A Galaxy Railways Story : Reiko
Chap 23 : Sacrifice
- Captain !
- Je sais.
- Notre carlingue est endommagée.
- Hum.
- Les tourelles une, trois et six sont détruites.
- En effet.
- Le pont quatre, en feu.
- Kei, ça suffit.
La Seconde se leva brusquement.
- On doit préparer le saut interdimensionnel tant qu’on a de l’énergie en réserve !
Harlock se retourna, aussi glacial que la planète Frosted.
Voire davantage.
- Je n’abandonnerai pas mes deux gamins là-bas.
Kei Yuki se mordit les lèvres, supportant difficilement le regard lourd de reproches de son supérieur.
- D’ailleurs, au vu de tes sentiments envers l’un d’eux, je comprends encore moins ta réaction.
Les joues de la jeune femme s’empourprèrent et elle réalisa qu’elle n’avait pas été aussi discrète qu’elle l’avait cru.
- Je fais confiance à Tadashi et on attend. Et puis, s’il s’emballe, le sniper sera là pour le recadrer.
- Je pensais que tu ne l’appréciais pas.
- C’est le cas mais ça n’enlève rien à ses compétences.
Une violente secousse fit tanguer l’Arcadia.
- Yattaran ?
- C’est chaud Captain.
- Mais encore ?
- On a une demi-heure tout au plus avant que le Saut Warp soit impossible à programmer.
- C’est mieux que ce que j’espérais.
De l’autre côté des vitres de la passerelle se déroulait un spectacle peu réjouissant. La planète Râ-Métal et la Sphère avaient engagé l’intégralité de leurs puissances de feu respectives.
Et, le moins que l’on puisse en dire, c’est que cela faisait mal. Très mal. Ce n’était guère une surprise pour le hors-la-loi, mais c’était tout de même fâcheux.
Les Space Wolves étaient presque tous hors jeu et l’artillerie n’occasionnait que des avaries temporaires sur l’une ou l’autre de ces deux cibles.
- Le bouclier ?
- À 38% de ses capacités, l’informa Kei.
- On ne change rien au plan. Si ce vaisseau doit finir en pièces, qu’il en soit ainsi.
***
- Bruce ?
Les mots se bloquèrent dans la gorge de l’artilleur.
- C’est… Réel ?, demanda Reiko.
Tadashi hocha la tête.
- Malheureusement.
Le sniper s’éclaircit la voix.
- Salut, chaton.
Tadashi lui renvoya une oeillade mauvaise qui signifiait clairement “Tâche de te souvenir que tu n’a plus le droit de l’appeler comme ça.” Bruce ne s’en formalisa pas, trop occupé à passer Reiko au crible, s’horrifiant à mesure qu’il découvrait une blessure plus grave que la précédente.
“Certes, elle est en vie, mais à quel prix… Je conçois maintenant que l’équipage de l’Arcadia ne porte par les humanoïdes dans son cœur.”
Il voulut s’approcher mais ses pieds restèrent vissés au plancher.
Comme hypnotisée par ce qu’elle voyait, la pilote boitilla dans sa direction avant de basculer sur le côté.
Les réflexes de Tadashi furent meilleurs que ceux de Bruce et il réussit à agripper la ceinture de sa sœur afin qu’elle ne s’écrase pas au sol. Il ploya les genoux et la chargea ensuite dans son dos.
- C’est bon, je gère.
- Je me débrouille… Toute seule.
- On travaillait en binôme, t’as oublié ? T’as été géniale mais je prends le relais. T’as perdu trop de sang, faut limiter les dégâts.
Retrouvant soudainement sa mobilité, le sniper s’avança, faisant fi de l’aura assassine du frère de Reiko.
- Je…
- Pas le temps de discuter, tu ouvres la marche ?, le coupa le pirate.
- Ouais. Ouais, je vais faire ça.
Alors qu’il s’éloignait, Reiko l’interpella faiblement en dodelinant de la tête.
- Tu ne m’as pas menti.
