A Galaxy Railways Story : Reiko
Chap 30 : Le feu sacré
- C’était le dernier ?
- Oui !
- T’as pas beaucoup d’affaires.
- Je n’accorde pas d’importance aux choses matérielles.
- Si tu te rachetais des fringues, ce ne serait pas du luxe. Un vrai manteau, par exemple. Et pas le k-way immonde que la SDF nous prête, que seuls Manabu, Bulge et Murase portent.
- Aucun intérêt, je suis en uniforme la plupart du temps !
- Ou nue ?
- Tais toiiiii !, ordonna Reiko.
Joignant le geste à la parole, elle bâillonna son compagnon.
- Je vous rappelle que je suis là, hein.
- Je te rappelle que tu t’es incrusté, Manabu.
- Je voulais constater de mes propres yeux qu’elle serait bien installée chez toi. Et mon blouson n’est pas immonde, soit dit en passant.
Bruce grimaça en croisant les bras.
- Si, il l’est. Définitivement. Et tu sais parfaitement que j’avais pas l’intention de la faire dormir sur le paillasson, imbécile.
Manabu se dandina, mal à l’aise.
- Ouais, ben disons que je suis mandaté par quelqu’un d’autre pour le vérifier.
Reiko se pinça les lèvres, intriguée.
- Mandaté ? Par qui ? Wawa… Otto-san ?, l’interrogea-t-elle, suspicieuse.
- Ils ne savent même pas que j’existe, dit-il en secouant la tête. Et, aux dernières nouvelles, ton émetteur s’est noyé dans une mare de café.
- C’est regrettable, en effet, grogna-t-elle.
Le sniper saisit son équipier par l’arrière du col.
- Daiba ?
- Non.
- C’est Bulge ?
- Non !
- Julia ?
- Non plus.
- Pas Louise, tout de même !
- Tu refroidis.
- Tu ferais mieux de cracher le morceau ou c’est tes dents que tu vas cracher.
- C’est comme ça que tu me remercies ? Alors que je t’ai empêché de prendre un aller simple pour le pays des morts ?
- Mais je t’avais rien demandé !
À l’évocation du nom du Commandant Reinhart, la jeune femme sentit une bouffée de chaleur lui monter au cerveau.
Elle n’avait pas jugé utile de mentionner à Bruce les termes de l’accord qui avaient permis son sauvetage éclair aux portes de l’enfer, se doutant qu’il les trouverait ridicules.
Elle craignait toutefois qu’il les découvre par lui-même et elle soupçonnait David d’attendre le bon moment pour les lui révéler.
- C’est Kanna, c’est ça ?, intervint Reiko.
Manabu acquiesça.
- Elle est toujours aussi prévenante avec moi.
- Elle t’a adoptée, c’est le prix à payer.
- Il est d’accord avec ça le vieux bandit ?
- C’est Harlock que t’appelles comme ça ?, s’offusqua-t-elle.
- T’en connaîs d’autres des vieux bandits ? En fait, non, je préfère ne pas savoir.
Reiko agrippa le fils de Kanna par la manche de son pull.
- Tu sais quoi ? On va aller se promener et te laisser ranger tout ce bazar.
- Vu le peu de machins que t’as ramenés, j’en ai pour cinq minutes à tout casser. C’est pas un problème. Et donc, où est-ce qu’on va mettre tous ces sous-vêtements ?, dit-il en tirant un soutien-gorge noir d’un sac.
La pilote recouvra les yeux de Manabu qui, de surprise, manqua de basculer en avant.
- C’est bon, j’ai pigé, oublie. C’est impossible d’avoir le dernier mot avec toi !
- Tu commences à me cerner, on dirait.
- Ouais, tout bien réfléchi c’est peut-être une connerie d’emménager avec toi, grommela-t-elle.
Contre toute attente, un tic nerveux agita la commissure de la bouche de l’artilleur du peloton Sirius.
- Tu le penses vraiment ? Parce que, en aucun cas, je ne voudrais que…
- Mais non, je plaisantais, s’empressa-t-elle de répondre. Je te charrie. Repose mes affaires, s’il-te-plaît.
Il s’exécuta sans protester pendant que Manabu tentait de se libérer de l’emprise de Reiko.
