A Galaxy Railways Story : Reiko
Chap 20 : Enlèvement
Reiko appuya de nouveau sur la sonnette.
Une boule alourdissait son estomac et son anxiété crevait le plafond.
- Ouvre-moi, je sais que tu es là. Tu vas m’éviter encore longtemps ?
Un silence pesant succéda à sa déclaration.
- C’est ridicule, s’énerva-t-elle. Tu ne veux même pas entendre ce que j’ai à dire ?
Des larmes rageuses perlèrent au coin de ses yeux. Elle s’adossa contre la porte et glissa lentement au sol.
- Kanna était en colère, poursuivit-elle néanmoins. C’était prévisible… Mais… Pas évident à vivre en direct. Elle m’en veut mais je crois que le véritable objet de sa rancœur c’est la SDF qui lui a volé toute sa famille.
Reiko se releva, vacillante.
- Je vais arrêter ce monologue bizarre. J’ai juste une dernière chose à te dire. Bruce, je ne lâcherai pas. Je ne te lâcherai pas. Si cette histoire de malédiction est la seule raison pour laquelle tu me repousses, je ne l’accepterai pas. Ce n’est pas en m’éloignant de toi que tu me protégeras. Bref, essaie quand même de te reposer. Je t’ai apporté à dîner.
Elle posa un sac en plastique surmonté de deux canettes sur le tapis de l’entrée.
- Bon, je pars. Je… Je… Je t’aime. Appelle-moi si tu changes d’avis.
Elle patienta encore un instant et tourna les talons en soupirant.
- Tête de mule, va…
Elle s’engagea dans les escaliers, morose.
La veille au soir, une fois que Kanna les eut éconduites, Reiko et Louise n’avaient eu d’autres choix que de passer la nuit dans un hôtel proche de la gare. Et, comme un malheur n’arrive jamais seul, elles avaient dû attendre la fin de journée pour monter dans l’unique train à destination de Destiny.
Sitôt débarquée, la pilote avait raccompagné son amie avant de foncer jusqu'à l’appartement de Bruce, dans l’espoir de renouer le dialogue. Et, le revers qu’elle venait d’essuyer, la laissait si démoralisée qu’elle n’avait pas le courage de rester dans sa chambrée.
- Otto-san… J’aimerais vraiment que tu sois là.
***
Bruce était assis devant la porte d’entrée, le nez enfoui dans la manche de sa veste. Il s’était fait violence pour ne pas dégonder le vantail et serrer la jeune femme dans ses bras. Evidemment, il avait perçu la détresse dans sa voix et ne pas répondre s’était révélé être la plus pénible des épreuves qu’il ne s’était jamais infligée.
- Moi aussi je t’aime, marmonna-t-il. Mais je refuse que mes ténèbres t’engloutissent. T’es bien mieux sans moi.
Le visage de Schneider s’imposa à lui et il grinça des dents si fort qu’il faillit se décrocher la mâchoire.
“Ce connard va se jeter sur elle comme un chien sur un bout de viande.”
Dire qu’il avait finalement cédé à ses injonctions en la quittant.
“Il va bien rire quand il l’apprendra, ce bouffon.”
- Arrrg…
Ankylosé, il se mut avec difficulté. Il se décida enfin à ouvrir la porte et découvrit le repas de Reiko. Un étau comprima son cœur lorsqu’il avisa les canettes posées au-dessus du sac.
- Du thé de Tabito et mon lait à la fraise…
Des larmes roulèrent sur ses joues sans qu’il ne réussisse à les contenir.
- Manabu… Reiko…
***
Errant à travers les ruelles de Destiny, elle déboucha sans surprise devant la grande gare de triage de la planète.
- Tous les chemins mènent au quartier général.
Elle franchit les vantaux automatiques et continua en direction de la salle de repos du peloton Sirius.
“Qui est-ce que j’espère croiser ? Bruce ? Retranché dans son appartement. Louise ? Exténuée et sûrement profondément endormie. David ? Alcoolisé dans un bar miteux quelconque. Et Manabu…”
Elle s’avachit sur un banc, face au distributeur de sodas que le sniper affectionnait tant.
“J’ai soif mais j’ai même plus la force de bouger.”
