A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 35 : Les "au revoir" et les "enchantés"

5601 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/12/2023 10:17

Chap 35 : Les "au revoir" et les "enchantés"


- Elle est encore là ?

- Oui. 

- Elle n’a toujours pas prononcé un seul mot ?

- Non… En tout cas, aucun qui nous soit destiné. Il n’y a qu’à lui qu’elle parle. Toute la journée, elle lui parle.

- Pour lui raconter… Quoi ?

- Je ne sais pas, répondit Manabu en haussant les épaules. Lorsque je suis entré, elle m’a ignoré jusqu’à ce que je parte.

- Même Harlock….

- … Ne peut rien en tirer. On dirait qu’elle ne remarque pas notre présence.

- Elle est en état de choc. 

- C’est le diagnostic du docteur de l’Arcadia.

- Je suis sûre qu’elle ne mange même pas correctement… Et David ?

- Il sort aujourd’hui de l’infirmerie. Ses os brisés se remettent bien mais il doit rester immobilisé pendant un mois dans un fauteuil roulant.

- Ça fait déjà une semaine, soupira Louise en massant sa hanche. 

- Tu te sens mieux ?

- Un peu faible mais ça va. Le frère de Reiko m’a probablement sauvé la vie. 

- Hum, grogna Manabu. 

- Et ta commotion ?

- C’est superficiel, dit-il en chassant la question d’un geste de la main.

- J’ai l’impression qu’on nage en plein cauchemar. Yûki est en révision et… Le Commandant…


Le jeune homme serra les poings.


- L’histoire se reproduit et je n’ai rien pu faire. Strictement rien. 

- Manabu…

- Comme pour mon père… 


Louise se blottit contre lui, impuissante, luttant pour retenir ses sanglots.


- Tu ne pouvais pas empêcher ça…

- Si Bruce ne se réveille pas…

- Il va se réveiller, j’en suis certaine.

- Ce n’est pas lui qui est maudit, c’est ce peloton, lâcha-t-il, amer, en contemplant Reiko qui était assise à côté de son partenaire, les yeux perdus dans le vide.


***


- Et, ce jour-là, j’ai fait sauter l’alimentation de tout le vaisseau. Du coup, Tôchiro a renoncé à m’enseigner la mécanique.


Reiko tressa machinalement sa chevelure, qui était tellement grasse qu’elle en paraissait propre.


- Akatsuki a bien essayé mais, comme tu le sais, ce n’était pas très concluant…


La pilote s’avachit dans son siège, songeuse.


- Tôchiro… Il m’avait adoptée au même titre qu’Harlock… Il est mort quand j’avais quoi…  Une douzaine d’années ? Oui, à la louche c’est ça. C’était un génie et le meilleur ami d’otto-san. Il a bâti le Death Shadow, l’Arcadia, SSX…  Et il a secouru son grand amour avant d’être emporté par le mal de l’espace… C’est une longue histoire mais on a le temps, hein ?, dit-elle d’une voix morne en réajustant les draps sur le torse de son époux.


Elle en profita pour effleurer le front de ce dernier.


- Tu es glacé. Je vais augmenter la température, décréta-t-elle en se mettant debout. Ce serait bête que tu attrapes un rhume en étant dans le coma.


La porte de l’infirmerie s’entrouvrit tandis qu’elle avait le dos tourné.


- Je sais que tu n’aimes pas lorsqu’il fait plus de vingt degrés mais, quand on ne bouge pas, on se refroidit plus vite. Enfin… Pas aussi vite qu’après un plongeon dans le lac de Frosted, pas vrai ?


Elle eut un rire nerveux.


- Tu m’as protégée au mépris du danger, bakana. En y réfléchissant bien, c’est durant cette mission que j’ai réalisé à quel point tu étais important pour moi. Tu ne t’en souviens peut-être pas… Dans le ravin, tu m’as tendu la main pour m’aider à avancer. Parce que c’était tellement dur de progresser dans la poudreuse avec tout ce vent… Sans compter la fatigue et le froid… C’était gentil… Vraiment gentil de te soucier d’une novice qui n’y connaissait rien et qui ne faisait que te ralentir.


Un discret toussotement retentit sans qu’elle n’y prête attention.