- C’est bon ? Vous avez terminé avec les trucs gênants ?
- Ouais, désolée pour ça.
- T’inquiète, c’est pas de ta faute. Enfin, comme t’as choisi ce type, ça l’est un peu quand même. Si on se renseigne, je suis sûr que Moritz est encore céliba… Aïïïïïe ! Pourquoi tu m’as frappé ?!, se plaignit-il en massant son crâne.
- T’as pas une petite idée ?, gronda Bruce en se frottant la main.
- Bon, vous avez fini ? Si vous avez le temps de vous battre, vous avez le temps de trier aussi…
Une alarme bipa simultanément sur leurs montres.
- Plus tard le rangement, trancha le sniper.
- Hum, on prend ton auto ?
- Ben voyons, je dois toujours me coltiner les piétons.
***
- Pression de la chaudière interne, ok !
- Valves en position !
- Circuit principal connecté !
- Radars calibrés !
- Armement opérationnel !
- System all-green !
Schwanhelt Bulge s’avança au centre de la “control room”.
- Big 1, décollage immédiat ! Destination la mer des Sargasses ! Louise, entre les données de l’échangeur stellaire 785 !
- Compris !
- David !
- Cap modifié !
- Moteurs à 95% de leur puissance !
Une fois le train de combat de la Space Defence Force lancé à pleine vitesse sur les rails, Le Commandant débuta le briefing habituel.
- Un dysfonctionnement de la signalétique de la Compagnie a entraîné un carambolage au niveau de l’échangeur 785. L’Express Arias est entré en collision avec le 365. Le contact avec les contrôleurs n’a pas pu être établi depuis que le SOS a été émis par le système d’urgence des locomotives. Nous n’avons donc aucune idée de l’état dans lequel se trouvent les trains et…
- Les voyageurs, termina Manabu.
- Exactement. Pour cette mission, nous agirons en coopération avec l’unité Cepheus, dirigée par Guy Lawrence.
- On ne va pas rigoler, marmonna David.
- Tu m’étonnes, souffla Bruce.
Reiko fit pivoter son siège vers l’ingénieur.
- Il est si terrible que ça ?
- Tu t’en rendras compte bien assez tôt.
- Tu me stresses.
- Ouais, disons que s’il faut choisir entre lui et Murase…
- Murase sans hésiter, entérina Bruce.
- Les gars, je n’ai pas le souvenir de vous avoir demandé votre avis, les morigéna Schwanhelt Bulge.
Le trajet fut rapide jusqu’à l’échangeur et l’image s’afficha sur l’écran principal avant que Louise n’ait l’opportunité d’annoncer leur arrivée.
- Mon… Dieu…
Bien que Reiko soit endurcie, et c’est le moins que l’on puisse dire à son sujet, elle n’était pas préparée à l’ignominie à laquelle elle assistait.
L’accident avait été effroyablement brutal.
Plusieurs foyers embrasaient déjà les Galaxy express. Des fragments de carlingue flottaient dans le vide interstellaire mêlés à ce qui semblait être des silhouettes humaines.
- Il n’y a pas une minute à perdre !, s’exclama Manabu en sautant sur ses pieds.
- Il a raison !, renchérit Reiko. Il faut aider ces pauvres gens.
- Un appel en provenance de… L’Hiryu ?
- Lawrence. Accepte.
“- Bulge.”
- Guy.
La pilote détailla le visage du Commandant de la section Cepheus. Contrairement à Murase, il n’était pas avenant et ne respirait pas la bonhomie. Ses traits n’étaient pas communs non plus. Des prunelles grises, des cheveux poivre et sel plaqués en arrière, un front bardé de rides de contrariétés, il paraissait aussi distant que condescendant.
“Leur uniforme est particulier aussi. Immaculé avec un col vert criard.”
“- J’ai un plan.”
- Toujours aussi fidèle à toi-même.
“- Divisons nos forces. Je m’occupe de l’Arias et toi du 365. On conserve un minimum d’effectifs à bord et on envoie deux équipes, la première pour secourir les voyageurs, la seconde pour éteindre les brasiers. Tu es le mieux pourvu médicalement parlant. Les personnes qui requièrent des soins seront donc prises en charge sur Big1 par ton médecin.”
- C’est moi ou il se prend pour Tôdo à nous donner des ordres ?, chuchota David.