N’ayant que très peu dormi depuis vingt-quatre heures, elle sombra bientôt dans un sommeil sans rêve.
- Hé, ho ? T’es réveillée la belle au bois dormant ?
- Bruce ?, bégaya-t-elle en frottant ses paupières.
- Mauvaise pioche, argua une voix railleuse.
Elle se redressa sur un coude.
- Hein ?
“Il n’y a que lui qui m’appelle comme ça.”
Quelques secondes plus tard, sa vision s’éclaircit enfin et elle reconnut ses interlocuteurs.
- Salut les gars, croassa-t-elle.
Schneider et Silver la fixaient, l’un goguenard, l'autre inquiet.
- Qu’est-ce que tu fous ici ?, demanda Edwin.
- Je sais pas… Je suis pas rentrée hier ?
- C’est une question ? Parce qu’on va pas pourvoir t’aider.
- Speed te laisse roupiller ici ?, intervint Moritz.
Le regard de Reiko se durcit et elle se mordilla la lèvre inférieure.
- C’est compliqué. Il est quelle heure ?
Schneider pencha la tête sur le côté, intrigué.
- L’heure de prendre ton service, l’informa Edwin Silver.
- Je vois. Je vais… Y aller alors.
- Hé ça va ? Tu tiens le coup ?, insista l’Officier radar.
- Ouais, ça ira mieux quand Manabu sera revenu.
“Oui, à son retour, tout redeviendra comme avant. Louise, Kanna et même Bruce. Ils retrouveront tous leurs esprits.”
***
Une semaine s’était écoulée depuis l’enlèvement de Manabu Yuuki. Une semaine durant laquelle Bruce avait adressé moins de dix mots à Reiko. Cette dernière, que la situation actuelle désespérait, s’était toutefois résignée à lui accorder du temps, consciente que le contrecoup du kidnapping était difficile à encaisser.
Le moral en berne, elle s’était résolue à téléphoner à Harlock. S’il n’ignorait rien des révélations de Maetel, il se montrait plus prudent concernant Râ Andromeda Promethium, estimant qu’il n’existait aucune preuve concrète de son implication. Il convint cependant que les humanoïdes étaient probablement responsables de l’agitation sur Destiny et à travers l’univers en général. De plus, il lui avait assuré que la recherche de Manabu était tout en haut de sa liste des priorités. Malheureusement, l’infiltration sur Râ-Métal était plus délicate que prévue. Quant à l’analyse du composant métallique, elle n’avait rien donné, au grand dam de Yattaran et de Tetsuro.
Observateur, le pirate avait noté les cernes sous les yeux de sa fille adoptive ainsi que la pâleur inhabituelle de son teint. À demi-mots, elle lui avait avoué que son excursion sur Tabito avait été éprouvante et, puisque Warrius avait vendu la mèche, que sa relation avec Bruce s’était détériorée suite aux événements récents. Bien que contrarié par cette seconde information, Harlock s’était gardé de tout commentaire. Si sa fille, habituellement si discrète à propos de sa vie privée, avait besoin de se confier, c’est qu’elle devait être sacrément déprimée.
“Fais attention à toi et pas d’imprudence.”, avait-il conclu.
Reiko s’adossa dans son siège, bercée par le bruit du moteur de Big1.
“Désolée, papa, mais je ne reculerai devant rien pour ramener Manabu. Ce n’est pas à toi que je vais enseigner la valeur d’une promesse.”.
- Fin de la mission, on rentre au bercail, annonça David, sans enthousiasme.
Personne ne lui répondit.
Schwanhelt Bulge, maussade, s’enfonça dans son fauteuil. L’absence de Manabu pesait sur l’humeur de sa section et il était impossible de passer à côté de l’aura sombre qui émanait de Bruce ou de celle, éperdue, qui nimbait Reiko. Quant à Louise, le chagrin l’avait rendue apathique et elle n’était plus que l’ombre d’elle-même.
De plus, malgré tous les efforts déployés par l’équipe des techniciens, personne n’avait pu déceler la faille dans le pare-feu de Big1. Pas même Akatsuki. Il était avéré que le gaz hallucinogène avait été diffusé par le biais des ventilations du train mais ils ignoraient comment et surtout qui l’avait introduit.
