Assassin's Creed Cilicia
Chapitre 6 : Chapitre 5 - Le fer et l'eau
12252 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 09/07/2017 15:19
Chapitre V
Le fer et l’eau
Peut-être le préteur Sylla n’était-il pas aussi redoutable que je le croyais. Je passai toute la mauvaise saison sur le mont Olympe, et, constamment, nous parvenaient de funestes nouvelles de toute la Cilicie : tel épiplous avait été capturé avec sa birème, et tous son équipage crucifié, un tel autre avait dû s’échouer sur le rivage pour échapper à la flotte rhodienne. Assurément, Rome redoublait d’effort pour réduire les repères pirates. Bien que tout cela ne les mena à rien. Chaque jour, depuis les fissures qui se dessinaient dans la chambre que j’occupais, je pouvais voir de nouveaux Grecs, Phéniciens, Arméniens, traversant les montagnes jusqu’à l’antre de Zénicetès. Tout l’or, toute la vitalité de l’Asie partait pour Rome : ces gens avaient perdu leur citoyenneté, leur oikos, jusqu’à la notion même de communauté. Le préteur Sylla ne semblait pas comprendre que la misère ambiante – dont il était l’un des principaux bénéficiaire, du reste – était la matrice la plus efficace de production des pirates. Il pouvait bien s’échiner à traiter les conséquences de la tyrannie, tant que les causes subsistaient, il ne lui servait à rien de lutter.
Lorsque revint la belle saison, Sylla s’était évertué à faire sortir tous ses navires par gros temps, sans jamais avoir pu obtenir de résultats concrets. Pas un seul archipirate n’avait été capturé, et son mandat parvenait bientôt à échéance. C’est ce moment qu’attendait Zénicetès pour remettre toutes ses forces à flots.
C’était un instant que je redoutais, bien sûr. Je craignaisde devoir reprendre la mer ; elle ne me rendait plus malade, mais elle restait pour moi associée à la forme la plus abominable de l’esclavage, et à l’abandon de toutes les valeurs constitutives de la cité. Je me consolais en me disant qu’il en allait de même pour la très grande majorité des malheureux qui se jetaient dans les bras de Zénicetès. Aussi avais-je passé beaucoup de temps avec Anaxis, qui m’entretenait de son expérience, de la valeur de l’eau, des nuages et des courants. Mais tout cela restait purement théorique. En outre, je n’avais guère consulté les archives des Assassins laissées par Homây. Tout juste y avais-je appris que sa confrérie était apparue en Egypte avant de se structurer en Perse, lorsqu'elle installa des bureaux dans toutes les grandes villes de l’Empire achéménide. Depuis, les Assassins s’étaient efforcés de maintenir leur présence en Asie, tout en restant très disséminés sur les contreforts occidentaux de la Méditerranée. Tout cela me semblait bien lointain, désormais. Et je me prenais à croire que, dans les gorges impénétrables de la Cilicie trachée, les sicaires d’Ahura Mazda avaient fini par m’oublier.
*
Anaxis reprit la mer avant moi, car il devait s’assurer de la bonne marche de tous les navires. Je ne tardai pas à l’imiter. En effet, tandis que nous approchions de la fin de l’été, l’archipirate vint me réveiller au beau milieu de la nuit, pour m’annoncer que j’allais de nouveau devoir fouler le pin et le cèdre de ses vaisseaux.
- Allons, fillette, fini de dormir ! Aujourd’hui, nous allons savoir si tu peux risquer la colère des dieux !
Me conduisant jusqu’aux embarcadères, tandis que le soleil commençait seulement à poindre, il me fit embarquer sur une quadrirème que je ne reconnus qu’avec difficulté. Il s’agissait de la galère d’Artaban, celle-là même qui m’avait conduite d’Ephèse au mont Olympe. Elle avait bien changée. Mise en radoub, elle était devenue la preuve du professionnalisme salvateur des plus vieux baroudeurs de Zénicetès, et semblait sortir des chantiers de Misène. En effet, si elle était toujours aussi peu protégée, sa coque avait été entièrement passée au racloir, elle avait été totalement pontée, et près de la moitié des planches et des chevilles avaient été changées. C’était un tout nouveau bateau.
L’équipage était rassemblé, les épibates sur le pont, les rameurs en files sur les bancs de nage, prêts à soulever les pelles… Etrangement, le proratès d’Artaban avait disparu. Il avait cependant été remplacé. Le nouvel officier de proue était bien plus antipathique que ce dernier, mais au moins plus énergique. Massif, doté d’une musculature noueuse creusée par le sel et l’effort, il était, avec Zénicetès, le seul à savoir pourquoi j’embarquais.
Dès que nous fûmes à bord, et déchaussés, il s’empressa de venir nous postillonner au visage.
- Ah ! Vous voilà ! Beugla-t-il sans aucune discrétion. Vite, femme ! Garde-toi de Poséidon !
Et aussitôt, il me plaqua une petite amphore de vin entre les mains. Après avoir pris conscience de la nature de l’objet, je relevai la tête pour dévisager l’officier, le sourcil relevé.
Il portait un bonnet phénicien par-dessus lequel avait été plaqué un casque illyrien, et son physique massif s’accordait excellemment avec la lourde armure faite de pièces bigarrées qu’il arborait. Il n’était pas sans me rappeler les butors qui montaient la garde devant l’héptère de Sylla.
- Scia, me souffla Zénicetès, je te présente Phedreos. L’un de mes plus fidèles lieutenants, et désormais l’officier de proue en titre. Il sera chargé de veiller à ce que tu ne fasses pas trop de bêtises pour notre première sortie…
- Nous n’avons pas encore annoncé la nouvelle à l’équipage, reprit le proratès sur une octave telle que tous pouvaient l’entendre. Nous verrons s’ils sont en mesure d’accepter… L’inacceptable.
- Ne t’en fais pas, reprit l’archipirate, j’ai soigneusement sélectionné ces hommes.
- Et cela est censé me rassurer ? Maugréai-je.
Ma mauvaise humeur retomba dans l’instant. Car, tout en prononçant ces mots, je pris conscience de la présence d’Anaxis, juché sur les cordages joignant les murailles à la voile.
- Oui, lui aussi est ici, fit observer Zénicetès en se remettant à dandiner. Il sera notre contre-sort, compte tenu de ta présence à bord…
- Et que suis-je censée faire de cela ? Sollicitai-je l’archipirate en tenant l’amphore à bout de bras.
- La mettre à l’eau, évidemment, s’étonna l’archipirate avec dédain.
- Bon, fis-je en haussant les épaules.
Et aussitôt, je gagnai le plat-bord pour y jeter la poterie. Je n’avais guère prêté attention aux rites des pirates, jusqu’à présent.
- Pas comme ça ! Explosa Phedreos qui se précipita vers moi pour me l’arracher.
Il déboucha délicatement le réceptacle de terre, et se répandit en fines libations, tout en marmonnant d’indicibles paroles, priant dans sa barbe. Quand il eut fini, quand l’amphore se fut vidée, il me la plaqua contre la poitrine, tout en hochant négativement la tête.
- Tu vois ? Et encore, d'habitude, j’utilise une patère !
