L'intérimaire
Cette fanfiction participe au Défi d'écriture du forum de février-mars 2021 : "Vous m'en direz temps"
L'INTÉRIMAIRE
Un crossover Batman The Dark Knight / Le Masque de Zorro
Par OldGirl-NoraArlani
.
Prologue
Les lampadaires des Narrows semblaient avoir été victimes de vengeances personnelles des gamins du quartier. A la faveur de leur éclairage trop bas, un homme à la claudication légère s'avançait le nez en l'air sur le pavé luisant. Chaque cage d'escalier de fer, chaque brique de mur noirci essuyaient sa contemplation ravie. Raison pour laquelle il mit le pied sur une flaque grasse.
Le clinquement de la poubelle à laquelle il se stabilisa déchira le silence, en causant la fuite désordonnée de divers rongeurs. L'homme voûté gloussa des « shtt, shtt » en direction du couvercle tombé. S'essuyant les mains sur la guenille tachée qui lui servait de manteau (et qui devait sa couleur violette à une malencontreuse chute dans un tank de produits chimiques), il tira sur son gilet vert fripé et lissa en arrière ses cheveux huileux.
Sur le côté droit de la venelle encrassée par les fumées de coke[1], un bruit ténu lui fit dévisser le cou. Dans l'ombre, se cachaient deux enfants rachitiques, tétanisés derrière des cageots. Il leur cligna de l'œil et les gamins frémirent de peur face à ses yeux cerclés de noir et sa bouche écarlate mal recousue à la dentition jaune.
Boudeur, il poussa la porte grinçante d'un container rouge. Elle se gagna un regard de reproche, et l'homme la reclaqua violemment pour lui apprendre l'essence pure du vacarme. Avec un sourire dément, il balaya du pinceau de sa torche une trappe incongrue au sol. L'instrument entre les dents, il ouvrit pour se faufiler le long d'une échelle. Elle conduisait – bien évidemment – droit dans les égouts de la ville.
.
Quelques enjambées plus tard, il s'échinait sur le volant glissant d'une porte épaisse comme un tronc. Celle-ci par contre avait des gonds parfaitement graissés. Elle ouvrait sur une petite pièce, pourvue de la lumière crue d'une lampe industrielle. Au centre loin des murs, une chaise. Assise dessus, une grosse chauve-souris ficelée.
— Ah, tu es là !
— Qui êtes-vous ?
Ignorant la pseudo-menace émanant de sa voix chuintante et caverneuse, l'homme bariolé finit d'entrer et sortit une carte à jouer qu'il lança adroitement sur les cuisses dénudées de son prisonnier.
— Nous n'avons pas été présentés mais tu sais qui je suis.
Le Joker. L'inspecteur Gordon l'avait alerté récemment. D'un mouvement du genou, le justicier masqué fit tomber l'image et, les yeux pleins d'assurance, il l'écrasa malgré les lourds fers à ses chevilles.
— Allons, tu n'es pas bien ici, au fond de cette cave ? C'est pas là où vivent les chauves-souris d'habitude ? Regarde, je t'ai même apporté un petit brasero.
Contredisant ses paroles patelines, le Joker se saisit vivement d'un tisonnier tordu posé à côté et fourragea les braises avant de contempler l'incandescence. Son regard fixe inquiétant s'attardait sur son invité en sous-vêtements, et celui-ci se demanda une énième fois comment il avait pu tomber dans un piège aussi grossier. Cognant d'un coup imprévisible l'unique lampe suspendue, le dément admira ses mouvements pendulaires causant les ombres folles projetées sur les parois. Dans son dos, Batman sentit que le clown approchait.
— Je sais ce que tu te demandes, monologuait le geôlier à son oreille. Tu te demandes pourquoi mes hommes n'ont pas aussi retiré ton masque ? Mhh ?
R'as al Ghul lui avait dit qu'il n'étudiait pas assez le terrain. Il avait payé de sa vie cette certitude hâtive. Batman était concentré sur tous les sons qui pouvaient provenir de l'extérieur, mais le sonar de son casque était perturbé par les ondes vibrantes de la lampe. Sans doute était-ce fait exprès.
— …Eh bien, je parie ma belle chemise que ton costume et tes gadgets ont dû te couter un paquet de fric et… que tu n'iras nulle part sans eux.
Profitant de leur proximité, le prisonnier banda ses muscles et donna un coup de tête en arrière pour éclater le cartilage du nez de son hôte. Quand la chaise bascula au sol avec un choc sourd, il se tortilla pour approcher du tisonnier brûlant. Les chaines raclaient le sol pendant sa reptation mais il n'avait en tête que faire fondre les colliers de serrage en nylon qui lui sciaient les poignets en coupant toujours plus sa circulation à chaque ruade.
Indifférent son nez en sang, le Joker alla shooter dans le tisonnier pour l'éloigner. Quand il revint ce fut pour peser de sa chaussure sur le vaincu, à l'instar d'un chasseur inconséquent avec le cadavre d'une bête de la savane.
— Tss, quel ingrat ! se désola-t-il. Franchement, il y a pourtant pas mieux que regarder un film catastrophe à la télé entre amis.
— Qu'est-ce que vous voulez ? J'écoute !