- Pardon ?, souffla-t-il, perplexe.
- Quand tu m’as dit que tu n’étais jamais vraiment parti.
“J’ai dit ça, moi ?”
- Laisse tomber, elle délire. On doit vite se tirer d’ici.
- Aniki, pose-moi…
- Non.
Pourtant à bout de forces, elle refusait d’être de nouveau un poids.
- Je peux prendre soin d’elle, tenta Bruce.
- Même pas en rêve.
L’artilleur serra les dents, retenant une réplique cinglante. Une dispute ne les aiderait sûrement pas à quitter cet enfer en vie et, pour l’instant, c’était son unique priorité.
- Nee-san, comprime ta main pour contenir l’hémorragie, d’accord ?
- Hum hum.
- Hé t’endors pas !, l’apostropha Tadashi en haussant le ton.
- Oui.
Après avoir inspecté une volée de marches avec diligence, Bruce donna le signal de départ. Il ne détachait qu’à grand-peine les yeux de sa belle, craignant qu’elle ne s’évanouisse à tout moment.
- Reiko, tu étais en train de rejoindre les hangars de lancement, c’est ça ?, la questionna-t-il.
- Les.. Hangars ? Oh oui, exactement.
- T’avais pas renoncé, hein ?
- N-non. Je ne pouvais… Je voulais… Je voulais…
Elle inspira profondément.
- Je voulais te revoir.
Après réflexion, elle ajouta :
- Et Big1 aussi. Oui, parce que… J’ai choisi cette voie, tu vois ?
Les mâchoires de Bruce se contractèrent.
“Je mérite pas que quelqu’un comme elle tienne autant à moi. Surtout après ce qu’il s’est produit. J’ai paniqué et je me suis enfui. C’est à se demander qui j’essayais véritablement de protéger. Et, vu le dégoût qui transpire du visage de Tadashi, il est sans doute de cet avis.”
- Je comprends, marmonna-t-elle en se méprenant sur le silence de son interlocuteur.
- N-non… Je…
- Hé, te déconcentre pas. On a encore… Beaucoup d'étages… À grimper !, ahana-t-il, courbé sous le poids de son précieux fardeau.
“Quand on sera sorti d’ici, je te promets de ne plus merder comme je l’ai fait.”
- Ouais, on bouge.
Étonnamment, ils ne rencontrèrent que très peu de résistance.
“Le vieux loup de mer leur donne du fil à retordre. Nous ne sommes plus leur principale préoccupation.”
Ils débouchèrent dans une vaste pièce circulaire et Bruce appuya aussitôt sur la détente de son fusil, abattant les trois humanoïdes qui montaient la garde. Ils s'effondrèrent dans un bruit mat qui résonna dans la station en un interminable écho.
- On peut y aller.
Alors qu’ils avaient traversé la moitié de la salle, il se rendit compte que son acolyte hargneux ne le suivait pas.
- Hé, qu’est-ce que tu fous ?
- J’arrive.
Escalader une dizaine d’étages avec sa sœur sur le dos l’avait épuisé et il respirait péniblement.
- Okay, on va échanger.
- Hein ? Dégage ! … Oh !
Bruce confisqua fermement Reiko de l’emprise de son frère.
- T’es trop lent, on n’a pas le choix. Tiens prends ça, ordonna-t-il en lui fourrant l’arme entre les mains. Sauf si tu crois que t’es pas capable de nous défendre.
- Je tire mieux que toi !
- C’est ça. Fais moitié aussi bien et ça sera déjà pas mal.
- Quand on en aura fini, faudra qu’on cause toi et moi.
- Si tu le dis.
La jeune femme obligea ses paupières à se décoller.
- Je t’ai manqué ?
- T’en as d’autres des questions débiles ?
Puis, avant que Tadashi ne lui saute à la gorge, il enchaîna.
- Évidemment que tu m’as manqué vu que je t’aime à en crever.
Un sourire timide se dessina sur les lèvres de la pilote.