Voilà donc ce qu’était – et ce que sont toujours – les terreurs de la Cilicie ; avant toute chose, des marins. Toujours avides de se garder des intercessions divines. Encore fus-je bien avisée de ne pas grimper sur cette galère du pied gauche… Comme, incapable de savoir quoi faire de cette poterie vide, je l’envoyai rejoindre le vin dans la baie, je m’aperçus que le proratès était retourné du monde des dieux à celui des hommes. Quoique… C’était bien de la volonté d’Eole dont il entretenait son patron.
- Le vent vient de tourner, seigneur, clamait-il de sa voix rauque. Nous pouvons appareiller quand tu le jugeras bon.
- Comment ? Et alors, mon prince, nous sommes encore à quai ?
« Phedreos» se précipita à son tour vers le plat-bord donnant sur la terre, et se mit à hurler, crachant une vague de postillon jusqu’à ce que les veines de ses tempes en palpitassent :
- Larguez les amarres ! Aulète, je veux ta musique la plus entraînante pour nous sortir de cette passe ! Maître de nage ! A ton poste ! Thranites ! A vos rames ! Nagez ! Un, deux ! Gubernetès ! Le gouvernail à bâbord ! Un, deux ! Thalamites, préparez-vous… A vos rames… Nagez ! Cadence lente ! Gubernetès ! file droit, à présent ! Préparez-vous à déferler la toile !
Et c’est au rythme de la mélodie sifflée par l’aulète et des gémissements des rameurs que nous quittâmes l’échancrure marine de la forteresse. Sur le pont, tout le monde semblait de la meilleure humeur, pas plus méfiant que de coutume : m’avaient-ils acceptée comme l’une des leurs, ou se contentaient-ils de m’ignorer ?
Une fois éloignée des rocs tranchants bordant les monts Taurus, et la côte à douze stades, je vis mes angoisses s’apaiser, comme par enchantement. Je me demandai comment j’avais pu survivre trois mois sans remettre le pied sur un bateau… C’était une sensation étrange, je haïssais la mer, ses dangers et ses lois iniques, mais, sitôt à bord, il me semblait que tout cela n’avait plus guère d’importance. Les embruns me fouettaient la peau, m’empêchant de penser, concentrant toute mon attention sur la ligne d’horizon, qui se déroulait comme un ruban infini. Je me sentis heureuse pour la première fois depuis longtemps. Devais-je m’en sentir coupable ? Anaxis m'avait-il transmis, bien malgré moi, son goût pour les choses du large ? Avant d’avoir pu résoudre cette énigme, Zénicetès se racla la gorge, et requit mon attention :
- Bien, fillette, d’où vient le vent ?
- Du sud, évidemment, répondis-je. C’est le Sirocco.
- Et pourquoi, selon-toi, avons-nous donc déferlé toute la toile et nous sommes-nous éloignés des côtes ?
- Nous prenons le vent de travers. Ainsi, nous pouvons continuer à progresser sans être obligés de louvoyer. Dans ces cas-là, toute la force de nage reviendrait aux rameurs, qui s’épuiseraient bien vite.
- Je constate qu’Anaxis a su parfaire ton éducation, me complimenta l’archipirate. Il ne te manque que l’expérience.
- Même avec les deux, objecta Phedreos, il lui faudra encore détenir la confiance des matelots. Et je puis t’assurer qu’elle ne l’obtiendra pas si facilement. Ils croient juste convoyer une « invitée de marque », comme tu l’as dit toi-même, seigneur. Veux-tu que nous leur annoncions ce qui les attend ? Ils vont poignarder la fille et la jeter par-dessus bord !
- Oui, la nouvelle serait assurément mal accueillie, ironisa l’archipirate. Mais j’ai de quoi mettre cet équipage en de très bonnes dispositions. Prépare-toi, Phedreos. Et toi aussi, fillette. Vous allez probablement devoir vous servir de vos armes.
- Nous ne nous sommes pas embusqués, seigneur, s’enquit de préciser l’officier.
- Pas besoin. Aulète ! Cesse ton brouhaha ! Keleustès ! Fait silence ! Brisez la cadence ! Réduisez la toile !
Pourquoi stoppions-nous au beau milieu de la mare ? Ce n’était absolument pas logique… Pas même recommandé. Mais cela ne semblait aucunement surprendre les matelots, qui, d’instinct, se tournèrent vers l’archipirate, qui les dominait fièrement à la poupe.
Zénicetès leva les bras au ciel dans une gestuelle grossière, puis décréta férocement :
- Mes princes ! Compagnons de fortunes et d’infortunes ! Peut-être vous interrogez-vous à cette heure quant à ma présence sur ce beau vaisseau ? Il est temps pour moi de vous révéler la lucrative raison pour laquelle nous sommes réunis ici au beau milieu de rien du tout ! Vous avez su rejoindre à temps le parti qui vous assurera le plus de gloire et de butin ! Bientôt, vous pourrez retourner chez-vous, non pas comme de banals esclaves, mais avec tout l’or de Crésus dans vos poches ! Mais pour cela, il nous faudra faire quelques efforts. Vous allez bientôt pouvoir vous distinguer, camarades ; mes agents à Alexandrie m’ont signalé le passage par ces côtes de trois lourds navires marchands, chargés du plus précieux des butins à destination de Rome ![1]
Pour toute réponse, une clameur féroce et totalement incontrôlée se déchaîna parmi les rameurs et les épibates, frappant du pied et du tue-lézard le bois les supportant. J’en arrivais même à craindre que le navire n’en finisse brisé.
- Les hémiolias[2] envoyées en reconnaissance m’ont confirmé leur arrivée imminente, poursuivit Zénicetès. Elles vont les rabattre vers nous. Ces vaisseaux sont très peu armés, s’en emparer sera des plus aisés. Alors, n’hésitez pas, frappez, hurlez, déchaînez-vous tant qu’ils ne réduiront par la toile !
Il n’était donc pas suffisant de profiter de cette agréable croisière, sur une mer plate et sous un ciel sans nuage ? A nouveau, je sentis l’angoisse étendre sur moi sa main glaciale. Elle était de retour, la triste réalité du monde des marins ! Mais l’iode m’avait rendu presque enragée, et je n’allais plus me laisser intimider.
- J’ai déjà assisté à un abordage, prévins-je Zénicetès.
- Ah oui ? Les premières fois sont toujours les meilleures ; alors, dis-moi, à quel point était-ce grisant ?
- Si vous faites le moindre mal aux équipages des navires marchands, je vous jure que…
- Quoi ? Ricana l’archipirate, vraisemblablement très amusé. Tu t’imagines pouvoir t’opposer seule à moi, qui dispose de deux-cent cinquante hommes sur cette seule embarcation ?
- Deux-cent quarante-neuf ! Rectifia négligemment Anaxis, qui venait de quitter la proue pour descendre dans l’entrepont, afin de s’abriter de la fureur des combats.
- Si tu veux, grinça Zénicetès à son attention. Non, crois-moi, fillette, la seule chose que tu puisses faire pour ces Egyptiens décadents est de prier les Dieux pour qu’ils carguent les voiles avant que nous soyons à leur bord.