L'ange noir protecteur de la ville gisait dans la poussière mais sa voix électroniquement modifiée restait intimidante si l'on oubliait la vision dérangeante que son corps offrait. Il portait les stigmates à vif de luttes acharnées et sauvages, couvert d'ecchymoses pourpres et de sutures malhabiles. Le clown s'en amusa. Son adversaire aimait souffrir pour sa cause, très bien…
— Te connaître. J'aime beaucoup ce que tu fais. Inspirer la peur, tout ça... Mais tu t'y prends mal. Je vais te montrer et tu seras aux premières loges.
— Hhm, souffla le captif en essayant de s'asseoir. Si c'est ça les premières loges, j'exige un remboursement…
Le Joker ricana.
— Un peu d'humour ? Ton cas n'est pas désespéré… Quel spectacle que tout Gotham à feu et à sang ! dit-il en passant la langue rapidement sur ses dents comme s'il s'en pourléchait d'avance. Enfin… moi je m'occuperai du feu, et mes nouveaux larbins de la pègre s'occuperont du sang. [2]
Il marcha jusqu'à la porte, mais revint sur ses pas pour frapper de nouveau violemment la lampe. L'abat-jour de ferraille heurtait le plafond et les ombres dansèrent à nouveau par saccades. La main sur la poignée, le Joker se retourna et plissa ses traits sous le maquillage outrancier qui était son propre masque.
— Surtout ne bouge pas. Je reviens bientôt.
.°.
-----------------------------
1
Les rayonnages factices de l'immense bibliothèque numérique ne présentaient aucune anomalie. Bien alignés, certains dos clignotaient en vert de temps en temps à la faveur d'un reboot. Ils se coloraient de vert trop pale pour être du jaune et puis tout revenait aussitôt à la normale après quelques secondes. Depuis bien longtemps, aucun n'avait approché l'orange.
Parfois, l'officier divisionnaire terrien de la Police Temporelle Des Représentations Littéraires Ou Ludiques espérait presque qu'il se passe vraiment quelque chose. Bien sûr, cela aurait été contreproductif, car la mission de leur organisation secrète était justement de s'assurer qu'il ne se passât rien… Mais quand même.
— Euh… Monsieur ? s'éclaircit une voix derrière lui.
Encore un autre planton hésitant sur le seuil, avec sa tablette à la main. Ils arrivaient là tout paniqués parce que des rumeurs parlaient d'une suite en préparation… Enseignait-on encore la résilience des univers ?...
Le Directeur leva les yeux et constata que le planton était peut-être davantage… une plantone. Avec tous ces quotas sur les minorités sexuelles pas assez visibles, il hésitait, cherchant comment s'appelait la femme qui se trouvait devant lui. Et ne trouva rien.
— Pardonnez-moi, j'ai oublié votre nom.
— Longbarrow, monsieur. Mais je suis nouvelle.
— Ah… bienvenue. Pourquoi désiriez-vous me voir ?
— On a une brèche de niveau 4.
Le directeur sursauta.
La jeune femme aux cheveux gris ne portait pas d'uniforme mais des vêtements civils pour se fondre dans les différentes époques fictives où les novices étaient envoyés sur le terrain – essentiellement pour des missions de surveillance de routine. Absolument pas jolie, elle passait haut la main le critère numéro un de camouflage : ne surtout pas se faire remarquer. D'après ses vêtements, il estima qu'elle devait être en poste fin du 20e siècle, peut-être début du 21e… La paléo-mode n'était pas son rayon.
Son visage exagérément grave et préoccupé l'enlaidissait encore davantage. Il admira le travail minutieux fait sur l'acné et se dit qu'il le mentionnerait à son dossier. Les lunettes épaisses, l'absence de maquillage, les cernes, tout le monde faisait ça. Mais l'acné rosacée ? Ce souci du détail était prometteur.
— Ce n'est pas un de ces énièmes bizutages des Anciens, hein Longbarrow ? D'où sortirait cette fameuse brèche dont je ne vois aucun écho ici, dit-il en montrant les étagères monotones qui ne s'allumaient même pas.
Elle déglutit en tendant maladroitement la main en direction du panneau de commandes sur le côté de sa table de travail.
— C'est-à-dire… Vous êtes restés sur « Littérature », monsieur. Là…
— Ah bon ? Il y existe quelque chose d'autre ?
Les yeux ronds comme des soucoupes volantes, elle spécula avec horreur sur son ignorance crasse et les moyens par lesquels son vis-à-vis septuagénaire au charme ravageur avait certainement obtenu ce poste élevé.
Sur un antique écran à LED qui faisait briller sa tonsure (certainement fausse), le Directeur fit défiler un catalogue rotatif sur fond noir, jusqu'à s'arrêter sur deux jaquettes sombres. Il se frotta le menton, plutôt stupéfait.
— Quoi ? C'est Batman ?! Mais… ?... Oh là ! Les autres supports commencent déjà à verdir. Oh, ça ce n'est pas bon ! Là, ça va trop vite. Toute la constellation est en train de passer à l'orange. Appelez Theta Sigma pour qu'il scelle les supports et convoquez un comité de crise immédiatement !
.
Sous la présidence énergique du Superviseur Thaï Amlord, au magnifique pelage blanc, l'examen de preuves audiovisuelles accablantes montraient que le début de Batman The Dark Knight avait été corrompu car le Joker n'y faisait plus sa grande apparition lors du vol de la banque. Elle était dorénavant le fait des hommes de Maroni, nouveau parrain depuis l'internement de Falcone à Arkham. Aussi l'impunité décomplexée de la pègre ne pouvait-elle signifier qu'une chose : Batman était fâché, absent au Tibet, détenu ou mort.
