L'Invitée Fugitive

Chapitre 1 : L'Invitée Fugitive

Chapitre final

8445 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/01/2022 17:42

L'Invitée Fugitive


 

Les événements se déroulent presque 4 ans après la Guerre.

Depuis six mois, Azula est rentrée de l'asile où Zuko l'avait fait interner pendant 3 ans.


....

 

La première fois que Zuko proposa à Azula de dîner avec lui, les choses ne se passèrent pas comme il l'avait espéré.

 

Il faut dire que lui-même s'était montré plutôt réticent quand Taïma lui avait suggéré cette idée saugrenue.


C'était facile à dire, en tant que médecin officiel de la princesse. Comment voulait-elle qu'il crée des liens familiaux avec sa sœur quand celle-ci restait désespérément

mutique, déprimée et asociale ?


Depuis son retour, elle passait des heures seule dans ses appartements, refusant de parler à quiconque, pas même à son frère.

Zuko fulminait. Après tout ce qu'il avait fait pour elle ! La Cour murmurait déjà à son sujet et critiquait sa décision de la faire revenir.


Les trois années qu'Azula avait passées dans un institut psychiatrique sur l'Île de Braise étaient un secret absolu. Pourtant, il semblait qu'il n'existât pas une âme dans la Nation du Feu qui ignorât que la princesse était atteinte de folie.


Zuko se demandait ce qu'ils aurait dit, tous, s'ils avaient connu la véritable ampleur de sa démence.


La jeune femme de dix-huit ans qui était revenue vivre auprès de lui n'avait plus rien de l'adolescente maniaque, désespérée et hystérique qu'il avait fait enfermer trois ans auparavant.


La nouvelle Azula était triste, sombre et solitaire. Elle passait ses journées assise dans son alcôve près de la fenêtre, ou roulée en boule sur son immense matelas dans son lit à baldaquin, ne parlant à personne, se nourrissant à peine.


C'était d'abord de la pitié qu'il avait éprouvée quand il l'avait vue revenir. Mais la princesse était restée sourde et indifférente à ses efforts pour lui faire bon accueil. Elle l'avait à peine remercié quand il lui avait montré avec enthousiasme la nouvelle garde-robe qu'il avait commandée pour elle.


Quand il était venu l'accueillir à la porte du palais le jour de son retour, elle ne lui avait pas rendu son étreinte. Il l'avait seulement sentie se tendre contre lui et n'était pas parvenu à capter son regard fuyant.


Taïma lui avait conseillé la patience.

Encore une fois, c'était facile quand on était un maître de l'Eau et que la patience était la clé de la maîtrise de son élément. C'était le feu qui brûlaient dans ses entrailles et qui parcourait ses veines. Un feu qui ne demandait qu'à surgir, impatient et indomptable, surtout quand il faisait face à sa sœur apathique qui semblait le défier par son silence obstiné.


Il lui arrivait de se demander si le feu intérieur d'Azula ne s'était pas tout simplement éteint.


Puis arrivait une nouvelle crise et Azula devenait incontrôlable, détruisant tout ce qui se trouvait autour d'elle dans un déluge de feu azur éblouissant, comme si l'élément farouche, trop longtemps contenu, explosait, menaçant de transformer le monde autour d'elle en un tas de cendres fumantes.


Il craignait parfois que la sœur qu'il avait connue fût partie. Quand elle ne se muait pas en furie, il ne restait que cette coquille vide, ces yeux d'ambre profondément tristes et distants, ce visage de cire impassible encadré par de longues mèches noires et lisses. Ces mains égratignées qu'il prenait parfois dans les siennes pour l'empêcher de se griffer jusqu'au sang. Ces lèvres qui remuaient silencieusement pour formuler des paroles inaudibles qui se perdaient dans l'air.


Parfois il se disait qu'il n'y avait rien dans l'univers qui fût plus lointain que cette sœur qui vivait sous le même toit que lui.


Plus souvent encore, il se disait que tout cela était bien vain. Il l'avait fait revenir pour qu'elle reprenne sa vie en main, pour qu'elle s'épanouisse enfin, qu'elle retrouve sa confiance depuis longtemps disparue. Mais elle ne semblait pas plus heureuse depuis qu'elle était ici et lui-même ne pouvait plus se cacher derrière de faux-prétextes pour fuir sa présence.


C'est après avoir fait part de ses doutes à la guérisseuse qu'il en était arrivé à cette situation ridicule. Taïma lui avait assuré qu'Azula avait besoin de lui pour aller mieux, qu'il était la clé de sa guérison et qu'il était essentiel qu'il passe plus de temps avec elle.


C'était elle également qui avait eu l'idée de ces dîners en tête-à-tête, notant l'entêtement d'Azula à éviter tout rassemblement social. Zuko avait cessé depuis longtemps de lui proposer de se joindre à lui et Mai pour dîner.


La première fois donc, alors qu'il l'attendait dans la grande salle à manger où Azula, lui-même et leurs parents partageaient leurs repas quand ils étaient enfants, Zuko se fit l'effet d'un adolescent maladroit se préparant pour son premier rendez-vous galant.


C'était sans doute stupide de se sentir nerveux ou de s'inquiéter de sa tenue et de sa coiffure quand on s'apprêtait à dîner avec sa sœur. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Azula n'avait pas répondu à son invitation et il espérait encore à moitié qu'elle ne viendrait pas.


Mais bien sûr, elle vint. Azula avait toujours eu le don de le surprendre ou de le mettre dans des situations inconfortables, des situations comme celle-ci.


Elle entra dans la pièce, escortée par Taïma qui la conduisait en la tenant par le bras, gentiment mais fermement, remarqua Zuko. Il comprit que sa sœur n'avait pas plus envie que lui d'être ici.


Ses yeux mordorés croisèrent furtivement les siens et elle les baissa aussitôt. D'un geste impatient, elle se libéra de la prise de la guérisseuse et lui lança un regard mauvais auquel Taïma répondit par un petit sourire encourageant, ses grands yeux outremer pleins d'une douceur toute maternelle.