- Mais qu’y a-t-il de si précieux sur ces vaisseaux pour que…
- Voiles à bâbord ! S’écria la vigie depuis le mât. Trois grandes rectangulaires et quatre petites réduites de moitié !
- Ce sont eux ! Se délecta Zénicetès d’un air morbide. Tous à vos postes ! Et toi, fillette, ferme-la, et contemple !
*
Dois-je véritablement détailler ce qui suivit ? Il ne s’agissait là que d’un de ces abordages communs dont tous les routiers nautiques ont l’habitude. A dire vrai, je m’attendais à quelque chose de bien plus sanglant, après ma difficile expérience en compagnie du pirate Levestros. En réalité, le navire marchand arraisonné par celui-ci après mon enlèvement était remarquablement bien armé, et ne s’en n’était pas moins défendu. Ce triste individu avait de toute façon toujours eu les yeux plus gros que le ventre, comme je le démontrerai par la suite.
Zénicetès, lui, choisissait ses cibles plus judicieusement. A l’inverse de Théron, il se savait bandit plutôt que guerrier. Tandis que nous voguions en cadence de combat vers nos proies, l’archipirate se délectait déjà du butin. Il m’expliquait qu’il avait tout préparé. Aux trois lourds cargos égyptiens, les Romains avaient promis une forte escorte – puisque l’Egypte était désormais si faible qu’elle était incapable d’envoyer ses propres vaisseaux. Assurées du soutien de la plus puissante des marines de guerre, leurs bâtiments venaient en Asie comme si elles entraient à Ostie. Or, Zénicetès avait corrompu les autorités en charge de les protéger. D’escorte, il n’y avait point. Et les nefs lagides venaient se jeter dans la gueule du loup.
Plus nous nous rapprochions, plus j’étais étonnée de n’entendre ni cris, ni fracas d’une coque contre une autre. Les pirates ne cherchaient pas le conflit ; ils rabattaient la proie jusqu’à la quadrirème. Et un immense sérieux régnait à notre bord ; les soudards s’étaient mués en guerriers. Dévorés par une férocité croissante, avides d’en découdre.
A deux stades, je distinguai parfaitement les contours des navires égyptiens. Il ne s’agissait pas de galères, mais de lourds transports à l’immense voilure et aux coques renforcées. Et je fus d’autant plus stupéfaite de voir ces monstres, placés en file l’un derrière l’autre et reliés entre eux par de solides cordages, fuir, harcelés par de minuscules embarcations tenant à peine la mer.
- Tout l’art de la surprise et de la peur, ricanait Zénicetès. Il est bien connu qu’un essaim d’abeilles suffit à faire paniquer un troupeau d’éléphants.
De fait, les hémiolias ne cessaient de projeter javelots et flèches sur la coque des navires marchands. Ils visaient misérablement, mais remplissaient très bien leur rôle. Les Egyptiens ne se rendirent compte de notre présence qu’au moment où nous étions flanc à flanc.
Il ne s’en n’est même pas suivi la moindre échauffourée. Il nous suffit de briser la ligne, de lancer les grappins et les planches d’abordages sur les deux premiers éléments du convoi, et de laisser le troisième aux hémiolias, pour obtenir la reddition de l’ensemble des équipages poursuivis.
- Et voilà, triomphait l’archipirate, les poings sur les hanches, tandis que nos matelots prenaient pied sur le pont adverse, le proratès en tête. Un assaut bien préparé est déjà un assaut à moitié réussi, souviens-toi bien de cela, fillette !
- Parfait, bougonnai-je, hésitante à prendre sa suite. J’essaierai de les limiter le plus possible…
- A présent, fit le crapaud de l’Olympe en recoiffant ses cheveux graisseux du plat de la main, la partie que je préfère… Celle où il faut être meilleur acteur que lutteur.
Dans un déhanché presque risible, Zénicetès passa d’un bord à l’autre, pour inspecter le pont du premier navire marchand. Sitôt qu’il y fit un pas, Phedreos précipita violemment à ses pieds les capitaines nilotiques.
Il n’y en n’avait guère que deux, probablement de riches marchands, pour être véritablement habillés à l’Egyptienne – et maquillés comme eux de khôl, surtout. Les autres avaient eu trop à faire à bord pour ressembler à l’image souvent erronée que l’on se fait de ces gens-là. Et ils s’apparentaient davantage à des grecs, façonnés par une vie dure et frugale, qu’à de décadents levantins.
Zénicetès leur sourit froidement. Bien sûr, il n’avait pas l’intention de les écorcher vif. Il ne s’en délectait pas moins de la crainte qu’il pouvait répandre ; et, lorsqu’il fut certain d’avoir capté toute l’attention par un long et ténébreux silence, il s’embarqua dans une logorrhée désinvolte :
- Mes princes ! Bienvenue en Cilicie ! Comme vous pouvez le constater, le ciel est bleu, les vents sont doux et la mer nous appartient ! Il était fort imprudent de votre part de vous aventurer seuls en ces eaux si mal fréquentées…
Le nauclère[3] se releva, pour lancer d’une voix tremblante :
- Nous étions censés être escortés. Et vous feriez bien de nous laisser partir, vermine de pirates, avant que les galères fédérées[4] ne viennent nous porter secours.
- Oh, reprit l’archipirate, faussement affligé, je suis navré, mais j’ai peur que vous n’obteniez rien de ce côté-ci. J’ai pris mes précautions, vous pensez bien. Mais rien ne nous empêche de nous quitter bons amis…
- Que voulez-vous ?
- Allons, mon prince, par les temps qui courent, vous devez avoir l’habitude. Dois-je véritablement reformuler ma pensée ?
- Nous avons sûrement de quoi vous payer notre libération, supplia l’un des négociants, mais pas de quoi vous racheter la cargaison ni les bateaux ! Pitié, mon seigneur, laissez-nous honorer notre accord avec les Romains ! Ils ont besoin de nous !
- Nous ne faisons pas d’évergétisme, soupira, impitoyable, Zénicetès. Qu’un peuple de rapaces crève de faim ne me pose aucun problème. Vous allez devoir choisir entre nous rembourser directement vos biens, ou vos personnes. Dans les deux cas, j’emporterai une part de ce convoi avec moi ! Mais rassurez-vous, je saurai en tirer le maximum ! Ainsi, il serait préférable pour tout le monde que je ne m’intéresse guère à vos âmes. Alors ?
Le triérarque prit alors la décision la moins désavantageuse. Commercialement parlant, s’entend :
- Très bien, nous allons vous laisser des otages en vue de notre prochain remboursement. Mais laissez-nous reprendre notre route.
- Si vous êtes aussi exigeant, reprit l’archipirate, je ne vois d’autre solution que de… « Réquisitionner »… Disons, trente pour cent de votre cargaison ? Je sais me montrer raisonnable…
- Vingt ! Répliqua sans la moindre once de crainte, le téméraire marchand.
- Va pour Vingt ! Je suis d’humeur généreuse, aujourd’hui ! Maintenant, mes princes, allons à la proue, histoire de négocier plus en détails les conditions de votre… Règlement.
Zénicetès s’éloigna donc en compagnie de ses débiteurs improvisés, tandis que Phedreos se mettait de nouveau à hurler des ordres stricts, qui firent descendre la moitié des pirates présents dans l’entrepont du navire marchand.
