♠ ♦ Alice in Wonderland ♥ ♣
Chapitre 34 : ♠ ♦ Toute question mérite réponse : Partie 2 ♥ ♣
2031 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 02/02/2017 17:17
D'un lent et ample geste de main, Blue fait fuir les cinq Clefs du Wonderland, étant toujours vaporeusement représentées autour de nous dans la fumée multicolore. Il aspire une nouvelle bouffée, me tend l'embout du narguilé pour que je puisse en faire de même, puis nous recrachons la fumée à l'unisson devant nous. Alors qu'un tourbillon nous entoure, je murmure malgré moi : « Kotaro aurait pu être tué...
-Je te demande pardon ? Demande Blue en relevant un sourcil.
-Oh, excuse-moi, je pensais à voix haute ! Je m'exclame confuse. Je veux dire... que faisait Kotaro sur le champ de bataille ?! Les Résistants auraient pu le tuer, et la relève Red n'aurait jamais été assurée.
-Les Résistants ne feraient jamais de mal à un enfant. Jamais. C'est pourquoi il lui ont laissé la vie sauve, et qu'aujourd'hui le Royaume de Cœur existe toujours... »
Alors qu'il baisse les yeux en essuyant ses dernières larmes d'un revers de main, je réfléchis au sujet des Résistants : ils étaient vraiment des héros, tous autant qu'ils sont. Quelques uns d'entre eux sont sûrement encore en vie, et je leur souhaite tout le bonheur qui puisse leur arriver. Soudain, je m'écrie : « Et Jefferson ?! Qu'est-il devenu ?!
-Je vais te montrer, Alice. En disant cela, Blue prend doucement ma main en me regardant droit dans les yeux avec un triste sourire, sa langue pendant au coin de sa bouche. Excuse-moi de ne pas être resté près de toi pendant le souvenir de la Guerre... mais là, je vais être à tes côtés et te soutenir. Il conclut mystérieusement. Tu en auras besoin... »
Nous voici de retour à Londres. Je vois Jefferson, qui a environ trente-sept ans mais semble en avoir cinquante. Il est aux côtés d'une jeune femme beaucoup plus jeune que lui, une petite brune. Elle est visiblement enceinte. Blue commente :
« Voici Phoebe. Jefferson l'a rencontré quelques temps après la Guerre du Wonderland, une fois de retour sur Terre. Souffrant, désespéré, devenant fou... Phoebe est une surveillante de l'orphelinat Cloverjack's et est la seule qui s'est inquiétée pour lui. Jefferson et elle sont donc très proches, mais plutôt amicalement parlant. Seulement, les parents de Phoebe constatant que Jefferson est un riche homme propriétaire d'une école, et en plus de cela galant et noble avec leur fille, ont forcé ces deux amis à se marier. »
Je suis surprise. Les mariages arrangés, je trouve ça répugnant, même si c'est malheureusement ce qui est ''approprié''. Tss, ce mot est aussi infect qu'un gâteau laissé trois jours au soleil ! Blue continue en désignant le duo avec l'embout du narguilé :
« Au fur et à mesure, Phoebe est tombée amoureuse de Jefferson, du haut de ses vingts ans. Mais lui, il ne songeait qu'à Ruby, au Wonderland qu'il a vu s'effondrer...
-Mais Blue... Faiblement, je désigne le ventre rond de Phoebe.
-Oui, elle est finalement tombée enceinte de Jefferson. Qu'on se le dise, il ne voulait plus d'enfant, mais le sourire de Phoebe lui rappelant tant celui de Ruby, il a fini par se remettre doucement sur pied et à vouloir fonder une nouvelle famille. Son cœur se serrait en pensant à Kuro, mais il chassait ses pensées obscures quelque peu lâchement, préférant se dire que son fils allait bien avec ses amis. »
Mon ami à la langue de caméléon agite soudainement la main. Nous nous retrouvons dans un hôpital. Phoebe est allongée sur un lit, raide, la tête penchée sur le côté et les yeux clos. Jefferson, un peu plus loin, hurle à pleins poumons, retenu par deux infirmiers.