Zuko connaissait assez sa sœur pour savoir à quel point cette attitude bienveillante devait l'exaspérer et ne put s'empêcher d'admirer l'audace de la jeune femme.


Zuko resta debout tandis qu'Azula s'avançait vers la table et s'asseyait, refusant toujours de le regarder.

Elle ne répondit pas à son salut et se recroquevilla sur sa chaise, jetant un regard absent vers le siège où s'asseyait leur mère autrefois. Zuko déglutit péniblement, chassant de son esprit le visage de la femme qu'il cherchait si désespérément depuis maintenant quatre ans.


Taïma les laissa, non sans un regard appuyé vers Zuko qui fit un signe de la tête dans sa direction. Puis il s'assit face à Azula.


Ni l'un ni l'autre ne prêtait attention aux mets engageants qui couvraient la grande table, ni aux effluves délicieux qui en émanaient.


Un silence inconfortable s'était installé entre eux, presque assourdissant.


Que disait-on à une sœur que l'on avait haïe, jalousée, rejetée, laissé moisir trois ans dans un asile de fous ? En observant sa petite silhouette ramassée sur sa chaise, son visage pâle, les mains tremblantes aux ongles coupés ras, les lèvres roses, dépourvues du maquillage écarlate qu'elle portait autrefois, légèrement gercées à force d'être mordues, Zuko sentit quelque chose fondre dans sa poitrine et s'installer dans le fond de son estomac. Elle était toute la famille qui lui restait. Et voici ce qu'était leur relation.


Se saisissant d'un plat qui contenait des lamelles de bœuf mariné épicé, il le poussa vers Azula :


« Tu en veux ? Ce sont tes préférés. J'ai demandé au cuisinier de les faire pour toi. »


Elle ne daigna pas même lever les yeux et regroupa ses genoux sous son menton, dans une position qui aurait fait hurler leur mère d'indignation. Qu'une princesse se tînt ainsi à table était presque une hérésie ! Mais quand Azula avait-elle jamais tenu compte des leçons de leur mère ?


Zuko relâcha le plat, et impuissant à la sortir de sa réserve, jugea préférable de commencer sans elle. Il se leva, lui servit un verre de vin, retourna à sa place pour remplir le sien qu'il but d'une seule gorgée. Il se décida ensuite à manger.


Face à lui, le visage de cire de sa petite sœur resta impassible, son expression indéchiffrable. Puis, consterné, il vit deux perles brillantes apparaître à la bordure des paupières de la princesse.


Presque suffoqué, Zuko suivit des yeux les deux grosses larmes qui glissèrent lentement le long des joues d'Azula, traçant des sillons sur son visage de marbre.


Visiblement furieuse contre elle-même, Azula s'essuya les yeux de la paume de sa main et y plongea son visage.


Incapable de penser rationnellement, Zuko ne fit rien.


Baissant les yeux sur son plat, il reprit son repas, mais la nourriture délicieuse avait maintenant un goût de cendres sous son palais.

Dans la grande salle, on n'entendait plus que les bruits de mastication produits par Zuko, le tintement des couverts contre les plats et les reniflements légers de la princesse dont les épaules se soulevaient à intervalles réguliers.


Au bout d'un moment, décidant que tout cela ne menait à rien, il lui proposa, si elle le voulait, de regagner ses appartements. Inutile de prolonger ce fiasco.


Azula ne se fit pas prier et se leva précipitamment, repoussant sa chaise qui crissa contre le sol en marbre et se précipita vers la porte à double battant qu'elle poussa brusquement du coude. Elle disparut derrière, aussi fugitive que l'hirondelle au crépuscule.


Resté seul, Zuko reposa ses couverts, l'estomac noué.

 

Les choses ne s'étaient pas passées comme il l'avait espéré.

 

***



La seconde fois qu'il l'invita à se joindre à lui, une semaine plus tard, elle arriva en retard.

 

Zuko, qui s'impatientait, assis négligemment sur sa chaise, les pieds sur la table, se releva maladroitement en la voyant entrer. Il eut le temps d'apercevoir, derrière sa sœur, la silhouette et les yeux turquoise de Taïma. Azula, l'air furieux, se retourna vers elle et lui ferma la porte au nez. Elle resta debout, près de la porte, les yeux résolument baissés vers le sol, les mains croisées sur son ventre. Zuko remarqua la crispation de ses doigts et la façon dont elle enfonçait compulsivement ses ongles dans la chair de l'autre main, déjà striée de marques plus ou moins anciennes.


Elle paraissait aussi misérable que la dernière fois, ses longs cheveux noirs tombaient sur ses épaules, de part et d'autre de son visage livide.

Il la salua d'un ton très cérémonieux et l'invita à s'asseoir.

Frère ou pas, il restait son roi et


Azula devait en avoir conscience. On ne désobéit pas à un ordre direct du Seigneur du Feu.


Elle s'avança lentement et s'installa sur la chaise qu'il lui désignait. Comme la semaine précédente, il remarqua que son regard errait vers le siège vide à côté d'elle où s'asseyait leur mère autrefois.

Retournant à sa propre place, Zuko prit une profonde inspiration et parla :


« Je suis content que tu aies accepté mon invitation, Azula et je te remercie d'être venue. »


Il se sentit parfaitement idiot. C'était comme s'il parlait à un mur. Il la regarda remuer sur sa chaise, les épaules voûtées, ses mèches noires dissimulant son visage. Zuko ne parvenait pas à y lire la moindre émotion. Il espérait de tout son cœur qu'elle ne se mettrait pas à pleurer cette fois.


Toute la semaine, il s'était reproché son insensibilité. Sans doute aurait-il dû venir la réconforter, poser sa main sur la sienne, peut-être même la prendre dans ses bras… Mais il en était tout simplement incapable, et quelque chose lui disait qu'il ne le serait pas davantage ce soir-là si l'occasion de la consoler se présentait à nouveau.


Cette fois cependant, Azula ne fondit pas en larmes. Au contraire, elle releva la tête et il rougit quand elle plongea ses yeux incandescents dans les siens, une expression totalement indéchiffrable s'étalant sur son beau visage. Elle ouvrit la bouche pour parler et Zuko remarqua seulement à ce moment là qu'elle avait peint ses lèvres en rouge. Pour une raison obscure, ce détail lui causa une sensation curieuse, comme si son cœur avait manqué un battement.


