A Galaxy Railways Story : Reiko
Chap 33 : L'arc et la flèche
Appuyé contre l’une des fenêtres du salon du restaurant de Kanna, Bruce observait la neige qui tombait indolemment dans le jardin, formant un épais coussin immaculé et moelleux. Étrangement, ce paysage lui conférait une impression de nostalgie qui ne faisait que renforcer son besoin impérieux de rentrer sur Destiny.
Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis la célébration du mariage et la nouvelle année avait été accueillie avec un enthousiasme débordant, que ce soit du côté des rebelles ou de celui du peloton Sirius. Reiko, en particulier, rayonnait, ce qui suffisait à le rendre heureux.
- On peut parler une minute ?
Le militaire, qui était en mesure de reconnaître cette voix bourrue entre mille, ne daigna pas se retourner.
- Si ça vous fait plaisir, mais c’est trop tard pour vous opposer à notre union.
- Suis-moi dehors.
- À vos ordres, Capitaine, maugréa-t-il en s’exécutant de mauvaise grâce.
Les pieds résolument vissés dans le sol et le visage fermé, Harlock patientait.
Bruce, qui sentit les problèmes arriver, resta à bonne distance de son beau-père.
- Qu’est-ce que vous me voulez encore ? Je vous préviens, j’ai mis une raclée à Tadashi, je peux recommencer, attaqua-t-il.
Le pirate eut un sourire moqueur.
- Ce ne serait pas pour me déplaire mais je crains que Koko ne m’en veuille si j’esquinte son époux.
- Mais bien sûr, ne soyez pas trop confiant.
- Je te rappelle que j’ai remporté notre duel au bras de fer.
- La chance du débutant.
- Et que t’avais pas ma permission pour la fréquenter.
- Je suis du genre têtu.
- J’avais remarqué, soupira Harlock. De toute façon ce qui est fait, est fait. Je vous souhaite tout le bonheur du monde. Et souviens-toi que ta femme est avant tout ma petite fille. Donc si tu la fais souffrir, je ferai de même avec toi, vu ?
Le soldat leva les yeux au ciel, exaspéré.
- Difficile de l’oublier puisque Warrius et Tadashi m’ont fait un laïus identique. Et je vais me répéter pour la centième fois : c’est pas prévu au programme. Merci, au-revoir et bon vent, termina-t-il en se détournant.
- Attends, je n’ai pas fini.
Le père de Reiko tira un objet enveloppé de tissu de son ceinturon.
- Pour toi. Prends-le.
- Qu’est-ce que c’est ?, l’interrogea-t-il, suspicieux.
- Quelque chose qui te permettra de protéger ce qui nous est précieux à tous les deux.
Bruce s’approcha précautionneusement et prit le paquet des mains du Capitaine.
- Ouvre-le et dis-toi que c’est mon cadeau de Noël.
Du bout des gants, l’artilleur déplia le chiffon qui entourait le mystérieux présent, dévoilant un cosmo-gun rutilant à la crosse en ébène, serti d’une tête de mort dorée.
- Cosmo-dragoon, l’informa son interlocuteur. Fabrication arcadienne. Il n’en existe que cinq. C’est plus efficace que les pistolets à eau de la SDF.
Bruce le fit pivoter entre ses doigts avec une oeillade appréciatrice. Il savait juger la valeur d’une arme et il était certain que celle-ci dépassait de loin toutes celles qu’il avait eues l’occasion d’utiliser.
- Je l’ai déjà vu en action… Sur la base humanoïde.
- Oui, j’en avais prêté un similaire à Dashi-kun.
- Pourquoi vous me le donnez à moi et pas à elle ?, demanda-t-il avec méfiance.
- Parce que tu es le plus habilité à le manier.
Harlock croisa les bras.
- Au vu des ses compétences en la matière, Reiko risquerait de se blesser avant de toucher ne serait-ce qu’un seul de ses adversaires.
- C’est pas faux.
- Et comme je compte sur toi pour veiller sur elle, j’ai décidé de te fournir un moyen de remplir cette mission. Ne t’y trompe pas, c’est une arme de destruction massive capable de transpercer un cuirassé en plein vol, alors fais-en bon usage.