“Quelqu’un aura agi lorsque nous étions à quai. Peut-être même sur Destiny. Cela signifie que la planète n’est plus sûre. Que le QG n’est plus sûr. C’est préoccupant.”
- Est-ce qu’on peut prolonger notre service et poursuivre les recherches ?, questionna l’Officière radar.
Face aux mimiques suppliantes des uns et des autres, il n’eut pas le courage de refuser.
- Oui, allons-y. Louise, ouvre tous nos canaux et ajuste les détecteurs.
- Bien reçu.
Deux heures plus tard, l’unité Sirius n’était pas plus avancée et rien de suspect n’avait été capté par leurs radars.
- C’est assez pour aujourd’hui, on reprendra demain, trancha le Commandant.
À peine avait-il prononcé ses paroles qu’une alerte retentit dans la “control room”.
- Une aéronef vient d’apparaître sur nos écrans ! Elle a une forme étrange. On dirait… Une sphère géante. Ce serait plutôt une base ou une station.
- Comment est-elle arrivée si subite… ?, commença Bulge, étonné.
- Saut warp, les renseigna Reiko.
- J’intercepte une communication.
- Accepte-la.
L’écran central se déploya et une image s’afficha. D’abord grésillante, elle gagna en netteté tout en restant pixelisée.
- Putain, jura Bruce en se levant brutalement.
À genoux face à la caméra, le menton baissé, Manabu fixait le sol. Amaigri, les vêtements en lambeaux mais…
- Vivant, s’étrangla Reiko. Il est vivant.
Les yeux rivés sur la vidéo, la respiration de Louise s’emballa.
“- Peloton Sirius, nous vous adressons un avertissement.”
- Qui ça “nous” ?, gronda le Commandant.
“- Nous sommes vos sauveurs, vos seigneurs et maîtres.”
- Que vous dites, cracha Reiko.
- Libérez mon artilleur, ordonna Bulge d’une voix de stentor.
“- Le fils Yuuki est un élément important, doté d’une volonté sans pareille. Nous ne le rendrons qu’en échange d’un présent équivalent.”
- Qui est ?
“- Big1.”
Bulge serra les dents.
“- Refusez et nous vous détruirons. Vous et votre précieuse Compagnie. Son sort est entre vos mains.”
Cette conversation déplaisante prit fin dans un silence de mort, laissant chacun pétrifié par l’angoisse et la stupeur.
Le Commandant fut le premier à se ressaisir.
- Louise, trace la provenance de l’appel. Vérifie si c’était filmé en direct depuis cette station.
- Compris !
Plusieurs minutes s’égrenèrent durant lesquelles Reiko se gratta nerveusement le bras au sang. Une tâche rouge nappa son coude sans qu’elle n’y prête attention. Elle détaillait sa console avec intensité, retenant son souffle.
Manabu était en vie et intègre. Sans vis et boulons supplémentaires.
Quel soulagement.
- Je t’ai déjà dit d’arrêter de te faire ça, grogna Bruce en empoignant son poignet.
Elle le regarda faire sans comprendre, étonnée de l’entendre lui parler.
- Hein ?
- Le signal provient bien de la base. Pas de doute, il est là-bas. Que… Que fait-on ?
Bulge se positionna au centre de la “control room”.
- Préviens le QG et sollicite des renforts. Explique la situation au Commandant Tôdo.
- Si je peux me permettre, lança Reiko en s’écartant du sniper, cet échange… Il a pour but de nous tester. Ils veulent qu’on rejette leur demande. Pour nous attaquer. Et même si nous cédions, je suis persuadée qu’ils n’honoreraient pas leur part du marché.
- La Compagnie n’acceptera pas qu’on leur serve gentiment Big1 sur un plateau doré, concéda Bulge. Et ce n’est pas la solution. Bruce, prépare notre armement. Tenons nous parés à toutes éventualités.
- À vos ordres !
Elle observa l’artilleur regagner son poste.
Pourquoi était-il toujours aussi compliqué de dialoguer avec lui ?
Elle secoua la tête. Pour l’instant, elle avait d’autres chats à fouetter.
- Comment récupérer Manabu dans cette forteresse imprenable ?, demanda David.
- Je ne sais pas encore, signifia le Commandant. Pour le moment, on maintient le statu quo et on gagne du temps.