« Je ne saurais comment vous exprimer ma gratitude, Ô toute puissante Majesté. Je suis indigne de l'attention que vous m'accordez. », dit-elle humblement.


Adossé sur sa chaise, les deux mains cramponnées à la table en bois sombre, Zuko cligna stupidement des yeux, trop stupéfait pour réagir.


C'étaient presque les premiers mots qu'Azula prononçait en sa présence depuis des semaines. Il fut surpris de la fluidité avec laquelle ils avaient traversé ses lèvres, du ton posé de sa voix, de l'inflexion courtoise qu'elle avait su lui donner.

S'il ne la connaissait pas si bien, il aurait presque pu la penser sincère.


Mais le feu qui brûlait dans ses pupilles noires comme la nuit, la façon dont sa bouche se tordait en une grimace furieuse, l'exhortaient à la prudence. Il opta pour la sagesse et décidant d'ignorer ses sarcasmes, il lui proposa un peu de vin.


Elle acquiesça d'un air sombre et lui tendit son verre, sans cesser une seconde de soutenir son regard. Dès qu'il l'eut servie, elle ne l'attendit pas et vida son verre d'un trait.


« Un autre », ordonna-t-elle en lui tendant le récipient.

 

Il essaya de ne pas paraître trop offensé de sa grossièreté et pendant qu'il versait le vin dans son verre, il se mordit l'intérieur des joues pour retenir les paroles furieuses qui lui brûlaient les lèvres.


Comment pouvait-elle avoir le culot de mépriser son hospitalité et ses efforts ? Elle aurait dû rôtir en prison aux côtés de leur monstre de père. C'était peut-être là qu'était sa place, après tout. Il avait été trop indulgent avec elle. Elle le défiait depuis des mois, le ridiculisait en n'apparaissant pas aux dîners et fêtes qu'il organisait pour qu'elle se fasse une place à la Cour.


Elle n'avait pas daigné se rendre à la soirée fastueuse qu'il avait organisée pour ses dix-huit ans et il avait dû accepter, à sa place, les compliments hypocrites des courtisans qui se pressaient devant lui pour lui tendre leurs présents, désireux d'entrer dans les bonnes grâce du Seigneur du Feu et de sa sœur réputée cruelle et instable. Personne ne voulait être l'ennemi du Seigneur du Feu, mais plus nombreux encore étaient ceux qui craignaient d'offenser sa dangereuse sœur.


Mais elle ne lui faisait pas peur et il était temps qu'elle s'en rende compte. Elle devait apprendre le respect. Il n'était plus simplement le prince héritier, le grand frère un peu stupide et borné qu'elle avait connu.


Il était le Seigneur du Feu et elle… elle n'était rien. Une princesse disgraciée, méprisée, haïe de toutes les nations, destituée de tous ses pouvoirs, une pauvre folle qui avait bien de la chance qu'il l'accepte auprès de lui, quand son épouse et tous ses amis le suppliaient d'entendre raison.

Il faisait tous ces efforts, et elle n'était qu'ingratitude.


« Alors, mon cher frère, dis-moi : comment vont les affaires ? La Nation tout entière se plie-t-elle à tes désirs ? Le poids de la couronne n'est-il pas trop lourd pour tes frêles épaules ?» demanda-t-elle en portant son verre à ses lèvres, son regard se dirigeant vers la couronne en or qu'il portait sur sa tête.


Il remarqua l'empreinte rouge laissée par sa bouche sur la surface polie du verre et eut du mal à en détacher le regard.


« Depuis quand est-ce que tu t'y intéresses ? rétorqua-t-il en grommelant. Ce n'est plus ton souci.


– Oh ! Pardonnez-moi, beau Seigneur miséricordieux ! J'oubliais ma place. Je ne suis que votre sœur, et je dois veiller à tout instant à maintenir l'honneur de mon roi en restant la douce et jolie petite princesse dont il a besoin pour prouver à quel point il est bon et généreux envers les siens ! Une jolie plante qui rehausse le décor, voilà ce que tu veux que je sois !»


Elle ne se préoccupait même plus de paraître polie et Zuko pouvait sentir l'air autour d'eux se charger d'électricité à mesure que la colère d'Azula augmentait.

Il était décidé à ne pas se laisser impressionner.

 

« Exactement », grinça-t-il entre ses dents avant de reporter son verre à ses lèvres d'un air qu'il espérait très digne.


– Alors c'est pour cela toute cette comédie ? Ces dîners auxquels tu m'invites. C'est pour donner l'impression à tous tes courtisans que tu me tiens en respect, que nous nous entendons parfaitement, que tu contrôles la princesse indomptable et cinglée qui menace ta couronne depuis son retour ? »


Zuko n'en croyait pas ses oreilles. Ainsi c'est ce qu'elle pensait ? Cette petite folle paranoïaque ! Et dire qu'il l'avait crue lucide pendant un moment ! Tous les efforts qu'il avait consentis depuis trois ans, les lettres affectueuses qu'il s'était forcé à lui écrire au cours de ses voyages, quand elle était si seule.


Ces longues journées silencieuses passées auprès d'elle dans le parc de l'asile, à essayer de lui parler, de la faire sourire, toutes ses petites attentions lors de son retour au palais… Tout cela n'avait donc servi à rien ? Voilà ce qu'était leur relation pour Azula ! La rivalité, la jalousie, la méfiance, encore et toujours !


Pourquoi se fatiguer à être le frère aîné parfait pour être ainsi récompensé ?


Il savait qu'il aurait dû la démentir, la rassurer, lui affirmer son amour inconditionnel. C'est ce que Taïma attendait de lui.


Mais comment pouvait-elle espérer qu'il y parvienne quand elle… Il n'avait jamais été capable de rester insensible aux provocations et aux manipulations d'Azula. Et ce n'était pas différent aujourd'hui. Mais il n'était plus la même personne. Il avait changé. Il devait montrer à sa sœur que lui avait évolué et grandi. Il ne serait pas plus longtemps le perdant dans cette relation et s'il le fallait, il la forcerait à s'en rendre compte, dût-il faire preuve d'autorité et même d'insensibilité.


