Histoires colorées de l'île Panorama
Guide louche
Moktar avait entendu, de la bouche de ses voisins, qu’il était possible de voyager à travers le monde dans les rêves. Sottises ! s’était-il exclamé tout en riant au nez de sa congénère. Mais une fois seul, couché dans son lit, il fut hanté par d’étranges pensées. Il lui était déjà arrivé de dormir paisiblement, et de rêver de son quartier. Il se revoyait se promener, ses sabots cognant les pavés de pierre qui dessinaient les chemins à emprunter, et se souvenait avoir croisé – et même discuté – avec de parfaits inconnus, eux aussi humains. Au réveil, l’image s’évanouissait comme un étrange rêve, mais certains sentiments persistaient, et continuaient à le hanter par moments.
Était-ce donc possible de visiter d’autres endroits, d’autres îles, où s’étaient rendus d’autres créatures en quête d’aventures ? Après tout, le programme Nook ne s’était pas contenté d’une seule île !
Sur ces pensées, il ferma les yeux, croisa les sabots, et commença à sombrer.
Il ouvrit les yeux, pour se retrouver dans une immense pièce aux teintes mauves. Immense était l’adjectif qui pouvait le mieux qualifier cet endroit sans fin ; on ne voyait ni le plafond, ni les murs, et même le sol disparaissait sous une épaisse couche de brume. Il y eu des bruits de pas, et il aperçut la figure bariolée d’une femelle tapir – qui avait visiblement abusé du fard à paupières, de l’eye-liner, du mascara, et même du rouge à lèvres – s’approchant vers lui. Sa voix vint susurrer à ses oreilles, et malgré son apparence repoussante aux yeux de Moktar, elle lui parut fort aimable.
Elle se présenta comme étant Serena, la gardienne de la bibliothèque onirique. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Il n’en avait aucune idée.
« Je vais t’envoyer vers un rêve, souffla sa voix qui résonnait dans l’immensité sombre autour d’eux. Vers l’île flottante… »
Il n’avait aucunement choisi sa destination, mais fut ravi de reconnaître sa demeure lorsqu’il rouvrit les yeux. Son lit était là, son canapé aussi, sans oublier sa belle cheminée qui le réchauffait en hiver. Quel soulagement !
Jusqu’à ce qu’il n’entendît la voix du tapir résonner dans sa tête, aussi agaçante qu’avant.
« Lorsque tu voudras te réveiller, tu n’auras qu’à revenir vers moi, et je t’aiderai.
– Mais comment je suis censé revenir vers vous si vous n’êtes pas là ? vociféra-t-il en tournant sa tête vers le plafond. Allô ? Madame Tapir ? »
Mais pas de réponse.
Tant pis, se dit-il, on verra bien ce qui se passera.
Mais lorsqu’il ouvrit la porte d’entrée, le monde autour de lui avait changé. Adieu le chemin de pierre en bas de chez lui, voilà que sa maison était cernée par les falaises, les rivières et les herbes sauvages. En s’avançant un peu plus dans cette nature presque intacte, il constata avec stupéfaction qu’une rampe permettait d’accéder au niveau inférieur, qui lui-même était en plein travaux ; on distinguait des marquages au sol, des chemins encore en cours de construction, et seule la place du marché – où se trouvaient la boutique des petits Méli et Mélo, ainsi que celle des sœurs hérissons – ainsi que l’entrée de l’aéroport étaient achevées.
Il croisa bien quelques habitants de cette île, mais ils semblaient… étranges. Ils étaient présents sans l’être ; il crut comprendre qu’ils étaient tous endormis et traversaient une mystérieuse crise de somnambulisme collective.
N’en pouvant plus de ce paysage inconnu qui l’effrayait plus que ne l’amusait, il hurla au tapir de le ramener. L’instant d’après, il se retrouva chez lui, et un coup d’œil par la fenêtre lui fit comprendre qu’il était bien de retour sur l’île Panorama. Emmitouflé dans un plaid, il trembla à l’idée de revoir ce guide louche qui, décidément, se devait de le guider dans chacun de ses rêves.