Renaissance
Renaître.
Je ne suis pourtant pas le premier homme à en faire l'expérience. Sur Terre on en voyait des centaines par jour, renaître de leurs cendres ou de leurs blessures plus ou moins graves. Là-bas, la technologie était depuis longtemps devenue le palliatif à la fragilité de notre constitution. Ou plutôt, de la leur. Car ce n'est plus la mienne désormais. Ce corps d'humain que j'ai choisi d'abandonner, si faible, si fragile. Ce corps, qui a finalement fait défaut à Tom.
Il n'a malheureusement pas eu la chance de profiter de cette alternative à la mort. C'était trop tard pour lui. On l'a laissé giser des heures entières dans cette ruelle sombre, son sang se répandant dans le caniveau jonché de déchets. Comme on m'aurait laissé dépérir moi-même ce fameux soir ou l'on est venu me chercher aux portes de ce bar morbide.
Le fort dévore le faible. Cette philosophie me semble bien lointaine à présent. Après ce corps d'humain, voilà une partie du bagage qu'il faut aussi que je laisse derrière moi. Ce sera sans regret.
Tom. Il y a longtemps que je n'avais pas pensé à lui. Sans le savoir, il a payé le prix de sa vie pour sauver la mienne. Peut être a-t-il mieux valu qu'on ne lui demande pas son avis ni sa permission avant que les évènements ne se produisent. Parce que j'ai la certitude que je ne serais pas là pour réfléchir à tout cela en ce moment même. A quoi bon se sacrifier pour un inconnu ? Parce qu'au fond, le seul lien qui nous unissait vraiment se limitait au sang qui coulait dans nos veines.
Allongé là, sur ce lit de verdure, je ne peux empêcher mon esprit de divaguer.
Mon frère. Je lui dois tellement. Jamais de ma vie d'humain je n'aurais imaginé ressentir une une telle considération à son égard. Sans lui...Que se serait-il passé si l'on avait pu le sauver ? Et s'il s'était finalement embarqué sur cette navette il y a quelques mois ? Qu'en serait-il si le cours des choses avait suivi la voie qu'on lui prédestinait ? Qu'en serait-il aujourd'hui ?
Pandora envahie. Des mines d'extraction d'unobtanium sur des kilomètres à la ronde. Mon peuple à la merci de machines robotisées, de tyrans galvanisés par le profit.
Jake Sully, invalide errant sur Terre dans des rues surpeuplées et sales à la recherche d'un but, d'une raison d'exister parmi la déchéance et les atrocités environnantes.
Aujourd'hui sonne l'heure de ma renaissance, mais aussi de ma reconnaissance éternelle pour Eywa. Je suis passé sous son regard. Elle m'a pardonné mon origine à une race bien peu glorieuse, m'a offert la possibilité de jouir d'une nouvelle vie, ici, avec les miens et avec elle. Neytiri. Je sens sa main qui caresse tendrement mon torse. Son visage se dessine sous mon regard, parmi les fines lianes étincelantes de l'arbre des âmes. Ses yeux brillent de mille feux, son visage est encore humide des larmes qu'elle a du verser pendant que mon esprit rencontrait celui d'Eywa. Je saisis sa main et me redresse lentement. Un sourire se dessine sur son visage. A nos pieds, la tribu extasiée entonne en chœur le chant de la Renaissance. Les paroles de Mo'at reprise en écho par l'ensemble de mon peuple résonnent dans une symphonie majestueuse.
"Aujourd'hui il s'est présenté,
Devant toi Eywa,
Mère du peuple,
Il implore ton secours,
Cherche ton regard.
Mère, écoute-nous.
Mère, tu nous a entendu,
Mère, tu le vois,
Tu as pris son esprit auprès de toi,
Tu l'as ramené auprès de nous,
Pour qu'il puisse vivre ici,,
Comme l'un des nôtres"
Des cris d'allégresse retentissent de toute part. Dans ce bouillonnement d'euphorie, j'observe l'un après l'autre tous ces visages, ces regards emplis de confiance et d'espérance, en moi et en l'avenir. Les mères enlacent leur progéniture dans une étreinte pleine d'amour, les chasseurs brandissent leurs arcs dans des cris de victoire tandis que les paires accouplées se perdent dans des regards profonds et contemplatifs.
Mon regard se tourne vers Neytiri, toujours à mes côtés. Je sens son souffle rapide frôler la peau de mon cou. Alors qu'elle m'enlace tendrement, j'essaie de rassembler mes esprits. Je dois m'exprimer. Trouver les bons mots pour mon peuple, qui attend désormais tant de moi.
"Mes frères,
Je suis passé aujourd'hui sous le regard d'Eywa,
Et je suis de retour parmi vous.
Notre mère à tous,
M'a pardonné mes fautes,
Et offert un nouveau départ.
C'est avec vous que je vivrai désormais,
Pour le temps qu'Eywa m'accordera à vivre.
Une nouvelle ère s'ouvre maintenant,
Pour l'ensemble du peuple Na'vi.
Ce nouveau départ nous appartient à tous.
Les hommes venus du ciel ont détruit,
Nous reconstruirons !
Le temps du grand chagrin prend fin,
Unissons-nous mes frères,
Sous le regard d'Eywa,
Pour la mémoire de nos frères,
Et de nos sœurs qui ont péri !"
Sur ces mots, étouffés par la liesse de mes frères, j'entraîne Neytiri dans ma course. Nous rejoignons Toruk, somptueux témoin de la cérémonie. Comme pour nous faire partager son impatience, ses ailes battent l'air, prêtes à nous entraîner où bon nous semblera. Dans un saut agile, nous le chevauchons de toute sa hauteur et dans un profond battement d'ailes, nous nous élevons dans les airs.
Il suffira de quelques secondes pour que Toruk nous emporte dans l'immensité des cieux de Pandora. Je ne sais pas encore où nous atterrirons. Seul importe le besoin que nous avons avec Neytiri, de nous retrouver quelque temps loin de l'agitation. Et de voler dans les airs, de vagabonder dans la forêt, de s'échouer épuisés sur un épais lit de mousse... Comme avant.