« Azula, reprit-il d'un ton qu'il espérait assuré et autoritaire, nous ne sommes plus des enfants. Je suis l'aîné, la couronne m'appartient. Tu as eu ta chance et tu as perdu. Je sais que le trône est mon destin. Le tien est ailleurs. Je ne crains plus tes tours ni tes manigances. Je n'ai pas besoin de prouver à qui que ce soit que tu n'es pas une menace pour moi. Tu n'es plus une menace pour quiconque. Tout ce que tu vas réussir à faire en n'acceptant pas cette idée, c'est te ridiculiser. »


Le mépris qu'il lisait dans les yeux de sa sœur était évident et il était tellement désireux de balayer sa suffisance d'un revers, de la blesser !


« Si tu penses avoir encore des soutiens ou une quelconque influence, tu te trompes lourdement. Tout le monde t'a oubliée ! Tu n'es plus rien ! Seulement un détail dans l'Histoire de notre Nation. Tu n'as même pas été couronnée ! Ton nom n'apparaîtra jamais dans les annales que comme celui de la princesse héritière d'Ozai. Aussitôt que Mai et moi aurons un enfant, tu perdras même ce statut ! J'ai donné mes instructions et sache que s'il m'arrive quelque chose, c'est Mai qui assurera la régence jusqu'à ce que notre enfant soit en âge d'être couronné. Et si je meurs avant ça, c'est oncle Iroh qui prendra le trône. Tu n'auras rien ! Tu es la seule ici à croire encore que tu puisses être une rivale pour moi !»


Azula ne disait plus rien. Elle se contentait de le regarder, ses yeux d'ambre largement ouverts trahissaient sa stupeur et sa peine. Ses lèvres rubis serrées l'une contre l'autre formèrent une moue douloureuse parfaitement déchirante qui fendit son joli visage.


Mais Zuko était trop en colère maintenant pour s'émouvoir. Au contraire, il y prenait un malin plaisir. Au lieu d'apaiser les choses, il se leva de sa chaise. Des éclairs passèrent dans ses yeux dorés et il poursuivit en pointant un index accusateur vers elle :


« Tu es chanceuse ! Chanceuse que je t'ai libérée de la maison de dingues à laquelle tu appartiens ! J'étais le seul ici à souhaiter ton retour ! J'ai dû débattre des heures durant avec les ministres et le Conseil pour te faire revenir ! Je me suis fâché avec Mai un nombre incalculable de fois, et toi, TOI… Tu ne vois rien ! Tu ne veux rien voir !Tu ne crois que ce qui t'arrange ! Tu pleurniches depuis quatre ans en te plaignant que maman ne t'aimait pas assez, que personne ne t'aime mais quand on te met la preuve de notre amour juste sous les yeux, tu es incapable de la voir ! »


Les joues d'Azula étaient aussi rouges que ses lèvres. Les yeux baissés sur son assiette vide, elle ne disait rien. Mais Zuko pouvait presque sentir la rage contenue dans chaque cellule de son corps. Il n'aurait pas été étonné si de la fumée avait commencé à sortir de ses lèvres qui s'entrouvraient à mesure que son souffle s'accélérait.


La culpabilité et la jubilation le submergeaient à égales proportions. Il en avait plus qu'assez de la ménager. Azula était censée aller mieux d'après ses médecins. Il n'allait pas la materner toute sa vie. Le temps des illusions était terminé et il fallait qu'elle accepte ces vérités.


Il savait ce qu'elle pensait. Croyait-il vraiment qu'un dîner et quelques robes pourraient réparer des années de méfiance et de haine ? Que tout cela suffirait à lui faire oublier qu'il avait pris sa couronne, qu'il l'avait envoyée vivre au loin pendant trois ans, qu'il avait laissé des médecins sadiques la maltraiter ? Qu'il l'avait laissée seule avec leur père après l'avoir trahie et abandonnée ?


Mais si Azula avait, ne serait-ce qu'une fois dans leur vie, exprimé un peu de reconnaissance à son égard, si elle avait un jour montré qu'elle se souciait de lui, que leur relation comptait pour elle, il n'aurait pas eu besoin d'en arriver à jouer cette comédie ridicule !

Comme pour confirmer ses pensées, Azula murmura d'une toute petite voix qui ne lui ressemblait pas :


« Ne fais pas semblant... »


C'en était trop. D'un revers du bras, il balaya tout ce qui se trouvait devant lui sur la table et on entendit un grand fracas résonner dans le silence de la salle. Azula sursauta à peine et resta dans la même position, fermant simplement les yeux. Ses ongles s'enfoncèrent un peu plus dans la chair de sa main mais Zuko était trop furieux pour s'en soucier.


« Profite-bien du dîner, dit-il d'un ton plein de mépris. Ce ne sont que des choses que tu aimes. Moi, je n'ai plus faim. »


Il repoussa violemment sa chaise qu'il renversa en arrière et sans prendre le temps de répondre au domestique qui venait de surgir dans la pièce pour s'enquérir d'eux, il fila vers la porte, sa cape voletant autour de lui et quitta la pièce, laissant sa sœur assise seule à la table.

***



Il avait pensé qu'elle ne reviendrait pas. Pourtant, lorsqu'il lui demanda de venir pour la troisième fois, deux semaines après, elle apparut à l'heure.


Il se demandait combien de temps encore ils allaient jouer cette comédie, faire semblant de croire à cette parodie de famille dont ni l'un ni l'autre ne voulait vraiment. Il ne savait pas trop pourquoi il avait accepté quand Taïma était revenue vers lui pour le supplier de faire une dernière tentative.


Quand Azula entra, la guérisseuse était à ses côtés encore une fois. Mais cette fois, elle ne la tenait pas par le bras, ni ne la poussait vers la porte. Azula la congédia d'un geste de la tête et Taïma s'éclipsa rapidement. La porte se referma sur eux.