- Redis moi ça tout à l’heure, hein ?
- Autant de fois que tu le voudras, accepta-t-il.
- Ouais ou pas, grogna le pirate.
Machinalement, Bruce caressa les cheveux de Reiko.
- T’as plus à t’en faire, on rentre à la maison.
- O-Otto-san ?
- Je ne pensais pas à cette maison là, répondit-il sérieusement, mais on ira là où tu voudras.
Elle n’entendit pas ces paroles puisque l’inconscience eut finalement raison d’elle.
- Fais chier, lâcha-t-il en le remarquant.
- On doit être proches, c’est là haut, dit Tadashi en désignant les rampes de décollage.
- Okay, on accélère.
Ils prirent un énième escalier qui les conduisit à un immense entrepôt. Le trio s’embusqua derrière une console en observant les alentours.
- J’en compte douze.
- Quatorze, corrigea Bruce.
“Trop nombreux pour qu’on puisse espérer s’échapper sans dommage collatéral.”
L’artilleur pointa un chasseur à quelques jets de pierres de leur position.
- Foncez, je vous couvre.
Le disciple d’Harlock le fixa intensément.
- T’es sûr de ton coup ?
- Tu me prends pour qui, minus ? Je te la confie. Provisoirement.
- Dans tes…
- Rêves, je sais. Mais justement, ça fait un moment qu’elle les hante, mes rêves.
- Meurs pas, tireur d’élite de pacotille, l’enjoignit-il en empoignant sa sœur.
- Protège-la, marin d’eau douce.
- T’inquiètes pas pour ça.
- Allez fichez le camp, maugréa-t-il.
Tadashi s’éloigna sans un regard en arrière, rasant les murs et se camouflant dans la pénombre.
Malgré toute la discrétion dont il faisait preuve, il se fit rapidement repérer par une escouade de militaires qui tournait autour de l’un des jets en examinant son fuselage.
- Sa race…
Il se glissa dans un renfoncement du mur à l’instant où Bruce ouvrait le feu sur l’ennemi.
“Ils ont aucune chance contre ce gars-là. C’est pas un combat, c’est une exécution.”
Profitant de cette diversion bienvenue, il rejoignit son objectif au pas de course. Il déposa Reiko au pied de l'appareil et entreprit d’atteler une passerelle pour pouvoir la hisser au sommet.
- Aniki ?
La jeune femme luttait pour émerger de sa léthargie. D’abord floues, les lignes et les couleurs gagnèrent en netteté et elle retrouva une vision à peu près correcte.
- On s’en va, dit-il en la chargeant sur ses épaules.
- Attenti…
Tadashi se baissa pour esquiver un rayon laser qui lui frôla la taille, traçant un sillon roux sur sa veste kaki.
- Merde, ragea-t-il en dégainant tant bien que mal son cosmo-dragoon.
Il tira à deux reprises et, même s’il ne parvint pas à toucher sa cible, il la fit battre en retraite. Une fois certain qu’elle ne reviendrait pas, il positionna Reiko dans le cockpit.
- Bruce ? Il est… Il est où ?
Tadashi jeta un coup d'œil à travers la vitre de l’habitacle.
“Il est encerclé.”
Une vingtaine de soldats l’avaient acculé et, sans renfort, il était probablement condamné.
- Désolé, on peut rien pour lui. Il nous offre une chance, on va pas la gaspiller.
“Il l’a fait en connaissance de cause.”
Malgré la torpeur dans laquelle elle baignait, Reiko saisit la portée de ces mots et attrapa violemment le poignet de son frère.
- Aniki, je t’en prie. S’il meurt, j’en mourrai aussi.
Le pirate serra les poings en éludant le regard suppliant de sa sœur.
- L'équipage de l'Arcadia ne laisse personne derrière lui. Non ?, insista–t-elle, implorante.
- Koko, on va y passer tous les trois si je vais l’aider.
Cette phrase avait un goût amer de déjà-vu pour la pilote, puisqu’elle était l’exact reflet de celle qu’elle avait formulée trois jours plus tôt.