- Pardon ?, s’exclama Bruce en se raidissant.
- Tu m’as bien entendu. Il n’y en a pas de plus puissante à travers tout l’univers.
- Qui possède les quatre autres ?
- Emeradas, la femme pirate, Maetel et Tetsuro, ainsi que moi-même. Celle que tu tiens appartenait à mon meilleur ami, Tôchiro. Dans tous les cas, je pense que Koko n’aurait jamais accepté de s’en servir car ça lui évoquerait trop de souvenirs. Des bons comme des mauvais.
Le hors-la-loi marqua un silence.
- Tu es un tireur d’élite expérimenté, je ne vois personne de plus digne de l'œuvre de Tôchiro.
- Pas même Tadashi ? Ça ne le mettra pas en rogne que vous me l’ayez transmis à moi et pas à lui ?
- Ce cosmo-dragoon ne lui était pas destiné, répondit-il, énigmatique. Avant que je n’oublie…
Il lança un petit sac en toile que le sniper attrapa avec agilité.
- Des émetteurs longue portée pour joindre l’Arcadia en ligne directe. Prends soin de mon poussin, Speed.
- Je le ferai.
Le vantail du shôji glissa avec un chuintement feutré, divulguant la chevelure emmêlée de Reiko.
- Qu’est-ce que vous faites ? Le train décolle dans une heure ! On doit boucler les valises.
Les deux hommes se jetèrent un ultime regard.
Comme une promesse muette scellée par le froid hivernal de Tabito.
- Enfin, on se comprend, conclut le pirate en se dirigeant vers sa fille adoptive.
***
- Harlock.
Bulge s’avança avec des verres à la main.
- Un dernier avant que vous ne vous mettiez en route ?
- Volontiers.
Ils s’attablèrent dans la salle du restaurant.
- Maintenant que le temps des réjouissances s’est achevé…
- … Le calme avant la tempête, hein ?
- Vous le pressentez aussi ?
- Évidemment, abonda le Capitaine.
- Avez-vous trouvé des alliés dans la guerre qui s’annonce ?
- Ça se pourrait bien.
- Warrius Zero ?
- Non. Lui, il est hors circuit sur ce coup. Tout comme Emeraldas. J’ai fait appel à de vieux amis et, si tout se déroule comme je l’espère, nous aurons un vaisseau d’anthologie à nos côtés dans ce combat.
- Lequel ?
- Je ne peux en dire plus pour le moment.
- Et cet allié secret pourrait faire pencher la balance en notre faveur ?
- J’ai bon espoir. Et qu’en est-il de la Compagnie ?
- Le Commandant en chef Tôdo, Murase, Julia et Guy, ainsi qu’une majorité des unités, font pression sur la Direction. Layla Destiny Shura a conscience du danger et je la crois en bonne voie pour faire plier nos actionnaires.
- Il faut précipiter les négociations. Nous sommes à court de temps.
- Hum, c’est aussi mon avis.
Bulge avala sa boisson à la tomate et se leva, déterminé.
- Faisons de notre mieux.
- Et battons-nous de toutes nos forces, répondit Harlock en tendant son bras.
- C’est la façon de faire du peloton Sirius.
Gants blancs et gants noirs se serrèrent vigoureusement.
- Je suis content d’affronter cet ennemi avec votre soutien.
- Moi aussi, Schwanhelt.
***
- Tu peux répéter ?
- Ils se sont mariés. Sur Tabito, pendant les vacances de Noël.
- C’est impossible.
- C’est pourtant la vérité.
- Elle n’a pas pu s’engager comme ça. Pas si vite. Pas avec un gars comme lui.
- Il semblerait que si.
Schneider se mit debout brusquement, faisant sursauter Murase.
- Hé… !
- Je refuse de me résigner. Elle fait une erreur. Une erreur monumentale.
- C’est pas ton problème, Moritz. C’est son épouse, dorénavant. Il n’y a rien que tu ne puisses faire.
- Je dois lui parler.
- Pour lui dire quoi ?
- Que son mec est un enfoiré et que je l’aime.
- Non, ça c’est hors de question !, beugla le Commandant de la section Vega.
Le poing de l’Officier radar percuta le mur en y creusant un profond cratère.
