Cycle III : Le cycle de Nourasie

Éva avait les mains dans les poches lorsqu'elle arriva sur la piste d'atterrissage en compagnie de Rick. Le vaisseau de la Coalition Terrienne était toujours là, à la même place. Stan et Koji, avec l'aide de plusieurs membres de l'équipage, s'affairaient à décharger l'Arrow-Star, soigneusement caché sous une bâche protectrice.

- Besoin d'un coup de main ? s'écria-t-elle, les paumes en porte-voix.

Elle leur adressa un grand signe, puis courut à leur rencontre. Le bruit qu'émettait le treuil chargé de sortir le vaisseau était assourdissant. Koji le contrôlait à distance avec sa tablette. En douceur, le Star-Racer d'Éva toucha le sol et rougit au contact de la poussière vermillon.

- Bien content de voir arriver des bras en plus, commenta Stan, qui mordillait un brin d'herbe. Ces gars sont serviables, mais ils n'ont pas l'habitude. Tenez, accrochez donc ces cordes aux mousquetons, pour pouvoir tracter l'Arrow jusqu'au stand.

Il désigna les câbles métalliques éparpillés sur le sol. Éva en saisit un, puis s'approcha du vaisseau pour le passer dans l'un des crochets. Une voix qui semblait provenir d'au-dessus de sa tête la fit sursauter.

- Envoie, Molly !

Elle éclata de rire en apercevant David, debout sur la bâche du Star-Racer. De toutes ses forces, elle lança la corde, qu'il rattrapa sans mal grâce à ses réflexes de tireur.

- Je te préviens, s'il y a une seule rayure sur mon bébé, c'est toi qui devras le repeindre.

- Compte sur moi !

À côté d'elle, Rick s'était mis à l'ouvrage. Il avait déjà attaché l'un des câbles et Éva en fit de même. À eux cinq, il ne leur fallut pas longtemps pour relier l'Arrow-Star à une plateforme mobile, qui leur permettrait de le déplacer.

- Eh, Molly, tu veux conduire ? proposa Koji.

- Et pourquoi pas moi ? coupa Rick. Molly doit se ménager pour la compétition

- T-Toi ? bégaya l'adolescente. Mais... Je croyais que...

- Je ne peux pas piloter de Star-Racers à cause du stress et de la poussée d'adrénaline que ça implique. Ce tas de ferraille ne doit pas dépasser le soixante-dix kilomètres heures, pas de quoi me retourner la cervelle.

- Hum... Si tu le dis. Sois prudent, quand même.

Stan et Koji s'assirent sur la plateforme en murmurant à voix basse, tandis que David tendait la main à Éva pour l'aider à se hisser sur le toit de l'Arrow-Star. Rick rajusta ses mitaines en cuir au moment de s'installer aux commandes et, sous le regard attentif de toute l'équipe, démarra.

Malgré quelques ornières dans lesquelles les roues du véhicule s'enfonçaient par moments, le trajet se déroula sans anicroche. Rick ne paraissait pas avoir de difficulté à conduire l'engin et Éva l'observait, allongée à plat ventre sur la bâche du Star-Racer. Elle n'osait imaginer à quel point le pilotage devait lui manquer, pour qu'il se contente de si peu.

- Vous avez eu l'occasion de voir le stand ? demanda-t-elle à David.

- Seulement Koji. Je suis resté avec Stan pour commencer à décharger, en attendant qu'il revienne. Je vais le découvrir, exactement comme toi.

Ils longeaient désormais une rivière dont l'eau avait une teinte bleu turquoise, pareille à celle d'un lagon. Elle était si belle et si pure qu'elle donnait envie de s'y baigner, quitte à plonger tout habillé. Éva secoua la tête pour chasser cette idée de son esprit, car elle se connaissait assez pour savoir qu'elle en était parfaitement capable.

- Comment se sont passé tes retrouvailles avec ton prince ? s'enquit David.

- Ce n'est pas mon prince, répliqua-t-elle en rougissant, avant de lui donner un coup de coude dans les côtés. C'était... super bizarre. À la fois très protocolaire, et en même temps très détendu. Sa mère m'a prise dans ses bras. Elle m'est reconnaissante de l'aide que j'ai apportée à Aikka sur Oban.

- C'est bien qu'elle t'apprécie. Pour la diplomatie, ça simplifie les choses.