- Trop tard pour ça, les avertit Bruce.
- David !
Le navigateur enclencha la manette entre ses jambes et Big1 fit un brusque looping qui catapulta Reiko à terre.
Elle se releva en maugréant et frotta sa hanche.
- Rien de cassé ?, l’interrogea Bulge.
- Non, désolée, j’ai manqué de vigilance.
- Permission de riposter ?
- Bruce ! Manabu est prisonnier quelque part dans cette base !, protesta Louise.
- Tu préfères qu’on se fasse pulvériser ?
Schwanhelt Bulge acquiesça.
- Permission accordée, mais vise uniquement les propulseurs et les moteurs pour les immobiliser.
- Compris.
Reiko s'avança devant son supérieur, fébrile.
- Laissez-moi piloter. Je peux collecter des données et assurer vos arrières au besoin. Je garderai mon sang-froid, je vous le promets.
- Tu en es certaine ?
- Oui.
- D’accord, vas-y, mais pas d’imprudence.
La jeune femme sortit précipitamment du wagon de Commandement. Alors qu’elle franchissait le sas intermédiaire, elle risqua un dernier coup d'œil par-dessus son épaule, cherchant inconsciemment le regard de son amant.
Quand elle le trouva, elle articula silencieusement trois mots.
“Je t’aime”.
Puis, la porte se referma dans un claquement sec.
Elle traversa les voitures en courant et parvint hors d’haleine jusqu’au hangar de lancement des eagles. Elle jeta sa veste et le reste de ses vêtements en boule au sol et sauta dans une combinaison cosmo. Elle vissa un casque sur son crâne et approcha rapidement la passerelle qui lui permettait d’accéder au cockpit. Elle le déverrouilla et se glissa à l’intérieur de l’habitacle, activant au passage l’ensemble des systèmes. Concentrée sur sa tâche, elle sursauta lorsqu’une silhouette bondit derrière elle.
- Putain, Louise, qu’est-ce que tu fous ?
- Tu n’y vas pas juste pour couvrir Big1, hein ?
Percée à jour, la pilote tapota le tableau de bord de son chasseur.
- Ouais, mais je ne t’emmène pas avec moi. C’est trop dangereux.
- Reiko. Je t’empêcherai jamais de secourir la personne que tu aimes. Alors ne m’oblige pas à descendre.
- Le Commandant va nous tuer. Qu’est-ce que tu lui as dit ?
- Que j’allais aux toilettes.
- C’est pas vrai…
- S’il-te-plaît, la supplia-t-elle. Je serai absolument inutile ici.
La voix de Bulge résonna dans les haut-parleurs.
“- Tu es prête ?”
Abdiquant face à la détermination de son amie, Reiko referma la coque transparente.
- Boucle ta ceinture.
- Merci, souffla-t-elle.
- Quand tout ça sera fini, on devra assumer nos décisions et leurs conséquences.
- Désolée.
La jeune femme mit en route les moteurs.
- N'oublie pas que j’ai grandi sur un vaisseau pirate. J'ai encore mon âme de rebelle.
Elle alluma son microphone.
- Requiers autorisation de décollage.
“- Accordée. Sois prudente.”
- C’est parti.
Sans attendre que le toit ouvrant ne soit complètement rétracté, Reiko tira sur le manche et l’eagle s’élança dans l’espace.
- Plus de retour en arrière possible.
- Oui.
Louise siffla pendant que Reiko contournait la probable base humanoïde.
- C’est immense.
- Yep. Elle fait la taille d’une planète naine.
- Oh mon dieu !
- Faut croire qu’ils en ont eu assez de patienter. Je savais bien que leur seul objectif était de nous réduire en pièces détachées pour boîtes de conserves certifiées.
Plusieurs rayons laser filèrent en direction de Big1 et il ne fallut rien de moins que toute l’adresse de David pour esquiver les dommages collatéraux.
- À nous de jouer.
Reiko appuya sur sa gâchette et arrosa à son tour la station.
- Arrête ça ! Et si tu blessais Manabu ?
- Aucune chance avec ce château fort. Je ne l’ai même pas égratigné.
- Mais c’est quel niveau de technologie, ça ?
- Le niveau Râ-Metal, rétorqua Reiko entre ses dents.