- S’il-te-plaît. Il est… Il est tout… Pour moi.
Il soupira.
- On se demande bien pourquoi, répondit-il en sautant hors du chasseur et en le verrouillant au passage. Tu bouges pas de là, je vais chercher ton Roméo.
Une fois seule, elle s’adossa dans son siège, le bras pressé sur son ventre.
La douleur était si forte qu’elle pria pour s’évanouir à nouveau.
“Je veux qu’on rentre tous ensemble à la maison.”
Pestant contre ce sentimentalisme absurde qui l’avait fait céder à la requête de Reiko, Tadashi se rua en avant, décidant de faire une percée dans la vague d’hommes mécanisés.
“Il a intérêt à être réactif, l’autre imbécile.”
Bruce, qui s’était quant à lui résigné à rester sur site à son tour, avait assisté, médusé, à ce qu’il nommera plus tard “la charge du pirate écervelé”.
“Putain mais qu’est-ce qu’il fabrique ce crétin fini ?”
Bondissant en dehors de son abri de fortune, il redoubla d’effort pour que sa tête brûlée d’équipier ne se fasse pas trouer la peau.
À eux d’eux, ils réussirent à semer la panique parmi le groupe d’humanoïdes. Un trait lumineux perfora néanmoins la cuisse de l’artilleur qui roula au sol et se releva sans ralentir.
- Tu nous fais quoi là ?
- On abandonne pas un camarade. Même si pour toi, j’aurais volontiers fait une exception.
Bruce s’agenouilla, ajusta sa visée et transperça un robot en pleine poitrine.
- T’es un imbécile.
- Tu diras ça à celle qui m’a obligé à revenir sauver tes fesses.
- La ferme.
Sans s’attarder davantage, ils sprintèrent en direction du jet dans lequel Reiko somnolait toujours.
Militaire et pirate prirent place à l’intérieur et, une fois n’est pas coutume, le premier laissa les commandes au second.
Le moteur ronronna tandis que les propulseurs rugissaient furieusement.
- Décollage immédiat.
- Te vautre pas, bougonna Bruce en attirant tendrement sa petite amie sur ses genoux, faisant fi de la souffrance qui irradiait de sa jambe.
- Ne me confonds pas avec toi, ricana-t-il.
Le chasseur s’envola alors en essuyant les tirs de nombreux assaillants.
Sans perdre une minute, le sniper retira sa veste et la réduisit en morceaux pour en faire des bandages de fortune.
- Je regarde, d’accord ?, dit-il en délassant l’amas de tissus sanglant autour du poignet de Reiko.
Cette dernière ne put retenir ses gémissements à mesure que la chair à vif se dévoilait. Le teint de Bruce vira au vert quand il prit conscience de l’ampleur des dégâts.
“J’ai jamais vu une main dans cet état. C’est moche. Vraiment très moche. C'est déchiré et abîmé jusqu'à l'os. ”
- Je… Je vais refaire le pansement. Ça va faire mal, je suis désolé.
L’opération se révéla épineuse puisque le pilotage nerveux et les multiples tonneaux ne lui facilitaient pas la vie.
Des gouttes de sueur perlèrent sur le visage de la blessée, son souffle s’emballa puis ses yeux se révulsèrent lorsque le bandage compressa son membre mutilé.
- T’attends quoi pour nous sortir de là ?, mugit-t-il, proche de la panique.
- Pour l’instant, je veille à ce qu’on ne nous réduise pas en poussière. Tu vois pas que je fais de mon mieux ?
- Ben ça suffit pas !
- Espèce de sale…
Tadashi n’eut pas le temps de l’affubler des noms d’oiseaux imagés qu’il avait en réserve car ils pénétrèrent enfin dans le tunnel de lancement au fond duquel ils aperçurent une gigantesque porte scellée.
- Je vais tirer. Préparez-vous au retour de débris.
- Maintenant !, gronda Bruce, tendu comme un arc.