Éva acquiesça. Elle ouvrit la bouche pour poursuivre la conversation, mais elle oublia ce qu'elle était sur le point de dire sitôt que son regard se posa sur d'immenses constructions, un peu plus loin, qui paraissaient flotter sur l'eau. En plissant les yeux, elle s'aperçut que c'était effectivement le cas.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? s'exclama-t-elle.

- Les stands, indiqua Koji. Ce sont en fait d'énormes bateaux destinés à naviguer sur le Lynka, le nom que les Nourasiens ont donné à ce fleuve. Apparemment, il n'y aura pas de terrain fixe, un peu comme sur Oban.

- Vous n'avez pas pu obtenir d'autres infos sur le déroulement de la course ?

- Rien du tout. Je suppose que tout sera dévoilé lors de la première épreuve.

- On ne connaît même pas le nombre de candidats ?

- Pour ça, faudrait compter les stands, lâcha Stan. Si tu as du temps à perdre, je te souhaite bon courage.

Les bâtiments flottants formaient une sorte de ligne, à la surface du fleuve, qui s'étendait à perte de vue. Éva songea qu'ils ne seraient sûrement pas aussi nombreux que sur Arouas, avant de se rappeler qu'il y avait également des peuplades extraterrestres qu'elle n'avait jamais rencontré et qui pilotaient sur Darouar et Sangrar, les deux autres planètes des présélections.

Éva étudia les symboles qui ornaient les stands devant lesquels le véhicule passait. Si quelques-uns lui parurent familiers, elle fut incapable de les associer à des concurrents qu'elle aurait rencontrés par le passé. Elle se demandait si elle verrait ici des visages connus et, si c'était le cas, si elle y tenait vraiment. Elle s'était fait beaucoup plus d'ennemis que d'amis lors de la Grande Course.

- Nous y sommes, annonça Rick. Tout le monde descend !

Ils venaient de s'arrêter devant une grande porte en fer, ornée de deux rectangles obliques aux extrémités arrondies, séparés par un point. Koji pianota sur sa tablette et activa à distance l'ouverture de l'entrée, pendant qu'Éva et David sautaient à terre.

L'intérieur du stand ressemblait beaucoup à celui d'Arouas, avec un grand espace dégagé pour accueillir le Star-Racer. L'équipe terrienne se mit aussitôt à l'ouvrage pour déplacer l'Arrow-Star. Tandis qu'ils le manœuvraient précautionneusement à l'aide d'un treuil, une exclamation joyeuse retentit. Stan et Koji stoppèrent tout et Rick, Éva et David se tournèrent vers les deux silhouettes en approche.

Elles étaient plutôt petites, n'excédant pas le mètre vingt, et leur apparence était celle d'un poulpe, avec un crâne allongé et des mains pareilles à des tentacules. Celui qui arborait un foulard affichait une expression bienveillante, contrairement à son acolyte renfrogné. Ce fut lui qui s'exprima en premier :

- Tiens, tiens, les humains... Comme on se retrouve !

Il leur jeta un regard intimidant qui incita David à se pencher vers Éva pour lui demander s'il devait armer un canon. Elle sourit, mais avant d'avoir eu le temps de répondre, Stan et Koji s'écrièrent en chœur :

- Flint ! Marcel !

Ils s'élancèrent à la rencontre des Scrubs, et Éva les imita. Après s'être montrés vindicatifs suite à leur défaite face aux Terriens lors des présélections, les deux extraterrestres les avaient finalement aidés à se procurer des matériaux et de la main-d’œuvre pour construire l'Arrow III. Sans eux, ils n'auraient jamais atteint Oban.

Les mécaniciens leur serrèrent la main avec enthousiasme, avant qu'Éva en fasse de même. En retrait, Rick les salua d'un signe de tête courtois, puis les présenta à David en quelques phrases, avec sa concision habituelle.

- Grâce à votre victoire dans la Grande Course, nous sommes de nouveau les stars d'Arouas, révéla Flint. L'équipe qui a failli vaincre les champions que vous êtes.

Éva contint un fou rire. Malgré une course truquée à leur avantage, les Scrubs avaient subi une humiliation, couplée à la destruction de leur vaisseau. Par politesse, et surtout parce qu'elle les appréciait en dépit de leur vanité, la jeune fille n'émit aucun commentaire.

- Cette fois, nous ne vous ferons pas de quartier, les humains, grogna Marcel.

- C'est vrai, renchérit Flint. Si on vous bat, notre gloire s'étendra à toute la galaxie.

- La liste risque d'être longue, remarqua Koji. À mon avis, vous n'êtes pas les seuls à vouloir prendre votre revanche sur Molly. Il y a les Nourasiens, les...