Les dernières scènes de Begins étant restées intactes, on supposa que le point de divergence était survenu entre deux génériques – ce était bien la marque d'un esprit retors, car qui allait bidouiller une réécriture dans les blancs d'une intrigue ? Alors avant que tous les films ultérieurs de la franchise ne soient mis en péril, l'intégralité de la galaxie DC fut temporellement figée sur pause.
Fut décidé également d'intervenir sur plusieurs fronts : trouver le responsable de la déviation pour le neutraliser, localiser Batman et gérer l'intérim pour éviter que Gotham ne sombre dans le chaos. En cas d'échec, les probabilités pour que justicier soit détrôné au box-office par un futur film à la gloire du Joker étaient de plus de soixante-dix pourcent.
Les agents Dulmer et Lucsly [3] furent assignés à la vérification de l'existence de potentiels complots gouvernementaux pour détourner l'intérêt du peuple pour la justice immanente. D'autre part, ils devaient dresser les profils psychologiques de tous les ennemis de Batman. La liste étant considérable, il leur fallait du temps.
Restés seuls dans la bibliothèque, le Superviseur, le Directeur et la Stagiaire s'entreregardèrent.
— Mais concrètement qu'est-ce qu'on va faire, nous, monsieur ? se lança Longbarrow en cherchant le soutien du Directeur divisionnaire Smith. C'est grave une brèche de niveau 4, non ?
— A circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Le Chevalier Noir ne peut pas disparaître. On va… recruter !
— Hein ? Mais vous allez faire quoi ? Passer une petite annonce ? ronchonna son subalterne. Je connais bien l'univers de Batman, vous savez. Tous ceux qui essaient de l'aider tournent mal ou meurent...
Rompant totalement avec les soupçons qu'il suscitait, notamment ceux d'être un gros connard qui ne se donnait que la peine d'exiger des résultats sans chercher s'ils étaient réalisables, Amlord renvoya une œillade comploteuse aux deux autres, se pourléchant manifestement par avance de ce qu'il allait dire.
— Non, pas de petite annonce, nous allons faire passer un casting !
Les devançant, il poussa la porte bleue du bureau voisin qui était plus grand à l'intérieur qu'il ne le paraissait.
— ...et comme vous le soulignez, il faudra sûrement aller puiser des ressources ailleurs.
— Ailleurs ? s'étrangla le divisionnaire inquiet. Vous ne pensez tout de même pas à…
— Si ! Un crossover ! confirma-t-il fermement. Et s'il le faut, j'irai jusqu'au crossover temporel !
Longbarrow lâcha sa tablette avec un cri.
Jamais de toute l'histoire de la Police Temporelle Des Représentations Littéraires Ou Ludiques, on n'avait envisagé une manœuvre aussi risquée.
.
Une fois tous installés à table, le Superviseur leur communiqua différents dossiers en rapprochant sa tablette des leurs.
— Sigma a fait un saut demain et nous a déjà rapporté un premier tri grossier. Les critères que j'ai demandés étaient : disponible de suite, pas de romance notable en cours, habitué à une double identité, sportif en très bonne condition physique, arts martiaux ou approchant.
— Le milieu social n'est pas pris en compte ? tiqua le Directeur divisionnaire.
— On verra. Il n'est pas censé remplacer Bruce Wayne, seulement Batman.
— Presque tous les super-héros et justiciers cochent ces cases… Est-ce qu'il ne faut pas assurer le coup en prenant directement Superman ? Lui au moins, il est dur à tuer, observa la plantone en feuilletant les profils.
— Je comprends votre argument, madame. Mais, considérez la ligne temporelle. Ils sont censés se combattre dans des cinématographies futures. Si Kent marche dans les bottes de Wayne pendant un temps, il pourrait se rallier à lui trop tôt sans laisser aux autres le temps d'apprendre à travailler ensemble contre un ennemi commun… Alors qu'adviendrait-il de Justice League ?
— Peut-être bien le montage de Zach Snyder ! renifla la stagiaire avant de se taire sous leurs regards courroucés. [4]
— Bon alors pourquoi pas Oliver Queen ? avança Smith. C'est un justicier, golden boy dans le civil… A date égale, il est encore sur son île mais on n'aura qu'à le récupérer plus tard, quand il sera au point.
— Ah, mais justement, puisqu'on en parle, son truc c'est bosser en groupe et Batman est un solitaire incrusté… objecta Longbarrow. J'ai peur que ça n'aille pas si Queen rameute tous ses copains et démunit Starling City... Et puis, pour le costume super lourd, et les gadgets ?
— Ça ira si on met Alfred sur le coup, songea tout haut le Superviseur. Il pourrait lui expliquer le maniement. C'est plus la relation avec Black Canary qui m'inquiète. Gardons-le de côté, qu'est-ce qu'on a d'autre ?
— Mais monsieur le Superviseur, quand vous dites crossover… vous voulez dire… carrément sortir de DC ? Parce que riche, costume blindé, recherche et développement, nul en romance et joueur solo… Il y a… Iron Man.
— Ça ne me ferait pas peur !
— Oui, bah moi ce qui me fait peur, c'est que niveau identité secrète, il est moyen, lâcha la dame en fronçant ses sourcils non épilés.
.
Deux heures après, la liste des noms rayés croissait. Malgré les idées fraîches de Theta venu en renfort et qui était allé jusqu'à penser vraiment en dehors de la boîte en proposant un mutant ou un dieu, les trois membres de la commission de recrutement restaient fixés sur le postulat d'un justicier sans pouvoirs supérieurs (autre que l'argent et l'intelligence).