Le pilote appuya sur la gâchette au-dessus de son manche pendant que l’artilleur raffermissait sa prise sur une Reiko tremblante et brûlante de fièvre.
“Ça passe ou ça casse.”
***
- Captain !
- Oui, je sais, le bouclier va lâcher et notre armement est presque totalement hors service.
- Non… Alors oui, mais ce n’est pas ce que je voulais dire. Un chasseur vient sur nous à toute vitesse.
Harlock se précipita vers les vitres.
- Tu crois ?
- Il ne nous attaque pas et ne semble pas hostile, continua Kei… Je… Une communication en pro…!
- Accepte !
“- Harlock, c’est nous.”
- Reiko ?, interrogea-t-il avec anxiété.
“- En vie mais… prévenez Doc.”
- Tout est déjà prêt. Ouvrez le sas quarante-deux !
Le poids sur son estomac s'alourdit, étouffant son sentiment de soulagement.
- Le Saut Warp ?
- Juste mais possible, intervint Yattaran.
- Lancez-le dès que le jet est en lieu sûr, ordonna le pirate en quittant la passerelle.
Il traversa en courant les couloirs le séparant du hangar. Il ne daigna même pas s’arrêter quand une pluie d’étoiles blanches fit s’évaporer le sol et les murs autour de lui. Le souffle court, il déboucha dans le sas lorsque le cockpit de l’appareil humanoïde s’entrouvrait.
Tadashi, suivi de Bruce tenant Reiko blottie contre lui, descendirent par une rampe installée à la hâte. L’équipe médicale était déjà sur place avec le Docteur Zero à sa tête.
Le Capitaine se fraya un passage parmi les pirates. Il fixa, épouvanté, le corps inanimé de sa fille adoptive.
Puis, sans crier garde, il l’arracha de l’étreinte du sniper et l’étendit sur l’un des brancards prévu par le médecin.
- Lapin…
Sa voix se brisa.
Il effleura la joue ensanglantée de la jeune femme qui respirait avec peine. Il nota le bandage proéminent qui dissimulait son poignet, l’angle étrange que formait son bras et les lacérations en plein milieu de sa jambe.
“Ils ont osé… Ils ont osé… Je vais… Anéantir leur planète, leur base et je terminerai par leur reine que je tuerai de mes propres mains.”
- Je l’emmène au bloc, Harlock.
- Doc, je viens avec vous.
- Non, occupe-toi de l’Arcadia. Reiko, j’en fais mon affaire. Masu, accompagne celui-la à l’infirmerie, ajouta–t-il en désignant Bruce. Je le verrai après.
- Je reste avec elle.
- Non, je ne veux aucun d’entre-vous dans mes pattes !, asséna-t-il en s’engouffrant dans un ascenseur à proximité.
Les trois hommes demeurèrent bras ballants au centre de l’entrepôt. Harlock fut le premier à sortir de son engourdissement. Il ébouriffa brièvement les cheveux de Tadashi et s’en alla, les épaules voûtées, avant de s’immobiliser au moment de franchir le sas.
- Speed, merci d’avoir tenu ta promesse, dit-il sans se retourner.
Puis, il se fondit dans la pénombre du vaisseau.
Madame Masu, la cuisinière de l’Arcadia, se posta alors devant sniper.
- Allons-y, il faut soigner ça aussi.
- C’est bon, c’est rien. Je vais aussi au bloc.
- T’as pas entendu ce qu'a dit le toubib ?, l’interpella Tadashi. Il n’a pas besoin de nous là-bas.
- Depuis quand est-ce que j’en ai quelque chose à carrer de ton avis ?
Peu impressionnée par la tension qui nimbait l'atmosphère, la vieille femme s’insinua entre le soldat et le pirate.
- Dépêche-toi, dit-elle en tirant sa veste.
- Je vous ai déjà dit que…
Le regard noir de la cuisinière l’empêcha de finir sa phrase et il se résolut à lui emboîter le pas, bon gré mal gré.
