Que sommes-nous ?
Jinx était déjà rentrée chez elle, et Vi était de nouveau seule. C’était toujours triste le premier jour, lorsque sa sœur partant, ou quand la plus âgée quittait la maison de la plus jeune. Elles étaient si proches l’une de l’autre que chaque séparation était un crève-cœur. Elles s’enlaçaient pendant si longtemps que ça paraissait une éternité, et pourtant, ce n’était pas assez pour elles. Elles savaient qu’elles avaient chacune besoin de leur espace privé, et elles avaient toujours respecté cela, mais elles avaient également besoin d’être ensemble. Elles se sentaient bien lorsqu’elles étaient toutes les deux, comme des jumelles.
Mais après le premier jour, pendant lequel la rouge s’était sentie vide à l’intérieur, la vie reprit son cours. La solitude n’avait jamais été un véritable problème pour elle, cela signifiait au contraire la sécurité et la tranquillité, et c’était rassurant pour son esprit.
Elle était sur son ordinateur, travaillant chez elle, paisiblement, avec la musique de Piltover’s Finest à bas volume. Cela l’aidait à apaiser son cerveau et à se concentrer sur ce qu’elle faisait, tout en gardant un sentiment de sérénité. C’était sa façon de se détendre, depuis des années, lorsqu’elle allait dormir. A cause de ses crises d’angoisse, Vi avait développé des difficultés à s’endormir quand la pièce était envahie par le silence. Dépendant de son niveau de relaxation, même lorsqu’elle travaillait, elle avait besoin ou non d’un son d’ambiance, pour se sentir mieux.
Une autre musique retentit, quelque chose qui ne venait pas des baffles de son ordinateur, mais de son téléphone. Qui l’appelait ? Elle regarda et vit le mot « Mère » sur l’écran. Pourquoi l’appelait-elle sur ses heures de travail ? Quelque chose était arrivé ? Vi prit rapidement son portable, faisant défiler de son pouce pour décrocher, ses yeux regardant l’heure sur l’horloge de son pc. Non… Ce n’était pas pendant ses heures de travail ; elle avait fini sa journée depuis une heure maintenant. Etait-elle autant concentrée ? Bon… Au moins, elle avait pris de l’avance. Pas si mal au final.
« Salut m’man. »
« Ah Vi, comment vas-tu ? »
« Hm, bien. Et toi ? »
« Bien, bien. Tu n’as pas oublié les prochaines vacances, n’est-ce pas ? » demanda sa mère.
« Bah… j’ai pas encore posé mes congés. Pourquoi ? »
« Oh tu n’es pas sérieuse… Tu n’as pas encore demandé pour les vacances d’été ? »
« J’ai pas prévu d’aller quelque part cette année, alors… »
« Tu plaisantes ? » la coupa-t-elle. « Chaque année, nous avons nos vacances familiales. Tu ne veux pas nous voir, c’est ça ? »
« Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire… C’est juste que… »
« Tu es ingrate… Après tout ce que nous avons fait pour toi, tu ne veux pas passer du temps avec ta famille. As-tu pensé à tes petits-cousins ? Tu veux les décevoir ? Tu veux nous faire honte devant la famille ? »
« Je… »
« Eh bien, si tu pensais ne serait-ce qu’un peu à tes parents, tu poserais tes congés comme d’habitude. Tu as certainement du temps, ton travail n’est pas si compliqué. Et tu es célibatoire, alors tu as beaucoup de temps libre. Je suis sûre que tu n’as toujours pas d’amis et que tu passes tout ton temps hors de travail à la maison, à jouer à tes jeux vidéos stupides. Quand vas-tu enfin grandir et te trouver quelqu’un ? Peut-être serais-tu capable de trouver un mari convenable si tu prenais davantage soin de toi et que tu commençais enfin à être plus féminine. »
La rouge ne savait pas quoi dire… Que pouvait-elle répondre de toute façon ? Elle sentit sa gorge se serrer et ses yeux se remplir de larmes, tandis que ses mains tremblaient.
« Tu es un cas tellement difficile pour moi et ton père. Enfin bon ! N’oublie pas de demander pour tes congés, ta cousine et ses adorables enfants vont passer du temps avec nous. Ne viens pas les mains vides, ce sont tes petits-cousins, tu devrais prendre exemple sur Cassiopeia et enfin te marier et avoir des enfants toi aussi, » continua la femme au téléphone.