- Pourquoi, hein ? Pourquoi elle a choisi cette ordure ?
- Les femmes, soupira Murase. Notre cerveau n’est pas programmé pour les comprendre.
- Je vaux cent fois mieux que lui.
- Et ? Qu’est-ce que ça changera ?
- Tout.
Opiniâtre, Schneider marcha vers la porte.
- Elle est à moi. Elle l’a toujours été. J’étais là avant lui.
- Tu t’écoutes un peu ? C’est un être humain, pas un morceau de viande !
- Laissez-moi passer !
- Arrêtez-le ! José ! Edwin !
- Vieux, ça suffit !
- Forcez le à s’asseoir et ceinturez-le si nécessaire ! Il ne faut pas qu’il foute un pied hors d’ici tant qu’il n’est pas calmé.
- Je vais le tuer, rugit le concerné.
- Je ne pensais pas qu’une femme pouvait le mettre dans un tel état…, argua Silver, médusé.
- Le jour où tu tomberas amoureux, tu seras surpris du pouvoir qu’elle peuvent avoir sur nous, grommela le Commandant.
***
- Destiny !, s’extasia Reiko.
- Nous revoilà !, continua Manabu.
- Yaaah !
- Les enfants, les réprimanda Bulge. Un peu de tenue pour la reprise du service. Les congés seront terminés dès l’instant où nous entrerons en contact avec les rails de la gare.
- Oui !
- Une semaine à endurer ça, lâcha Bruce. Une semaine. Décernez-moi une médaille. Et pas une en chocolat. À ce stade, je brigue l’or massif.
- Hé !
- Je ne te visais pas, chaton.
- Mouais.
Il saisit délicatement son menton et l’obligea à le regarder droit dans les yeux.
- Je t’aime et on repart en vacances quand tu veux et où tu veux.
- Sur l’Arcadia ?
La peau de Bruce pâlit subitement.
- T’as pas une autre destination en tête ? Sans pirate et surtout sans Daiba ?
- T’as dit “où tu veux”.
- Ouais je l’ai dit, grogna-t-il.
- Je plaisante.
- T’es insupportable
- Au moins autant que toi.
- Sans doute.
- Les rails, les avertit le Commandant. Les rails.
Le peloton Sirius descendit du train, euphorique à la perspective de retrouver Big1.
- Et c’est nous qui portons les valises, évidemment.
- Cesse de te plaindre, Bruce, et aide-moi, l'interpella Manabu.
- On vous suit, partez devant. On va décharger ça en salle de pause.
- Et nous on file au vestiaire, déclara Louise en empoignant Yûki et Reiko par les poignets.
- À tout à l’heure, les filles.
L’unité se dissolut joyeusement, malgré les protestations du sniper, qui était lesté comme un mulet par ses affaires et celles de sa compagne.
Alors que le trio féminin progressait dans le dédale de couloirs du Quartier Général, Reiko avisa un distributeur de boissons.
- J’en prends pour tout le monde et je vous rattrape.
- D’accord et pas que cet immonde thé tabitotien.
- Hé, il est excellent.
- Y’a que toi et Manabu qui le digérez.
- T’exagères !, s’écria-t-elle tandis que ses coéquipières disparaissaient à l’angle du corridor.
La pilote bougonna en fouillant dans ses poches à la recherche de son portefeuille.
- Il est où ? J’étais certaine de l’avoir pris avec moi…
- Hé, Reiko !
Elle se retourna, enjouée.
- Salut Moritz, tu as passé de bonnes fêtes ?
- Pas vraiment.
- Oh, je suis désolée de l’apprendre… Mais… Qu’est-ce que tu fais ?!
Fiévreux, le jeune homme s’approcha, la plaquant contre la machine à sodas.
- Éloigne-toi ! Tu es trop près ! Beaucoup… Trop près !, bégaya-t-elle en rougissant.
- Et ? Ça te dérange ? Pourtant t’aimes ça d’habitude, les mecs entreprenants, non ?
- Tu sens l’alcool ! Tu as bu ?, s’étonna-t-elle, perturbée.
- Et alors ?
- Pousse-toi ! T’es devenu fou ou quoi ?