Mort d’inquiétude, il se fichait bien de la plaie, pourtant sérieuse, qui mangeait sa cuisse.
- Nous disposons des meilleures installations médicales. Mis à part le Karyû, il n’y a aucun autre endroit où elle pourrait bénéficier de soins de cette qualité.
- Ouais…
Madame Masu lui administra une grande claque dans le dos.
- Ça va aller mon garçon. Tout contribue au bien.
- Si vous le dites, marmonna-t-il en entrant dans l’infirmerie.
***
- Vous pouvez répéter ?
- Il n’y a pas d’autre solution. C’est ça ou elle risque à presque 100% la septicémie et l’infection aggravée.
- Ça va ruiner sa vie.
- Pas nécessairement.
- Vous ne la connaissez pas aussi bien que moi.
- Captain…
Harlock se détourna du Docteur Zero. Il n’avait jamais été aussi abattu de toute sa vie.
La décision qu’on lui demandait de prendre était justement impossible à prendre.
- Une amputation jusqu’au poignet ?
- L’intégralité de la main. Il n’y a plus rien à sauver.
- Une amputation ?, lança une voix étranglée.
Les deux pirates firent volte-face dans un ensemble parfait.
Harlock ne chercha pas à s’écarter lorsqu'un Bruce furibond agrippa le rebord du col de sa cape.
- Vous êtes tous fous sur ce fichu rafiot ! Vous voulez qu’elle soit handicapée à vie ?
Ombrageux et glacial, le Capitaine fit un pas en avant.
- Tu préfères qu’elle meure des suites de sa blessure ? Parce que, d’après le Doc, si on ne coupe pas, c’est inévitable.
Il riva son visage à moins de cinq centimètres de celui du sniper.
- Qui es-tu pour exiger que je choisisse entre une enfant en vie mais estropiée ou une enfant morte mais entière ? Ou alors peut-être que cette chirurgie te répugne ? Ma fille aura-t-elle moins de valeur à tes yeux avec un membre en moins ? Elle ne sera plus à ton goût ?
- Vous vous trompez ! Ça n'a rien à voir !, cracha Bruce, en colère, en repoussant sèchement son interlocuteur.
- Vraiment ?
Harlock eut un rire sardonique.
- Reiko en vie, ça ne te suffit pas ?
- Ne me prêtez pas des paroles que je n’ai pas dites, gronda-t-il. Si vous lui retirez sa main, vous lui retirez son outil de travail. La Space Defence Force… Elle s’est battue pour rester, vous n’avez pas le droit de lui enlever ça.
- J’ai tous les droits sur ce vaisseau !, rugit le pirate.
Il tourna le dos à l’artilleur qui se retenait difficilement de lui dévisser la tête.
- Zero, faites ce que vous avez à faire. J’en assume l’entière responsabilité.
- Bien Captain.
Le médecin attendit que son supérieur ait disparu à l’angle d’un corridor pour s’adresser à Bruce.
- Elle aura besoin de toi plus que de n’importe qui.
- Je sais, ronchonna-t-il. J’ai jamais eu l’intention de l’abandonner.
- Je n’en doute pas, mon garçon, dit-il en lui tapotant le ventre.
- Je viens av…
- Non, le bloc n’est pas un endroit pour les soldats.
Le battant claqua derrière le docteur Zero et Bruce s’adossa contre la paroi, accablé et impuissant.
Il n’était pas doué avec les mots et l’emportement l’avait empêché d’expliquer son raisonnement au père de Reiko.
Bien évidemment, les causes de son refus n’étaient pas de l’ordre de l’esthétique ou de l’attirance.
D’une part, il craignait que sa petite-amie ne se remette pas d’une intervention corporelle si radicale et, de l’autre, il était persuadé que son avenir en tant qu’agent de la SDF allait être définitivement compromis.
Si toutefois sa vie était en jeu, comme l’avait énoncé Harlock, il n’y avait pas à tergiverser.