— Daredevil ? Nocturne, très sportif, endurant. Il opère certes sur un quartier plus restreint qu'une métropole mais… zéro relation féminine, c'est bon ça. Pas très riche mais avocat, on valide ?
— NON. Il est sombre, il fait la gueule et il prévient PERSONNE qu'il se met en DANGER, parce que Matt Murdock est un sale MASOCHISTE ! cria Longbarrow avec une fureur contenue. Il va se faire tabasser bien comme il faut, et il en redemandera, ce pauvre CRÉTIN ! Et on ne pourra plus le faire partir dans son monde ou alors en miettes ! Et la préservation des univers vous pourrez vous la foutre au c…
Les deux autres sursautèrent, se regardèrent en coin et ne firent pas d'autre commentaire, en plongeant le nez dans leurs tablettes respectives.
Le Divisionnaire Smith retira sa cravate et se décontracta le dos en s'arquant en arrière sur sa chaise. Paupières closes, il garda les mains sur sa nuque un instant, exposant son glorieux profil de rond-de-cuir chauve avantagé par la Nature. Le syndrome du vieillisme, les infiltrations de rides, il fallait que ça cesse. En attendant Longbarrow était d'assez mauvaise foi pour oublier qu'elle se décolorait pour obtenir ce gris terne.
— Oh, j'en peux plus, geignait-il. Ça fait des heures qu'on tourne en rond. Pas assez ceci, trop cela. Pas dispo, trop fragile, trop voyant, trop dangereux (non mais Loki ? sérieusement ?) Y en a marre. Si le remède peut être pire que le mal, balançons-leur Deadpool et qu'on en finisse ! Il va traumatiser les malfrats, les mutants et les maboules d'un coup. Ils fuiront ventre à terre sur la côte Ouest, pour mettre des kilomètres entre eux et lui… Et en plus, il est au courant pour le monde qui nous regarde.
Longbarrow haussa les épaules en bougonnant.
— Oui, bah ce compte-là, nous aussi on est au courant, hein ?
— Et vous, vous proposez de faire quoi ? Descendre sur le terrain cosplayée en Harley Quinn peut-être ? Vous avez été recrutée pour des qualités qu'elle n'a pas !
— Et pourquoi pas ? s'offusqua-t-elle, même s'il avait raison. On avancerait peut-être plus en espionnant le Joker !
— Mes amis ! trancha Amlord en claquant fermement ses deux paumes sur la table. Nous, c'est normal qu'on sache, nous sommes la Police Temporelle, il faut que nous soyons au courant. Allez, on avance. Quoi d'autre ?
Smith se prit la tête dans les mains.
— Écoutez, je ne sais plus. Moi je vous ai proposé Wonder Woman, elle aurait déchiré. On s'en fout bien si Catwoman a déjà un lasso… En cinq minutes tout à l'heure, Sigma a aligné des super propositions. Quicksilver il était parfait, personne ne le voit venir ! Vous n'en avez pas voulu non plus… J'ai plus les idées claires, là. Faisons une pause. Je veux bien alterner avec Dulmer, je vais voir s'il est d'accord.
Un gros silence accueillit cette déclaration qui sonnait comme un constat d'échec. Parce que oui, on ne se trouvait pas dans ce genre d'histoire où la troisième proposition était toujours la bonne pour ne pas lasser les spectateurs… Dans son dos, la stagiaire désespérée lâcha une petite bombe :
— Et si on piochait dans l'écurie Disney ?
Mains sur la poignée, le Divisionnaire se retourna, à la fois sarcastique et narquois.
— Mais bien sûr. C'est ça, allez demander à Maléfique ! Elle a déjà la cape noire et les cornes !
Il leva les yeux au ciel en haussant les épaules, puis claqua la porte derrière lui.
Le Superviseur fourragea dans ses boucles laineuses, médita un instant, et puis posa les deux avant-bras à plat sur la table. Il considéra la jeune ambitieuse d'un œil acéré et se pencha pour demander comme un conspirateur :
— Et à quoi pensiez-vous, mon petit ? Vous aviez quelque chose de précis en tête ?
— Justicier masqué à double vie, cape noire, issu de la bonne société, pas de relation amoureuse stable, habitué à traiter avec un serviteur entièrement dévoué et secourable, agilité physique de gymnaste, moyen de locomotion noir et… caverne secrète !
— Ouh! Qui est cette perle rare ? Il y a un piège ? Vous n'avez pas parlé des aptitudes au combat. Il redresse les torts sans violence, c'est ça ?
— Bon, ce n'est pas une grosse brute, il compense avec l'intelligence en utilisant le terrain. Niveau armes, il est plutôt fort… à l'épée.
— A l'épée ? C'est une blague ? Mais qu'est-ce qu'il va faire avec une épée face à un bazooka ? Non, ce ne serait pas raisonnable…
— Mais si ! Le vrai hic, c'est qu'il a cent cinquante ans de retard. Mais c'est là que votre idée d'impliquer Alfred est excellente, monsieur le Superviseur. Il va tout lui expliquer, lui apprendre le fonctionnement des gadgets et Zorro sera opérationnel en un rien de temps. C'est quasiment canon, Bob Kane a avoué qu'il avait tout pompé… Et puis ce n'est que pour quelques jours, non ?