« Je ne veux pas d’enfants… je n’aime pas les hommes non plus… je suis lesbienne… » pensa Vi, sachant que ça ne servait à rien de le dire à sa mère. Elle était toujours sourde quand elle essayait de lui expliquer que ce n’était pas la vie qu’elle recherchait.
« Je t’enverrai un mail avec les jours exacts, pour que tu puisses les réserver. N’oublie pas ! Tu ne veux pas nous faire honte, n’est-ce pas ? »
« Non, m’man… »
« Bien. Donc tu iras demander à ton patron dès demain pour que tu puisses avoir tes jours et passer du temps avec ta famille. J’espère que tu auras de bonnes nouvelles à nous annoncer, comme quoi tu as enfin trouvé quelqu’un ou un travail plus sérieux que ce passe-temps. Préviens-moi dès que tu auras tes congés. »
Puis il n’y eut plus rien que le vide, sa mère ayant raccroché.
La musclée tremblait, de toute son corps. Elle dut poser son portable sur son bureau, ou elle risquerait de le faire tomber, à cause du manque de force dans ses doigts. Les larmes coulaient lentement le long de ses joues, sa lèvre inférieure tremblant, les mots perdus dans sa gorge. A qui parlerait-elle de toute façon ? Elle était seule dans sa chambre, dans son appartement.
Pourquoi était-ce toujours comme ça ? Pourquoi chaque année, elle devait se rendre à cette horrible réunion de famille ? Pourquoi continuait-elle cette torturer ? Elle savait que ça ne serait pas différent des années précédentes… Tout le monde allait se vanter, pour être le plus intelligente, le plus talentueux, et les enfants ne seraient que les trophées d’une vie bien remplie. Elle ne détestait pas les enfants, elle ne voulait juste pas en avoir, la rouge ne se sentait pas assez bien pour être devenir maman. Et même si elle l’était, elle ne se sentait pas prête. Elle n’avait pas encore trouvé la petite amie idéale… Oui, petite amie. Peu importait le nombre de fois qu’elle l’avait dit à ses parents, ils restaient sourds à ses préférences sexuelles. Au début, Vi pensait être bisexuelle, avant de comprendre que seules les femmes l’intéressaient. Quelle grossière erreur avait-elle fait en partageant ses réflexions à ses parents… « Au moins tu es à moitié sauvable » avaient-ils dit… Elle avait souffert ces mots pendant de nombreux mois, ses géniteurs lui répétant que si elle était toujours attirée par les hommes, elle n’était pas un échec total. Heureusement, Jinx était leur opposé. Elle avait toujours été là, soutenant sa sœur, comme elles l’avaient fait l’une pour l’autre.
Elle aurait dû le savoir… Chaque année, quand l’été approchait, sa mère allait l’appeler pour lui rappeler de prendre ses congés pour les passer avec sa famille. Elle savait qu’elle ne devrait pas… Elle savait que ça lui était toxique, c’était un moment ignoble, à chaque fois, sans jamais changer. Donc pourquoi continuait-elle à aller les voir ? Pourquoi accepter de passer du temps avec son bourreau ? Elle enviait sa petite sœur qui était assez forte pour dire non. Pourquoi n’était-elle pas aussi forte que Jinx ? Pourquoi était-elle si faible qu’elle ne pouvait pas refuser de voir ses parents, sa famille ?
Les larmes coulèrent le long de ses joues, se demandant pourquoi manquait-elle autant de courage ? Elle savait ce que sa petite sœur dirait… Mais ce n’était pas uniquement la faute de Cassiopeia, pas vrai ? Vi était une adulte, capable de vivre seule, alors pourquoi ?
La famille. La rouge avait toujours eu un grand sens de la famille. Elle se sentirait ingrate, qu’elle abandonnerait ses parents, si elle ne passait pas du temps avec eux. Et les enfants étaient mignons… Ils ne devaient pas souffrir de cette situation. Enfin, c’était ce que sa famille lui disait. Comme quoi elle devait être là parce qu’elle avait des petits-cousins, qui étaient encore des enfants, et qu’ils méritaient de rencontrer toute la famille, qu’elle devait faire un effort pour eux. C’était vrai quelque part… et… peut-être… Peut-être qu’elle pourrait leur enseigner que la vie n’était pas seulement définie par les succès ? Qu’on pouvait trouver le bonheur ailleurs ?