Ils s’en extirpèrent quelques instants plus tard, les bras chargés de lourdes amphores. Comme ils les transbordaient, sous le regard haineux des Egyptiens, un des pillards, qui saisissait l’un des contenant à bras le corps, ne se rendit compte que trop tard que son bouchon était mal ajusté. Et dans un mouvement brusque, une partie de contenu alla se déverser sur le pont.
Je fus stupéfaite. C’était ça, la cargaison si précieuse de Zénicetès ? Le butin absolu ? Quelques grains de blés de qualité difficilement appréciable, qui se répandaient désormais dans l’indifférence générale ?
Comprends donc ; contrairement à une idée reçue des plus ridicules au sein du monde civilisé, les barbares cultivent la terre, et pour tout dire, tout ce que les Grecs et les Romains savent de l’agriculture, ils le tiennent des Etrusques… Et des Gaulois. Pour une Thrace, comme pour tout autre, blé et orge sont essentiels, ils constituent la base des repas, et donc l’assurance de la survie… Mais nos terres sont fertiles, et nous produisons souvent plus de grains que nous en consommons. Qu’est-ce qui légitimait que l’on échafaudât un tel plan, et que l’on passât à deux doigts du massacre… Tout cela pour une cargaison de céréales ?
- On n’est pas dans les contrées du Nord, ici, me rappela Anaxis, qui était sorti de sa cachette pour rejoindre le navire marchand. Les côtes de cette mer sont faites d’un roc écarlate et dur. Difficile d’y cultiver quelque chose. Moi-même, je n’ai jamais vu de terre bien noire. Aussi, la valeur du grain est doublée à mes yeux… Comme à ceux de tous les Grecs…
- … Et des Romains, j’imagine ?
- Evidemment. Rome compte plus de huit-cent milliers d’habitants. Ses terres ne suffisent pas à les nourrir.
- … Et faire glisser du blé entre ses doigts, ajouta lyriquement Zénicetès qui revenait de son entretien, c’est tenir les couilles de Rome entre ses mains ! Leurs aristocrates vont nous racheter tout cela le triple qu’ils l’ont initialement commandé ! Ils n’ont pas le choix !
Puis, poursuivant sa tirade d’un air enjoué :
- Une belle journée de chasse qui commence ! Souviens-toi toujours, Scia, il y a quatre manières pour un pirate de faire fortune ; capturer de belles prises comme celles-là, effectuer des raids sur la côte, prendre d’éminentes personnalités en otage, et bien sûr, euh…
- Le commerce des esclaves… Achevai-je dans un souffle.
- C’est même l’activité la plus lucrative. Mais tout est une question de marché : ce sont les Romains qui ont besoin de céréales comme d’esclaves. Toute notre activité consiste à jouer les intermédiaires entre eux… Et leurs fournisseurs.
- Et lorsque l’on pille et l’on tue, les Romains en souffrent ? Demandai-je.
- Oh, ça les met dans une colère noire. Songe qu’une fois les rançons payés et les dégâts réparés, ils sont obligés de faire le déplacement pour aller se rembourser sur l’habitant.
- Alors… En faisant tout cela, C’est comme si vous rançonniez les plus pauvres ?
- Fillette, les plus pauvres de ces contrées, ce sont les pirates ! Il leur faut bien vivre de quelque chose !
J’en avais assez de ce personnage à la grande bouche et à la langue trop longue, aussi insouciant qu’insolent, dont les mauvaises rimes m’exaspéraient. La claque est partie toute seule. Cela surprit tellement l’archipirate qu’il manqua d’en tomber à la renverse, le comble pour un marin. Les membres d’équipages situés sur le pont, qui étaient jusqu’alors pris d’une intense frénésie dans le transbordement, s’arrêtèrent tous, tétanisés par mon acte. Moi-même, je commençais à me demander si j’avais bien fait. Non pas d’avoir agi, mais d’avoir agi si brutalement, au grand jour. Mon impulsivité restait décidément mon plus gros handicap…
Zénicetès se reprit vite. Il plaqua sa main sur sa joue endolorie, et postillonna méchamment :
- C’est la meilleure ! Je me décarcasse pour te trouver une place dans ce monde cruel, je tiens parole et crains les Dieux, et comment suis-je récompensé ? Par une humiliation, assénée par une gamine ?
Il me rabattit mon capuchon sur la nuque et tenta de me tirer par les cheveux, mais, trop vive, je m’écartai promptement.
- Phedreos ! Clama Zénicetès.
- Oui, seigneur ?
- Veille à ce que les otages soient répartis sur les hémiolias. Puis, rejoins-nous sur la quadrirème… Nous allons naviguer vers le ponant.
- Mais seigneur, vers le ponant, il y a… Enfin, Penses-tu vraiment que…
- Fais-ce que je te dis !
Et l’archipirate tourna les talons pour retourner à sa quadrirème en maugréant.
*
Environ une heure après avoir engagé le combat avec les navires marchands, nous pouvions reprendre notre route, les flancs chargés d’un riche butin agreste. Zénicetès ne desserrait pas les dents, avait fait déployer toute la voilure, imposait une cadence de croisière quasi-constante aux rameurs, et refusa même de tracter la galère sur le rivage le temps de casser la graine. A midi, comme notre embarcation était suffisamment spacieuse, il avait fait prendre la collation directement à bord, laissant à peine l’occasion aux thètes de souffler quelques instants.
Assurément, il n’avait pas digéré ma gifle. Alors, quelle revanche me mijotait-il ? A voir l’inquiétude gagner les visages d’Anaxis et de Phedreos, il ne faisait aucun doute qu’il ne nous préparait rien de bon.
Comme le soleil déclinait à l’horizon – et l’entrain de la majeure partie de l’équipage également- le proratès glissa à l’oreille de Zénicetès des paroles pratiquement inaudibles. Pour quelqu’un n’ayant pas vu son ouïe aiguisée par Homây. Et ce n’était pas mon cas.
- Seigneur, l’île se dessine déjà à l’horizon ! Vous allez nous jeter droit dans l’antre du Cyclope !
- Ne dis pas de bêtise, Phedreos. Depuis quand les Cyclopes savent-ils nager ?
Aussitôt, l’archipirate se dégagea de son adjoint pour venir obstruer mon champ de vision de sa masse corporelle. Nous nous retrouvâmes quasiment nez et à nez, il tenait à disposer de toute mon attention.
- Tu sais, fillette, mes rapports avec Polybios n’ont pas toujours été très amicaux…
- Oh, je l’avais compris, raillai-je doucement. Et vos confrontations ne se sont jamais achevées à ton avantage.
- En effet. C’est au terme d’une joute navale qu’il m’a fait prisonnier et m’a forcé à effectuer un vœu pieux. Et pourtant, j’ai les pieds dans l’eau depuis ma naissance. Ton ami est doté de facultés extraordinaires. Certains le comparent à un demi-dieu… Au vu de ses prérogatives, je serais tenté de le croire… Mais toi, fillette ? Disposerais-tu également, comme le prétendent les rumeurs, de ce redoutable « Sens » ?
