Le Chat et le Chapelier
Chapitre 1 : Le Chat et le Chapelier
Catégorie: G
Dernière mise à jour 09/11/2016 22:55
Les nuages s'accumulent au-dessus de la table surchargée. Une visière soyante constitue la frontière de sa vision, rebord luisant de son haut de forme. Ses yeux se perdent dans les reflets chatoyants, assimilant chaque point qu'il a cousu d'une main de maître, chaque début d'usure à repriser. L'un d'eux, en particulier, l'intrigue. Il louche dessus, il louche de plus en plus, avec l'impression que ses yeux vont finir par entrer à l'intérieur de sa tête s'ils restent trop longtemps dans cette position. Le chapelier les imagine déjà, aspirés par un bruit de succion, rejoignant la masse crémeuse de son cerveau, dans lequel ils s'épanouiraient, à la recherche de nouveaux horizons à observer. Une idée étrange s'impose alors à son esprit : et si là dedans, c'était plus grand que là dehors ? Que se cachait-il dans les méandres de sa tête ?
Mais alors qu'il se laisse emporter par ce raisonnement, il revient brusquement à la réalité du Pays des Merveilles : cet accroc, sur le rebord de son chapeau préféré. Cet accroc si étrange, si linéaire, qu'il en paraitrait presque étrange, même pour quelqu'un de totalement fou. Mais il a beau se tordre le regard, la nature de cet affront à son métier lui échappe. Découragé, il entend alors un tapotement régulier sur les accoudoirs de son fauteuil. Il jette un regard intrigué dans sa direction. Ce ne sont toutefois que ses doigts. Ses doigts qui dansent tous seuls, comme mus par une volonté propre. De sa main gauche, il saisit alors la droite, lui enjoignant de cesser cette folie. C'est en détaillant sa main du regard, que l'idée germe. D'un geste tremblant, la main obéit à l'ordre silencieux de son maitre, et s'approche du haut de forme, qui semble trembler à son tour, détenteur d'un immonde secret.
Le chapelier se décoiffe, approchant le chapeau tout près de ses yeux, inspectant chaque millimètre carré de l'œuvre d'art et de tissu qu'il a entièrement créée de ses mains. Enfin, il Le trouve : l'Affront en personne. Cette ligne plus claire dans le feutre tendre, qui de cette distance ressemble de moins en moins à une trace d'usure, mais plutôt à une trace d'utilisation clandestine. Il souffle dessus, et observe ce qu'il avait pris pour un accroc prendre son envol, rayure oblique et ondulante dans le ciel obscurci par sa colère.
- Le chat ! Combien de fois devrais-je t'enjoindre de ne pas laisser de poils partout !
Au dessus de sa tête, la lune lui sourit de toutes ses dents.