WILD GOTHAM 4 : LE LABYRINTHE
Enfin une ville digne de ce nom ! Bruce aurait dû se réjouir. Il était plus à son aise dans ce genre d’endroit et par conséquent plus efficace dans ses investigations. Sauf que cette nuit il était Batman. Et son alter-ego appréciait plutôt les souterrains. Quant aux recherches elles étaient peut-être déjà achevées ou plus exactement inutiles. Dans un des bleds précédant la piste de Sélina avait cessé brutalement. C’est comme si cette femme s’était volatilisée. Et à peu près en même temps que son passage le shérif y avait été assassiné par balle. Cela suggérait un évènement violent et obscur. Bruce se reporta sur l’homme à la caravane, qui lui aussi y avait été vu à la même période. Lui au moins sa piste continuait. Seulement où allait-elle conduire ? L’homme en vert avait déjà réglé son compte à Sélina. Cette conclusion s’imposait naturellement.
Bruce était allé trop loin pour renoncer, et voulait au moins savoir ce qu’il était advenu précisément. Une fois les éclaircissements apportés, que ferait-il de l’envoyé d’Oswald ? Lui-même l’ignorait. Aux yeux des autorités Sélina n’était qu’une catin. Pas le genre de personne méritant qu’on lui fasse justice. Ceci excluait une dénonciation. Les pensées de Batman étaient donc bien sombres en circulant sur les toits. Cette progression avait l’avantage d’être discrète, et même facile grâce à l’usage du grappin. En plus sa destination étant loin du centre-ville il n’y avait pas d’animation nocturne à craindre. Paradoxalement ce silence mettait Batman mal à l’aise. Il était bien différent de celui des galeries en-dessous du comté. Même endormies il y avait des paires d’oreilles qu’un son inhabituel pouvait perturber. Le moindre grincement sur une toiture lui paraissait être un hurlement à son encontre. Heureusement entre un coup de pelle dans la tête, la charge d’un colosse de deux mètres de haut, et une balle de le ventre, Batman avait déjà connu bien plus dur.
Par conséquent il parvint à se hisser en haut du bâtiment ciblé sans trop de difficulté. Il s’agissait d’un vaste entrepôt orné d’une enseigne où on pouvait lire : Mister Freeze. Pour une fabrique de blocs de glace, ce n’était pas très recherché. A l’époque les frigidaires individuels n’existaient pas. Les mieux lotis devaient se contenter de glacières pour conserver leurs denrées. Or des pains de glace étaient nécessaire à leur fonctionnement. D’où l’existence d’établissements comme celui baptisé Mister Freeze.
Après avoir saboté une lucarne Batman s’introduisit à l’intérieur. Il eut l’impression de ne pas être la même personne ayant déjà passée ce matin. Au début de journée il était entré par la grande porte. Il portait son costume le plus chic, et usait de grandes phrases. Brandir une pancarte avec inscrit « Je suis riche » aurait été à peine moins subtil. En tous cas cela lui permit d’obtenir immédiatement un entretien avec le patron de cette entreprise. Quant aux leçons paternelles sur les abus liés à l’argent, Bruce n’y songeait même plus désormais.
Le bureau du responsable de cette entreprise visiblement florissante, ressemblait à une sorte d’atelier de travail. Ils y trainaient des plans, des instruments de mesure, des maquettes... Bruce eut l’impression de voir une reproduction de sa cave mis à part le costume. Au milieu de ce fatras se trouvait l’archétype du bureaucrate avec son gilet, son embonpoint, et ses lunettes rondes. Il bénéficiait tout de même d’une étrange particularité : l’absence totale de cheveux et de poils au niveau de la tête. Il avait juste des sourcils dénotant sur ce visage imberbe.
« Bonjour, je me nomme Robert Kane. » Récita comme prévu Bruce en tendant la main. « Ingénieur aux chemins de fer. J’aimerai m’entretenir avec vous d’un projet de wagon réfrigérant. »
« Victor Fries enchanté. » Dit l’autre homme en offrant sa paume étrangement froide.
Il s’exprimait comme un mauvais acteur récitant mollement son texte. La perspective d’une collaboration avec le puissant lobby des chemins de fer aurait dû l’enthousiasmer un peu plus. Malgré ce manque flagrant de motivation Victor se montra très professionnel et précis. Il usait d’un tout nouveau procédé : une machine réfrigérante à compresseur à ammoniac. L’ingénieur en Bruce lui fit oublier un temps les raisons de sa venue face à cet étalage de technologie. Puis elles finirent par refaire surface.