Il nota qu'elle s'était maquillée à nouveau, et cette fois, elle portait l'une des robes qu'il lui avait offertes lors de son retour. Ses cheveux étaient élégamment rassemblés en un chignon élaboré et elle arborait un ornement en forme de flammes à la place de la couronne qu'il ne lui avait toujours pas rendue.


Malgré sa surprise et son appréhension, il ne put s'empêcher de la trouver très belle et il dut retenir le compliment qui avait failli franchir ses lèvres.


Ils se tinrent un moment, l'un en face de l'autre, tous deux horriblement gênés. Zuko regrettait profondément son éclat de la dernière fois.


Azula ne s'était pas montrée à lui depuis leur dispute. Il baissa les yeux pour essayer d'apercevoir ses mains mais il remarqua qu'elle portait de longs gants en cuir qui couvraient ses avant-bras, des doigts jusqu'au coude.


La culpabilité lui serra le cœur et il la sentit couler jusque dans son estomac où elle s'installa, formant une chape de plomb. Il savait que ce soir encore, il ne ferait pas honneur au somptueux repas que le cuisinier leur avait préparé. Il se sentait légèrement coupable en pensant à tout ce gaspillage. Il aurait pu nourrir un village entier du Royaume de la Terre avec un seul de ces dîners et il se souvint avec un pincement au cœur de la famille généreuse qui les avait recueillis, Iroh et lui, et à qui ils avaient volé les chevautruches.


Il avait changé. Pourquoi Azula ne le pourrait-elle pas ?


« Azula... » l'invita-t-il d'une voix moins assurée qu'il l'aurait voulu, en désignant son siège.


Elle s'assit sans un mot. Comme il s'y était attendu, le regard d'Azula se porta vers la chaise vide à côté d'elle avant de revenir à son assiette. Elle joignit ses mains sur ses genoux et attendit que Zuko s'asseye face à elle.


« Je suis désolé pour la semaine dernière. Je n'ai pas pu me rendre disponible pour notre dîner hebdomadaire. Une urgence... », s'excusa-t-il.


Il se sentait un peu ridicule d'employer un ton aussi formel, mais il avait l'impression que c'était la seule façon pour lui de parler à sa sœur sans s'énerver.


Notre dîner hebdomadaire ? l'interrogea-t-elle, visiblement sceptique, en levant vers lui deux grands yeux charbonneux. C'est donc une tradition ? »


Zuko se demanda comment interpréter ces paroles. Elle avait parlé d'un ton neutre, courtois. Mais il était bien placé pour savoir qu'il ne pouvait pas s'y fier.


« Si tu souhaites que ça le devienne, alors oui. » répondit-il fermement en soutenant son regard.


Il se tint prêt à recevoir ses sarcasmes, ou bien à supporter ce rire cristallin et affecté qui l'exaspérait profondément et qu'elle réservait habituellement à ceux qu'elle voulait humilier.


À Zuko, la plupart du temps. Puis il se rappela qu'il n'avait pas entendu ce rire depuis bientôt quatre ans.


Cette fois encore elle le surprit.


« D'accord. »


D'accord ? C'était tout ? Pas de moquerie, pas de rire forcé, pas de remarque méprisante ou d'insulte déguisée ? Elle n'avait même pas utilisé ce ton mielleux qu'il haïssait tant.


Un peu déconcerté, il prit la bouteille de vin et leva les sourcils dans sa direction, dans une demande muette. Azula acquiesça.


Décidé à faire preuve de courtoisie, il ignora le verre qu'elle lui tendait et se leva, contourna la table et se plaça derrière elle pour la servir.


Comme il se penchait au-dessus de ses cheveux, il respira involontairement une bouffée de son parfum et il se sentit un peu drôle.


« Merci », dit-elle poliment quand il eut rempli son verre.


Cela aussi, c'était nouveau. Il ne se rappelait pas qu'elle l'eût jamais remercié auparavant. D'ailleurs, avaient-ils déjà échangé autre chose que des mots durs, des sarcasmes, des insultes ?


Zuko se rappela, pour la première fois depuis longtemps, des paroles de réconfort d'Azula alors qu'il était aux prises avec la culpabilité, après avoir ignoblement trahi son oncle à Ba Sing Se. Il se souvint de la main légère qu'elle avait posée sur son épaule pour lui assurer son soutien.


C'était sans doute la seule fois, au cours de toute leur vie, où elle lui avait témoigné de l'affection.


Il ne voulait pas compter cette entrevue bizarre dans sa chambre, quand il était venu lui demander pourquoi elle avait menti à leur père au sujet de l'Avatar. Chaque fois qu'il y pensait, un frisson désagréable lui parcourait l'échine. Et autre chose aussi qu'il n'avait pas envie de nommer.


Ce soir-là, penché au-dessus d'elle dans la salle à manger, il eut envie de lui rendre la pareille. Il leva une main hésitante, prêt à la poser sur son épaule.


Mais il retint son geste. Pourquoi était-ce si difficile ? Juste une main, posée sur l'épaule de sa sœur, un geste innocent qui dirait ce qu'il ressentait, bien mieux que tous les mots qu'il pourrait prononcer.


Il l'avait déjà prise dans ses bras. Mais il doutait qu'elle s'en souvînt. La plupart du temps, c'était pour la contenir lors d'une crise de démence, ou encore cette fois où il avait dû la prendre sur ses genoux à l'asile pour la nourrir, quand elle était trop faible, trop abrutie de médicaments pour le faire elle-même.


La tension autour d'eux était palpable et Azula finit par s'en apercevoir. Elle se retourna sur sa chaise et lui lança un regard interrogateur, haussant ses sourcils bien dessinés.


« Un problème Zuzu ? demanda-t-elle.


Il sursauta imperceptiblement.


« Ne m'appelle pas comme ça », répondit-il calmement en ajoutant un peu de vin dans son verre. Leurs mains se frôlèrent au passage et il sentit un frisson le parcourir.


Il s'éloigna et regagna sa chaise.

Tandis qu'elle buvait, il croisa les mains sous son menton, les coudes posés sur la table et la regarda.