Bruce semblait du même avis car les canons pulsars et les tourelles s’acharnaient sur la base.
- Qu’est… Qu’est-ce que c’est que ça ?
- Quoi ?
- Le vaisseau… Il était touché et il s’est… Il s’est…
Louise avala sa salive.
- Il s’est régénéré. Tiens ! Regarde !
Reiko effectua un retournement pour mieux analyser ce que sa copilote lui désignait. Et ce qu’elle vit la glaça. Dès que Big1 cessait le feu, les plaques endommagées se reconstituaient, laissant la carlingue intacte.
- C’est quel genre de sorcellerie, ça ?
Sans daigner répondre, elle reprit la communication avec Big1.
- Commandant, la station est dotée…
“- D’un système d’auto-réparation, on a vu. Reiko, Louise est avec toi ?”
Elle inspira profondément et rassembla son courage.
- Oui.
“- Je vois.”
Reiko grimaça. Le ton ombrageux de Schwanhelt Bulge n’augurait rien de bon.
“- On va utiliser le cosmo-matrix, ne restez pas là. ”
- Bien reçu. Les renforts ?
“- Murase et Lawrence sont en chemin.”
- Lawrence ?
“- Le Commandant du peloton Cepheus.”
- Tenez bon, Big1.
“- Vous aussi.”
Elle voulut ajouter quelques mots pour Bruce mais ils moururent dans sa gorge. Malgré l’assurance de façade qu’elle montrait face à lui, elle n’en menait pas large et son rejet la blessait intensément.
Elle vira donc de bord, pour ne plus être dans la ligne de mire du train de combat. Se propulsant en chandelle, elle visa la base ennemie mais son armement était toujours aussi inefficace.
- Le cosmo-matrix !, s’exclama l’Officière radar.
Le canon se déploya à l’emplacement traditionnel de la boîte à fumée de la locomotive.
- Il est chargé, constata Reiko en apercevant les arcs électriques qui émanaient de ce dernier.
Moins d’une minute plus tard, un concentré d’énergie pur fusa hors de Big1 et percuta de plein fouet la station.
- Manabu…
- Il ne risque rien. Notre puissance de feu est insuffisante.
Bien qu’éventré, le vaisseau se reconstitua aussitôt.
- On lutte contre des moulins à vent. Je ne sais même pas si l’intégralité de la force de frappe de la SDF pourrait venir à bout de cette abomination. Alors aussi performant que soit Big1…
- Les réparations sont terminées.
- Oui, mais la brèche… Elle a mis quoi ? Dix secondes avant de se refermer ?
Louise se raidit.
- Ne me dis pas que t’envisages…
- J’ai promis à Kanna. Et t’es là pour ça aussi, non ?
Elle réfléchit un instant.
- Comment faire pour s’orienter quand on sera là-bas ?
- Si, comme je le crois, la base est peuplée d’humanoïdes, on calibrera les radars de nos montres sur la détection des signatures organiques.
- Ça pourrait fonctionner…
- Ouais, sauf si on se fait tuer avant.
- Le Commandant ne voudra jamais.
Reiko soupira.
- C’est pour ça qu’on ne sollicitera pas sa permission. Foutu pour foutu, autant y aller franco.
Louise hocha la tête.
- Dès que le cosmo matrix fera feu.
- Oui. Je n’annoncerai pas à Kanna qu’en plus de son aîné et de son époux, la Space Defence Force lui a aussi pris son plus jeune fils. On rentre avec Manabu ou on ne rentre pas du tout.
- On est d’accord.
Reiko actionna son communicateur.
- Commandant, que fait-on ?
“- Nous rechargeons, écartez-vous.”
Big1 virevoltait entre les tirs de la base humanoïde et, par miracle, parvenait à limiter les dégâts. Visiblement, l’ennemi n’avait pas engagé toute son artillerie et testait la capacité d’adaptation de l’unité Sirius.
- Lorsque le canon s’alimente en énergie, tous les systèmes du train sont HS. À ce moment-là, ils sont vulnérables, rappela Louise.
- Si les robots décident de se battre sérieusement, on sera balayés comme des feuilles mortes.
- On y est. Prépare-toi.
Reiko fit mine de s’éloigner mais resta suffisamment proche pour se faufiler dans la brèche à la première occasion.