- Tu es tombé et j’ai cru que mon coeur allait s’arrêter. J’étais si soulagée que tu ne te…

- Reiko.


Un son parasite franchit les tympans de la jeune femme et elle fronça les sourcils, agacée par ce bruit dérangeant qui avait coupé son sempiternel monologue.


- Oui… Qu’est-ce que je disais déjà ? Tu ne t’es pas noyé. Et puis, Manabu… Manabu s’est jeté dans la gueule du loup ou plutôt dans celle Oparu et… Je ne me rappelle plus du nom de l’autre humanoïde. Toru ? Ou Yor ? J’ai un trou de mé…

- Reiko !


Cette fois-ci, elle reconnut son prénom et leva les yeux, irritée d’être ainsi interrompue. Il lui fallut cependant près d’une minute pour identifier la silhouette qui se dressait au milieu de la pièce.


- Moritz ?, interrogea-t-elle en plissant les paupières, contrariée par cette arrivée inopportune.


Son interlocuteur acquiesça en s’approchant.


- Salut.


Elle ne répondit pas, se contentant de le fixer sans aménité. Mal à l’aise, l’équipier de Vega fit quelques pas dans l’infirmerie.


- Je voulais savoir si tu avais besoin de quoi que ce soit… Je suis désolé de ce qu’il s’est passé… Pour Bulge, aussi…


Reiko pencha la tête sur le côté et un sourire mauvais se dessina sur ses lèvres.


- Menteur.


Un feulement rauque, presque animal, s’échappa de sa gorge.


- Ça t'amuse de le voir dans cet état, hein ?, cracha-t-elle, en comprimant les rideaux à s’en faire blanchir les phalanges.


Elle poursuivit, impitoyable.


- Il n’est pas mort et sa place n’est pas libre. Il n’y a pas de veuve éplorée à consoler ici. Tu n’es pas le bienvenu dans cette chambre. Va-t-en !, asséna-t-elle en s’asseyant près du lit.


Le chagrin altérait le jugement de Reiko et elle était incapable de se rendre compte de la portée injuste de ses paroles.

Elle ne ressentait qu’une seule émotion.

La colère.

Et elle écrasait toutes les autres.


- Je… Je regrette mon comportement devant le distributeur. C’était déplacé. Je ne m’immiscerai plus…

- Tu es sourd ? Tire-toi. Laisse-nous tranquille. Je refuse de gaspiller mon temps avec toi. Tu n’es pas mon ami. Tu n’es rien pour moi, gronda-t-elle à bout de patience.

- Écoute, je sais que je suis allé trop loin mais on se fréquente depuis longtemps et je…

- Je ne me répéterai pas, okay ? Casse-toi. Je te déteste. Toi comme tous les autres. La seule personne que j’aime est là et je sacrifierais chacun d’entre-vous pour la ramener. Et sans aucune hésitation, compris ?


Schneider se mordit la bouche, dévasté par l’attitude déplorable de la pilote. 


- Je vois. Si tu changes d’avis, je serai là pour toi. Et pour Bruce.

- C’est ça. Ta générosité m’honore, railla-t-elle. Fais-moi de l’air, tu veux ?


Le battant se referma derrière l’Officier radar et, aussitôt, comme si cette conversation n’avait jamais eu lieu, Reiko se replongea dans la bulle qu’elle s’était construite ces derniers jours.


- Et donc, après Frosted, on s’est entraînés sans relâche pour que je m’améliore…  Tiens, ça me fait penser que je n’ai pas passé la certification finale. Le Commandant l’a programmée pour avril. Je ne m’inquiète pas trop pour le pilotage et les missions de terrain mais la mécanique va me poser problème. Et les épreuves physiques… On doit encore bosser là dessus, n’est-ce pas ?


Elle se recroquevilla dans son siège, distraite.


- À la SDF, je suis avant tout une cadette et toi mon instructeur. C’est drôle, non ?


De l’eau salée perla au coin de ses yeux.


- C’est pas sérieux pour un professeur d’appeler son élève “chaton”, tu ne crois pas ? Il faut que tu perdes cette habitude désastreuse, dit-elle en caressant ses mèches blondes. Et si je te parlais un peu de Tôchiro ? Je suis sûr que tu l’aurais apprécié. En tout cas, plus qu’Harlock.