— Zorro ! Eh bien, niveau décalage temporel, vous m'avez pris au mot !… Le problème, c'est qu'à part maintenir l'ordre, il aura une autre mission.
— Comment ça « une autre mission » ? Il va déjà avoir bien assez à faire !
— Hey dites, Batman, vous croyez qu'il va se retrouver tout seul ?
.°.
-----------------------------
2
Le jeune homme brun avait la tête enfouie dans l'oreiller d'un lit ferme mais doux dont les draps exhalaient un parfum de fleur entêtant. Le crâne pulsant encore d'une douleur violente, il entrouvrit les paupières, se souvenant qu'on l'avait lâchement frappé par derrière quand il avait quitté la cache d'entraînement de Diego. Comme il avait connu de pires bosses, il se redressa prudemment et constata qu'il était revêtu d'un pantalon soyeux. Sur le rebord d'une chaise proche, sur ses vêtements magnifiquement pliés, sa chemise rayonnait d'un blanc éclatant. Et sur le parquet, ses bottes reluisaient.
Qu'est-ce qu'il faisait là ? C'était assurément la demeure d'un don mais de quel pays ? Il se leva pour aller à la fenêtre aux épais rideaux. L'immense jardin vert ainsi que la fraîcheur, lui confirmèrent qu'il n'était pas chez lui.
Un toussotement le fit se retourner et il vit un vieil homme compassé, ridé, le cheveu rare, portant à deux mains un plateau d'argent recouvert de victuailles. Raison pour laquelle il ne remarqua pas de suite ses vêtements inhabituels.
— Monsieur… « de la Vega », je présume ? Venez prendre un petit déjeuner. Vous semblez en avoir besoin.
Le serviteur avait un accent tout à fait anglais. Et le même ton pincé que l'exécrable capitaine Love, qui portait si mal son nom.
— Je ne suis pas de la Vega, répondit-il posément. Est-ce que je peux déjeuner quand même ?
L'homme au plateau attendit quelques secondes.
— Vraiment ? Vous ne seriez donc pas le justicier qui se fait appeler Zorro ?
— Euh… si, señor. Mais je ne suis pas de la Vega. Et en ce qui me concerne, ce vieux fou peut aller au diable.
— Hum. Et dans ce cas, à qui ai-je l'honneur ?
— Alejandro Murrieta, pour vous servir. Et j'ai peur d'être le seul Zorro qui reste à mon pays.
— Murrieta ?
Contre toute attente, ce nom était familier au majordome. Encore enfant, il avait eu le rare privilège de pouvoir regarder une ou deux fois la télévision au Manoir quand son père servait déjà la famille. De ce fait, il avait découvert le héros au masque et à la cape, et avait dévoré les romans et tout ce qui le concernait sa légende. Aussi sa prochaine question fut-elle relativement érudite :
— Seriez-vous apparenté au bandit du même nom ?
— Je l'étais. Mais j'ai peur d'être tout autant le seul Murrieta qui reste à mon pays… reconnut-il avec un léger sourire mi-figue, mi-raisin.
Le vieux domestique inclina la tête et déposa le plateau sur un guéridon, en indiquant seulement qu'il se retirait et qu'il fallait appeler s'il avait besoin de quelque chose.
— Certes, mais vous appelez comment ? Votre nom ?
— Alfred, monsieur.
— Très bien, Alfred, il me manque quelque chose.
— Oui, monsieur ? Plus de café ?
Le poing sur la hanche et désignant la vaste pièce autour de lui d'un geste ample, le jeune homme poursuivit :
— Je pensais plus à des explications.
L'homme âgé se permit de laisser paraître un léger amusement.
— Comme je vous comprends. Vous êtes dans la demeure de M. Wayne. Je reviens dans une petite minute, assura-t-il avant de s'effacer par une grande porte.
Alejandro se saisit d'une fine tranche carrée de pain grillé qu'il croqua avidement, avant de considérer l'œuf dressé sur un petit présentoir. Même à la table de Montero, il n'avait rien vu d'aussi raffiné. Il sortit l'œuf prudemment et le but comme à une petite coupe.
.
La veille au soir, de mystérieux soi-disant extraterrestres lui avaient déposé « Zorro » sur le pas de porte du Manoir. Ces individus peu loquaces avaient laissé le colis inconscient avec une note épinglée sur sa poitrine disant seulement « Faites-en un Robin décent si vous voulez revoir votre maître ». Bien sûr, Alfred n'avait pas la moindre idée de qui était « un Robin ».
Les kidnappeurs d'un nouveau genre avaient poussé la courtoisie jusqu'à lui laisser un numéro de téléphone : des éclaircissements s'imposaient. Car l'homme laissé à sa garde réticente avait clairement indiqué : 1, qu'il portait le nom du personnage historique sur lequel on avait bâti la légende de Zorro d'une part – ce qui pouvait se comprendre mais pas s'expliquer – et 2, qu'il connaissait bien un de la Vega, ce qui était beaucoup plus surprenant, considérant que ce dernier n'était qu'une pure invention romanesque... Le plus troublant était ses vêtements non manufacturés et cousus à la main. Pourquoi se donner tant de peine pour une farce ?
Après un conciliabule incompréhensible où il était question « d'un atterrissage trente ans trop tard », il s'était vu répondre avec aplomb que ça ferait l'affaire.
— Mais l'affaire pour quoi ? avait voulu s'assurer Alfred, qui craignait d'avoir compris, s'il mettait de côté l'invraisemblable.