- Maintenant !
Le rayon lumineux transperça à nouveau la carlingue et la pilote débuta une manœuvre en immelman pour pénétrer à l’intérieur avant que la régénération ne s’achève.
Elle enfonça le bouton de son émetteur dès que le jet disparut dans la sphère géante.
- Désolée d’avoir menti, Commandant. Bruce… Je… Je…
Renonçant à formuler sa phrase, elle mit fin à la discussion et coupa les micros.
Le trou se referma derrière le chasseur et Reiko raffermit sa prise sur sa commande directionnelle.
- Plus de retour en arrière, se répéta-t-elle.
***
- Faites demi-tour !
Seul l’écho de sa propre voix répondit au Commandant.
- Elles nous ont bien eus, lâcha David.
Tétanisé, Bruce fixait l’écran de contrôle. Son cœur s’emballa et, pour la première fois de sa vie, il sentit monter une crise d’angoisse. Partagé entre la colère et la détresse, il était incapable d’equisser le moindre mouvement.
Dans son esprit, il visionnait en boucle les derniers mots de Reiko.
Ceux qu’elle n’avait pas eu besoin de prononcer pour qu’il les comprenne.
“C’est encore ma malédiction. J’ai eu beau rester loin de celle que j’aime, c’était inutile. Cette punition divine… Elle me dérobe tout ce que j’ai de plus cher. Dire qu’elle s’est précipitée dans la gueule du loup. Je n’ai rien vu venir. Pourtant, ça aurait dû me sauter aux yeux. Après son voyage sur Tabito, elle était bouleversée… Si seulement j’avais écouté… J’aurais pu voir qu’elle était prête à tout pour sauver Manabu. J’aurais pu empêcher ce désastre.”
Réussissant à s’arracher de sa léthargie, le sniper se leva en chancelant.
- J’y vais.
- Non, tu reposes tes fesses sur ce fauteuil, intima Bulge.
- Mais…
- On ne peut rien faire pour l’instant. Si tu t’en vas, tu nous condamnes tous.
Bruce s’exécuta à regrets, les mâchoires verrouillées et les poings serrés à s’en faire blanchir les phalanges.
- T’as pas vu la douille arriver ?, lui reprocha l’ingénieur. C’est ta petite amie.
- Ta gueule, David.
- Bruce !, le rappela à l’ordre le Commandant. Garde ton calme. Nous avons un gros problème sur les bras, dit-il en désignant la station.
- Elles ne s’en sortiront pas. C’est impossible. Ils sont des centaines là-dedans et elles ne sont que deux, dont une novice.
- On n’en sait rien. Restons confiants.
- Elles vont se faire massacrer, répéta l’artilleur, toujours en état de choc.
- Ressaisis-toi. Elles ont la peau dure.
Malgré ces paroles qui se voulaient rassurantes, le Commandant était inquiet.
Leurs chances étaient minces et il craignait que le pire ne se produise encore.
- Elle a du sang de pirate dans les veines ta fiancée, reprit David en baissant d’un ton. Et je connais personne d’aussi effrayant que Louise quand elle s’énerve.
Bruce fit un gros effort pour s’ancrer dans la réalité.
- La cavalerie est là, les informa David. Nos instruments détectent l'Hiryu et l’Iron Berger.
- Rééquilibrons la balance, répondit laconiquement Bulge.
***
Crispée sur le manche de navigation, Reiko zigzaguait entre les obstacles toujours plus nombreux qui se présentaient sur sa trajectoire.
Si la hauteur sous plafond lui donnait suffisamment de latéralité pour voler, elle devait éviter colonnes, consoles et tirs en rafale.
- Tu as basculé ta montre en mode “détection organique” ?
- Oui, c’est fait. Comme prévu, on a une seule correspondance.
- Transfère-moi les données, je vais me rapprocher le plus possible.
La pilote chassa sur tribord et s’enfila dans un long corridor en effectuant une rotation à 180° sur son axe de roulis.
- Impasse !, s’affola Louise.
- Pas le choix, j’ouvre le feu.
Le flux laser heurta l’immense paroi métallique et Reiko pria pour qu’elles ne s’écrasent pas contre celle-ci. Les deux femmes retinrent leur souffle en redoutant l’impact.