***


La porte de l’infirmerie pivota à nouveau sur ses gonds. Le Docteur Zero risqua un œil dans la pièce et se glissa à l’intérieur avec lassitude.


- Koko, je vais lui prodiguer des soins. Tu sais que tu ne peux pas rester. Attends dehors.


La jeune femme ne bougea pas et le praticien médical dû hausser le ton.


- Reiko ! C’est l’heure ! Cède-moi la place.


Plusieurs secondes furent nécessaires avant que l’information n’atteigne son cerveau. Elle se redressa alors pesamment et quitta son fauteuil en silence pour se poster devant la fenêtre qui s’opacifiait durant le travail du médecin.


- Profites-en pour déjeuner et te laver, vu ? À quand remonte ton dernier repas ? Bon, tant que tu n’auras rien avalé, je ne déverrouillerai pas la serrure. File, j’en ai pour quinze minutes. Allez ! Oust !


Une grimace courroucée déforma les traits de Reiko.


- Je n’ai pas envie…

- Considère que tu n’as pas le choix. On peut suivre ton odeur à la trace et l’atmosphère ici est devenue irrespirable. Va te doucher. Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le au moins pour lui. 


Exaspérée, elle frappa contre le vantail.


- Vous n’avez pas le droit de m’interdire l’accès à…

- Je suis médecin, j’ai tous les droits concernant le bien-être de mon patient. Si tu n’obéis pas, je n’ouvre pas.


Elle envisagea très sérieusement de détruire la panneau à coups de pieds, jusqu’à ce qu’un éclair de lucidité traverse son esprit. Elle se détourna donc en grommelant, les mains enfoncées dans les poches.

“Pourquoi ont-ils tous décidé de m’emmerder aujourd’hui ?”

Elle frissonna à cause de l’écart de température entre la chambre et les couloirs du Quartier Général.


- Il exagère, je ne sens pas si mauvais que ça, dit-elle en reniflant ses vêtements, les mêmes qu’elle portait depuis une semaine maintenant.


Elle se positionna devant le distributeur fétiche de Bruce et enfila un billet dans la fente de la machine. Elle appuya ensuite sur les boutons et deux canettes roulèrent dans le dévidoir.


- Je t’ai pris ton immonde lait aromatisé à la fraise. Peut-être qu’ils peuvent te l'injecter en intraveineuse ?

- Ça m'étonnerait beaucoup, argua une voix grave dans son dos. 


Reiko fit volte-face, excédée. 


- Mais de quoi je me mêle, maugréa-t-elle, sur la défensive.


Elle n’avait pas remarqué l’homme nonchalamment assis sur le banc derrière elle, occupé à siroter un soda. 


- Vous êtes qui ?, le questionna-t-elle abruptement.


Grand, plutôt bien bâti, il était vêtu d’un uniforme rouge et d’un vieux manteau bleu marine orné d’une ancre jaune avec l’inscription “UNCF, cosmo navy”.

“Cet insigne est étrange.”, songea-t-elle en empoignant brutalement les boissons.


- Oh et puis je m’en fous en fait.

- Quel est votre nom ?, demanda l’inconnu en ôtant sa casquette sur laquelle figurait un blason identique.


“Il ressemble un peu à Bruce… Mais avec des cheveux bruns et des prunelles noisette.”

Ce constat apaisa légèrement la pilote, dont les nerfs étaient en pelote, et les mots franchirent ses lèvres sans qu’elle ne puisse les contenir.


- Reiko… Speed.


Elle se planta les ongles dans la peau, tentant de retenir les larmes qui embuaient déjà son regard.


- Oh. Je vois. Je m’en doutais, dit-il en lui tendant le bras.

- Hein ? Comment ça ?

- Je suis Mamoru Kodaï, enchanté.

- Kodaï ?, répéta-t-elle en serrant sa main, confuse.


Ce nom lui évoquait vaguement un souvenir. Harlock l’avait mentionné à leur retour sur Destiny mais elle ne l’avait pas vraiment écouté.