De qui se moquait-elle… Ils ne pourraient jamais rien apprendre de Vi, même si elle voulait. Cassiopeia leur rappellerait toujours que leur grande-cousine était si stupide qu’elle ne savait rien… La rouge aimait ses petits-cousins, mais ce n’était pas la raison pour laquelle elle acceptait de subir cette douleur chaque année. Il y avait une logique simple à ça. Une fois, elle avait décliné, car elle avait autre chose de prévu. Elle en paya un prix si fort, recevant des messages et des appels chaque jour de sa mère, lui disant encore et encore qu’elle était ingrate de refuser de passer du temps avec sa famille. Ainsi elle avait décidé de ne plus jamais rejeter l’invitation, pour ne plus souffrir un tel tourment.
Vi ne mangea presque pas ce soir-là. Ses intestins étaient tellement tordus qu’elle en avait perdu l’appétit. Elle était allée se coucher, n’ayant rien fait depuis le coup de fil de sa mère, n’appréciant pas la moindre chose qu’elle avait tentée de faire. Elle se sentait comme une pomme pourrie, vide, se demandant pourquoi elle…
Non. Elle ne devait pas y penser. Elle devait se calmer et passer une bonne nuit. Demain était un autre jour, pas vrai ? Ouais, ça l’était. Tout allait s’arranger après un bon repos nocturne. La musclée prit son pc portable, le plaçant sur son lit, cherchant une vidéo YouTube drôle, la mettant en lecture à un volume bas. Pas trop fort pour qu’elle puisse dormir, ni trop faible pour qu’elle puisse entendre le son. Là… C’est bon… Elle alla au lit, sous les couvertures, et ferma les yeux, s’endormant, petit à petit.
*****
Elle était dans le néant. Non. Ce n’était pas le néant. Ou l’était-ce ? Elle ne savait pas. Où était-elle ? Était-ce un rêve ? Un cauchemar ? Ça semblait si réel. Où était-elle ? Où ? C’était comme si… il y avait tout et rien autour d’elle. Quel était ce bois qui l’entourait ? Des planches ? Un espace étroit, juste assez pour une personne… une personne allongée… comme elle l’était à cet instant même…
Non. Pas encore ! Elle était morte ! Elle pouvait le sentir. C’était pour ça que Vi se sentait perdue dans le néant. Rien n’existait autour d’elle. Elle était condamnée à rester ici. Enfermée. Pour toujours. Pour l’éternité. Avec rien d’autre que l’intense solitude. Rien que le néant. La peur. La terreur. Elle était morte. Et ça allait réellement se produire un jour. Ça allait arriver. Un jour ou l’autre. Pour sûr. Elle ne pourrait pas y échapper.
Vi se réveilla, la respiration lourde, sentant encore cette douleur thoracique et ce désespoir. Elle s’assit sur son lit, ne ressentant rien d’autre que la peur. Elle regarda autour d’elle, ses yeux ne trouvant que les ténèbres, ses oreilles n’entendant que le silence. Elle avait besoin de faire quelque chose, maintenant, tout de suite. Elle serra ses bras autour de son corps, cherchant à prendre de profondes respirations, tentant de se dire qu’elle allait bien, qu’elle était en vie.
« Je vais bien… Je vais bien… Je suis en vie… Je ne suis pas dans un cercueil… Je vais bien… » murmura-t-elle dans sa tête, essayant de chasser ces images terrifiantes.
Lorsqu’elle cessa de transpirer, lorsqu’elle n’était plus haletante, quand son corps s’arrêta de trembler, la rouge se leva, quittant son lit. Elle se rendit dans sa cuisine pour boire un grand verre d’eau fraîche, en mettant également sur son visage.
Une crise d’angoisse. Evidemment qu’elle allait en avoir une ce soir… Ce n’était pas surprenant après l’appel qu’elle avait eu. Bien sûr que ça allait en déclencher une. La musclée devait se calmer complètement, maintenant, avant de retourner se coucher et espérer qu’elle n’en aurait pas d’autre. Au moins pour aujourd’hui…
Elle ne s’y était jamais habituée… Cette fois, elle s’était vue dans un cercueil, morte. Elle n’avait jamais pu expliquer comment ni pourquoi elle se sentait ainsi, mais elle SAVAIT qu’elle n’était plus qu’un cadavre, lorsqu’elle avait ses crises d’angoisse. C’était toujours la même chose… Toujours le néant, toujours l’inévitable, toujours la mort. Cette fois, c’était une modérée… Vi espérait qu’elle pourrait passer le reste de la semaine sans en avoir d’autre. Ou au moins, pas l’une des pires… Elle devrait essayer de s’y préparer… Juste au cas où…
Mais pour l’instant, au lit. Avec un peu de chance, le pire qu’elle aurait maintenant serait des cauchemars. Ils étaient bien plus agréables…