- Faisons ainsi, reprit Bulge.
“- Bien. Bonne chance.”
La communication se rompit brusquement et un instant de flottement lui succéda durant lequel Louise programma un hologramme du 365.
- Manabu, Bruce, revêtez les combinaisons cosmos ignifugées. Les flammes ont atteint les voitures sept et huit. Vous démarrerez donc par là. Reiko, Louise, vous pénétrerez par l’arrière de l’express et vous évacuerez les passagers à l’intérieur de Big1. David, tu restes ici. J’ai besoin de ton savoir-faire de navigateur pour éviter les débris et par extension des dommages collatéraux.
Il empoigna ensuite son microphone.
- Yûki, organise l’infirmerie pour une arrivée massive de blessés, notamment avec des brûlures sévères.
“- Bien reçu !”
- Exécution et pas d’imprudence.
- C’est moi ou j’ai l’impression qu’il me regarde ?, murmura Manabu.
Reiko le rejoignit tandis qu’il franchissait la porte coulissante de la “control room”.
- C’était à nous deux qu’il s’adressait, Yuuki-kun.
- À qui d’autres ?, s’exaspéra Bruce en levant les yeux au ciel. Allez, les sœurs jumelles, au boulot.
Il attrapa le poignet de sa compagne avant qu’elle ne se faufile dans le vestiaire.
- Fais attention à toi, hein ?
- Promis, dit-elle en l’étreignant brièvement.
Il déposa un baiser dans sa chevelure en soupirant.
- Je m’inquiète quand t’es plus dans ma ligne de mire.
- Je sais, monsieur le tireur d’élite.
- Active ton émetteur, on maintient le contact.
- D’accord.
Moins de cinq minutes plus tard, les binômes étaient prêts. Big1 déploya tout d’abord une passerelle qui permit aux hommes munis d’extincteurs de gagner les voitures enflammées. Puis, ce fut au tour de l’équipe féminine. Celle-ci s’insinua prudemment par le wagon de queue dans lequel elle dénicha des passagers prostrés dans un coin.
- Nous débutons l’opération de sauvetage, Commandant !
“- Soyez diligentes, le train montre des signes préoccupants de faiblesse et l’incendie est plus vif que prévu.”
Au vu de la confiance que lui témoignait Schwanhelt Bulge, Reiko était résolue à ne commettre aucun impair durant cette mission.
Étonnamment, et de manière inattendue, la clairvoyance de l’Officière radar associée à l’instinct de la pilote faisaient des merveilles et les deux soldates avaient la situation bien en main.
- Venez avec moi, madame, intima Louise.
La fumée s’épaississait et, malgré les casques, le duo éprouvait de plus en plus de difficultés à se repérer et à se déplacer.
Les uns toussaient et les autres geignaient, en proie à la panique la plus complète.
- 90% des voyageurs sont hors de danger. Nous… Nous progressons vers les numéros douze et… Onze.
“- Reiko, le feu est incontrôlable. Inspectez le prochain wagon et faites demi-tour ou vous serez piégées.”
“ - On ne peut plus rien pour le 365, Commandant. Les passagers encore en vie à l’avant du train ont été redirigés vers Big1.”, lança la voix de Bruce.
“- Revenez.”
“- Okay.”
La chaleur montait en flèche et, malgré les vêtements qui régulaient leur température corporelle, les jeunes femmes suffoquaient.
- On s’en… Occupe !
- Emmenons ceux-là.
- Oui.
Elles déverrouillèrent la porte la plus proche, permettant ainsi à Yûki de récupérer une famille qui avait été relativement épargnée par l’accident. Malheureusement, ce n’était pas le cas de tout le monde et de nombreux corps jonchaient le sol.
Reiko s’agenouilla auprès de l’un d’entre eux et vérifia son pouls en apposant deux doigts au creux de son cou.
“Pas l’ombre d’un battement. Pour lui… Non plus. C’est trop tard pour eux.”
Louise décocha un regard interrogateur à sa partenaire qui répondit en secouant négativement la tête.
- On tente la onze car là, il n’y a plus que des cadavres.
“ - Fais vite, chaton.”
- Ici ce n’est pas aussi catastrophique. On a encore un peu de temps.