- Il ont une technologie ultra-perfectionnée ici, mais rien qui ne puisse l’aider. Saloperie de pirates. Saloperie d’Arcadia.
Une douleur sourde lui paralysait la cuisse et du sang commençait déjà à inonder le pansement de fortune confectionné par la cuisinière.
Le menton baissé, assis sur le sol dur et froid, il prit son mal en patience.
“Sois courageuse, chaton. Je suis tellement désolé. Si je le pouvais je te donnerais mes mains, mes jambes ou mes yeux. Tout, pour t’épargner cette épreuve.”
***
- J’ai terminé.
Bruce sortit laborieusement de son atonie.
- Pardon ?
- L’opération est un succès, si je peux le dire ainsi. Sa vie est hors de danger. Son humérus est fracturé et, grâce au ciel, aucune artère des membres inférieurs n’a été touchée. Elle est gravement déshydratée et affaiblie par la privation de nourriture, mais ça ira mieux d’ici quelques heures.
- Est-ce que… ?
- Je préconise du repos. Il serait préférable que tu la vois demain. Bon, et si on s’occupait de ça ?, dit-il en pointant le bandage.
- Pas la peine.
- Si tu changes d’avis, je suis sur la passerelle.
- Oui, Doc.
Il patienta en piétinant le temps que le praticien médical quitte les lieux. Puis, une fois certain qu’il ne reviendrait pas, il entra dans l’infirmerie qui n’avait pas été fermée à clef.
Allongée sur le dos, ensevelie sous une montagne de draps blancs et le bras gauche en écharpe, Reiko dormait sereinement. Un masque à oxygène recouvrait son nez et elle était perfusée. Un moniteur affichait différentes courbes et bipait à intervalles réguliers. Instinctivement, Bruce apposa ses doigts sur le front de la jeune femme et constata qu’elle avait retrouvé une température normale.
“C’est déjà ça.”
Sa chevelure sombre formait une auréole autour de son crâne et son teint de porcelaine était uniquement altéré par une petite cicatrice en dessous de sa bouche.
“Je ne lui ai jamais demandé comment elle s’était fait ça.”
Il souleva ensuite délicatement le drap, dévoilant ce qu’il redoutait de découvrir : un moignon entièrement bandé.
- Putain… Fais chier.
L’appel du lit se faisant plus insistant, il se coucha à côté de Reiko, l’entourant d’un bras protecteur.
- Je serai là quand tu te réveilleras, dit-il en bâillant.
Ses paupières lourdes se scellèrent et il tomba dans un sommeil sans rêve.
***
- Je l’avais pourtant prévenu, soupira le docteur.
Harlock s’approcha, mécontent.
- Je ne sais pas ce qui me retient de l’arracher de là et de le jeter dans le vide intersidéral.
- C’est faux et tu le sais très bien.
- Ouais, je suis pas sûr qu’elle l’aime tant que ça.
- C’est pas ce que j’ai compris en écoutant le récit de Tadashi.
- Depuis quand vous écoutez Tadashi, vous ? Et pourquoi vous prenez la défense de ce blaireau ?
- C’est un bon gars, Captain. Il me fait penser à toi dans ta jeunesse.
- Hum ?
Les bras croisés, Harlock dévisageait le couple qui ronflait paisiblement.
- T’es pas objectif le concernant. Je crois… Je crois qu’il n’a pas quitté Reiko de gaieté de cœur. Ce type traîne autant de casseroles que toi et moi réunis. Il a sûrement essayé, maladroitement certes, de la tenir à l’écart de tout ça.
- Je serai attentif à la moindre erreur, au plus petit faux-pas.
- Ils sont jeunes. Prends ça en compte dans la balance.
- Elle a assez souffert pour une vie entière.
- C’est le lot de beaucoup d’entre-nous.
Un tic nerveux agita le sourcil du hors-la-loi.
Il contenait sa rage à grand-peine et celle-ci menaçait de se déverser sur ses ennemis à tout moment, à la manière d’un tsunami destructeur.
