Alien : La dérive du Fortune
Un bruit organique brisa la monotonie des appareils de la navette de secours du Fortune.
Un craquellement moite et dégoulinant laissa une main s’extirper d’un cocon de résine. Deux bras le déchirèrent délicatement pour ouvrir la voie à un buste tout entier avant de le laisser tomber au sol.
Elle était enfin libre.
Elle aspira sa première bouffée d’oxygène. Du plus profond de sa gorge montait une expiration raclante, sifflante et lourde. Cet air était si bon. Elle aimait cette odeur d’huile, de métal et de vie. Elle avait une soif de vivre inextinguible. En toute conscience, elle ressentait tout et commençait petit à petit à voir l'endroit où elle s’éveillait. C’était très bas, frais et peu éclairé. Il y avait quelque chose d'agréable dans cette petite pièce. Des petites lumières douces et colorées, des ombres ciselées, des sons ronronnants, répétitifs et d’une familiarité innée. Elle les avait entendues lorsqu’elle était encore évanouie. Ils l’avaient bercée pendant son sommeil.
C’est alors qu’un parfum bien inscrit dans le fond de sa mémoire agita ses sens. Une note cuivrée et un torrent de putréfaction. Elle voulut en trouver la source, mais lorsqu’elle étendit son cou de tout son long, son crâne vint heurter le plafond. La pièce devenait de plus en plus exiguë. Difficile de s’y déplacer.
Puis, elle trouva la source du parfum. Du sang. En abondance. Une grande flaque étalée sur le sol. En suivant la piste du regard, elle découvrit, allongé, le corps raide de sa mère.
Non.
Pas sa mère. Mère porteuse? Non.
Son hôte.
Un hôte au thorax éclaté et à la peau cireuse. Ses membres étaient tordus, crispés, figés par des muscles tendus et rigidifiés par la mort. L’hôte avait un visage. Avec des yeux. Aucune idée de ce que c’était, mais elle avait une idée de leur fonction. Ils étaient vides. Ne dégageait rien. La bouche de la chose était grande ouverte et balafrée. En dépassait une langue boursoufflée et noirâtre.
Dire qu’elle était sortie de ce corps insignifiant l’aurait presque dégoûtée si elle en avait eu quoi que ce soit à faire. Ce tas de chair ferait un bon premier repas. Après tout, il fallait qu’elle se nourrisse. Il fallait aussi qu’elle se terre en profondeur, qu’elle trouve de nouveaux hôtes et qu’elle devienne nombreuse. Son instinct le désirait ardemment.
Elle voulut se mettre debout et sa main glissa sur une chose inerte. Une petite créature à huit pattes, avec une longue queue. Elle savait ce que c’était. Elle en avait un vague souvenir inscrit en elle et qui remontait à bien avant son existence.
Oui, c’était ça un parasite ovipositeur. Elle n’en n’avait encore jamais vu, mais elle savait très bien ce que ce bébé était censé faire. Et son décès impliquait qu’il avait réussi sa mission. Et il était le seul parasite, ce qui indiquait qu’il devait y avoir une escorte dans les environs. Il fallait bien qu’elle ait été protégée pendant sa léthargie. Preuve fut faite de sa condition quand elle nota la présence d’un œuf ouvert. Lui aussi était seul et, de toute évidence, avait été fabriqué à partir d’un être vivant et non pondu comme il se devait. La situation avait dû obliger un de ses congénères à lui donner vie à elle.
Il fallait créer un nouveau nid.
En s’appuyant sur son coude, elle glissa sur quelque chose de fragile dans laquelle elle s’enfonçait. Un torse. C’était un autre cadavre. Sec. Un représentant minuscule de son espèce. Le minable qui avait pour mission de la protéger pendant sa croissance et après sa naissance. Tant pis pour lui. Elle en ferait de nouveaux quand elle sentirait la présence de ses prochaines victimes à incuber.
Mais elle réalisa que quelque chose n’allait pas. Elle ne parvenait pas à avancer. S’en était trop. Elle devait sortir de là. La frénésie s’empara d’elle quand elle essaya en vain de faire un premier pas. Son bassin heurtait le plafond et son genou était prisonnier de divers éléments et de tubes. Elle voulut s’aider de sa queue osseuse pour tout détruire et se libérer, mais ce qui composait cet endroit était d’une solidité contre laquelle elle ne pouvait pas lutter. Le pire était que tout son corps était encore en pleine croissance. Elle devenait beaucoup trop grande pour se mouvoir dans cette cage étriquée et dans un geste incontrôlable, elle coinça une des trois pointes de son large crâne entre deux segments de métal, provoquant un son qui la força à s’arrêter de bouger. Son instinct lui disait que ce bruit n’avait rien de normal. Pour en être certaine, elle poussa à pleins poumons un rugissement guttural et strident qui fit résonner la pièce de manière à ce qu’elle puisse percevoir son environnement par écholocation.
Elle ne s’attendait pas à ça. Et c’était une très mauvaise chose.
Elle ne ressentait rien en dehors de sa cellule. Tout était vide. Avec difficulté, elle put tourner son immense tête afin de voir à travers une surface transparente.
Ce qui se trouvait à l’extérieur n’était que ténèbres sans fin.
La rage se mêla soudain à quelque chose qu’une reine ne devrait pas connaître. Une peur démesurée. Une angoisse dévorante. Celle d’être seule et de ne jamais être retrouvée. Elle rugissait, hurlait et exprimait, avec une maladresse incongrue, l’agonie de sa terreur. Elle appelait les siens. Leur ordonna de la libérer.
Et tandis que la reine alien fit éclater la voix à s’en brûler la gorge, le cockpit du Fortune dérivait dans le vide spatial, loin, très loin de tout monde habité ou habitable, encore bien plus loin de toute forme de vie. Si loin dans l’espace que personne, jamais, ne l’entendrait crier.