Il interrogea alors Victor sur la composition de sa clientèle. Au milieu de cette énumération Bruce glissa la question clé, celle sur laquelle reposait sa visite :
« Vous ne vendez rien aux artistes itinérants, comme ceux des cirques ? »
« Non. » Répliqua immédiatement Victor sans prendre le temps de réfléchir.
Le pauvre mentait beaucoup trop mal. Il y avait les employés à proximité, et Bruce était à visage découvert. Par conséquent il mena sagement l’entretien à son terme, et partit. Ce n’était évidement que partie remise. Car les traine-savates locaux en échange de quelques pièces de la part de Bruce, lui avaient parlé des visites multiples dans les locaux de Mister Freeze d’une caravane. Ce véhicule correspondait à la description de celui de l’homme en vert. Si l’on ajoutait la réaction de Victor à ces témoignages, il était difficile de ne pas avoir de soupçon.
C’est pourquoi Batman prenait le relai de Bruce Wayne cette nuit. Le bureau de Victor contenait peut-être des papiers concernant ses affaires avec l’homme en vert. Par sécurité Batman observa les environs avant de procéder à cette fouille. Il s’agissait de locaux d’entreprise ordinaires avec sa zone de stockage, son atelier, ses chariots... Toutefois il subsistait une particularité en son centre : la chambre de réfrigération. Ce grand rectangle métallique couvert de tuyaux et autres robinets, attirait le regard surtout celui d’un ingénieur. Pourtant l’attention de Batman envers cette machine reposait sur une autre raison. La porte était ouverte, et surtout il émanait une lumière à l’intérieur.
Batman décida de ne pas prendre de risque, et alla neutraliser cet employé tardif avant qu’il avertisse les autorités. A l’intérieur de la chambre il ne l’attendait qu’une lampe à pétrole. Batman comprit immédiatement, et se retourna. Mais c’était déjà trop tard. On venait de refermer et de verrouiller la porte. La porte en question était munie d’une petite fenêtre. Le visage de Victor Fries y apparut. L’allusion même indirect à Edward l’avait inquiété. Alors dans le doute il avait envoyé un télégramme à la direction des chemins de fer, et apprit que Robert Kane n’existait pas. Suite à ces révélations il préféra prendre quelques précautions.
« Je suis désolé. » Dit-il tristement sans même prêter attention à l’étrange aspect de l’intrus. « Le froid va vous engourdir rapidement. Vous ne souffrirez pas. »
Et le pire est qu’il semblait parfaitement sincère. Un meurtrier poli et consciencieux. Comme quoi tout existe ! Présentement l’état d’esprit de Victor était le dernier des soucis de Batman. De part ses connaissances il comprit rapidement qu’il ne pourrait pas forcer la porte, ni briser la vitre en verre spécial. Victor s’éclipsa. Immédiatement après la machinerie de la chambre se mit en route. Le cerveau de Batman fit de même, et analysa la situation. Sa tenue comprenant un effet isolant, il disposait d’un délai conséquent. Dans la pièce il ne trainait aucun outil. Victor s’était montré prévoyant. Heureusement Batman bénéficiait de son propre arsenal. Toute la question tournait autour de la façon de l’utiliser. Une inspection complète de la chambre prendrait trop de temps. Il se remémora alors la présentation de son adversaire à propos de sa machinerie. Ensuite Batman sortit un petit tourne-vis de sa ceinture, puis cria :
« L’ammoniac s’est inflammable. Il se passera quoi si je perce des tuyaux et fracasse dessus la lampe ! »
Il avait pesé le pour et le contre avant de s’exprimer. D’un coté il risquait gros en cas d’explosion voir de mourir. De l’autre ça rameuterait le shérif. Ce que Victor ne voulait visiblement pas. Sinon il n’aurait pas tenté de régler son compte tout seul à son cambrioleur. Le résultat fut au-delà des espérances de Batman. Le si fade Victor poussa un « non » plein de terreur avant de se ruer à l’intérieur de la chambre. Il venait de revêtir une tenue de sa fabrication protégeant des basses température et de couleur grise. Il s’en servait lors de tests et de diverses réparations. Avec elle il comptait gagner du temps en dégageant le cadavre de Batman avant que le froid ne soit complètement résorbé.