“ - L’express Arias est entièrement ravagé par le feu. Le peloton Cepheus a dû se détacher. Seuls… 70% des personnes à bord ont été sauvées.”, déclara David avec amertume.
- Quelle merde, pesta Reiko.
“Faisons au moins en sorte, qu’ici, chaque individu qui respire puisse sortir de cet enfer.”
L’Officière radar s’acharnait déjà sur la poignée menant au onzième wagon.
- Koko, je ne comprends pas… C’est… Bloqué !
- Hein ?
- Je… Pas moyen d’insister, dit-elle en retirant violemment sa main. C’est trop chaud !
- Laisse-moi faire.
Reiko écarta doucement sa coéquipière et entreprit de tirer sur la porte avec virulence.
- Putain ! C’est pas… Possible.
Puis, remarquant que le mécanisme était figé, elle asséna de puissants coups de pieds dans le panneau qui ne bougea pas d’un iota.
- Il est en acier, c’est inutile !
- T’as une meilleure idée ?
- Ne me crie pas dessus !
- Je ne crie pas, je parle juste fort !
- C’est pareil !
- Hé… Est-ce que tu… Entends ?
- On dirait des… Des ongles…
- Qui grattent contre…. Le métal.
- Quelle horreur !
Le binôme s'immobilisa, haletant.
De l’autre côté de la porte, de laquelle s’échappait une nuée opaque, les filles distinguaient clairement des crissements frénétiques.
- Commandant ! On a un survivant !
“- Je vous donne dix minutes ! Et pas une de plus !”
- Oui !
- Mais on ne parvient pas à ouvrir….
Reiko baissa les yeux et observa ses mains.
Son auto-mail étant doté de terminaisons nerveuses, il était en mesure de percevoir des sensations similaires à celles d’un membre fait de chair et de sang. Elle les soupçonnait même d’être sur-développées.
Ce qui avait son avantage dans certaines situations, notamment si celles-ci étaient du ressort de l’intimité.
Mais pas aujourd’hui.
- Je vais réessayer, dit-elle en ôtant ses gants avec les dents.
- Qu’est-ce que… ?
- Pas le choix. Je vais avoir mal mais ça sera pas permanent.
Elle entoura la poignée brûlante avec ses doigts en réprimant un gémissement de douleur pur. Puis, elle se jeta de tout son poids sur le battant.
Sa combinaison commença à sentir le roussi et à dégager des vapeurs qui n’avaient rien de rassurantes.
Un cri perçant franchit ses lèvres alors que sa prothèse mécanique se fissurait. La résistance du cristal avait atteint ses limites et il chauffait dangereusement.
- Éloigne-toi, Louise-chan ! Et vous, reculez ! Nous venons vous chercher !
Aucun adjectif, aucun adverbe, n’existe pour décrire la souffrance abominable que ressentait Reiko actuellement.
Bien pire que celle qu’elle avait subie lorsque son poing avait traversé l'œil rose de l’humanoïde.
Le tissu ignifugé de son habit céda en même temps que le vantail.
Étourdie, elle tomba en avant, se heurtant à un corps presque inerte.
- Une femme… Robot, lâcha-t-elle en se redressant avec peine.
Ses sentiments étaient confus, troublés par la douleur qui émanait de son côté droit, brûlé au niveau de la cuisse, du bras et des côtes.
- Aide-la, ordonna-t-elle.
- Oui !
Louise empoigna l’humanoïde pendant que Reiko se mettait debout vaille que vaille, en constatant que sa combinaison avait craquelé par endroit, dévoilant un épiderme cramoisi.
“J’ai mal au crâne.”
- On l’évacue ! Escorte-la sur Big1.
- Je m’en charge.
La pilote risqua un regard plus loin dans le onze. La fumée s’était en partie dissipée et elle fit quelques pas en titubant à la recherche d’éventuels rescapés.
- Morts. Tous morts…
Elle se retrouva face à la porte du dixième wagon, qui était pourvue d’une vitre. Elle colla son nez sur le carreau noirci, essayant de discerner des mouvements de l’autre côté. Elle plissa les paupières.
L’incendie s’était répandu dans l’habitacle et elle aperçut des défunts presque réduits en cendre.
“- La dernière voyageuse a été récupérée. Où en es-tu ?”