— Plus ou moins remplacer votre maître dans son activité secrète, le temps qu'il soit retrouvé. Tout ira bien. Faites-lui le topo et le tour du propriétaire, répondez à ses questions, il saura se débrouiller.
— Écoutez, je ne sais pas qui vous êtes, mais si vous avez des moyens supplémentaires dont ne disposeraient pas les Industries Wayne, vous seriez bienvenus de les utiliser promptement !
— Comprenez bien que ne pouvons pas intervenir ouvertement sans aller contre la loi. Nous, nous sommes la Police, pas des francs-tireurs.
— J'apprécie mal votre ironie. M. Wayne a complètement disparu depuis presque quarante-huit heures, si vous savez quelque chose, dites-le !
— Pas encore. Nous recherchons de potentiels responsables parmi ses ennemis. Gardez l'information secrète. Surtout, n'en parlez à personne.
Mécontent, Alfred raccrocha sèchement.
Qui voudrait le croire, de toute façon ? Il se retrouvait avec un invité surprise, à l'identité plus que douteuse et sans doute nullement opérationnel. Il lui fallait des renforts.
La seule autre personne capable de tenir sa langue tout en comprenant les implications était Lucius Fox, le directeur de Wayne Industries. Ami de la famille, il avait fourni à Bruce tout le matériel offensif et défensif, issu de prototypes refusés par l'Armée.
.
Le système de vidéo-surveillance interne retrouva le jeune vagabond dans la bibliothèque de l'aile Sud-Est. Il s'empressa de le rejoindre : mieux valait éviter de le laisser traîner ses doigts curieux et potentiellement chanceux. S'il déclenchait l'ouverture du passage secret, les explications seraient d'autant plus délicates à donner.
Quand il entra dans la pièce, Murrieta était en train d'appuyer méthodiquement sur chaque bouton de la télécommande de la télévision. L'affichage d'un film de guerre le mit en garde aussitôt. Le majordome toussa dans son poing pour se signaler. Jetant la télécommande derrière lui, le petit fouineur adopta une pose qu'il voulait dégagée contre le couvercle du piano.
— Je n'ai rien fait ! déclara-t-il avec une confondante mauvaise foi et, pour changer de conversation, il désigna l'écran. Qui est cette belle señorita qu'on voit par cette étrange fenêtre ?
— Miss Dawes, une amie de mon maître.
— Sa bonne amie ? Je comprends pourquoi… Viendra-t-elle ici ?
Alfred coupa le son et se retourna vers le jeune homme. Dans sa tenue contrastée, celui-ci possédait une certaine prestance, si on exceptait la toison hippie sur le crâne. Des bretteurs, il avait le port droit et l'aisance physique. Son teint basané faisait ressortir des dents blanches au sourire canaille et ses yeux de velours sombre.
— Non, miss Dawes est fiancée à un autre homme.
— Pourquoi ? Votre maître est-il… disgracieux ? demanda-t-il avec un mouvement de la main devant son visage.
Le majordome se planta devant lui et répondit avec une forme de fierté mêlée d'amertume :
— Mon maître ressemble à un homme qui a voué sa vie à lutter contre les injustices et à aider les gens de Gotham. Il le fait dans le secret et à son propre détriment, refusant de nouer des attaches romantiques de peur de les exposer au danger et aux ennemis qui le veulent mort. Il s'est assombri car cette vie de service à passer pour un hors-la-loi est dure pour l'âme. Mais il donne le change à merveille en jouant au jeune homme riche et frivole.
.
Les yeux de Zorro flamboyèrent d'une profondeur imprévue. C'était exactement ce qu'avait fait autrefois le vieux de la Vega.
— On dirait que ce n'est qu'une moitié de mensonge : votre maître est effectivement riche. Enfin, je crois ? Ou tous les habitants de ce pays possèdent-ils des demeures où tiendraient cinquante haciendas ?
— Pas tous, non. Loin de là.
— Il y a de pauvres gens que les gouverneurs exploitent ?
— Des quantités, hélas.
— Dites-moi pourquoi ? Moi, je n'ai pas d'autre choix que de porter le masque pour rosser la garde. Mais lui, sa fortune lui permettrait de devenir un bon gouverneur soucieux du peuple. Il pourrait changer les choses sans avoir à se cacher !
— J'aime votre bon sens, M. Murrieta…
— Alejandro, le corrigea-t-il en se servant sans demander à une carafe d'alcool.
— J'aime votre bon sens, M. Aleh-handro. Mais mon maître, s'il est intelligent, est trop borné pour être un fin politique.
Murrieta gloussa et avala une gorgée d'armagnac avec l'air de le trouver fameux. Chez lui, les valets n'étaient pas si libres de parole et se seraient fait mettre dehors pour moins que cela.
— Sait-il tout le bien que vous pensez de lui ? Pourquoi don Wayne n'améliore-t-il donc pas la vie des gens autrement ? Cet homme, là, dans la fenêtre, le panneau sous son visage dit qu'il est juge. Il est regardé avec respect. Est-ce un bon juge ?
— Ah, fit Alfred. Dent. Le chevalier blanc. Eh bien, Bruce Wayne a perdu confiance dans la justice des hommes. Il se serait peut-être laissé tenter s'il n'avait vu son père, qui était un bienfaiteur, assassiné sous ses yeux d'enfant sur ordre de personnes malfaisantes.