- Je crois plutôt que je vais t’embrasser, histoire que tu comprennes à côté de quoi tu passes !
- Excuse-moi ?! Oh, je vois.
Elle fit un pas en avant en écartant sèchement l’équipier de Vega.
- Je ne t’autorise pas à juger mes choix de vie. En aucun cas !
- C’est n’importe quoi. Ce type, il ne te mérite pas.
Un sourire mauvais étira les lèvres de Reiko.
- Parce que toi, si ?
Il acquiesça en se grattant le cuir chevelu, soudain gêné.
- Exact.
- Je vais te le dire une fois. Une seule et unique fois. Donc ouvre bien grand tes oreilles de taré obsessionnel. Je ne t’aime pas, je ne t’ai jamais aimé et je ne t’aimerai jamais. Maintenant, tu me lâches et tu n’insultes plus jamais mon mari en face de moi. Tu m’entends ? Mon mari !, hurla-t-elle en agitant son alliance sous son nez. Ce que tu ne seras jamais, qu’on se le dise ! Jamais ! Jamais ! Jamais !
Chacune de ces paroles atteignit Schneider aussi sûrement qu’une cible pouvait l'être par les tirs de Bruce.
Le teint de l’Officier radar oscilla entre le rouge, le blanc et le vert.
- Dorénavant, tu restes loin de moi. Et ne me touche plus comme tu viens de le faire. C’est inapproprié et ça me met mal à l’aise.
Moritz tremblait de colère et de dépit.
- Bruce est le roi des connards. Tu ne peux raisonnablement pas croire que ce simulacre de mariage est une bo…
Une gifle retentissante l’empêcha de terminer sa phrase.
- Je t’avais prévenu, persifla-t-elle, furibonde. Tu me dégoûtes. Rien que l’idée de t’embrasser encore me rend malade et, si tu tentes quoi que ce soit, la section Vega pourra publier une annonce de recrutement et de décès dans la même journée. Et estime-toi heureux que cette conversation reste entre toi et moi car cette journée pourrait très bien être aujourd’hui. Vu ? T’as imprimé ?
Elle prit ses distances, furieuse.
- Et inutile de préciser qu’on n’est plus amis.
- Reiko ! Att…
- Ne prononce pas mon nom. Tu n’en as aucun droit et ça me donne envie de vomir. Adieu, Moritz.
- Je… Je…
Elle vida les lieux sans un regard en arrière.
Interloqué par la virulence verbale et physique de la femme qu’il aimait, il demeura tétanisé sur place, complètement désorienté.
Des larmes s’écrasèrent au sol et sa vision se brouilla intensément.
- J’ai merdé… Je l’ai perdue… Définitivement.
***
Confortablement assis dans un fauteuil, Bruce observait son épouse, contrarié.
Quelque chose clochait.
Quelque chose clochait depuis plusieurs jours et il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.
“Est-ce qu’elle a l’ennui de sa famille ? Peut-être que cet imbécile de Tadashi ou même le bandit qui lui sert de père lui manquent.”
Il tapota sur l’accoudoir, mécontent.
“Est-ce que c’est moi ? Elle regrette probablement de m’avoir dit "oui” si vite… Ou pire encore, elle a réalisé que cette vie n’était finalement pas celle qu’elle souhaitait…”
- C’est bizarre, marmonna-t-il.
Il avait bien essayé de l’interroger mais il s’était heurté à un mur à chacune de ses tentatives.
”Elle me cache un truc, c’est évident.”
Et être dans l’ignorance s’apparentait à une véritable torture.
- Je vais au distributeur, décida-t-il inopinément, désireux de changer d’air.
Léthargique et morose, à moitié allongée sur le canapé de la salle de pause, Reiko ne réagit pas.
- Hum.
- Je te ramène du thé de Tabito ?
- Non merci, répondit-elle sur le même ton las.
Les mâchoires serrées, l’artilleur quitta la pièce en claquant le battant.
La jeune femme ne remarqua pas son agacement, focalisée sur la télévision qui diffusait un téléfilm ennuyeux à l’eau-de-rose.
Elle n’aurait su dire combien de temps s’était écoulé quand une voix familière l’interpella.