- Oui. Le pirate m’a raconté ce qu’il vous est arrivé. Je suis désolé pour votre compagnon. Est-ce qu’il…

- Toujours pareil, grogna-t-elle en s’affalant sur le banc. État stationnaire à ce qu’il paraît.

- Et toutes mes condoléances pour votre Commandant. Il semblait être un soldat valeureux.


Reiko hocha la tête tout en s’obligeant à inspirer et expirer profondément.


- Je sais que je devrais vous connaître mais je ne me rappelle plus…

- Je suis le Commandant du cuirassé Yamato.

- Vous avez… Transpercé la station avec votre… Gros canon ?

- C’est bien résumé.


La jeune femme observa l’horloge accrochée au-dessus du distributeur.


- Je dois y aller. Je ne peux pas partir trop longtemps. Au cas où…

- Je comprends.


Elle s’extraya de son assise, déterminée à retourner auprès de son mari de gré ou de force.


- Prenez-ça, offrit-il en lui lançant un sachet en kraft. Ce n’est pas rendre service à la personne que vous aimez que de vous laisser mourir de faim.

- Mer… Ci.

- Une réunion a lieu demain dans l'auditorium de la SDF pour entériner le plan de contre-attaque. Allez-vous y participer ? Harlock sera présent tout comme plusieurs nations souveraines.

- Pour quoi faire ? Je ne suis rien ici. Qui plus est, je n’ai ni peloton ni Commandant. Et Bruce…

- Vous êtes familière avec l’ennemi. Vous savez de quelle manière il réagit puisque vous l’avez déjà affronté.

- Monsieur Kodaï, ils sont des dizaines à être plus habilités que moi.


Il se leva et ébouriffa la chevelure de Reiko.


- Réfléchissez-y, d’accord ? Ne sous-estimez pas vos compétences et votre capacité à apporter une pierre à cet édifice.

- De quel édifice… ? Enfin bref… On verra. D’ailleurs, on a le même âge… Et vous êtes en charge d’un tel vaisseau ? Qui, soit-dit en passant, sort de nulle part… 

- C’est un récit qui nous prendrait la nuit… Si vous m’y autorisez, je pourrais venir vous le conter à l’infirmerie. À vous et à votre époux. Ça vous changerait les idées.


Un petit sourire se forma sur le visage de l’équipière de l’unité Sirius.


- Je suis sûre que ça l’intéresserait. Venez… Quand vous voulez. Bruce est… Artilleur. Il est vraiment doué. Les armes, surtout si elles sont inhabituelles, l’intriguent énormément.

- Très bien, faisons ainsi. Et n’oubliez pas de vous ménager. Je suis persuadé qu’il ne voudrait pas que vous tombiez malade.

- Oui… Sûrement.


Elle s’éloigna, se sentant soudainement extrêmement sale et négligée. Sa peau et son cuir chevelu la démangeaient furieusement et elle constata qu’une couche noire s’était logée de façon permanente sous ses ongles. 


- Je crois qu’ils ont raison, une douche ne me ferait pas de mal.


***


- Sur Mars ?, souffla Reiko, médusée. 

- Oui, caché sur Mars. Pendant deux cent cinquante-neuf ans.

- Et votre famille a vécu là-bas tout ce temps ?

- Exact. Notre mission était de veiller sur ce cuirassé et de transmettre aux générations futures notre savoir le concernant.

- Au cas où l’humanité…

- … Ait à nouveau besoin d’un symbole d’espoir.


Elle froissa les draps entre ses doigts.


- De l’espoir… 


Mamoru Kodaï posa sa main sur celle de Reiko.


- Oui. De l’espoir. Vous non plus, vous ne devez pas abandonner.

- Le peloton Sirius n’abandonne jamais, Commandant.

- Content de l’apprendre, mais pas de ça entre nous. Appelez-moi Mamoru.

- Mamoru… C’était aussi le prénom du frère aîné de Manabu. 

- Le frère de l’un de vos collègues ?

- Oui, il faisait partie des Space Panzer Grenader, le bataillon d’élite de la SDF. Il a été tué au combat. Comme leur père, Wataru Yuuki.

- J’ai déjà entendu cette histoire. Il s’est servi de la locomotive de son train comme un bélier pour foncer dans une anomalie dimensionnelle ?