- J’arrive.
“- Tu fous quoi ? Je viens !”
- Pas besoin… Bruce.
Elle grimaça en prononçant ces mots. Sous l’effet de la chaleur, proche de celle d’un volcan en fusion, sa peau l’élançait furieusement.
“On a fait… De notre mieux pour eux.”
Une paume ensanglantée s’abattit alors contre la vitre et Reiko sursauta en poussant un hurlement de surprise.
- Il y a encore quelqu’un !
“- On ne peut plus attendre, fais demi-tour ! Le train ne va pas tarder à se transformer en un brasier géant !”
- Je n’abandonne personne.
“- Putain, j’y vais !”, tonna la voix de Bruce.
- C’est bon, ça s’ouvre !
Une nuée ardente fusa vers Reiko et malgré ses protections, elle toussa éperdument tout en posant un genou à terre.
Le 365 était devenu une fournaise dans laquelle elle mijotait à petit feu.
- Madame… Madame….
Une femme, une humaine cette fois-ci, à demi-consciente était étendue au sol. Gravement brûlée sur une moitié du visage et sur toute la partie gauche de son ventre, elle inspirait et expirait difficilement. Ses cheveux avaient presque entièrement fondu et des étincelles parcouraient ses vêtements, que la militaire étouffa avec son auto-mail abîmé. Puis, elle la souleva du mieux possible en faisant fi de sa propre souffrance.
- Je l’ai.
“ - Nous devons détacher Big1. Dépêche-toi ou tout le monde y passera. Non, Bruce ! Tu restes ici ! C’est un ordre !”
“- Avec tout mon respect, mettez-vous le au cul, votre ordre !”
- Je ne… Vois rien. Madame, marchez ! Allez !
La femme s’effondra, en insuffisance respiratoire.
La carlingue de l’express grinça et la voiture se comprima sur lui-même.
- Son cœur s’est arrêté. Il lui faut un massage cardiaque.
“- Si tu ne sors pas, tu vas brûler vive !”, vociféra Bulge. “Cours jusqu’au wagon de queue ! Rattrapez-le ! David ! Manabu !”
Reiko se releva, bouleversée.
- Je suis désolée, je ne suis pas… Assez forte !
Son instinct de survie prit le dessus et elle quitta les lieux en quatrième vitesse, quelques instants avant qu’ils n’implosent en entraînant le décès de la malheureuse.
Progressant à l’aveuglette, trébuchant à de multiples reprises, s’accrochant aux cadavres ou aux bagages éparpillés au sol, elle traversa les voitures d’une traite.
Des nausées remontaient dans sa gorge à chaque fois qu’elle écrasait un os ou qu’elle percutait un macchabée.
Et, derrière elle, les flammes se déchaînaient en provoquant une série d’explosions toutes plus sonores les unes que les autres.
- Je suis dans le dernier wagon ! Je vais sauter par-dessus la rambarde !
Elle n’entendit pas la réponse de Bulge car une déflagration éclata à sa gauche et la catapulta tout droit sur la porte.
Bien que sonnée, elle ramassa les miettes de son énergie, projeta son poing dans le panneau, enjamba la balustrade sans ralentir et bondit dans l’espace.
Un sifflement lui vrilla les oreilles.
“Pas Big1. Ce n’est pas Big1.”
Puis, des doigts se refermèrent autour de son poignet et la hissèrent sur une plateforme dure et froide.
- On l’a, Bulge. En un seul morceau.
“- Merci, Lawrence.”
- Cap sur Destiny !
- Compris !
La vision de Reiko était floue et elle sentit qu’on lui enlevait son casque.
Lorsqu’elle en fut enfin débarrassée, elle prit une profonde bouffée d’air frais et cracha ses poumons à s’en décoller le palais.
Des sanglots inondèrent ses joues et elle serra la manche de la personne qui l’avait happée à l’intérieur de l’Hiryu.
- Je ne l’ai pas sauvée. Je ne l’ai pas sauvée.
Elle s’affaissa sous le poids de la culpabilité.
- Je l’ai laissée mourir.
- On ne peut pas toujours tous les secourir et ce quelle que soit l’intensité du feu sacré qui nous habite.