- Prévenez-moi quand elle ouvrira les yeux.
- Je n’y manquerai pas.
Après un dernier regard en arrière, le pirate gagna ses appartements, partagé entre la colère, la tristesse et le soulagement.
Une fois seul avec Bruce et Reiko, le docteur s’enferma dans son bureau et se versa une large rasade de saké. Son chat, Mî-kun, s’étira et se frotta contre ses chevilles en ronronnant.
- Je n’ai pas fini d’en voir de toutes les couleurs avec eux, n’est-ce pas ?
***
De légers toussotements réveillèrent Bruce. Il se redressa sur un coude et avisa les cils papillonnants de sa petite-amie.
- Salut, Chaton, dit-il en lui caressant doucement la joue.
Sa voix était rauque et il s’aperçut qu’il n’avait pas bu une goutte d’eau depuis près de vingt-quatre heures. Puis, songeur, il contempla Reiko émerger lentement de sa torpeur.
- Où.. on… est ?
- À la maison.
Un petit sourire naquit sur les lèvres de la pilote.
- Je suis… En vie, hein ? Si j’étais morte… J’aurais pas si mal.
- Ouais.
- Bruce…
Elle tenta d’effleurer la peau de l’artilleur mais son bras ne se détacha pas du matelas. Une ombre inquiète assombrit ses prunelles alors qu’elle se rendait compte que quelque chose clochait.
- Je sens… Plus rien… Pour… Pourquoi ?
Un vent de panique souffla sur Bruce.
Il n’avait pas réfléchi à la façon de lui annoncer la nouvelle écrasante de son amputation.
“Merde.”
- Et si on attendait Har…
Il réalisa qu’il s’y était mal pris lorsque la respiration de Reiko s’accéléra. Affolée, cette dernière attrapa la couverture avec sa main valide et l’ôta brusquement.
L’image que ses iris lui renvoyèrent se heurta à son cerveau, qui ne parvint pas à l’interpréter.
Il lui fallut plusieurs secondes pour en saisir la terrible portée.
Un hurlement d’horreur franchit alors sa bouche tandis qu’elle fixait son moignon.
Le sniper la happa en masquant ses yeux pour lui éviter de regarder ce qu’il restait de son avant-bras.
- Tu vas surmonter ça. On le surmontera ensemble.
- C’est pas réel, bégaya-t-elle. Pas réel…
Fébrile, elle entreprit d'extraire les aiguilles de ses veines et Bruce dû l’enserrer pour la stopper.
Des claquements de talons retentirent soudainement dans le corridor. Peu de temps après, le Capitaine de l’Arcadia défonça le vantail et se rua vers le lit comme un cheval fou, suivit de Tadashi et du Docteur Zero. Celui-ci tenait une seringue entre ses doigts que Bruce devina être un calmant. D’un signe du menton, il fit comprendre au médecin que la piqûre était inutile.
Pendant qu’Harlock tirait un tabouret pour s’installer au chevet de sa fille, il se pencha vers celle-ci et lui murmura à l’oreille des phrases qui se voulaient apaisantes.
Le pirate dut admettre à regrets que le militaire savait s’y prendre puisque Reiko cessa de trembler. Zero rangea donc sa piqûre avec une mimique satisfaite.
- Poussin, c’est moi.
Le poussin en question, dont le nez était enfoui dans la veste de l’artilleur, ne bougea pas immédiatement. Après une minute qui, selon l'appréciation d’Harlock, parut durer une éternité, elle pivota enfin dans sa direction en lui adressant une oeillade brûlante de souffrance.
- Otto-san.
N’en pouvant plus, il la pressa contre son cœur et un torrent de larmes noya son uniforme sombre usé.
Celles d’un père et de son enfant.
- Tadaima*, balbutia-t-elle entre deux sanglots.
- Okaeri** usagi, répondit-il avec émotion.
***
Lexique :
Formulation japonaise
*Je suis rentrée.
** Bon retour à la maison, lapin.