- C’est ça. Et, de fait, entraver provisoirement l’invasion de l’Empire d’Alfort. Il s’est sacrifié pour le Galaxy Railways. C’est un héros.

- Ces envahisseurs… Provenaient d’un univers parallèle ?

- Hum. La SDF a mis fin à leurs agissements il y a près de deux ans. Je ne m’étais pas encore engagée, donc mes informations à ce sujet sont limitées.


Elle tapota le matelas du lit d’hôpital, pensive.


- C’est vrai ce qu’on dit à propos du Yamato ? Il y a trois cents ans, son équipage aurait entrepris un voyage depuis la Terre jusqu’à la lointaine planète d’Iscandar, située dans le grand nuage de Magellan ? Pour récupérer un décontaminateur permettant de redonner à la Terre son allure originelle après les bombardements de l’Empire Gamilien ?

- Oui. Une odyssée de cent quarante-huit mille années-lumière à l’époque où les portails dimensionnels n’existaient pas…

- … Et qui a été rendu possible grâce à la technologie Iscandarienne ? Le saut Warp, votre moteur ondulatoire… Et ce fameux canon qui utilise les résidus d’énergie produits par le moteur ?

- Je ne l’aurais pas mieux expliqué. Starsha, la reine d’Iscandar, avait fourni de précieuses données aux terriens pour qu’ils puissent réhabiliter le Yamato et entamer ce long périple.

- C’est… Extraordinaire. Et donc, vous êtes le descendant de l’un des membres d'équipage s’étant enrôlé à bord ?

- Oui. Mes arrières, arrières, arrières grands-parents étaient Susumu Kodaï et Yuki Mori. Ils ont trouvé le “cosmo réverseur” et déjoué les plans de Dessler, le dictateur de Gamilas.

- Impressionnant… Et vous avez réussi à garder le secret de la dissimulation du Yamato sur Mars depuis… Ça force le respect.

- En effet… Et je dois avouer que je n’ai aucune idée de la façon dont Harlock a découvert notre existence.

- Ne jamais sous-estimer le pouvoir de commérage de Wawa et d’otto-san. Ils sont à l’affût de toutes les rumeurs, marmonna-t-elle.

- Wawa ?

- Warrius Zero, le Commandant de la Flotte Indépendante Terrienne. Pour le coup, pas si indépendante que ça, puisque placée sous la coupe des humanoïdes depuis de nombreuses années.

- Je vois.


Reiko détailla Mamoru, suspicieuse.


- Et donc, vous allez nous aider à vaincre Promethium ?

- Le Yamato est au service de l’Humanité donc oui, nous le ferons.

- Cette sorcière… Elle m’aura tout pris. Mes parents, mes frères et soeurs, mon Commandant… Et peut-être même… Peut-être même…


Des sanglots roulèrent sur les joues de la jeune femme.


- Il reviendra.

- J’aimerais tellement vous croire.


Le Commandant du Yamato frotta le dos de Reiko.


- C’est tout ce que nous avons. La foi. Ne la perdez pas. Vous n’êtes pas seule dans cette épreuve.

- Ce n’est pas… Mon impression… Tout le monde continue de vivre sa vie alors que j’ai la sensation que la mienne s’est arrêtée au moment où ce rayon laser a percuté Big1.


Mamoru ne répondit pas, conscient que les mots étaient parfois superflus.


- Et les obsèques…

- Après la réunion, oui.

- Le Commandant Bulge… Comment le peloton Sirius peut-il encore subsister sans lui ?

- Je sais qu’il est difficile de l’envisager pour l’instant, mais sa mort ne signifie pas obligatoirement la fin de votre section.


Kodaï bondit sur ses pieds, résolu, en tendant la main à son interlocutrice.


- En parlant de ça, elle va commencer, dit-il en se penchant au-dessus de Reiko, un sourire au coin des lèvres.

- Je ne suis pas… La plus à même de vous aider… Et surtout, il m’est impossible de partir d’ici…Bruce est…

- Je ne le connais pas personnellement mais je suis convaincu qu’il voudrait que vous vous battiez de toutes vos forces, non ? 