« Que s'est-il passé ?!
-Malheureusement, en mettant ses jumeaux au monde, Phoebe a perdu la vie car elle était très affaiblie par une maladie depuis deux mois. Par chance, les deux bébés sont sains et saufs. Mais l'esprit de Jefferson, lui, n'est désormais plus dans un bon état... »
Sans voix, je regarde longuement le corps inerte de la belle Phoebe, qui semble dormir paisiblement. Je verse une nouvelle larme, ça m'avait manqué tient ! Blue passe son bras sur mes épaules et ferme les yeux. Changement de décor...
Jefferson marche la tête baissée, les joues trempées de larmes, tenant un panier dans lequel dorment ses deux enfants. Il a l'air si malheureux, il est au fond du gouffre. Je ne connais pas cet homme, mais cette triste vie, il ne la mérite pas. Blue explique :
« Ses jumeaux sont un garçon et une fille. Il les aime de tout son cœur, c'est pourquoi il a l'impression d'avoir pris une bonne décision... »
Ne comprenant pas où il voulait en venir, je constate douloureusement que Jefferson est debout près d'une voie ferrée. Essuyant ses larmes d'un revers de main, il se place allongé sur les rails, posant le panier près de lui.
« Ayant peur que ses enfants ne découvrent le Wonderland, ce monde affreux et tyrannique où il a perdu la femme qu'il aime, Jefferson s'est dit que leur ôter la vie était mieux pour eux. Qu'il valait mieux qu'ils meurent avant d'être maudits à tout jamais. »
Je tends la main vers Jefferson, comme si ce geste désespéré allait le dissuader de commettre ceci. Soudain, il se relève, prend le panier et se dégage des rails en le serrant contre sa poitrine avant qu'un train n'arrive. Blue continue, ses grands yeux fixant les rails :
« Mais il a repensé à une citation énumérée par Azur. Les enfants représentent l'avenir, ils possèdent le futur du monde dans leurs poches pleines de billes et de bonbons. Laissons-les jouer avec la vie. C'est ce credo de mon grand frère qui a fait que les Résistants étaient incapables de tuer Kotaro pendant la guerre, ni aucun autre gamin. Et c'est en se remémorant cette phrase que Jefferson s'est dit que ses jumeaux devaient vivre, et qu'ils seraient peut-être plus forts que lui face au Pays des Merveilles. »
L'homme-chenille remue ensuite sa main crispée, et nous nous retrouvons à l'entrée de Cloverjack's House. Jefferson traîne des pieds, franchit le seuil et pose le panier devant la porte. Il regarde ses bébés avec un sourire tendre, et cruellement triste. Il pleure à chaudes larmes, et ses enfants aussi. Il écrit rapidement un mot sur un bout de papier, le pose sur leur couverture et embrasse le front de chacun d'eux. Puis, il frappe fort à la porte avant de détaler. Je comprends qu'il se dirige dans les bras de la Mort. Blue murmure :
« Ne le trouve pas lâche. Oui, il est parti se jeter dans la Tamise, ayant rempli ses poches de poids. Mais ce n'est pas de la simple lâcheté : il devenait fou Alice. Et tu comprends bien que je ne parle pas de la bonne folie... »
Une femme ouvre doucement la porte de l'orphelinat, apercevant les deux bébés sanglotant. Je la reconnais, il s'agit de l'actuelle directrice de Cloverjack's, mais elle a l'air bien plus jeune que maintenant. Essuyant mes larmes (car étant très attristée du suicide de Jefferson), je lance un regard faible à Blue, qui prend une grande inspiration et me dit :
« Tu reconnais donc Mme. Kingston, la principale de ton école. C'était une simple surveillante avant le décès de Jefferson. Sur le message laissé dans le panier des jumeaux, il explique à Mme. Kingston que la démence s'est emparée de lui et qu'il devait en finir. Il lui demande de reprendre la direction de l'établissement à sa place, et d'admettre ses deux enfants à l'école, même s'ils sont orphelins et donc qu'ils ne possèdent aucun représentant légal pouvant payer leur scolarité. Il souhaitait également que sa fille puisse travailler au même niveau que les garçons... dans la même classe qu'eux. »
J'ai un soubresaut. Il est vrai que les filles et les garçons sont habituellement séparés...