L’image que lui renvoyait ses iris s’imprima enfin nettement sur sa rétine et elle reconnut les traits de Guy Lawrence.
- Elle est en état de choc, dit-il à l’intention de son unité.
Il fit pivoter délicatement Reiko.
- Des blessures au deuxième degré à traiter rapidement. Kori, occupe toi d’elle. Utilise la mallette d’urgence. Big1 croule sous les patients et nous devons rejoindre Destiny au plus vite. On la garde ici
- Je… Je vais bien.
Elle se leva inopinément, avant de s’écrouler contre Lawrence, qui la conduisit jusqu’à son siège dans la “control room”.
Elle s’endormit presque immédiatement, remarquant à peine Kori qui nettoyait et pansait ses plaies.
Lorsqu’elle s’éveilla enfin, l’Hiryu s’était immobilisé en gare.
- Elle est réveillée, Commandant.
- Où est-ce que…
- Je veux tout le monde sur le pont ! Prêtez main forte aux équipes médicales et au peloton Sirius !
La militaire se mit debout en chancelant, prenant résolument la direction de la sortie.
- Hé reste là !, lui intima une jeune femme à la peau mate et aux cheveux blonds coupés courts.
- Fiche moi la paix, grogna Reiko.
- Ils sont tous comme ça chez Sirius ?, grommela-t-elle.
Elle enroula néanmoins un bras autour de sa taille et l’aida à descendre.
- T’as été sévèrement touchée. On va chercher un médecin. Hé, où tu vas !?
- Big…1.
- C’est pas croyable d’être une tête de mule pareille.
Le branle-bas de combat avait été décrété à la SDF. Des soignants en blouse blanche, ainsi que plusieurs sections venues en renfort, regroupaient les blessés afin de les transférer à l’hôpital du Quartier Général.
- Dégagez, bordel !
Bruce déboucha sur le quai, hors d’haleine.
Moins d’une seconde plus tard, il arrachait Reiko de l’emprise de Kori.
- Ton arcade…
Du sang séché recouvrait le front du sniper et sa pommette était enflée.
- T’occupe.
- Mais…
- Putain ! Je t’ai pas mieux formée que ça !? T’as rien retenu ou quoi ? Tu fais un concours de stupidité avec Manabu ?
Lorsqu’il baissa la tête et qu’il nota les larmes qui embuaient les yeux de sa compagne, sa fureur s’envola aussi sec.
- Désolé. J’ai eu peur. Je ne voulais pas crier.
- Par…Don.
- C’est bon. C’est pas grave. On va prendre soin de toi.
- Je l’ai… Abandonnée.
- Non, t’as sauvé ta peau. On pouvait plus rien pour elle de toute façon.
Il la déposa sur un brancard en tremblant.
- Je n’ai que quelques brûlures, lui assura-t-elle en s’asseyant.
- Fais-moi plaisir et permet au médecin de t’examiner.
Elle aperçut alors Manabu et Louise qui cheminaient à travers la foule. Bruce leur céda la place de mauvaise grâce.
- Je n’ai pas… Je n’ai pas… Je suis tellement loin…, bégaya-t-elle en les pressant contre elle.
Ses coéquipiers partagèrent une œillade préoccupée, songeant que leur amie délirait probablement.
“Je suis tellement loin de la légende de Wataru Yuuki. Lui, il a réussi à sortir cette gamine de l’incendie… Je le sais, Maetel me l’a raconté. Moi j’en ai été incapable.”
- T’as été remarquable, enchaîna Manabu.
- Oui, impressionnante de sang-froid, abonda l’Officière radar.
- Non, quand même pas, les corrigea Bruce d’une voix dure.
- Je ne vous le fais pas dire.
Le Commandant Lawrence la fixait sans aménité.
- Prendre le risque de sacrifier Big1 et tous ses passagers pour une femme qui était déjà condamnée, c’est de l’inconscience.
Même s’il était d’accord avec ces propos, Bruce se plaça devant sa fiancée, bien décidé à ne pas laisser Guy Lawrence déverser son venin sur elle.
- C’est bon, je suis son instructeur. On réglera ça tout à l’heure.
- Wataru Yuuki.
Manabu frémit en entendant le prénom de son père et il se retourna avec des mouvements saccadés.