Lorsque l’eagle émergea de la fumée, elles étaient à nouveau dans un vaste espace pouvant contenir plusieurs dizaines de cathédrales.
- C’était juste…
- Manabu est détenu plusieurs centaines de mètres au-dessus de nous. Il faut monter.
- Compris.
Le chasseur fila en chandelle et Reiko visa le plafond pour se frayer un chemin dans les étages supérieurs.
- Hé !
- T’as une autre idée ?
Elle contourna de grandes baies vitrées derrière lesquelles des humanoïdes en blouse blanche s’affairaient.
- Ils transportent de grandes caisses remplies de pièces métalliques.
- Ah ?, marmonna Reiko, concentrée sur son pilotage acrobatique.
Elle vira sur bâbord pour esquiver un groupe de tireurs d’élite.
- Notre effet de surprise est passé, il faut accélérer.
- Les radars indiquent qu’il se trouve à un kilomètre d’ici. On est au bon étage. Tu peux te poser ?
- Pas assez de place, grogna-t-elle.
- Et là ?, dit Louise en pointant une plateforme face à laquelle s’étirait une imposante passerelle.
- J’essaie, répondit Reiko tandis que des grosses gouttes de transpiration perlaient à son front.
Elle amorça un atterrissage délicat et soupira de soulagement quand il s’acheva sans encombre. Les moteurs à peine coupés, elles soulevèrent le cockpit et déployèrent une échelle portative.
- Plus qu’à espérer qu’ils ne le sabotent pas. Sinon, on cherchera un hangar et on volera un jet…
- En soutenant Manabu, c’est irréalisable.
L’Officière radar observa sa montre pendant que Reiko vérifiait les alentours.
- Il est à moins de trois-cents mètres de notre position.
- Okay. Bruce me tuerait s’il m’entendait mais on court. On n’a pas le temps pour la prudence.
Son amie acquiesça, déterminée.
Elles traversèrent le pont suspendu et se dirigèrent dans des escaliers qui débouchaient devant une grande arche percée de cadrans ovales roses.
- C’est là !
Reiko tendit son cosmo-gun et abattit deux hommes robots avant qu’ils ne réalisent qu’une intrusion avait lieu dans leur secteur.
- Cent mètres !
Elles tournèrent à une intersection et un rayon laser roussit la chevelure de Louise. Cette dernière riposta et un humanoïde s’effondra, un trou béant dans la poitrine.
- Attention !
Reiko poussa sans ménagement son équipière contre la paroi du couloir. Un trait rouge les frola et un bout de son uniforme partit en fumée. Elle tira à trois reprises et chacune de ses salves rencontra sa cible.
Louise s’était écroulée et elle la força à se relever rapidement en empoignant son col.
- On y est presque, ahana Reiko.
En effet, elles avaient atteint une cellule de petite taille bardée de hauts grillages. Derrière celle-ci se tenait une silhouette recroquevillée dans l’obscurité.
Le visage émacié, les vêtements déchirés et les cheveux en bataille.
- Manabu !, hurla Louise.
Le jeune homme leva la tête, ne parvenant pas à croire à l'image que ses yeux lui renvoyaient. Louise s’acharna sur la serrure jusqu’à ce qu’elle fonde sous l’effet de la chaleur. Puis, elle se jeta au cou de son partenaire en pleurant.
- Mais comment ? Est-ce que je suis en train de rêver ?
- Non, gros benêt. Tu pensais quand même pas qu’on allait t’abandonner dans ce trou à rats ?
- C’est dangereux… Vous n’avez pas idée… De ce qu’ils font ici…
- Tu peux marcher ?, intervint Reiko. Ils sont là, on doit décamper.
- Oui, leur assura-t-il en se mettant debout en vacillant, une lueur profondément résolue dans les prunelles.
- Soutiens-le, ordonna Reiko, anxieuse. Y’a pas de temps à perdre.
Ils quittèrent la pièce vaille que vaille.
Des bruits de cavalcade résonnèrent au bout du couloir et des ennemis surgirent des tréfonds de la base. La pilote en dénombra une petite vingtaine. Puis, elle reporta son attention sur ses coéquipiers.