Zuzu. Elle ne l'avait pas appelé ainsi depuis des années. Il ne pouvait même pas s'en souvenir en vérité. Le surnom qui l'avait tant exaspéré autrefois sonnait très différemment à ses oreilles aujourd'hui. Et avec lui l'espoir. L'espoir que peut-être, une relation était possible avec Azula. Une relation qui soit autre chose que de la haine, de la jalousie et du ressentiment.


Il observa Azula qui tirait maintenant vers elle un plateau et se servait des tempuras aux crevettes et un peu de riz parfumé au jasmin.


Sentant son regard peser sur elle, elle releva la tête et leurs yeux se rencontrèrent. Elle rougit légèrement et Zuko sentit le sang lui monter aux joues également. Pour se donner une contenance, il avisa un plat, le plus proche de lui, et en remplit son assiette, sans se soucier de ce que c'était.


Ils mangèrent en silence presque sans se regarder. Mais ce silence-là n'était pas si désagréable.


À la fin du repas, quand il fut temps de partir, Zuko tendit sa main à sa sœur pour l'aider à se relever. Pris d'un soudain accès de courtoisie, il la raccompagna jusqu'à la porte, sa main toujours dans la sienne.


« La semaine prochaine ? demanda-t-elle en le regardant dans les yeux.


– Avec grand plaisir. »


Levant son autre main, il s'en servit pour envelopper celle d'Azula qu'il porta à ses lèvres, comme il le faisait avec les dames qui lui étaient présentées à la Cour. Il n'avait jamais aimé cette stupide coutume et aurait été bien en peine de dire ce qu'il l'avait poussé à le faire.


Son geste parut apprécié cependant. Ses joues rosirent un peu et un petit sourire étonné retroussa ses lèvres rubis. Elle le regarda une dernière fois et fila très vite dans le couloir sombre.


***


Ils continuèrent de se voir ainsi, chaque semaine à l'heure du dîner.


La soirée se déroulait toujours de la même manière. Azula apparaissait, tout apprêtée dans une nouvelle tenue, une coiffure différente à chaque fois. Il la complimentait sur sa toilette et l'accompagnait jusqu'à la table, la faisait asseoir, lui versait du vin et ils mangeaient en silence.


À l'heure du départ, Azula acceptait sa main pour quitter la table et consentait à ce qu'il la prenne entre les siennes pour l'embrasser.


Taïma vint le voir pour le féliciter. Quand il lui demanda pourquoi, elle lui dit, un grand sourire illuminant son visage cuivré, qu'Azula faisait de grands progrès. Elle s'ouvrait davantage et quittait même sa chambre plusieurs fois par jour pour se rendre dans les jardins ou à la librairie royale. Zuko n'était pas convaincu d'y être pour quelque chose. Il pensait que c'était plus probablement une conséquence du traitement que prenait Azula, chaque jour, sous l’œil attentif de Taïma qui veillait à en ajuster le dosage.


Depuis des semaines, Azula ne semblait plus souffrir d'hallucinations et ses crises de rage se faisaient rares. Elle semblait aussi plus alerte, moins introvertie. Elle avait l'air presque normale, ce qui n'était pas un mot qui lui venait spontanément à l'esprit quand il s'agissait d'Azula.


Comme il avait du mal à supporter le silence dans lequel ils prenaient leurs repas, il se mit à lui parler. Il évitait tous les sujets sensibles : leurs parents, ses anciennes amies, leur Agni Kai, l'asile. Il lui donnait plutôt des nouvelles de la nation, l'entretenait d'affaires politiques mineures, des intrigues de Cour.


Elle l'écoutait attentivement et consentait parfois à lui donner son avis et même quelques conseils précieux qui, à sa grande surprise, se révélèrent utiles.


Zuko commençait à apprécier ces conversations et se surprit parfois à attendre avec impatience ces rendez-vous. Pour la première fois de sa vie, il avait le sentiment d'avoir vraiment une sœur, une alliée, une personne avec qui il pouvait parler de ses doutes et de ses faiblesses.


Azula changeait. Elle s'ouvrait davantage à lui, souriait parfois et parlait d'un ton calme et posé qu'il ne lui avait jamais entendu. Elle n'était plus la jeune femme calculatrice et rusée qu'il avait connue autrefois. Elle était plus sage, plus mesurée que lui-même ne l'avait jamais été. Il ne cessait de s'en émerveiller, mais également de s'en inquiéter. Le sentiment d'être manipulé par Azula ne le quittait jamais tout à fait mais il décida de s'en accommoder.


Lorsqu'Azula n'apparut pas à leur dixième rendez-vous, il s'inquiéta. Avait-elle oublié ? S'était-elle endormie ? Le traitement que lui donnait Taïma avait cet effet sur elle. Elle allait mieux, c'était indéniable. Il semblait que la guérisseuse avait trouvé le dosage idéal. Mais la fatigue était l'un des effets secondaires et il n'était pas rare qu'Azula aille se coucher dès la fin du dîner, trop épuisée pour soutenir la conversation.


Au bout d'une demie-heure, comme elle ne venait pas, il se rendit à ses appartements. À sa grande surprise, il trouva les portes ouvertes. Une grande agitation régnait à l'intérieur de la pièce. Il faillit bousculer Taïma qui en sortait, l'air très affairé et préoccupé, ses mains enveloppées dans une bulle bleue lisse et brillante qu'elle avait fait surgir de l'outre en cuir qu'elle emportait toujours avec elle, comme le faisait Katara.


« La princesse fait une rechute, lui expliqua-t-elle en réponse à son interrogation muette. Apparemment, le dosage n'est toujours pas optimal. Je suis désolée, je n'ai pas eu le temps de vous prévenir. Je viens de lui administrer un calmant. Il devrait faire effet dans quelques minutes. Vos gardes s'occupent d'elle.


– Vos mains ? demanda-t-il, trop secoué pour penser à autre chose.

La guérisseuse baissa les yeux vers la bulle bleutée qui luisait autour de ses poignets.


« Oh ça ? Ce n'est rien, elle m'a un peu brûlée quand je lui ai fait sa piqûre.


– Je suis désolée, s'excusa-t-il piteusement, comme si c'était lui qui l'avait blessée.