- Wataru Yuuki n’abandonnait personne, lui. Il a trouvé une fillette dans la fournaise de l’incident de la ceinture d’Orion. La seule survivante. Quand ils avaient tous renoncé, il a persévéré. C’est un héros.
- C’était un imbécile.
Il ne fallut rien de moins que la force de Bruce pour retenir son partenaire et sa petite-amie avant qu’ils ne se jettent à la gorge de Guy Lawrence.
- Ne parlez pas de lui en ces termes, espèce de…
- C’est bon, on a saisi, la coupa Louise.
- Mon père n’était pas un imbécile, rétorqua Manabu en serrant les poings de colère. C’était l’homme le plus courageux que j’ai connu.
- Personne n’arrive à la cheville de sa légende. Et vous, encore moins, lança la pilote en ricanant.
Elle marqua un silence avant de poursuivre.
- Vous, vous n’auriez jamais eu la trempe d’entrer dans les flammes, pas vrai ? Ils promeuvent vraiment n’importe qui comme Commandant au QG.
Lawrence s’avança, nimbé d’une aura menaçante.
- Tais-toi !, aboya Bulge en s’approchant à grands pas.
La jeune femme se tint coite mais continua de défier du regard le Commandant du peloton Cepheus.
“Je ne tolérerai pas qu’on insulte la mémoire de Wataru Yuuki impunément. Pour Kanna et Manabu. Et un peu pour moi, aussi.”
Un docteur écarta alors sans ménagement les membres de la SDF qui entouraient Reiko et inspecta promptement ses plaies.
- Je l’emmène.
- Allez-y, consentit Bulge.
- Je viens aussi, intervint Bruce.
- Non, je dois te voir de mon bureau. Maintenant.
- Ça ne peut pas attendre ?, s’irrita-t-il.
- Non.
- Je vais avec elle, proposa Louise.
Les mâchoires contractées sous l’effet de la rage, Bruce observa le médecin s’éloigner en compagnie des deux femmes.
Puis, il reporta son attention sur le visage fermé de Bulge.
“Il ne va pas me rater.”
***
- Bruce.
Le battant claqua et l’artilleur leva le menton, rivant ses yeux droit dans ceux du Commandant.
- Oui, je suis là.
- Assieds-toi.
- Pas la peine.
- Comme tu veux.
Bulge toisa le sniper depuis son fauteuil.
Il était sous ses ordres depuis près de dix ans et jamais il n’avait perdu son self-control de la sorte.
Il s’était démené comme un beau diable pour rejoindre Reiko, quitte à user de violence sur ses équipiers.
Et à insulter son supérieur hiérarchique.
Malgré toute sa bienveillance, Schwanhelt Bulge ne pouvait accepter un tel affront.
- Est-ce-que toi et Reiko avez pris un abonnement illimité pour “une convocation à motif d'insubordination” ?
Bruce ne répondit rien mais ses prunelles tiraient plus sûrement que son fusil.
- Je suis heureux que tu aies retrouvé le bonheur avec elle mais ce qui s’est produit est grave. Ton comportement était incontrôlable. Tu as luxé l’épaule de David et tu as failli casser le nez de Manabu. Nez qui avait déjà été fracturé par ta chère et tendre.
- Vous avez refusé que j’aille la secou…
- Et pour une bonne raison ! Elle était censée écouter les consignes et revenir ! Et si je t’avais autorisé à partir, que se serait-il passé à ton avis ? Elle n’aurait pas quitté le 365 sans la voyageuse et vous auriez péri tous les trois.
- Je l’aime, vous le savez. Qu’auriez-vous fait à ma place si celle qui était en danger n’était nulle autre que… Catalina ?
- Ne la mêle pas à ça, gronda Bulge.
- C’est pourtant la vérité.
- La seule vérité, Bruce, c’est que le fonctionnement de ma section prime sur tout le reste. Si tu es incapable de travailler dès que Reiko participe à une mission, il faudra que je prenne des mesures.
- Des mesures ?, répéta-t-il, suspicieux.
- Je devrai revoir l’une ou l’autre de vos affectations. Murase recrute.
- Vous n’êtes pas sérieux ! Vous la pousseriez délibérément dans les bras de ce fils de…
- Je suis on ne peut plus sérieux.
- Vous n’oseriez pas.
