Les peurs de Jonathan Crane

Chapitre 1 : Prologue sur les quais

1375 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/10/2020 20:59

 L'extrémité incandescente du cigare du commissaire luisait dans une obscurité dénaturée par la lumière agressive des gyrophares. Si la fête foraine se tenait bien loin du quai, on entendait les bruits des habitants de la ville qui y passaient du bon temps, un bruit de fond bien trop joyeux par rapport à la gravité de la situation. Bien que le mois de Septembre débutât seulement, l'humidité et le relents glacés provenant de l'océan faisaient frissonner autant les badauds intrigués par l'agitation inhabituelle que les policiers qui les empêchaient d'approcher trop près.

– Écartez-vous, messieurs, dames, ordonna l'agent Juárez d'un ton sévère à un trio trop curieux, tout en déroulant un ruban jaune fluorescent. Et pas de photos.

Un garçon blond qui avait brandit son téléphone au niveau de son visage s'empressa de le ranger dans sa poche. À l'opposé de là, l'officier Xue notait la déposition de Martina Wisp qui, appuyée contre une grosse caisse en bois, serrait son garçon contre elle, dans une tentative pour l'empêcher de voir la scène.

– On revenait de la fête foraine à pied, balbutiait-elle, visiblement très secouée. On n'habite pas très loin, vous comprenez ? Et... et Dennis... Il s'est écarté de moi, il voulait grimper sur les... les caisses en bois. Quand je suis allée le chercher, c'est... C'est là que j'ai vu, dans l'eau...

Martina se tut, contemplant les techniciens qui s'activaient au bord de l'eau, piétinant précipitamment les quais. A l'aide d'une corde, ils y extrayaient une masse sombre et amorphe. Le cadavre était ignoble. Il avait bien dû séjourner deux semaines dans les eaux boueuses. Le commissaire Gordon, un homme aux cheveux auburn grisonnants et à la moustache touffue, s'en approcha, le cigare aux lèvres, les inspecteurs Bullock et Montoya sur ses talons. Les traits du défunt semblaient conservés, mais sa peau jaunâtre, étirée au niveau du visage, était flasque et boursouflée sur tout le reste du corps. Ses yeux blancs fixaient un point du ciel, tandis que sa bouche, abîmée par le sel, se tordaient en une expression de profonde terreur, la langue noire pendant entre ses dents placées de travers. Il lui restait sur le crâne de longs cheveux sales et ses poignets semblaient avoir été lacérés. Une odeur de putréfaction, auparavant dissimulée par l'eau, commença à s'en échapper. Quelques semaines plus tôt, ce cadavre avait été une jeune fille comme tant d'autres.

– C'est la deuxième en même pas quinze jours, dit Montoya, une femme dans la trentaine à la silhouette mince et sportive, en reculant d'un pas pour laisser les techniciens de la police scientifique prendre des photographies de la scène. Elle a les mêmes traces aux poignets, là.

– Elle n'avait rien sur elle qui puissent nous donner des indices sur son identité ? demanda James Gordon à un des techniciens, qui secoua la tête de gauche à droite.

– Sûrement un coup du Joker, marmonna Bullock, son gros visage bourru caché dans la pénombre que projetait son chapeau en feutre.

– Ce n'est pas le Joker, Bullock, fit une voix derrière eux.

Les policiers se retournèrent sur la haute silhouette sombre de Batman, qui venait de surgir de nulle part. Bullock lança un regard noir au justicier masqué.

– Vous avez le chic pour apparaître là où on ne veut pas vous voir ! s'exclama-t-il.

Mais Batman ne lui prêta aucune importance et détailla la scène de crime.

– Des indices depuis la dernière fois, Jim ?

– Pas beaucoup, avoua le commissaire Gordon. Et vous ?

– J'y travaille...

Mais Harvey Bullock ne semblait pas vouloir se laisser ignorer de la sorte :

– Qu'est-c'qui vous prouve que ce n'est pas le Joker ? demanda-t-il hargneusement.

– Le Joker est toujours à l'asile d'Arkham, dit Batman, je suis allé le vérifier par moi-même. Et regardez l'expression qu'aborde la victime. D'habitude, les cibles du Joker sont exposées à des gaz qui les font rires jusqu'à la mort. Ici, elle a l'air...