Sa combinaison était étrangement similaire à celle de son adversaire. Elle le recouvrait entièrement à l’exception d’un emplacement à l’usage de ses lunettes. Son revêtement était visiblement fait d’une sorte de caoutchouc. La véritable différence se situait chez les porteurs. Victor faisait face à une carrure bien supérieure à la sienne. Et sa formation de chimiste ne lui serait d’aucun secours face à ce désavantage. Son impulsivité venait de lui jouer un sale tour. Soudain au milieu de cet affrontement jusqu’ici cérébral, débarqua le hasard. La tenue du chimiste comprenait un étui avec une autre de ses inventions : un pistolet à compression, qui vaporisait du fluide frigorigène à base d’ammoniac. Il l’utilisait parfois pour accélérer des congélations massives directement à l’intérieur de la chambre.
Sans l’avoir prévu Victor disposait donc d’un moyen de se défendre. Il aspergea son adversaire de liquide avant qu’il ne s’approche. L’ammoniac est un produit toxique brûlant la peau, les yeux, et les voies respiratoires. Dans cet espace réduit Batman ne put esquiver la large projection du liquide. Il se contenta d’interposer ses bras. Pourtant une fois l’arrosage finit, Batman se redressa immédiatement. Les lunettes du prototype de Thomas Wayne protégeaient les yeux, le revêtement la peau, et le filtre les poumons.Bien que surprit Victor ne lâcha pas prise, et amorça un recul. Comprenant immédiatement son intention de l’enfermer de nouveau, Batman chargea. Sous le choc Victor fut propulsé hors de sa chambre de compression, et eut l’impression d’être coupé en deux. Contrairement à son ennemi Victor n’était rien de plus qu’un chef d’entreprise, et un scientifique. Rien ne l’avait préparé à encaisser un tel coup. Il se retrouva donc à terre et sans défense alors que Batman lui enlaçait le cou.
« Tu vas me dire tout ce que tu sais sûr l’homme à la caravane et habillé en vert. »
Le filtre lui donnait une voix d’outre-tombe. Sa tenue se fondant dans l’obscurité suggérait un spectre. A cela s’ajoutait la force de sa poigne.
Pourtant face à toute cette pression Victor se contenta de répondre :
« Tu peux faire de moi ce que tu veux. Je m’en moque. »
Une fois de plus il était parfaitement sincère en prononçant ses paroles. Aucune crainte n’émanait de lui. Batman était à la fois frustré et soulagé. Car cela lui évitait de recourir à la torture. Serait-il allé jusque là ? Certainement. Il s’agissait de Sélina. Batman décida d’en revenir à la fouille du bureau. Puis alors qu’il ligotait son prisonnier avec la corde de rechange de son grappin, une idée lui vint. Si Victor restait de marbre face à la perspective de mourir ou de tuer, en revanche il avait paniqué devant la menace à l’encontre de sa chambre de réfrigération. Ça méritait bien un coup d’œil.
Une fois Victor correctement entravé, Batman fit le tour de la chambre de l’extérieur. Rien du suspect à premier vue. Il entra, et fit de même que dehors. Il ressortit peu de temps après afin de vérifier. Son impression était bonne. L’intérieur aurait dû être plus grand. Cela signifiait qu’il existait un compartiment caché. Une des cloisons de la pièce sonnait creuse. Batman la défit. A quoi s’attendait-il ? De l’alcool de contre-bande, des armes, de l’argent sale... Au final il fit face au cadavre congelé d’une femme. Ce spectacle était à la fois beau et morbide. Elle faisait penser à une princesse endormie de conte de fée avec son visage serein, sa longue chevelure lissée, et sa belle robe blanche parfaitement ajustée. On aurait dit aussi un insecte de collection. Pourtant il s’agissait d’un être humain.
S’en était trop. Batman souleva son prisonnier à bras le corps, et lui cria :
« Qu’est-ce que je viens de voir, espèce de malade ! »
L’impassible Victor fondit en larme.
« C’est Nora. » Finit-il par expliquer. « Ma femme. Les docteurs ne pouvaient pas la sauver. Alors je conserve son corps. Plus tard peut-être que la science parviendra à...»
Batman le laissa tomber au sol. Et dire qu’il trouvait le joker fou. Victor lui continua de se soulager.
« Pour la garder ainsi je dois faire tourner cette partie chambre presque en permanence. Ça nécessite de gros moyens. Alors je fais des choses dont je ne suis pas toujours fier. »
« Comme protéger l’assassin la femme que j’aime. » Rétorqua Batman durement, qui n’était plus en état de le prendre en pitié.
« Peut-être pas. » Déclara Victor, comme s’il s’adressait à lui-même.