Il était temps pour moi de subodorer l’inimaginable. Quel genre d’épreuve tordue allait donc m’imposer ce batracien d’eau salée ? Plutôt que de répondre à sa question, rhétorique à bien des égards, j’arquai les sourcils et lançai :
- Qu’est-ce que tu prépares, encore ?
Pour toute réponse, l’archipirate pointa la ligne d’horizon du doigt. Un minuscule caillou s’y dessinait, mais qui grossissait à mesure que les rouleaux d’écume frappaient notre proue.
- Sais-tu où nous sommes, Scia ?
- Non, évidemment.
- Juste en face de l’île de Rhodes ! Clama-t-il alors, d’une voix forte et presque enjouée.
Aussitôt, l’ensemble des matelots fut pris de panique. La cadence ne fut plus respectée, l’aulète s’étouffa entre deux notes, et les épibates s’empressèrent de rassembler leurs armes. Rhodes ! L’ineffable allié de Rome, la police en ces eaux. La plus puissante marine du monde grec, au service de l’ordre et de la lutte contre la piraterie. Et donc, à cet instant précis de mon récit, la vigie signala ce qui, en ces eaux, s’avère fatalement inéluctable :
- Deux voiles par bâbord et tribord avant ! Elles filent droit sur nous ! Des trières rhodiennes !
Tous se tournèrent alors vers leur « seigneur », attendant une prompte réaction de sa part… Mais celui-ci n’en fit rien, s’engageant dans une tirade pathétique au moment le plus défavorable.
- Par les Dieux, persifla-t-il en une moue pitoyable, s’adressant désormais davantage à ses marins qu’à moi-même, je me suis fourvoyé ! Ah, compagnons, quelle faute impardonnable pour moi, que d’avoir écouté le chant de cette maudite sirène, qui nous mena jusque dans la gueule de nos ennemis !
Et, pour mieux expliciter ses propos, il me pointa lentement du doigt. En deux phrases, j’étais devenu le catalyseur de toute l’anxiété de l’équipage. J’en restai bouche bée. Et les paroles suivantes n’allaient pas non plus retourner l’ambiance générale à mon avantage.
- Elle m’a manipulé, la fourbe, se lamentait le « seigneur » le plus trapu de ces mers. Dire que je ne prenais pas au sérieux ses prétentions ridicules de prendre le commandement de ce navire !
Le proratès et moi-même, nous écarquillâmes les yeux de concert. Ce fut la première fois que je me sentis solidaire de Phedreos, et ce dernier compatit probablement à mon endroit. Car dès lors, fut déchaînée contre moi toute la fureur des galériens. Ils se mirent à me traiter de tous les noms, et il est fort heureux que, placée sur le gaillard d’arrière, je me trouvasse hors de portée de leurs crachats et de tout ce que la quadrirème comptait de projectiles. Ne fais pas ici appel à l’inconstance des marins ; ils ne venaient pas simplement de me découvrir, depuis longtemps, l’équipage m’avait repéré. Et les fléaux des Dieux sont si courants sur les flots de la Méditerranée…
Ainsi donc, voilà quelle était la vengeance de Zénicetès ! Me faire écharper par ces matelots que Polybios espérait me voir commander ? Quelle perte de temps et d’énergie ! N’aurait-il pas mieux valu qu’il m’écartelât dès mon installation sur le Mont Olympe ? Or, tandis que je tirai mes haches, prête à défendre ma vie, le châtiment se mua en épreuve.
- Eh bien ! S’embrasa l’archipirate, requérant cette fois officiellement l’attention de ses hommes, je relève le défi ! Elle veut mener ce beau vaisseau ? Elle veut diriger les braves qui le maintiennent en état ? Qu’elle lutte pour notre survie à tous ! Qu’elle nous débarrasse des moucherons qui nous traquent par sa faute !
- Seigneur ! Ne put s’empêcher d’éructer Phedreos. Elle n’a aucune expérience ! Nous allons nous faire…
Cette remarque me tira de ce total détachement au monde sensible que procure la stupéfaction. Résolue, j’empoignai le bras de l’archipirate et me mettait à mon tour à crier.
- Mais écoute-le, imbécile ! Je n’entends rien à toutes vos jérémiades, si ce n’est que les deux trières qui filent vers nous, elles sont là pour en découdre !
- Bien entendu, admit Zénicetès sur un ton plat. Rhodes est la meilleure alliée des Romains, en ces eaux. Et par les temps qui courent, tous les navires armés s’approchant un peu trop de ses côtes et qui ne battent pas pavillon latin sont arraisonnés.
- Je ne peux pas vous sortir de là ! Hurlai-je. Et tout ce que vous racontez est faux ! Reprends-le… Je te laisse ton fichu bateau ! reprends-en le commandement, te dis-je ! Si tu ne veux pas nous voir tous finir esclaves !
- Oh, il est aisé de corrompre les magistrats d’une cité… J’ai sur moi et dans nos cales beaucoup d’argent et de butin, largement de quoi racheter ma liberté et celle de tout l’équipage… Ou, tout du moins, des membres qui me semblent essentiels. Eux ne risquent qu’un simple petit détour par l’agora et les quolibets de la population…
- … Et je n’en fais pas partie, de ces « essentiels », n’est-ce pas ?
- Ils sont à moins de trois stades ! S’égosilla la vigie. Ils nous prennent en tenaille ! Le vaisseau va être saisi !
Les matelots commençaient sérieusement à s’agiter. Sans doute avaient-ils déjà eu vent de la légendaire avarice de Zénicetès. Quel zygite aurait eu une quelconque importance à ses yeux ? Les « essentiels » de l’équipage… Eux non plus n’en feraient sûrement pas partie. Il allait me falloir agir. Véritablement agir. De ces actes qui vous font couler une sueur froide sous l’échine. Car ils vous mènent là où vous n’auriez jamais cru bon d’aller.
- D’accord, fis-je à contrecœur en me rapprochant du gubernétès[5] afin de me retrouver davantage dans l’axe du navire. Tu es complètement fou, vieux crapaud !
- A la bonne heure, ricana l’archipirate. Je te suggère tout d’abord de relancer la cadence, les trières sont en train de nous flanquer.
- Cadence de combat ! M’égosillai-je au possible. Déferlez toute la voile !
Cet ordre me semblait ridicule. Ma voix était désespérément peu assurée, ne portait pas aussi loin que celle de Zénicetès. Pour ne rien dire de celle de Phedreos. Et puis, j’étais une femme. Qui m’écouterait ?
Tout le monde. L’instinct de survie imposa aux hommes de ravaler leur ego. De toutes manières, ils n’attendaient que cet ordre. En un battement de cil, l’aulète entama l’air le plus entraînant possible, et les rameurs déployèrent toute leur énergie à nous sortir de ce piège, quelle que fut l’identité de celui nous y ayant entraîné.
Les trières rhodiennes étaient si proches que j’en distinguai chaque détail, des nervures de la carène jusqu’à l’essence du mât. Elles furent si surprises par notre brutale manœuvre qui leur fallut un long moment pour se ressaisir. J’imagine qu’étant donné notre passivité, elles s’imaginaient ne même pas avoir à nous combattre et se préparaient déjà à négocier notre reddition.