- Hé, faut qu’on discute.
- Louise ? Je ne t’ai pas vue entrer.
- Je sais et c’est bien le souci.
- Hein ?
Les lèvres pincées, sa coéquipière s’installa sur la table basse.
- Tu n’as pas décroché plus de dix mots en trois jours. Tu ne souris pas, tu manges à peine…. Bruce est une grenade dégoupillée prête à exploser et tu ne t’en rends même pas compte !
Reiko se redressa, surprise.
- C’est… C’est parce que… En fait…
- Allons, on est amies. Tu peux tout me raconter. C’est à cause du mariage ? C’était trop précipité ?
- Hein ? Non, pas du tout !
De l’autre côté de la porte, le sniper s’immobilisa.
- À notre retour de congés, on s’est séparées brièvement dans le QG, n’est-ce-pas ? Et ensuite tu nous as rejointes dans le vestiaire et j’ai bien vu que tu étais bouleversée. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
- Oh… Louise… Si tu savais…
Des larmes montèrent aux yeux de Reiko.
Elle éprouvait le besoin irrépressible de se confier.
Son secret était trop lourd à porter et elle avait l’impression de succomber sous son poids.
En résumé, elle étouffait.
- J’ai… J’ai… Mis une gifle…, articula-t-elle avec difficulté.
- Mis une gifle ?, répéta Louise, sidérée.
- J’ai mis une gifle à Schneider, souffla-t-elle d’une traite.
- Quoi ?
Bruce rongeait son frein, piétinant comme un lion en cage.
“C’est quoi ce bordel ? De quoi elle parle ?”
- Il m’a… Il m’a coincée contre la machine à sodas et… Il avait bu de l’alcool ou un truc dans le genre. Il m’a dit qu’il m’aimait… Qu’il voulait m’embrasser… Je l’ai… Repoussé…
- Et ?, l’encouragea Louise, inquiète.
- Il a remis en question la légitimité de mes noces…. Et, lorsqu’il a insulté Bruce, j’ai vrillé et je l’ai frappé. Voilà, tu sais tout. Depuis… Je me sens tellement mal…. Je n’ai même pas eu le cran de l’avouer à…
- Il a essayé de faire quoi ce fils de pute ?!, vociféra le militaire en faisant irruption dans la pièce, hors de lui.
- Bruce ? Qu’est-ce…
Il s’agenouilla devant son épouse et l’attrapa par les épaules, tremblant de fureur.
Son self-control de mercenaire s’était envolé, remplacé par un courroux incendiaire.
Destructeur.
- Chaton, est-ce qu’il t’a fait autre chose ? Est-ce qu’il t’a… Abusée d’une façon ou d’une autre ?
- N… Non… Je te promets que je n’ai rien fait pour… Je ne voulais pas… J’ai vraiment tenté de te le…
- Je sais. Je ne suis pas en colère contre toi, compris ? T’es pas responsable de ce merdier. Je vais juste m’assurer que cet enfoiré ne recommence plus, certifia-t-il d’une voix dure, aussi froide que la mort.
- Tu vas…. Quoi ?
- J’aurais dû m’occuper de son cas depuis longtemps, dit-il en se relevant. Je vais corriger cette erreur immédiatement et lui faire passer l’envie de convoiter ce qui ne lui appartient pas.
- Hein ? Non… Attends…
- Bougez pas de là, dit-il en se dirigeant résolument vers la sortie.
- Non !
Reiko bondit sur ses pieds et ceintura son mari, en proie à une foudroyante crise de panique.
- Si tu l’agresses… Tu te feras renvoyer… Et je le refuse.
- Tu me demandes de rester les bras croisés ? Alors qu’il t’a violentée ? Tu me prends pour qui ?! Un putain de lâche ?
- Bruce, intervint Louise. Elle n’a pas tort. Si quelqu’un doit s’en charger, c’est le Commandant.
- Je ne veux pas qu’il soit impliqué !, protesta la pilote. Tout ce que j’aimerais, c’est oublier cette histoire.
- Ça, je ne peux pas !, se rebiffa le soldat.
- Si tu lui refais le portrait, ça se répercutera sur Koko ! Réfléchis un peu, bon sang !