« Malheureusement, j'ignore tout de ce petit mec, autant son prénom que sa situation actuelle, lance Blue en désignant le bébé garçon. Je sais juste qu'il a été séparé de sa jumelle très jeune. Tous deux sont nés un 18 Mai... Ce dont je suis sûr, c'est que la petite fille s'appelle Alice, fille de Jefferson Wonderchess, et qu'elle a hérité de sa curiosité... »
Je tombe à genoux, d'un seul coup. Jefferson est mon père ! Si je suis scolarisée à Cloverjack's School dans la même classe que les garçons nobles alors que je suis une pauvre orpheline, c'est parce que mon père est le fondateur de cet établissement ! J'ai un frère jumeau dont j'ai toujours ignoré l'existence ! Ce n'est pas possible, j'ai l'impression que ma vie vient de s'arrêter. Je respire à peine, mes sanglots coupant ma voix. Mes mains sont crispées dans mes cheveux et mes yeux rivés vers le sol. Seul un tourbillon nous entoure.
« Notre Voyage Temporel est terminé, lance Blue en me regardant avec tristesse, j'espère avoir répondu à toutes tes interrogations. Tu voulais connaître l'histoire des Rebelz ? Tu as assisté à la Guerre de leur enfance. Les Clefs du Wonderland t'intriguaient ? Tu sais maintenant à qui elles appartiennent. Tu sais également pourquoi je peux confectionner des montres. Pour en revenir, ce qu'Azur cherchait, c'est pourquoi Jefferson était-il si particulier. Sûrement parce qu'il était le seul Terrien ayant franchi le portail de notre monde... Mais ce que j'avais deviné étant gosse, c'était qu'il aurait plusieurs enfants, dont deux qui seraient dotés de ses capacités. Le premier deviendrait le gardien du Wonderland, pouvant voyager entre ce monde et la Terre quand bon lui semble. Et le deuxième rendrait le Pays des Merveilles éternel en y stoppant le temps, permettant à ses habitants de ne pas vieillir et grandir. Il s'approche de moi en se mettant accroupi, les deux jambes pliées, sur la pointe des pieds. C'est ta capacité, Alice, il chuchote. Tu comprends donc mieux pourquoi on t'as ''forcé'' à rentrer chez toi après ta première visite : on serait restés des enfants à tout jamais sinon. Maintenant, nous avons atteint un âge raisonnable. Voyant que je tremble fortement, il relève mon menton vers lui et me serre dans ses bras. Tu sais désormais que tu n'es pas ici par hasard, et que personne n'aurait pu venir à ta place... et tu comprends pourquoi Kuro est le seul dont tu te souvenais malgré la Potion d'Oubli : vous êtes liés pas le sang, c'est ton demi-frère du même père. »
Je ne réponds pas. Je suis... soulagée que toutes mes questions aient obtenu réponses... mais putain, ma vie ne sera plus jamais la même à présent... Je pleure tellement que mes larmes troublent mon regard. Je suis carrément prise de vertiges. Blue me lâche, et je suis soudain contre le torse de quelqu'un d'autre. Je reconnais l'odeur de Kuro, et essuie mes joues humides contre sa sublime veste blanche. Il murmure : « Ne pleure plus, c'est fini... » Je recule soudainement en lâchant : « Putain, tu le savais ?! » Il hoche la tête en baissant ses yeux rouges et murmure : « Tu m'en veux de ne t'avoir rien dit ?
-Non... ne t'en fais pas. Tu es mon frère, c'est tout ce qui compte ! »
Blottie dans ses bras, je ferme les yeux avec tendresse. Avec le recul, je suis heureuse d'enfin savoir d'où je viens. Kuro, souriant de me voir apaisée, fait un clin d’œil à Blue.