“On est trop lents. L’alerte a été donnée… On se fera descendre avant ne serait-ce que d’entrapercevoir la porte de sortie.”
La panique commença à l’envahir alors qu’elle tirait désespérément sur les humanoïdes qui s’étaient embusqués au bout du corridor.
Étrangement, côté passerelle, la voie était libre.
“J’ai l’impression qu’on se joue de nous. Nous ne sommes que des pions sur l’échiquier de quelqu’un d’autre.”
- Partez les premiers. Je les retiens et, dès que vous êtes à couvert dans les escaliers, je dégage de là.
- Non, protesta Manabu. C’est du suicide de rester ici.
- Si on y va tous les trois, on se fera méchamment canarder. Louise, emmène le.
- Je…
Reiko darda un regard impitoyable sur son amie.
- N’oublie pas pourquoi on est là.
Elle marqua un silence avant de reprendre.
- Je vous rejoindrai, promit-elle sans cesser de cibler ses adversaires. Allez-y !
Louise acquiesça à contrecoeur, consciente qu’il n'y avait pas d’autres alternatives.
- Non ! C’est hors de question !, s'énerva l’artilleur.
L’Officière radar attrapa Manabu et l’obligea à la suivre. Celui-ci tenta de se débattre mais il était encore trop faible et elle l’entraîna fermement en direction du pont suspendu. Sans se retourner et le cœur lourd, Reiko s’adressa aux deux fuyards.
- Louise, si je ne reviens pas… Dis à Kanna que je suis désolée pour tout et…
- Reiko !
- Et à Bruce… Que… Que je…
Elle se mordit les lèvres en réprimant ses larmes.
- Rien. Allez-vous-en ! Si je ne suis pas là à temps, décollez et fuyez loin d’ici.
Manabu voulut faire demi-tour mais Louise ne l’entendait pas de cette oreille et elle le contraignit à poursuivre vers l’eagle. Ses clameurs de contestation retentirent avec virulence alors même que la bataille faisait rage.
- Mon pistolet est presque complètement déchargé…
Du coin de l'œil, elle nota qu’ils avaient enfin disparu derrière l’arche.
“J’espère qu’ils n’auront pas de comité d’accueil.”
Concernant son propre sort, elle ne se faisait guère d’illusion. Bien sûr, elle était terrifiée de se retrouver seule en plein territoire mécanisé, cela ravivait ses pires souvenirs ; mais rien n’était plus insoutenable que de faire face à Kanna et de lui avouer qu’elle n’avait pas pu respecter ses engagements.
Embusquée dans un renfoncement du mur, elle terminait de vider son chargeur, quand elle perçut le ronronnement familier des moteurs de son eagle.
De fait, lorsque la bouche du canon d’un cosmo-gun se posa contre sa tempe, elle avait l’esprit tranquille.
“Par où sont-ils arrivés ? Ah, je vois.”
Elle remarqua une trappe entrouverte au-dessus d’elle.
“Je ne rentrerai pas à la maison ce soir. De toute façon, personne ne m’y attend.”
- Debout morveuse, intima un soldat. Lâche ton arme.
Elle s’exécuta sans discuter et fut traînée jusqu’à une vaste pièce recouverte de cadrans colorés du sol au plafond. Au centre de celle-ci, elle repéra une ombre aux cheveux sombres démesurés, vêtue d’une longue robe noire.
Le rythme cardiaque de Reiko s’accéléra et des tremblements agitèrent son corps.
“Je le savais. Au fond de moi, j’ai toujours su que je reviendrais. C’est comme si je n’avais jamais quitté Râ-Metal.”
Au moment où la créature robotisée s’approcha, son sang-froid vola en éclat et elle se débattit pour s’enfuir le plus loin possible de cette abomination cauchemardesque.
La peur qui lui broyait les entrailles la renvoya vingt-ans en arrière et elle se sentit aussi vulnérable que la petite fille de dix ans qu’elle était alors.
- Mais qu’avons-nous là ?, susurra une voix hypnotique. Oh, mais quelle surprise !
La Chose pinça le menton de sa prisonnière.
- Je reconnaitrais ces yeux terrorisés entre mille. J’ai eu raison de laisser ces deux misérables insectes s’enfuir. L’échange est finalement équivalent, n’est-ce pas, Reiko ?