- Ce n’est pas du tout ce que…
- C’est ce qui se produira, l’acheva Louise. Pour le moment, faisons profil bas et soyons plus malins que lui. On se relaiera pour qu’elle ne soit jamais seule dans les couloirs. Alors, tiens toi tranquille et pas de vague, vu ?
- Je ne garantis pas…
- T’es un grand garçon, non ? Contrôle toi !
- Louise, mêle-toi de tes oignons, gronda-t-il.
Pétrifiée, le nez dans la veste de son conjoint, Reiko haletait.
- N’y va pas… S’il-te-plaît…
- Je…
Une alarme stridente résonna, mettant un terme à la discussion houleuse.
“Appel à toutes les unités ! Le Galaxy Railways est attaqué ! Toutes les unités doivent rejoindre leurs trains de combat !”
***
- Valves en position !
- Pression de la chaudière interne, ok !
- Radars calibrés !
- Armement opérationnel !
- Réserve énergétique au maximum !
- Circuit principal connecté !
Schwanhelt Bulge leva le bras.
- Big1, en avant !
Reiko pianota sur sa console, vérifiant une énième fois les systèmes des Eagles.
“On a été sauvés par le gong…”
L’ordre général émis par la Direction avait empêché Bruce de se ruer jusqu’à la salle de pause du peloton Vega pour exécuter Schneider sans sommation.
Tendu comme un arc, le sniper se tenait raide sur son siège, les traits aussi figés que ceux d’une statue.
Son humeur massacrante avait envahi la “control room” et personne n’osa piper mot dès lors que le décollage fut effectué.
“Quelle honte qu’il m’ait entendu narrer mes mésaventures à Louise. Il doit croire que je suis une pauvre fille incapable de se défendre. En même temps, j’ai aucune envie de me retrouver face à Moritz que ce soit dans le cadre du travail ou de ma vie privée.”
- Plusieurs stations et équipements de la Compagnie sont actuellement sous le feu d’un ennemi non-identifié, débuta la Commandant.
- Dans quel secteur ?, questionna Manabu.
- La Galaxie d’Andromède.
- Pas de doute, ce sont les huma…, commença la pilote avec véhémence.
- Ce n’est pas encore avéré, la coupa Bulge.
- Prévenons-le.
- Qui ?
- Harlock.
- Non. Je ne le ferai que lorsque je jugerai que cela sera nécessaire. Jusqu’à preuve du contraire, c’est toujours Schwanhelt Bulge et non Reiko Speed, le Commandant de Big1.
- Reiko Speed, pouffa Louise, pendant que la concernée s’empourprait jusqu’aux oreilles.
- Y’en a un à qui faudrait le rappeler, ronchonna Bruce sans tourner la tête.
- Au boulot, nous serons sur les lieux dans moins d’une heure. Soyez vigilants et préparez-vous au pire car nous n’avons aucune idée de l’ampleur des dégâts sur site.
- Bien reçu !, s’exclama la section Sirius en cœur.
***
Big1 fusa hors du portail XV-4789, reliant les galaxies d’Andromède et de Cassiopée. L’écran central descendit aussitôt, affichant une vidéo panoramique de l’attentat en cours contre le Galaxy Railways.
Face à cette vision d’horreur pure, une stupéfaction silencieuse se propagea dans la voiture de commandement.
Les sourcils de Reiko se froncèrent et elle fit pivoter son fauteuil en direction de Bulge.
- Est-ce que c’est nécessaire, maintenant, Commandant ?
Telle une flèche tirée par un arc surpuissant, la sphère humanoïde perçait brutalement le système nerveux de la Compagnie, anéantissant à part égale rails, trains et infrastructures.
- Fais attention, jeune fille, je ne tolère pas l’insolence à bord. Louise, utilise cet émetteur pour joindre l’Arcadia. Communique leur nos coordonnées.
- L’Express numéro 748 a été sérieusement endommagé. Nous captons leur signal de détresse.
- Un appel sur le canal secondaire de l'Hiryu, de l’Iron Berger et du Flame Swallow !
- Établis le contact.
- À vos ordres !
Les visages de Julia Reinhart, Ryosaku Murase et Guy Lawrence remplacèrent les images de l’attaque.