– Ne vous en faites pas pour moi, ça ira très bien. Allez auprès d'elle, elle a besoin de vous, Zuko. Je reviens.»


Elle le regarda avec une rare intensité. Ses yeux outremer étaient un peu humides, et Zuko pensa aux ondulations des vagues dans les mers du Nord les jours de pluie. Elle lui adressa un petit sourire triste, puis elle partit, le laissant seul dans le hall mal éclairé.

 

En entrant dans la pièce, il vit sa sœur, vêtue seulement du kimono en soie dans lequel elle dormait. Un garde la maintenait au sol. Elle vociférait des paroles incohérentes et quelquefois, une volée d'insultes qu'il n'aurait jamais imaginer traverser un jour ses lèvres rubis, se répercutait contre les murs de la chambre. Une odeur âcre de fumée imprégnait les lieux et il remarqua, au pied du lit, un tas de cendres encore chaudes.


S'avançant précautionneusement, il s'agenouilla face à elle.


Son visage, plaqué contre le sol était déformé par la rage. De grosses larmes de colère brouillaient son regard et sa bouche se tordait en une grimace de fureur qui la faisait paraître plus grande dans son visage. Ses cheveux noirs tombaient en mèches désordonnées sur son front où perlaient de grosses gouttes de sueur et sur ses joues trempées de larmes.


Il l'appela doucement et essaya de croiser son regard. Mais lorsqu'il plongea ses pupilles dans ses yeux ambrés, il ne vit pas la lueur de reconnaissance qu'il espérait.


Elle était partie, encore une fois.

 

Un garde la tenait en respect, prêt à faire jaillir un bouclier de flammes en cas d'attaque ; l'autre maintenait Azula, un genou posé sur son dos, et s'occupait d'attacher ses poignets derrière elle.


Avec un violent pincement au cœur et la sensation que ses entrailles se liquéfiaient, il découvrit les longues traînées de sang sur la peau qui s'étendait de ses mains jusqu'à ses coudes. Des gouttes écarlates s'étaient répandues sur le tapis à motifs floraux sur lequel elle était allongée et des morceaux de verre jonchaient le sol.


Il vit aussi que, dans sa tentative désespérée pour s'extraire de la prise du garde, Azula avait tellement remué que sa robe était remontée jusqu'à mi-cuisses, dévoilant une peau lisse à la blancheur de porcelaine. Zuko détourna vivement le regard et se tourna vers les gardes :


« Laissez-la, leur ordonna-t-il, je m'en occupe.


– Votre Altesse, ce n'est pas très prudent ! l'avertit celui qui se tenait sur elle et qui avait fini de lui lier les mains dans le dos.


– Faites ce que je vous dis ! Et lâchez-la tout de suite, vous lui faites mal ! » hurla-t-il.


Les deux hommes ne se firent pas prier et se levèrent aussitôt, se mirent au garde-à-vous et quittèrent la pièce après un bref salut, poing contre paume.


Resté seul avec Azula, il s'assit derrière elle et la décolla du sol.


Le calmant devait commencer à faire effet. Les sanglots déchirants s'étaient mués en gémissements. Il la hissa vers lui et la fit asseoir entre ses jambes, le dos d'Azula plaqué contre son torse. Il croisa ses bras contre la poitrine de sa sœur pour la maintenir contre lui et l'empêcher de trembler et pencha la tête pour lui parler dans le creux de l'oreille. Il y murmura des paroles apaisantes dépourvues de sens. Il lui parla jusqu'à ce que ses forces l'abandonnent, qu'elle s'immobilise et tombe inerte dans ses bras.


Seule sa poitrine qui se soulevait à un rythme régulier indiquait qu'elle vivait encore.


Quand il fut certain qu'elle était endormie, il la souleva du sol et la porta jusqu'à son lit. Il releva sur elle ses draps de soie et attendit auprès d'elle que Taïma revienne pour guérir les blessures qu'elle s'était infligées pendant sa crise. Il la laissa aux bons soins de la jeune guérisseuse et s'en alla retrouver Mai.

 

Il ne dormit pas cette nuit-là.


 ***


Ce fut sa dernière crise majeure.

 

La semaine suivante, il trouva dans la salle à manger, une princesse calme et apaisée, vêtue d'une robe rouge brodée de fils dorés, les cheveux retenus en arrière dans une demi-queue de cheval.

Ils ne parlèrent pas de ce qui s'était passé.

Ils parlèrent de politique, de techniques de combat et des voyages de Zuko.


Au moment de partir, elle lui tendit la main pour qu'il l'embrasse, mais au lieu de cela, il la tira vers lui et la serra dans ses bras. Elle se figea tout d'abord mais il la sentit se détendre peu à peu contre lui.


Quand elle passa à son tour ses bras autour de sa taille, il la serra plus fort, huma le parfum de ses cheveux et déposa un baiser sur sa tempe.


Lorsqu'il la relâcha enfin, Azula, les joues très rouges, s'enfuit à pas pressés dans le couloir sombre, sans le regarder.



Quelques semaines plus tard, au moment du dessert, il fit glisser vers elle un petit paquet emballé dans un papier de soie.

Azula leva un regard étonné vers lui et comme il ne disait rien, elle retira le ruban qui retenait le tissu. Elle découvrit à l'intérieur un objet brillant et pointu en forme de trident.


« Ma couronne, murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour lui. Qu'est-ce que… ? »


Zuko se leva et se dirigea vers elle. Il lui tendit la main pour l'inviter à se lever et l'emmena vers le grand miroir accroché au mur au fond de la pièce.


Il se plaça derrière elle et lui prenant l'ornement des mains, il le leva au-dessus de sa tête et l'en coiffa.

Azula resta silencieuse et s'examina dans le miroir, tâtant légèrement la couronne, comme pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas.