Ainsi nous extirpâmes-nous assez facilement de la menace de l’encerclement, mais cela ne pouvait suffire. Car bientôt, les trières nous chargèrent à nouveau, nous chassant à la poupe.
- Le vent est favorable, nous cria Anaxis. On peut virer à tribord !
- Et alors ? Paniquai-je.
- Les deux trières sont bord à bord, s’enthousiasma Phedreos. On va se les faire une à une. Donne l’ordre !
- Gubernétès ! Vire à tribord !
- Les rameurs, fillette !
- Désolé, je n’y connais rien, moi ! Flanc bâbord, arrêtez de ramer !
- On dit « cessez la nage » ! Explicita Phedreos en précisant le fond de ma pensée.
Il n’y avait plus le moindre reproche dans le ton de sa voix. Le proratès se contentait de corriger mes innombrables erreurs, tandis que Zénicetès, lui, se plaisait à rire aux éclats.
La quadrirème décrivit un long cercle pour se retourner contre ses poursuivantes. La trière sur notre tribord mordit à l’hameçon et se détacha de sa comparse pour nous présenter son dangereux éperon de bronze.
- Elle nous charge ! M’affolai-je en tournant la tête vers le proratès. Que devons-nous faire ?
- Ne lui réponds pas ! Fulminai Zénicetès. Je veux savoir si elle est aussi « excellente » que Polybios le prétendait…
- Diekplous[6] ! Fit tout de même observer Phedreos. N’essaie pas de faire comme elle. Elle est plus maniable, et nous sommes alourdis par le blé. Fais-nous passer sous sa proue, présente-lui notre arrière ! Si elle nous heurte sur le flanc, nous risquons de nous désagréger !
- Virez encore à tribord ! Ordonnai-je.
- A jouer à ça, on va finir par se retrouver à remonter le vent ! Nous prévint Anaxis.
Peut-être, mais la tactique du proratès fut néanmoins efficace. La trirème ne put nous éperonner, néanmoins, elle nous poursuivait toujours, et son éperon était sur le point de se loger dans notre galbage arrière.
- Et maintenant ?
- J’en fais mon affaire, sourit Phedreos.
Et il ajouta :
- Tous les épibates, à la poupe !
Les hoplites embarqués n’avaient même pas attendu son ordre. Ils s’étaient déjà rangés tout autour de nous, et se transformèrent sur le champ en peltastes.
Leurs boucliers déposés sur le pont pour ne pas les encombrer, ils grevèrent la proue du navire ennemi de javelots. Les Rhodiens firent de même, mais leur équipage étant beaucoup plus ténu, ils ne disposaient pas de notre puissance de feu. Nous laminâmes leur infanterie de marine, bien que ces gaillards fissent preuve d’un certain répondant… Car tandis que nos épibates nous protégeaient des traits lancés sur notre poupe, la seconde galère ennemie, nous ayant prise de flanc, choisit de se placer muraille[7] contre muraille et nous cribla de flèche. Trois de nos hoplites s’écroulèrent de concert, Phedreos eut juste le temps de saisir son hoplon pour se protéger. Quant au gubernétès, il eut l’épaule percé par un projectile. Il s’effondra à moitié sur l’aviron bâbord, nous dégageant ainsi temporairement de la menace de la trière à nos trousses… Mais nous forçant ainsi à remonter le vent ! Et sans personne pour diriger le navire, qui plus est.
Depuis qu'Homây m'avait fait gagner en force, j'étais à même de reprendre la barre. Sans doute y avait-il quelqu’un de plus qualifié que moi pour cette tâche à bord. Je n’ai même pas pris le temps d’y réfléchir. Je sautai dans la partie évidée de la structure laissée à l’attention du gubernétès, et j’empoignai les avirons composant les facettes latérales du puissant gouvernail.
Ce fut comme si tous les efforts des précédents nautoniers s’imprimaient sur mes doigts. La sueur, la peau qui y restaient collées, tout m’indiquait de quelle manière naviguer, et la pression nécessaire pour effectuer chacune des manœuvres existantes. Je faisais corps avec le navire, c’était une grisante sensation de confiance et d’assurance. Honnêtement, je ne me rendis compte de ce phénomène exceptionnel que bien après. J’avais trop à faire avec ces fichues trières, qui ne cessaient de rôder autour de nous, comme des requins cherchant à déchiqueter leur proie.
Suivant les indications d’Anaxis, je renonçais à nous faire manœuvrer vent arrière. Je donnais l’ordre de carguer toute la toile, et m’appuyai sur les rameurs. M’en remettant à cette espèce de combat tournoyant, je finis par semer le trouble chez nos poursuivants : à vouloir nous imposer un diekplous, la trière que nous avions sur le flanc tribord nous manqua largement, pour aller encastrer son éperon dans la poupe de sa congénère, n’ayant pas pu manœuvrer assez vite.
J’eu alors une très mauvaise surprise. Car loin de faire sombrer son infortunée victime sur le champ, il suffit à la galère par trop téméraire de reculer de quelques brasses, et ainsi de dégager son rostre, pour voir l’autre trirème reprendre sa course !
- Ce n’est pas possible ! M’étonnais-je. Son éperon l’a totalement transpercée ! Comment cette galère peut-elle encore flotter ?
- Bah, elle est faite de bois, me rappela Anaxis. Comment veux-tu couler du bois ?
- Mais alors, comment détruire ces navires ?
- Soit en les abordant, soit en mettant leurs structures en pièce. C’est à ça que sert le diekplous, femme. La trière qui vient d’être frappée a failli être coupée en deux. Elle n’en sera que moins manœuvrable.
- Va pour le diekplous, alors.
- Quoi ?
De fait, la trière endommagée manœuvrait beaucoup moins bien, et il lui fallait réduire sa vitesse pour ne pas faire eau. Le Sens – ce devait être ce qui me guidait en cet instant critique - me poussa à réaliser une des plus belles manœuvres qu’il me fut donné d’effectuer.
Je me repositionnai sous le vent. Mais je ne fis pas redéployer la voile. Cela aurait pris trop de temps, de toutes manières. La trière encore manœuvrable s’était – à nouveau – positionnée dans notre sillage. Plus rapide, à vitesse d’éperonnement, elle nous rattrapait bien aisément. Jusqu’à l’instant où je virai de bord.
Avec toute leur toile déferlée, les Rhodiens étaient portés par Eole et ne pouvaient virer facilement. Lorsqu’ils y parvinrent, ce fut pour se rendre compte que nous les avions ramenés droit sur leurs congénères, sur l’autre trière.
Ils se retrouvaient rostres contre rostres, et ils se voyaient donc venir. Ils ralentirent aussitôt l’allure, tandis que nos épibates les perçaient de traits. Ils s’empressèrent donc, en communiquant par sémaphore, de faire en sorte que leurs navires se contournassent l’un l’autre, pour reprendre la traque. Et je n’attendais, justement, que l’instant où leurs murailles se longeraient.
Une fois le moment venu, je fis accélérer la cadence des rameurs et chargeai les deux galères à la fois. Avec le vent de travers, les Rhodiens étaient lents à s’organiser, lents à se dépêtrer de leurs manoeuvres.