“- Bulge. Les renforts sont-ils en route ?”
- Oui, Murase. Je les ai avertis à l’instant.
“- Nous avons démarré une analyse de la base. Nous cherchons les points faibles de son bouclier, puisque nos armes sont, au vu des données que vous nous avez transmises, inutiles.”, poursuivit Julia.
“- Nous nous portons au secours des passagers du 748. Big1, Iron Berger, faites diversion pour nous couvrir. Les sections Rigel et Altair ne devraient pas tarder.”
- Faisons ça, Lawrence.
“- Cette chose monstrueuse ne doit pas progresser plus en avant.”
- Nous sommes d’accord. Bon courage à tous.
La communication prit fin et l’écran se rétracta.
- Bruce, Manabu, dégainez l’artillerie lourde. Reiko à la couverture aérienne. Louise, tu es nos yeux, ne laisse rien t’échapper.
- Compris !
Alors que la pilote déverrouillait la poignée du sas intermédiaire, une voix grave la héla.
- Pas d’imprudence. Et surtout, quoi qu’il arrive n’entre pas là-dedans, chaton.
- On est en service…
- Et donc ?
- C’est impossible de lutter contre toi, répondit-elle, exaspérée.
- J’aime mieux ça.
- Vous tous…. À tout à l’heure.
Bulge acquiesça avec un sourire en coin.
- Ne détruis pas le matériel de la SDF.
- Promis !
Sans qu’elle ne se l’explique, une angoisse irrationnelle lui tenaillait l’estomac.
“C’est bon, l’Arcadia va venir. Tout ira bien. Je dois simplement accomplir ma mission et gagner du temps.”
Elle n’ignorait pas que ses chances d’occasionner des dégâts à la station étaient minimes, mais elle ferait tout son possible pour distraire les humanoïdes et ainsi permettre au peloton Cepheus de secourir les voyageurs.
“Mon armement est en-deçà du leur. Leur bouclier auto-régénérant semble infaillible… Mais je n’abandonnerai pas ! Car c’est ainsi que fonctionne l’unité Sirius !”
Après avoir enfilé une combinaison à la va-vite, elle enfonça un casque sur son crâne et enjamba deux à deux les marches de l’escabeau menant à son chasseur. Elle sauta ensuite souplement dans le cockpit, heureuse d’être à nouveau dans son élément.
Elle activa les différentes commandes de l’Eagle aussi rapidement qu’elle le pouvait.
- System all-green. Requiers autorisation de décoller !
“- Accordé.”
- C’est parti.
La rampe de lancement se déploya et le toit s’ouvrit, dévoilant la mer d’étoiles.
“- Bon vent, Speed.”
- Merci, Commandant ! Comptez sur moi pour leur donner du fil à retordre.
Elle tira sur le manche et le jet s’élança dans l’espace.
- Au travail ma fille, se morigéna-t-elle. Montre leur que tu sais piloter. C’est ton seul talent, donc t’as pas le droit de tout foirer sur ce coup là.
Vu de près, le champ de bataille était encore plus impressionnant et terrifiant. Le Galaxy Express en déroute fumait de toute part et penchait dangereusement sur le côté. Elle avisa du coin de l'œil l’Hiryu qui s’y attelait pour procéder à l’évacuation risquée des passagers.
La station la plus proche avait été annihilée et elle s’efforçait de naviguer en évitant les nombreux débris et corps qui flottaient dans le vide stellaire.
- Et la voilà… La base de ces tas de boulons… Pas moyen de manquer ce mastodonte… Je crois même qu’elle est mieux armée que la dernière fois.
Immense boule noire percée de cadrans flamboyants et de multiples ouvertures desquelles jaillissaient des torpilles ou des tourelles, cette construction avait été élaborée dans un seul et unique but : exterminer la Compagnie des Chemins de Fer Intergalactiques et tout ce qui s’y rapportait.
Le portail intra-dimensionnel s’illumina alors brièvement et trois trains en surgir.
- Altair, Rigel et… Orion ?
“Putain, Otto-san, tu fous quoi ?”
- Les robots nous mettent à l’épreuve. Ils vont voir de quel bois se chauffe… La Space Defence Force !
