas le mien.

Un silence.

Puis Bullock se retourne.

— Bureau. Maintenant.

On a un rapport à rédiger, inspecteur.

Dick marche lentement.

Chaque pas pèse un peu plus.

Mais il est là.

Toujours debout.

Toujours entre deux mondes.

Et la ville, dehors, lui murmure déjà qu’elle aura encore besoin de lui.

NT. BUREAU DE LA CRIM’ – COMMISSARIAT DE BLÜDHAVEN – 00H52

La porte se ferme avec un claquement sec.

Bullock jette son blouson sur le fauteuil. Harper reste debout, bras croisés, mâchoire contractée.

Montoya s’assied lentement, la manche trempée de sang, le souffle lourd.

Dick, lunettes sur le nez, les traits tirés, garde la tête droite. Il sent la tempête avant même le premier mot.

Bullock commence.

— Alors comme ça… le petit génie du poste, l’inspecteur modèle…

c’est le mec masqué qui cogne comme un démon et fout en l’air trois patrouilles à mains nues ?

Dick ne répond pas.

Bullock tape du poing sur la table.

— PUTAIN, GRAYSON ! Tu te rends compte de ce que t’as foutu ?!

Harper explose à son tour.

— C’était toi depuis le début ?! T’as joué les deux rôles sans rien dire ?! On bosse avec toi tous les jours !

Tu nous regardais dans les yeux ! Et t’avais ce masque planqué dans ton sac ?!

Dick reste droit. Il regarde Harper dans les yeux.

— Je vous ai protégés.

Harper secoue la tête, fébrile.

— Non, t’as décidé pour nous. Tu nous as laissés à l’écart alors qu’on risquait notre peau avec toi.

On aurait pu… j’aurais pu t’aider, putain !

— Tu ne comprends pas, Jay.

— ALORS EXPLIQUE ! Parce que là j’vois juste un pote qui me fait passer pour un abruti depuis deux ans.

Bullock crache au sol.

— Tu joues à quoi, Grayson ? Batman junior ? Hein ? Tu te prends pour qui ?!

— Je me prends pour celui qui essaie d’empêcher cette ville de devenir un charnier.

Le silence claque comme un fouet.

Dick avance d’un pas.

— Pendant que vous dormez, je traque les monstres. Pendant que vous enquêtez, je neutralise ceux qui échappent à vos procédures.

Et quand vous saignez… je suis là pour que ça n’aille pas plus loin.

Bullock se lève brusquement. Il le pointe du doigt.

— Tu crois que t’es au-dessus de nous ? T’es peut-être plus rapide, plus souple, plus "héroïque", mais t’es flic, merde.

Tu nous dois la vérité. L’intégrité. Pas des excuses de justicier masqué.

Montoya intervient enfin, d’une voix rauque.

— Il n’est pas au-dessus.

Il est dedans jusqu’au cou.

Il s’est cramé pour cette ville plus que n’importe qui ici.

Harper :

— Alors pourquoi nous l’avoir caché, Renée ?

Elle baisse les yeux.

Un silence.

Dick parle. Droit. Sincère. Tranchant.

— Parce que si je l’avais dit, vous auriez porté ça avec moi. Et je refuse de vous faire ça.

Il les regarde, l’un après l’autre.

— Je suis celui qu’on envoie quand ça dépasse les procédures. Quand les monstres sortent des égouts.

Je suis celui qu’on peut accuser, désavouer, chasser…

parce que je n’ai pas de badge quand je porte le masque.

Un temps.

Puis :

— Et malgré tout ça… je me lève chaque matin, je mets ma cravate, et je viens bosser avec vous. Parce que je vous respecte.

Parce que vous êtes ma famille.

Harper a les yeux rouges. Il détourne le regard.

Bullock, lui, reste impassible. Puis, d’une voix grave :

— La prochaine fois que tu me regardes dans les yeux en m’appelant "partenaire",

assure-toi de pas avoir un putain de grappin dans la poche arrière.

Dick encaisse.

Sans broncher.

Montoya se redresse.

— Bon. On va tous s’étriper ou on va écrire ce putain de rapport ?

Silence.

Puis Dick murmure :

— L’otage… elle est morte ?

Montoya hoche lentement la tête.

— Ouais.

Dick ferme les yeux.

Et s’assied.

Le justicier laisse place au flic.

Le flic laisse place à l’homme.

Et il commence à écrire.

 

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