Lorsque notre éperon transperça la coque de la galère encore intacte par le tribord avant, sa muraille bâbord est partie, sous le choc, s’encastrer dans celle de l’autre trière, lui brisant les rames de ce flanc. J’ordonnai aussitôt de nous dégager de la cible. Nos ennemis ne pouvaient même pas lancer les grappins d’abordage, Phedreos avait gagné la proue avec les épibates et couvrait notre recul.
De retour à trente brasses environ des deux trières qui n’avaient pas fini de se démêler l’une de l’autre, j’ordonnai un second éperonnement, dans lequel les rameurs mirent toute leur énergie, et cette fois, les flancs de la galère exposée… Explosèrent. Ses marins furent précipités à la mer, et l’équipage du second navire ennemi, trop endommagé et incapable désormais de virer à bâbord, jeta toutes ses armes à l’eau et baissa pavillon.
Zénicetès en resta coi. Et notre propre équipage, une fois la tension retombée, des plus interloqué. Finalement, comme la situation ne convenait guère à l’interrogation, Phedreos brisa le silence et la stupéfaction par un immense cri de victoire, reprit immédiatement par tous les matelots. Anaxis daigna même sourire. Par contre, tandis que les boucliers frappaient le pont de la galère dans un vacarme féroce, l’archipirate ne semblait pas du tout satisfait de l’issue de cette confrontation.
- Ce n’est pas possible… Marmonnait-il entre ses dents. Serais-tu sortie de la tête de Zeus, Scia ?
Ce fut la première fois qu’il m’apostropha par mon prénom. Pour ma part, mes jambes flageolaient, j’étais en nage, et prise de vertige. Je ne ressentais aucune fierté, j’étais bien trop commotionnée pour cela. Mais je ne me démontai pas pour autant.
- Que dois-je faire, maintenant ? Demandai-je à Anaxis d’une voix pantelante.
- Tes adversaires se sont rendus. Tu maîtrises leur destin. Tu peux les libérer, les rançonner, ou en faire des esclaves directement.
- Alors, je les libère. Qu’ils s’occupent de leurs frères tombés à la mer.
- Tiens, sage décision, admit Zénicetès.
- Venant de toi, ajoutai-je non sans acidité, cela m’étonne.
- Je ne sais rien des choses de la mer, mais il est clair que nous touchons aux amygdales de Charybde. Les petites amies de ces deux embarcations ne tarderont pas à rappliquer. Nous sommes en territoire hostile. Pas le temps de faire des prisonniers.
Aussitôt, je m’appuyai franchement sur les avirons, positionnant la poupe de la quadrirème face à l’île de Rhodes. J’étais désormais parfaitement à l’aise, même le combat naval ne m’effrayait nullement. Une marque de témérité, car tous les marins redoutent cet instant. Au moins Polybios avait-il raison : j’étais en mesure de manier ces fichus tas de rondins que certains appellent des navires.
- Proratès ! Ordonnai-je, enthousiaste. Éloigne-nous d’ici !
Phedreos fit remettre les rameurs à la marche, et nous nous éloignâmes des lieux de l’affrontement, à la grande surprise des matelots insulaires.
Et, dès qu’il eut fini de rugir ses directives, je pris la parole, sans même laisser le temps à Zénicetès le soin de nous faire profiter une fois de plus du spectacle de ses amygdales.
- Votre soi-disant « seigneur » vous a menti ! Leur annonçai-je. Je n’ai jamais voulu vous mener au large de cette île ! C’est lui qui vous a préparé ce piège ! Pour se venger de l’humiliation que je lui ai fait subir ! Pourquoi vous aurais-je aidé à en réchapper si j’avais tout organisé ?
Les réactions se firent rares. Pas, étonnant, quelle idiote je faisais ! Les rameurs devaient certes se poser des questions, mais comment pouvaient-ils seulement parler lorsque, les dents serrées et les muscles tendus, ils étaient occupés à faire accélérer ce maudit tas de bois !
Seuls les épibates froncèrent les sourcils en se tournant vers l’archipirate.
C’est dans ces moments que l’on comprend pourquoi certains règnent en maîtres tandis que les autres sont écrasés sous le talon de leur autorité.
Zénicetès parvint une fois de plus à retourner la situation et à la ramener à son avantage.
- Voyons, argumenta-t-il, chacun ici sait à quel point je ménage mes équipages. Je n’irais pas jusqu’à gaspiller un si beau navire simplement pour tester une… Une femme ! C’eut été passablement ridicule.
- Peu importe ! L’interrompit Phedreos. Tu dois la vérité à l’équipage.
- Mais la vérité, je vous l’ai déjà donnée. Cette fille désire prendre le titre d’épiplous. Sur ce navire.
Aussitôt, sans même que les rames fussent levées, une clameur de protestation générale s’éleva de l’entrepont. Ces «sympathiques » marins venaient d’oublier, par quelques mots biens choisis, ce qu’ils me devaient. Et il n’était même pas nécessaire de pouvoir espérer leur faire entendre raison quant à ce nouveau mensonge. Apparemment, la victoire contre Rhodes et le pillage des navires égyptiens n'avaient pas suffi à faire de moi une fille de Cilicie.
J’en avais passablement assez. Je désirai ardemment clouer définitivement le bec au batracien prétentieux qui entendait me manipuler comme si j’étais sa poupée. Mais ma retenue avait déjà explosé dans le combat contre les trières rhodiennes, et quasiment soulagée d’avoir pu enfin me défouler par la violence et l’effort, je ne voyais pas l’utilité de faire un mort de plus. Je m’assagissais déjà, vois-tu… Aussi me remis-je à haranguer les matelots.
- Je vous ai montré de quoi j’étais capable ! Si vous ne voulez pas naviguer avec moi, alors j’en trouverai d’autres pour assurer mes prises !
- Voilà une excellente proposition, s’avança Zénicetès. Les marins sont des gens superstitieux. Il faut avoir gagné leur confiance avant de les convaincre. Ce qu’il te faudrait, c’est un nouvel équipage indubitablement loyal.
- Après tout, fis-je remarquer comme une ritournelle, nous n'avons pas le choix. Tu as dit que tous ceux présents ici auraient assez d’argent pour être riches comme Crésus.
Aussitôt, l’archipirate me susurra à l’oreille :
- Il fallait bien trouver une raison de les motiver. En vérité, si le blé est très précieux, son commerce ne suffit pas à faire fortune. Il faudrait s’être emparé d’huile ou de vin pour cela. Et si tel était le cas, même en étant généreux, nous ne ferions que les gager en nature. Il faut aussi du numéraire. C’est ce qu’il y a de plus de poids, en ce moment, dans toute la Méditerranée. Les plus riches conservent tout l’argent dans leurs coffres, et ne les ouvrent pratiquement jamais.
- Alors, il faut attaquer les lieux qui contiennent cet argent : rembourser cet équipage pour qu’il aille voir ailleurs, et en solder un nouveau qui soit à mes ordres.
Zénicetès haussa le sourcil comme si j’avais dit la plus grande des stupidités.