Du bout de son pouce, Reiko ôta la sécurité de ses canons.
- Ouvrez grand les mirettes pour le feu d’artifice !
Elle survola la station en rase-motte, profitant de cette manœuvre pour collecter le maximum de données pour les filles de Spica.
Les autres pelotons avaient également déclenché les hostilités pour couvrir Lawrence et la jeune femme aperçut des chasseurs de la SDF qui s’extrayaient des hangars de lancement de leurs trains respectifs.
- Je reconnais les couleurs de celui de Maggie et de celui de… Moritz.
Elle secoua la tête pour repousser les souvenirs qui s’apprêtaient à l’envahir.
- Il n’était pas dans son état normal… Je suis convaincue qu’il regrette ses agissements et ses paroles.
Une tourelle pivota dans sa direction et Reiko la canarda avant que son flux énergétique n’ait le temps de se déverser hors de la sphère.
- 1-0 pour la SDF.
Au moment où elle prononçait ces mots, un rayon en provenance de la base effleura son fuselage et son appareil fut temporairement destabilisé.
- Sa… Mère !
Elle rétablit l’assiette de l’Eagle et s’éloigna de sa cible.
- Je vais vous faire payer toutes les abominations que vous avez commises, mugit-elle. Pour Sayuri. Pour Nami. Pour tous les innocents que vous avez faits souffrir. Bande… De… Monstres sans âme !
Ses tirs perforèrent la carlingue et, à son grand désespoir, le système d’auto-régénération prit le relais, pansant les plaies en surface presque instantanément.
- C’est encore plus rapide qu’avant…
Du côté des unités de la SDF, la situation n’était guère plus réjouissante. Le sauvetage ne se déroulait pas comme prévu et elles étaient prises sous une puissance de feu bien supérieure à la leur.
- Mon dieu… Big… Big1 !
Des foyers incendiaires se répandaient à l’intérieur de certains wagons tandis que plusieurs batteries de tourelles avaient été détruites. Reiko activa son émetteur.
- Commandant ! Avez-vous besoin d’aide ?
“- Nos avaries ne sont pas aussi terribles qu’elles en ont l’air. Ton objectif reste inchangé !”
- Mais… Mais…
“- Ça va chaton, on gère, fais-nous confiance.”
- Bruce…
Les dents serrées, elle effectua une acrobatie en immelmann, arrosant de nouveau l’artillerie ennemie.
Si les dégâts de Big1 étaient inquiétants, ceux de l’Iron Berger étaient considérables. Sa carlingue était parsemée de cratères et son bouclier était probablement à deux doigts de céder pour de bon.
- Fidèle à lui même, Murase est en première ligne… Toujours au-devant du danger… Mais vous, qui vous protège les gars ?
La pilote vira de bord et se positionna entre le Berger et la sphère. Des traits lumineux et rougeoyants fusèrent de ses canons, traçant un sillon dévastateur.
- Je vous offre un peu de répit mais à charge de revanche, Commandant.
Elle poursuivit ses efforts sans relâche, ne quittant jamais vraiment Big1 des yeux. Malgré ce que lui avait assuré Bulge, elle fut forcée de constater que le Chien de Garde de la Galaxie était en mauvaise posture.
Tout comme la plupart des trains de la SDF qui s’étaient lancés à corps perdus dans la bataille.
- Ils ne tiendront plus très longtemps…
Quelques sections les avaient ralliés mais ces renforts étaient insuffisants.
- Si ça continue… On va se faire écraser… Nous ne sommes que des moustiques pour eux. Rien de plus.
L’air se troubla alors et une vague électromagnétique chassa le Space Eagle sur bâbord.
- C’est, c’est…
Une tête de mort blanche émergea de la dimension warp, suivie par un fuselage vert foncé.
“- Excusez-moi du retard !”, tonna une voix sur le canal commun de la SDF.
- Otto-san !
Le vaisseau pirate fit face à la station, ses tourelles rivées droit sur elle.
Une vague de soulagement déferla sur Reiko.
“- Vous pensiez vous amuser sans nous ? Ce n’est pas un combat que la Space Defence Force doit mener seule. Arcadia… Feu !”