Zuko posa une main sur son épaules pour l'inciter à se tourner vers lui. Il saisit alors ses mains dans les siennes et parla d'un ton ferme :


« À compter d'aujourd'hui, tu redeviens la princesse héritière de la Nation du Feu. Je te restitue ton honneur et les privilèges accordés à ton rang. Pour le moment tu ne siégeras pas au Conseil et tu n'auras aucun pouvoir de décision, mais tu pourras y assister en tant que membre honoraire. »


Azula l'écoutait attentivement, trop abasourdie pour répondre. Zuko scrutait son regard, guettant dans ses yeux d'ambre une lueur prédatrice qui n'arrivait pas. Elle n'était plus la jeune fille assoiffée de pouvoir qui avait un jour rêvé de monter sur le trône de feu et de régner sur le monde. Il savait qu'il pouvait lui faire confiance.


Du moins le voulait-il. Il faisait ce pari dangereux, contre tout bon sens.


L'autre nuit, pendant qu'elle s'apaisait dans ses bras sous l'effet du calmant injecté par Taïma, cette pensée lui était venue, comme une révélation.

 

Elle a besoin de vous.

 

S'il voulait qu'Azula lui soit dévouée, il devait lui donner sa chance. Peut-être n'était-ce pas à elle de lui prouver sa loyauté. Sans doute ne le pourrait-elle jamais.


Qui serait disposé à la croire si lui, son propre frère, le seul membre de sa famille qui lui restât, refusait de lui faire confiance ?


Aang avait choisi de le croire lorsqu'il s'était présenté à lui après avoir déserté sa propre nation. Iroh lui avait pardonné son ignoble trahison, sans rien demander en retour. D'autres lui avaient offert le gîte et le couvert, sans même chercher à en savoir plus sur son passé.


Et cela avait fait de lui un homme meilleur. Pourquoi Azula ne pourrait-elle pas suivre le même chemin ? Qu'est-ce qui l'en empêchait, si ce n'était lui, avec sa méfiance et ses ressentiments ?


Il prit entre ses doigts l'une des longues mèches rebelles qui encadraient le visage de sa sœur pour la replacer derrière son oreille.


Les cheveux glissèrent et retombèrent aussitôt à leur place, et Zuko eut un sourire.


« La Nation du Feu est en pleine mutation. Mes amis et moi voulons une société plus juste, égalitaire et solidaire. Et je veux que tu sois à mes côtés pendant que je la bâtirai. J'ai besoin de toi et de tes conseils. Est-ce que tu es avec moi ? »


Azula ne l'avait pas quitté des yeux pendant qu'il parlait. Il pouvait voir dans sa gorge la petite pulsation qui indiquait que son cœur battait à un rythme frénétique. Elle se tourna une nouvelle fois vers le miroir pour réajuster sa couronne et un sourire illumina ses traits.


Elle était éblouissante.


Elle se tourna vers lui et se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue intacte.


Il espéra que la faible luminosité empêcherait Azula de voir à quel point il avait rougi.


« Je suis impatiente de mettre mes compétences et mes connaissances à votre service, Seigneur du Feu Zuko. »


Un sourire malicieux étira ses lèvres et le cœur de Zuko manqua un battement. Il se demanda s'il ne venait pas de commettre une énorme erreur mais il était trop tard pour reculer de toute façon. Il n'y avait plus qu'à voir et à attendre.

Il lui rendit son sourire et, prenant son visage entre ses mains, il se pencha vers elle pour l'embrasser sur le front.

 

À cet instant, on frappa à la porte.


« Entrez ! » cria Zuko en relâchant Azula.


Un homme en armure à la forte carrure, au teint halé et à la barbe brune entra.


« Seigneur du Feu, Princesse, dit-il en s'inclinant devant eux. Je vous prie de m'excuser votre Altesse, mais une affaire urgente requière votre attention. Pourriez-vous me

suivre ?


– Très bien Général Kadao, répondit Zuko. Laissez-moi une minute, je vous rejoins tout de suite. »


Le Général s'inclina et quitta la pièce en refermant la porte derrière lui. Zuko se tourna vers sa sœur et prit ses mains dans les siennes :


« Tu veux bien m'excuser ? Demain, j'annoncerai officiellement ton retour aux membres du Conseil. Ne m'attends pas si je suis trop long. »


Azula lui adressa un sourire et répondit :


« Ne t'inquiète pas pour moi. Je vais finir ce merveilleux gâteau et j'irai me coucher. Je suppose que tu me veux en pleine forme pour demain. »


Zuko sourit et l'embrassa à nouveau sur le front.


« Bonne nuit, Princesse Azula.


– Bonne nuit Seigneur du Feu Zuzu. »


Il allait se renfrogner mais au lieu de cela, poussa un soupir amusé et esquissa un sourire. Puis il lui tourna le dos et traversa la pièce pour rejoindre Kadao qui l'attendait au-dehors.

***

 

Restée seule, Azula se tourna à nouveau vers le miroir et contempla la couronne scintillante sur laquelle miroitaient les flammes des torches alentours. Elle releva ses cheveux sombres et s'amusa à choisir quelle coiffure mettrait le plus en valeur le précieux ornement.


Ses yeux d'ambre se dirigèrent vers sa droite, attirés par le reflet de la femme aux longs cheveux noirs, couronnée du même emblème, qui la regardait depuis la table où Zuko et elle partageaient leurs repas.


Bien sûr, Zuko ne pouvait pas la voir, mais elle avait été là, tout le temps, assistant à tous leurs échanges, assise à la place qu'elle occupait autrefois, juste à côté de celle d'Azula.


Alors qu'elle laissait sa chevelure ébène retomber en cascade sur ses épaules, la femme parla :


« Alors, tu es satisfaite ? Tu as eu ce que tu voulais, non ? N'est-ce pas suffisant ?»


Azula reporta son attention sur son propre reflet et retira la couronne qu'elle tint entre ses mains et l'étudia minutieusement, comme pour s'assurer qu'elle était vraie.


Elle joua avec le reflet que la lueur des flammes faisait danser dessus et la serra brièvement contre son cœur. Puis elle la reposa précautionneusement sur sa tête.


Un rictus satisfait étira ses lèvres rubis avant qu'elle les ouvre pour répondre à sa mère :

 

« Non. Ça ne le sera jamais. »




Vous souhaitez en savoir plus sur les motivations d'Azula ? Allez lire "Soleil Noir ou le Goût des Cendres" pour obtenir toutes les réponses ! (travail classé MA)

Laisser un commentaire ?