Elle fronça les sourcils.

Il marquait un point.

Mal à l’aise, elle se dandina sur son fauteuil.


- Il n’aimerait pas que je m’apitoie sur mon sort, c’est vrai, mais…

- Rester assise dans le noir ne le ramènera pas. En revanche, je suis certain qu’il serait fier que vous ne vous laissiez pas abattre. Alors, qu’en dites-vous ?


***


- Pourquoi est-ce que j’ai le sentiment que tu es contrarié ?, interrogea Reiko à haute voix.


Elle fixa le sniper, étendu sur le dos dans son lit immaculé.


- Je leur serais inutile à tous ces hauts-dignitaires. Mamoru a tort, je ne peux rien apporter à son édifice. Pas même un vulgaire caillou.


La pilote se griffa machinalement les poignets, comme elle avait l’habitude de le faire lorsqu’elle était préoccupée.


- Je suis terrifiée de me retrouver face à Promethium. Je ne suis pas la mieux placée pour leur faire des leçons. 


Elle se leva et fit les cent pas, désorientée.


- La vérité c’est que je… Je ne peux pas embarquer dans un train sans toi. C’est tout. Je ne suis pas aussi courageuse que toi.


“Je veux être la digne élève de mon instructeur.”


- Oui je l’ai dit… Je l’ai dit… Mais je n’en suis pas capable… Bruce… Qu’est-ce que que je dois faire ? Et si tu te réveillais et que tu ne me voyais pas à tes côtés ? Comment réagirais-tu ? Est-ce que ça ferait de moi une épouse abominable ? Y’a-t-il seulement un rôle pour moi dans ce combat ?


Elle posa son front contre le battant de la porte, en proie à un dilemme inextricable.


- Le peloton Sirius n’abandonne jamais…


***


Reiko parcourait les couloirs du QG aussi vite qu’elle le pouvait.

Finalement, elle avait décidé de se rendre à l’assemblée extraordinaire.

Parce que c’est ce que Bruce aurait voulu.

Qu’elle ne renonce pas.

Qu’elle ne baisse pas les bras.

Et qu’elle garde la tête haute malgré le chagrin.

Ébahi, le docteur Zero l’avait regardée quitter l’infirmerie de son plein gré, pour la première fois depuis une semaine. 


- Je veux que tu sois fier de moi à ton réveil.


Elle déboucha enfin vers l’auditorium devant lequel la sécurité filtrait les entrées puisque, visiblement, la totalité des agents de la SDF souhaitait assister à la conférence.

La militaire fit des pieds et des mains pour se faufiler dans la foule et, alors qu’elle s’apprêtait à atteindre son but, une silhouette massive se planta face à elle.


- C’est complet. Rejoignez votre salle de pause pour la diffusion en direct.


Une boule d’angoisse se constitua dans sa gorge. 

“Dire que j’ai fait le plus dur et que je suis rattrapée par ma condition dérisoire.”


- Il faut… Il faut que j’entre, croassa-t-elle. C’est… Important.


L’homme la repoussa sans ménagement.


- C’est non, allez-vous en.


Comme elle ne parvenait pas à faire le tri dans ses pensées, elle fut rapidement à court d’arguments à exposer au garde.


- Reiko ! Je suis heureux que vous soyez là.


Mamoru Kodaï se fraya un chemin jusqu’à la pilote, flanquant un puissant coup d’épaule à l’armoire à glace qui bloquait la porte.


- Elle est avec moi. Écartez-vous, intima-t-il abruptement.

- Nos ordres…

- Je suis le Capitaine du Yamato et elle fait partie de la section Sirius. Son père, c’est le type au fond avec la tête de mort sur le pull. Vous le voyez ? Je lui demande de venir la chercher ou ça ira pour vous ?


La peau du soldat pâlit subitement.


- Non… C’est… Toutes mes excuses, Commandant Kodaï. J’ignorais que…

- Parfait. Si nous sommes d’accord…


Tirée à l’intérieur de la salle par cet allié providentiel, la jeune femme souffla de soulagement.


- Merci, j’ai bien cru que mes belles résolutions allaient s’avérer vaines.


Il lui adressa un clin d'œil en désignant la table centrale, autour de laquelle prenait place l’élite de cet univers.