Alejandro baissa les paupières sur le contenu cuivré de son verre. Il le vida d'un coup, savourant encore l'amertume d'un breuvage moins acre que le formol où avait été conservée la tête de son pauvre frère Joaquín. Il savait ce que c'était de perdre son unique famille. Il savait ce que c'était aussi de réclamer une justice qui ne venait jamais.
— Et combien sont-ils ? questionna-t-il en le regardant droit dans les yeux pour sonder la sincérité de sa réponse.
— Des quantités, hélas, réitéra le vieux serviteur.
— Et où est-il votre señor Wayne aujourd'hui ?
— Je crains qu'il ne soit tombé aux mains de ses ennemis. Et je suis très inquiet.
Zorro opina, posa le verre vide sur le piano d'un geste précis et vint se planter debout devant lui.
— Vous êtes un brave homme. Mais pourquoi n'avez-vous pas demandé l'aide du « chevalier blanc » ?
Alfred sourit patiemment.
— N'avez-vous pas retenu la partie où je disais qu'il était considéré comme un criminel ? Un juge perdrait son intégrité s'il soutenait un hors-la-loi…
— Si fait ! Vous pensez donc qu'il faut un cavalier masqué pour aider un chevalier noir ? C'est pour ça que je suis là ?
Le silence du majordome parlait de lui-même.
Alejandro fit quelques pas en arrière avec un soupir. Bras croisés, il caressa pensivement sa petite moustache fine, considérant ses options. Il ne fallait pas être une lumière pour comprendre que ce n'était pas seulement un autre pays, mais probablement un autre temps aussi. Comment était-il possible de bondir comme ça de mille ans ou plus ? Les objets étaient si incroyables et incompréhensibles, leur matière lisse n'était pas moins déconcertante que leur usage inconnu.
A son corps défendant, la curiosité l'enflammait et sa jeunesse n'aidait en rien à la calmer. Pour poursuivre ses propres objectifs égoïstes, Diego l'avait abandonné ainsi que les esclaves de la mine d'or, et il en était terriblement déçu. Il n'était pas certain d'être à sa place ici, mais il le pensait aussi avant que le vieux caballero ne lui enseigne comment passer pour un don…
— Je n'ai pas quitté un vieux raseur pour m'en encombrer d'un autre, prévint-il l'index tendu.
— Quel autre ?
— De la Vega. C'est lui qui… m'apprend.
— Ha. Si je me souviens, il était respectueux de qui le servait, lui.
Alejandro suspendit son geste et lui jeta un coup d'œil en coulisse. Il se demandait comment il était possible qu'Alfred connaisse le vieux Diego. Il se demandait si abandonner lui aussi les gens de la mine n'allait pas à l'encontre de l'idéal de Zorro qu'il s'était promis d'incarner à son tour. Il se demandait si Elena au teint de lait et aux tétons roses allait se mettre à danser « fougueusement » avec un autre. Elle lui manquait déjà. Il se demanda aussi soudain si rentrer chez lui était d'ailleurs encore possible…
— Est-ce que je suis coincé ici pour toujours ?
C'était une chose que de vouloir découvrir ce monde étranger et extraordinaire, et une autre que de se dire qu'il n'en connaitrait plus d'autre… Alfred déclara que les personnes qui l'avaient amené assuraient qu'il repartirait sitôt le travail accompli. Ouvrant les vannes de sa soif de savoir, il posa toutes les questions qui pouvaient lui venir à l'esprit, conscient qu'elles prouvaient qu'il avait déjà pris sa décision.
Serait-il absent longtemps ? Wayne avait-il une cache secrète où il gardait son costume et son cheval ? Avait-il un lieu pour s'entraîner ? Pouvait-il les voir ? Pourrait-il utiliser son épée ? A tout, le serviteur répondait oui.
— Pourrai-je monter son cheval ? s'enhardit-il. Je ne serai pas fâché de changer, le mien est une vilaine carne indocile qui ne pense qu'à me jeter à terre.
— L'animal sait-il tout le bien que vous pensez de lui ? ironisa Alfred. Ma foi, je crains que vous ne dussiez apprivoiser un peu sa monture avant qu'elle ne cesse d'agir de même…
Cette avalanche de réponses positives se conclut par une question émanant cette fois du valet en redingote, habit qu'il devait avoir emprunté à son maître. Un air de bonté revêche mais inquiète flottait sur ses traits.
— Est-ce que vous comprenez à quoi vous vous engagez ? insista-t-il en tapant sur trois touches du piano.
— Oui. Attraper les criminels et les mauvaises gens. Défendre le peuple contre eux. Les faire mettre en prison.
Les touches de piano avaient fait ouvrir la porte d'un passage secret astucieusement masqué par une bibliothèque. Alejandro aurait voulu en parler à Diego, l'idée était fantastique. Il suffisait de creuser un tunnel souterrain jusqu'à l'écurie.
— Ce n'est pas tout. Vous devrez aussi aller à la poursuite de celui ou ceux qui ont pris le Batman.
— Qui ça ? s'étonna-t-il en s'engouffrant à sa suite dans une petite cage à poulie qui commença à descendre.
— Zorro compte sur sa ruse, Batman veut inspirer la peur chez ses ennemis afin qu'ils renoncent.
Le jeune homme fit la moue mais eu l'air d'accepter l'explication. Leur petit transport de fer les conduisait dans les abysses d'une caverne naturelle gigantesque, la profondeur semblait vertigineuse. Il y avait des lumières artificielles et toujours plus d'objets inconnus.