Stan le fit taire d'un coup de coude en lui ordonnant de ne pas mettre la pression à leur pilote avant l'heure, mais Éva était relativement sereine. Ou, du moins, elle s'appliquait à le rester.

- Est-ce que vous avez des infos sur le déroulement de la compétition ? demanda-t-elle.

- Ce serait plutôt à nous de te poser la question, remarqua Flint. Nous n'avons pas la chance d'être dans les bonnes grâces du prince Aikka.

- Je ne suis pas... Il ne m'a rien dit.

Éva avait bredouillé cette phrase, les joues rosies. Elle aurait voulu ajouter quelque chose, mais les mots lui venaient difficilement, et elle fut reconnaissante à Stan de prendre le relai.

- Aikka est un gars droit. Même s'il a de l'affection et tout un paquet de dettes envers Molly, il ne la privilégiera pas au détriment d'un autre concurrent alors que son royaume est l'organisateur du tournoi. Il se doit de respecter le principe de l'impartialité, mais c'est vrai que c'est un concept avec lequel vous autres Scrubs avez quelques difficultés.

Marcel grogna, mais Flint se contenta de sourire. S'il était prétentieux, il était nettement moins orgueilleux que son partenaire et ne se vexait presque jamais. Il gardait une expression joviale dans la plupart des circonstances.

- En tout cas, ça nous a fait plaisir de vous revoir, les humains. N'est-ce pas, Marcel ?

- Mouais... Et la prochaine fois, vous afficherez des mines déconfites, parce que nous serons sur la première marche du podium, et pas vous.

- Que le meilleur gagne, leur souhaita sportivement Éva.

Elle accompagna ses paroles d'un geste de la main, tandis que les Scrubs s'éloignaient en direction de leur propre stand. Elle retirait ce qu'elle avait pensé quelques minutes plus tôt : il y avait tout de même des extraterrestres qu'elle était heureuse de retrouver. Cela lui rappellerait le bon vieux temps.

L'adolescente s'accorda quelques secondes de nostalgie, avant de se souvenir qu'ils avaient encore du pain sur la planche. Ils devaient décharger l'Arrow-Star et le déballer, afin que Stan et Koji puissent s'assurer qu'il n'avait pas subi de dommages pendant le voyage.

Normalement, ce ne serait pas le cas, vu les précautions qui avaient été prises pour son transport, mais il valait mieux être prudent. L'Arrow I, le seul qu'Éva n'avait jamais piloté, puisqu'il avait été détruit lors de leur toute première course, était arrivé sur Arouas avec une fuite. 

Quand Rick se chargea d'ôter la bâche du nouveau Star-Racer de l'équipe terrienne, Éva ne put s'empêcher de le contempler avec émerveillement une nouvelle fois. Il était si beau, si parfait qu'elle n'en croyait toujours pas ses yeux. Et dire qu'elle allait piloter ce petit bijou.

- On compte sur toi pour le tester demain, Molly, annonça Koji. Pour être sûr que tout fonctionne correctement, rien de tel qu'un essai grandeur nature. Et puis, ça te permettra de reprendre contact avec les commandes et de découvrir les nouveautés.

L'intéressée acquiesça, peinant à réfréner son impatience. Depuis qu'elle avait vu l'Arrow-Star dans le garage de Miguel, elle n'avait plus eu qu'une envie : monter à son bord. David aussi semblait avoir hâte de prendre officiellement ses fonctions de tireur.

Éva et Rick passèrent une grande partie de la journée avec leurs amis, préférant un déjeuner composé de sandwichs purement terriens à la haute gastronomie servie à la cour de Nourasie. Ils ne pourraient cependant pas y couper deux fois de suite, car un valet du château leur rendit visite en fin d'après-midi pour leur remettre une invitation.

- Le roi et la reine vous sauraient gré d'être des leurs pour le dîner de ce soir. Plusieurs autres ambassadeurs sont également conviés.

- Est-il possible de savoir... quels autres ? demanda Éva.

- Bien sûr. Les Warecs, les Libelliens, les Symours, les Vulpices et les Kratogans.

- Je vous remercie.

La jeune fille était soulagée. Elle ne connaissait aucune de ces espèces extraterrestres et préféraient cela aux dignitaires d'une planète dont elle aurait autrefois défait les champions. Au moins, il n'y aurait ni tension ni animosité. Le repas protocolaire promettait d'être suffisamment intimidant à lui seul.