- Entre nous, il vaut mieux que tu débarques tous ces ingrats au premier port venu, et que tu les vendes comme esclaves ! Lorsque je me méfie trop d’un de mes officiers, je lui donne une petite mission piégeuse, je renseigne par erreur la marine romaine, et…
- Jamais de la vie ! M’offusquai-je.
- Mais enfin, fillette ! Les coffres des romains se trouvent à Rome ou à Rhodes, là où rien ni personne ne peut les atteindre ! Quant aux sanctuaires, ils sont si bien gardés qu’il est inutile d’y tenter quoi que ce soit !
Je laissai mes bras se balancer au-dessus des avirons, pensive.
- Il doit tout de même exister un autre moyen que l’or ou l’argent pour convaincre les plus pauvres de me faire confiance ?
- En effet. Pour que des hommes soient fidèles à une femme, il est nécessaire qu’elle leur ait rendu un tel service qu’ils en deviennent ses obligés jusqu’à la fin de sa vie. Une telle gratitude ne s’obtient pas facilement… Tu peux les charmer, mais ton physique n’est pas des plus aguicheurs…
- Merci, je retiendrai.
- Tu peux aussi les soudoyer, mais nous en revenons à la problématique financière, quasi-insoluble…
- … Et si je les libérais ?
- Qu’entends-tu exactement par-là, fillette ?
A Phasis, je n’avais rien contre l’esclavage, mais Homây avait pris soin de me transmettre son aversion pour cette institution. Il détestait particulièrement les foules serviles que concentraient les maîtres les plus fortunés. Par conséquent, ce ne sont pas tant ceux-ci que j’exècre, que les conditions de vie de leurs multitudes d’esclaves. Un esclave est un membre de la famille : à partir du moment où un noble ou un aristocrate emploie pléthore de serviteurs non-salariés, il ne dispose plus que d’une armée. M’en prendre à de telles « possessions » ne me posait aucun problème. Aussi veillai-je à réitérer mes propos, en les appuyant plus fortement.
- Les pirates, quand ils sont capturés, sont réduits en esclavage, non ?
- Quand les Romains se font généreux, oui. D’habitude, ils nous crucifient… Mais… Tu ne parles tout de même pas de libérer certains de ces infortunés flibustiers ?
- Tu es moins rapide que tu en as l’air, ô Zénicetès.
Aussitôt, l’archipirate se mit à faire les cent pas d’un bord à l’autre de la poupe.
- Pitoyable ! S’enflamma-t-il. Pourquoi crois-tu que les flottes rhodiennes et romaines ne viennent pas nous traquer jusque dans nos repères ? Parce qu’ils ont besoin de nos activités, parce qu’ils ont besoin de biens humains ! Mais libère-en, ne serait-ce qu’une dizaine, fais-en des hommes libres sans l’avis de leurs maîtres, et tu deviendras l’une des personnes les plus recherchée d’Asie !
- Attention, prévins-je l’archipirate, tu risques une nouvelle claque…
Aussitôt, celui-ci plaqua ses bras sur l’aviron bâbord, m’empêchant ainsi de manœuvrer correctement. Il souhaitait probablement que je le regardasse droit dans les yeux. Je ne lui fis pas ce plaisir.
- Par Poséidon et Dionysos ! S’exclama-t-il finalement. Toi, tu es une femme, tu as été affranchie, et ton ancien maître est mort, alors, on te considérera comme un problème mineur. Mais des esclaves ! Ils sont si nombreux en Achaïe et en Italie que les Romains en ont une peur bleue ! Leurs patriciens vivent dans la terreur constante d’une révolte de ces espèces d’hilotes[8] ! Dès qu'un esclave désobéit, pour eux, c'est le prélude à une invasion de chimères ! Tu vas soulever la colère de tout ce que l'Asie compte de puissants.
- Ah oui ? N'est-ce pas le propre d'un Assassin ? Si cela ne te dérange pas, je vérifierai tout cela par moi-même. Trouve-moi seulement l’endroit où sont retenus tes anciens compagnons que tu as vendus ou abandonnés, ô Zénicetès, ou non seulement je ne resterai pas ta cliente, mais je confierai à tes subordonnés tes projets au sujet de la régulation de nos effectifs.
- Folle ! Souffla l’archipirate en retour. Tu es complètement folle ! Si tu crois que cela m’arrêtera ! Et d’abord, lâche ce gouvernail ! Laisse le gubernétès s'en occuper !
- Oh, son épaule l’empêchera de bien gouverner ce navire. Qui plus est, je me trouve très bien à ma place. Cela maintient mes sens en éveil.
Zénicetès se passa les mains sur le visage, exaspéré par ma conduite. Lorsqu’il s’aperçut que Phedreos m’observait avec des yeux pleins de soulagement, il manqua rougir à nouveau.
- Ne me dis pas que tu trouves son idée intéressante ? Grogna-t-il à l’adresse du proratès.
- Eh bien… Il doit y avoir de nombreux pirates faits prisonniers, sur les plantations qui parsèment la côte. Nous devrions y réfléchir… Après tout, quelques disparitions inopinées ne provoqueront pas la colère de Rome. La Louve a autre chose à penser, en ce moment… Et puis, rien qu'à l'idée de pouvoir être secouru par quelqu'un si jamais il devait m'arriver malheur... Sûr que cela, rien que cela, c'est déjà un grand pas de fait vers la confiance.
L'affaire semblait donc entendu. Seulement, le maître de l’Olympe redoutait sans doute de voir ses anciens clients, trahis et jetés en pâture à leur pire ennemi, revenir dans son repère. Il savait cependant qu’il ne pouvait risquer la colère de ses capitaines, sans parler des rameurs aigris et fatigués. Il allait devoir transiger, et, pour la première fois, à mon avantage. J'avais fait plier l'un de ces maîtres qui me bombardaient d'ordres depuis des années ! Et j'en étais fière. Je pouvais le faire : je pouvais corriger la conduite de tous ces matamores enragés. Et comme nous voguions vers les gorges trachées après cette éprouvante expédition, une idée vint occuper mon crâne : si les lois de la Méditerranée étaient si injustes, pourquoi ne les changerais-je pas ?
[1] Les vents poussaient les navires égyptiens vers le nord, et ce, même si leur destination était l’ouest, ce qui explique aussi la concentration des pirates en Cilicie.
[2] Plus petit type d’embarcation de guerre, non-pontée et réunissant au maximum une quarantaine de matelots. Il s’agissait des principales embarcations utilisées par les pirates, rapides et faciles à camoufler.
[3] Représentant des affréteurs sur un convoi.
[4] Foederati : Rome, en Orient, ne réduit pas systématiquement les territoires qu’elle contrôle en province, loin s’en faut. Des cités comme Rhodes, l’Egypte ou Pergame lui sont simplement alliées, « fédérées ». On parle alors de cité, ou Etat-client, car la République peut tout de même mettre le nez dans leurs affaires comme bon lui semble…
[5] Sur une galère antique, l’équivalent de notre « barreur » actuel. Il tient les avirons et oriente le navire.
[6] Procédé le plus classique d’éperonnement.
[7] Le « côté » d’une galère
[8] On estime qu’à cette époque, dans certaines régions de la Méditerranée, comme en Sicile, le taux d’esclaves parmi la population totale pouvait atteindre jusqu’à 60 %.