— Vous allez rencontrer des hommes très étranges, continua Alfred imperturbable, d'une violence et d'une cruauté à laquelle vous n'êtes peut-être pas prêt. A leurs armes non plus. Elles ne ressembleront à rien de ce que vous connaissez…
— Quoi donc ? Plus de fusils, d'explosifs, de poisons ? s'enquit-il en faisant quelques pas impressionnés sous la voûte sombre.
— Si, tout cela existe ici. Mais il y a des canons capables de raser une cité où vivent des millions de gens. Des fusils à l'épaule qui envoient des fusées valant mille bâtons de dynamite.
— Quoi ? Il y a des villes où vivent des millions de gens ?
— Je vous parle d'armes à la puissance destructrice inégalée et vous êtes surpris par le nombre d'habitants ?
Alejandro haussa les épaules.
— La guerre c'est toujours la guerre, déclara-t-il sombrement. Intimider, soumettre, détruire… Un fusil comme celui-là ?
Il s'était saisi d'un lance-roquettes prêt à monter sur la Batmobile en le tenant par le mauvais côté. Alfred le lui ôta prestement des mains en le reposant délicatement sur la table où il se trouvait.
— Ho là, doucement, ne touchez à rien. Vous tenez ce fusil extrêmement dangereux par le mauvais bout. N'allez pas vous estropier avant d'avoir pu commencer à prendre du service !
Murrieta rit à gorge déployée et s'appuya sur la table et le rassura d'un air taquin, car il aimait bien ce vieux grincheux :
— Je le savais. Je ne suis pas idiot. Généralement, mieux vaut éviter le côté troué du canon. Où est le cheval ?
Quand on lui montra une sorte de machine en fer toute noire cachée sous une bâche cirée, il resta stupéfait. Il tâta suspicieusement les deux grosses roues au toucher souple, les fusils à l'avant qui pointaient agressivement. Complètement disproportionnée, la chose n'avait pas de selle apparente, pas de rênes, pas d'étrier, et pour tout dire, il ne voyait pas comment maintenir dessus une assiette correcte…
— Ceci n'est pas un cheval. Je mettrais trop de temps à apprendre comment lui parler. Donnez-moi au minimum un étalon, une épée, une cape et un foulard pour masquer mon visage. Noirs autant que possible.
— Avec ceci, vous ne survivrez pas longtemps ! prophétisa derrière eux une voix plus grave.
.
Le bruit métallique de la cage de fer les fit se retourner. Un autre ancien grisonnant s'avançait lentement vers eux, l'air aimable. Il avait le front haut et le visage noir grêlé, portait une veste de peón coupée dans une étoffe fine, et lui aussi avait des mocassins de cuir fin très ajustés aux pieds. Trop surpris, le jeune Zorro accepta mécaniquement la poignée de main de celui qui se présenta comme « Lucius Fox, directeur des Industries Wayne ». Il ne cacha pas bien son incrédulité mais le masqua d'une pirouette comme le lui avait conseillé Diego.
— Alors finalement il y a bien un renard… Alejandro Murrieta pour vous servir. Et je trouve prodigieux que vous soyez le directeur d'une grande usine !
Quel monde équitable était-ce donc là ? Où les serviteurs parlaient comme des seigneurs, les personnes de couleur dirigeaient des affaires de commerce. Et puis quoi d'autre ? Où les enfants ne travaillaient pas non plus ?
Interrompant là ses réflexions, le « directeur » l'informa qu'il allait l'emmener en ville pour qu'il puisse voir par lui-même. Il réclama un autre costume à l'homme blanc comme s'il était son maître. Quand Alejandro comprit que c'était pour lui, il se mit à protester en serrant les bras contre lui.
— Mes vêtements sont très bien et merveilleusement propres ! Je veux les garder !
— Certes, mais ils ne sont pas à la mode d'ici. On verra bien assez que vous êtes un étranger, même si vous ne les gardez pas. Vous vous ferez moins remarquer, si c'est possible.
— Et par qui le serais-je ? Je ne suis pas vêtu en caballero ! Personne ne prêtera attention à moi !
Diego le lui avait affirmé avant d'aller chez le gouverneur Montero, esclaves et domestiques étaient quasi invisibles. Les deux vieillards échangèrent un regard de connivence mais ils ne semblaient pas vraiment se moquer de lui.
— Mon jeune ami, en ce qui vous concerne, tout titre de noblesse sera aisément remplacé par quelque chose dont vous êtes plus amplement pourvu.
— Et qu'est-ce que c'est ?
Affable, Alfred inclina la tête.
— Le charme.
Alejandro sourit. La meilleure leçon du vieux Diego avait donc porté ses fruits au-delà de toute espérance. Il n'était pas sûr qu'il puisse triompher des méchants de cette ville en usant seulement de son sourire et de sa lame. Il pouvait toujours essayer.
Après tout, ce n'était pas tous les jours qu'il avait un chevalier en détresse à sauver.
.
.
FIN
.
.
[1] Ici, il s'agit du charbon.
[2] Certains fans remarqueront que je mixe certains éléments du 3e volet. Cette façon de laisser Batman « au trou » et de lui faire regarder la ruine de Gotham à la télé est le plan de Bane.
[3] Agents du Département des Investigations Temporelles de la Fédération des Planètes Unies, rattaché au Conseil Scientifique (Star Trek Deep Space 9 et Voyager)
[4] Fanfiction des plus à jour au moment de sa rédaction.