Le Commandant eut un sourire dur.
- Es-tu prêt à prendre le pari ?
La porte claqua derrière Bruce.
Schwanhelt Bulge s’adossa dans son siège, soudain très las.
“Harlock a raison. C’est bien moi le véritable héros de l’histoire. Si je réussis à maintenir un semblant de cohésion dans cette unité, je pourrai sabrer le champagne.”
***
En route vers l’aile médicale du Quartier Général, Bruce fit halte devant un distributeur de sodas.
Une pause s’imposait s’il voulait éviter de décharger à nouveau son ressentiment sur la femme qu’il aimait.
Dans le fond, il était forcé d’admettre que Bulge était dans le vrai.
Il avait complètement déconné.
Et ça l’irritait profondément.
- Je ne réfléchis plus quand il est question d’elle.
- J’avais pas remarqué, tiens !, railla David en glissant une pièce dans la machine.
- T’es là, toi ? Achète donc du thé de Tabito pendant que tu y es. Pour Reiko.
- Ben voyons, c’est toi qui devrait m’inviter vu que tu m’as pété l’épaule.
- Ouais, désolé pour ça.
- Tu m’en dois une.
- En plus de tout le blé que tu m’as déjà soutiré ?
- Exactement.
David prit place aux côtés de son partenaire et étendit ses jambes en travers du couloir.
- Je comprends ta réaction. Si c’était Aïleen, je n’aurais pas agi différemment.
- Ouais, va l’expliquer au Commandant.
- Il t’a fait son sermon paternel habituel ?
- Pire. Il m’a menacé de l’affecter chez Vega si je ne changeais pas d’attitude.
- J’y crois pas un seul instant. Pas sans l’accord de Reiko.
- Je suis sûr qu’il pourrait facilement la convaincre en lui disant qu’elle le fait pour mon bien.
- C’est vrai qu’elle est raide de toi.
- Mon vieux, je suis le plus atteint des deux.
- Je ne dis pas le contraire. T’es déjà chanceux d’avoir esquivé la mise à pied.
- Oui, je croyais y avoir droit.
Bruce se leva en attrapant au vol la canette de thé de Tabito.
- Je vais la voir.
- Je me doute. J’en viens.
- Et ?
- Elle va bien, t’en fais pas. Elle a la peau dure. Comme son pirate de père.
- Ouais.
Il ne fallut pas longtemps à l’artilleur pour gagner l’infirmerie, dans laquelle il découvrit Reiko et Louise en grande conversation.
- Je vous laisse, murmura l’Officière radar à l’oreille de son amie.
- Hum.
Bruce patienta jusqu’à ce qu’elle vide les lieux et s’assit au bord du lit.
- C’est superficiel, commença Reiko avec toute l’assurance dont elle disposait. Avec la technologie de pointe de la SDF, je n’aurai même pas de cicatr…
Sa bouche ne put terminer sa phrase puisqu’elle avait été recouverte par celle de son amant.
Lorsqu’il daigna enfin la relâcher, elle passa une main dans sa chevelure pour se donner une contenance.
- Tiens, c’est pour toi, dit-il en décapsulant la canette.
- T’es pas fâché ?
- Parce que tu as voulu faire ton travail ? Non. J’ai juste eu - encore - la frousse de ma vie.
Reiko se gratta le poignet, mal à l’aise, avant d’avaler une gorgée de thé amer.
- Et en ce qui concerne Lawrence ?
Il eut un fin sourire.
- Je suis fier que tu lui aies tenu tête mais prépare-toi à ce que Bulge te sanctionne.
- Je sais, soupira-t-elle, dépitée. Mais si c’était pour défendre le Commandant Yuuki, ça valait le coup.
- Pour quelqu’un qui ne l’a jamais rencontré, tu l’estimes beaucoup. Tu l’admires presque autant qu’Harlock ou Warrius.
- Tout autant, même, avoua-t-elle en tressant machinalement ses cheveux. Pourquoi t’es blessé ?
- J’ai essayé de me frayer un chemin jusqu’à toi.
- Bruce…
- Qui pourrait me blâmer ?
- Pas moi, dit-elle en l’embrassant.
Il caressa sa joue avec une infinie tendresse.
- Et puis, j’ai promis au vieux bandit, hein ?