- Non, sans façon. Je vais m’asseoir là-bas, dit-elle en repérant Manabu et Louise sur une estrade toute proche.

- À votre guise.


Elle l’observa dévaler les escaliers en contrebas.


- Mamoru !, l’interpella-t-elle.

- Hum ?

- Merci… Pour tout.

- Pas de quoi, madame Speed.


Elle lui renvoya un sourire lumineux qui lui fit monter le feu aux joues.


- Pas étonnant qu’elle soit déjà mariée, grommela-t-il en s’installant dans son siège. 


***


- Koko !


Reiko tomba littéralement dans les bras de ses coéquipiers et le trio eut toutes les peines du monde à juguler ses émotions.


- Je ne pensais pas que tu viendrais !, s’exclama Manabu.

- J’ai rencontré une personne très persuasive, dit-elle en coulant une œillade vers Mamoru Kodaï.

- Comment va…?, commença Louise.

- Il n’y a ni amélioration ni dégradation. Tout ce qu’on peut faire c’est attendre qu’il émerge de lui-même. Ça signifiera que son cerveau s’est remis. En espérant qu’il n’y ait pas de séquelles comme de l’amnésie ou de l’aphasie…

- Gardons la foi, lança Manabu avec détermination.

- J’ai déjà entendu ça… Et vous deux… ?

- Au vu des circonstances, ça va…, soupira Louise.

- Et David ?

- Il doit se reposer. Sa permission de sortie n’a pas été accordée. Quant à la révision de Yûki, elle s’achèvera dans l’après-midi.

- Tant mieux.


Le silence se fit alors et la réunion débuta. Reiko écouta, son attention entièrement focalisée sur les propos des uns et des autres.

Des dizaines de nations s’étaient jointes à Tokarga, jugeant que l’apparition du Yamato offrait une véritable chance à “l’Alliance” de défaire l’armée de Râ Andromeda Promethium, l’épée de Damoclès de l’univers. 

“Les motivations de ces États sont purement politiques. Ils voient, à travers ce conflit, une bonne occasion de se débarrasser de la suprématie des humanoïdes avec le moindre mal.”

La Compagnie, dont le porte-parole était le Commandant Suprême Layla Destiny Shura, assura qu’elle mobiliserait toutes ses unités, y compris les SPG, dans la bataille à venir.

Enfin, la stratégie fut détaillée. Elle était d’une simplicité enfantine et se résumait en une phrase : “Marcher sur Râ-Metal.”


- La meilleure défense, c’est l’attaque, hein ?


Manabu acquiesça, enthousiasmé par cette perspective.


- On ne leur laissera aucune marge de manœuvre.

- C’est exactement ce qu’elle veut, maugréa Reiko. Nous attirer chez elle où sa planète fortifiée nous anéantira tous d’un seul coup.

- C’est un piège ?

- Peut-être bien.


Harlock semblait partager son opinion car il nuança le plan afin que l’offensive ne soit pas exclusivement frontale.


- Otto-san…


Ce dernier balaya le public du regard et aperçut Reiko, assise entre Louise et Manabu. Il écarquilla les yeux, sidéré qu’elle ait volontairement mis un pied hors de l’infirmerie.

Elle lui fit un petit signe auquel il répondit par un discret mouvement du menton.

La conférence prit fin quarante-cinq minutes plus tard. À l’issue de celle-ci, le hors-la-loi esquiva les chefs d'État qui désiraient s’entretenir avec lui et enjamba deux à deux les marches qui le séparaient de sa fille.


- Poussin…

- Papa, murmura-t-elle d’une voix étranglée.


Le pirate la pressa contre lui, ému.


- Okaeri, usagi.

- Tadaima, otto-san.


***


Un liquide chaud et odorant emplit les tasses et Reiko huma l’odeur alléchante du café.

Harlock ajouta du lait dans le sien et sa cuillère racla le fond de la céramique avec un crissement désagréable.


- Mamoru Kodaï ?, répéta-t-il, surpris.