– ...terrifiée, compléta Montoya. La peur s'est incrustée dans son visage, ce qui est plutôt rare sur un noyé... L'autopsie nous dira de quoi elle a été victime mais... ce pourrait-il qu'elle soit morte de peur ?

Batman et le commissaire Gordon échangèrent un signe de tête. Tandis que les techniciens emportaient le corps et que les journalistes qui arrivaient en masse tentaient de percer le barrage de policiers, la liste des suspects se réduisait de plus en plus.


Robin était en train de s'entrainer à lancer des batarangs sur des cibles mouvantes, seul dans la zone d'entrainement de la Batcave lorsque la Batmobile arriva en trombe dans la caverne et se gara brusquement sur la plateforme principale. Se garer à la « Batman », comme disait Nightwing, le premier acolyte de Batman, aussi connu sous le nom de Dick Grayson. Robin laissa ses projectiles dans les cibles pour rejoindre le Chevalier Noir, qui sortait de la voiture, son air habituellement renfrogné scotché sur le visage.

– Ça c'est bien passé ? demanda Robin en avançant vers lui.

Bruce Wayne retira son masque et tourna la tête vers son jeune acolyte.

– Même chose que la dernière fois, Tim. J'ai ramené des échantillons à analyser.

– Du coup, tu penses que c'est qui ? J'ai fait des recherche, ce qu'on a retrouvé dans le sang de la dernière victime, c'est un sacré mélange de tous les horribles sérum sur lesquels le meurtrier a pu mettre la main. Y'a du Venin de Bane, du Poison de Ivy, des molécules du gaz du Joker... Et je crois même que y'a de la magie là-dessous...

Tim Drake fronça les sourcils, pensif, tandis que Bruce s'installait sur son fauteuil, devant l'ordinateur central.

– C'est l'Épouvantail, dit-il sans ciller.

– L'Épouvantail ? s'étonna Tim. Mais aucune formule ne correspondait à mes analyses ! Attend deux secondes... il était pas à Arkham, lui ?

– Il s'est échappé quand tu es parti à Metropolis. La presse n'en a pas parlé. Une énième évasion d'Arkham, ce n'est pas vraiment bon à raconter.

Tim croisa les bras, buté par l'inconsidération de son mentor. Mais pouvait-il vraiment trouver cela étonnant ? Batman n'était pas vraiment du genre bavard.

– T'as trouvé des indices sur le terrain, qui te prouvent que c'est l'Épouvantail ?

Bruce resta un instant silencieux, les yeux fixés sur l'écran gréant et les doits pianotant frénétiquement sur le large clavier.

– La première victime est morte noyée, c'est pour ça que je n'ai pas tout de suite fait le rapprochement, finit-il enfin par dire. Celle de ce soir est morte bien avant d'avoir été jetée à la mer. D'une crise cardiaque. Et abordait une expression de profonde terreur.

– Là tout de suite ça devient beaucoup plus évident, ricana Tim en levant les yeux au ciel. On a un nouveau sérum-slash-gaz-slash-poison-slash-venin sur les bras. Nickel.

Encore une fois, Bruce ne répondit pas.

– Une idée d'où il peut se trouver, sinon ? continua l'adolescent

– Pas pour l'instant, mais je vais regarder les bâtiments vides de la côte et tous ceux qui sont reliés aux canalisations qui se jettent directement dans l'océan. Il est doué pour se cacher, mais il reste prévisible.

– Tu veux de l'aide ?

– Non, remonte au manoir. Tu as ton premier jour à l'Académie de Gotham, demain.

Tim fronça les sourcils. Bruce ne prit même pas la peine d'échanger un regard avec lui.

– C'est obligé, cette histoire de pensionnat ? demanda-t-il. Je veux bien aller au lycée, mais ce ne serait pas mieux que je sois à disposition la nuit, histoire de t'aider si jamais Double-Face veut faire exploser la moitié de la ville ou si Mister Freeze décide de remédier au réchauffement climatique ?

– Tim, on en a déjà parlé. Tu ne seras pas toujours Robin, il faut que tu t'occupes de ta vie civile, alors fait ce que je te dis.

– Ouais patron, grommela le jeune homme en s'éloignant. Bonne nuit blanche, Monsieur « Vie Civile ».



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