- Oui, je l’ai croisé par hasard dans les couloirs. Il m’a même permis d’assister à l’assemblée quand l’entrée m’a été refusée. Il me paraît être quelqu’un de bienveillant. Une personne de confiance. Je ne pourrais pas expliquer pourquoi…

- C’est aussi mon sentiment le concernant. Nous sommes chanceux de compter le Yamato parmi nos alliés.


Un silence s’installa, uniquement troublé par le tintement des couverts.


- Il va se réveiller.

- Je sais, lapin.

- Mais, en attendant, je ne peux pas rester sans rien faire.

- Ton unité ?

- Nous allons être réaffectés, lâcha-t-elle, maussade. Le peloton Sirius est temporairement dissous tant que notre train n’est pas réparé et que… Que…

- Que vous n’avez pas de Commandant…?

- Voilà.


Seize heures sonnèrent et la poitrine de Reiko se comprima.


- Il est temps, déclara-t-elle à contrecœur. 

- Faisons-lui des adieux mémorables, dignes de l’homme qu’il était.


***


Soutenu par Lawrence, Murase, Akatsuki et Tôdo, le cercueil progressait dans l’allée centrale du Quartier Général. 

Derrière celui-ci, se tenaient Reiko, Louise et Manabu, ainsi que Yûki qui poussait le fauteuil de David.

L’intégralité des sections de la Space Defence Force s’était réunie de part et d’autre du cheminement funéraire, pour rendre un dernier hommage au Commandant du peloton Sirius, Schwanhelt Bulge.

La pilote leva les yeux et remarqua que les équipages du Yamato et de l’Arcadia s’étaient joints à la SDF avec le salut militaire, ou pirate, de rigueur.

“Le Commandant est mort.”

Cette réalité heurta durement Reiko et elle craignit de s’effondrer sur le bitume.

Elle se rapprocha de ses amis et mêla ses doigts aux leurs.


- L’unité Sirius…, débuta-t-elle d’une voix rauque.

- N’abandonne… N’abandonne…, poursuivit Louise.

- Jamais, termina Manabu.


Elle avisa alors Mamoru Kodaï, debout aux côtés d’une jeune femme aux longs cheveux bleus, vêtue d’un uniforme jaune et noir. Tous deux portèrent un poing fermé à leur cœur et s’inclinèrent avec respect lors du passage du cercueil.

Avant que Bulge ne rejoigne son ultime demeure, de nombreux discours furent prononcés mais le bourdonnement dans ses oreilles empêcha Reiko d’en saisir toute la teneur.

Quelqu’un lui fourra alors une rose blanche dans les mains et elle comprit qu’elle était censée la jeter dans la tombe.

Elle chercha Manabu dans la foule, quêtant du soutien ou du réconfort, mais celui-ci était déjà occupé à consoler Louise, blottie dans ses bras.

Les jambes lourdes, elle ne parvenait pas à effectuer le moindre mouvement.


- Je ne peux pas… 


La militaire recula, luttant contre l’envie de s’enfuir en courant. 

Elle n’aurait su dire combien de temps elle resta immobile, se contentant de regarder les uns et les autres faire leurs adieux à Schwanhelt Bulge.


- Besoin d’aide ?


Elle pivota sur ses hanches avec effort.


- Murase ?


Les traits tirés, il s’efforça de sourire.


- Pour moi aussi, c’est difficile. Faisons le ensemble, tu veux ?


Elle hocha la tête, reconnaissante de cette proposition salvatrice.

S’appuyant sur la poigne solide du Commandant du peloton Vega, elle rassembla les miettes éparses de son courage et tous deux marchèrent vers le bord de la cavité mortuaire.

Chancelante, elle se pencha pour déposer sa fleur. Prévoyant, Murase empoigna sa ceinture, conscient qu’il n’en faudrait pas beaucoup pour qu’elle bascule dans le trou. 

Elle se releva en titubant et les larmes qu’elle avait réussies à contenir jusqu’à présent, brouillèrent sa vision.


- Merci de m’avoir donné ma chance, Commandant.


Une plainte sourde monta dans ses entrailles.


- Saluez Tôchiro, Sayuri et ma mère pour moi, s’il-vous-plaît.


Puis, elle chuchota afin que personne ne puisse l’entendre.


- Mais n’emmenez pas Bruce avec vous, d’accord ?

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