A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 14 : Réhabilitation

4672 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/08/2023 12:45

Chap 14 : Réhabilitation


- J’aurais pu rentrer toute seule.

- C’est sur notre route.

- Comme vous voulez.


Maintenant son vélo par le guidon, Reiko marchait en direction du restaurant en compagnie de monsieur Roya, de Shiro et de l’humanoïde qui se révéla être le fameux Jeff, chef de l’équipe du troisième palier.

Couverte de suie de la tête aux pieds, les pores bouchés par la saleté, elle avait l’impression d’être enveloppée d'une seconde peau.


- Ta fracture… C’est douloureux ?, le questionna Reiko.

- Non, ça va, la rassura-t-il en rougissant.

- C’est qu’il est courageux le gamin, lâcha le contremaître en lui ébouriffant les cheveux.


Reiko accéléra le pas, pressée de nettoyer toute la crasse qui lui démangeait l’épiderme.

Elle lorgna vers Jeff, qui avait tenu à se joindre au petit groupe. Dire qu’elle avait secouru un humanoïde… Harlock n’allait pas en croire ses oreilles.

“Est-ce que je peux me servir de cette histoire pour convaincre le Commandant de me réintégrer ? Non, il considérera ça comme de la vantardise. C’est même pas la peine d’y songer. Je dois chercher autre chose.”


- On est attendus.


Kanna patientait devant son établissement, visiblement agitée. Lorsqu’elle aperçut les nouveaux venus, elle se précipita vers eux.

“Elle a l’air… En colère ?”


- Kann…


Une gifle monumentale coupa le souffle de Reiko. Sidérée, elle porta une main à son visage duquel irradiait une douleur cuisante.


- Tu es complètement inconsciente ? Je t’avais chargée de livrer des plats et toi, à la première occasion, tu te mets délibérément en danger ! Qu’est-ce qu’il se serait passé si la mine s’était écroulée ? Tu y a pensé ? Qu’est-ce que j’aurais dit à ton père ?

- Ka…Nna…


Les larmes montèrent aux yeux de Reiko.


- Je suis désolée…

- J’ai déjà perdu un mari et un fils. J'avais espéré que toi tu ne me causes pas de soucis !

- Pardon…

- Kanna, tenta monsieur Roya, elle est plus que qualifiée pour ce genre d’interv…

- Toi, tu te tais. S’il lui était arrivé quoi que ce soit…, menaça-t-elle en le pointant du doigt.


La mère de Manabu attira la jeune femme contre elle et la serra dans ses bras de toutes ses forces.


- Dorénavant, tu es ma fille. Alors ne me refais plus jamais une frayeur pareille.

- Kanna ?


Des sanglots coulèrent le long des joues de Reiko, creusant de profonds sillons dans la poussière.


- Messieurs, nous prenons congé.


La restauratrice entraîna Reiko à l’intérieur en claquant le vantail du shoji, signifiant ainsi que la conversation était terminée. Elle se dirigea ensuite résolument vers la salle d’eau.


- Déshabille-toi, on va te débarrasser de ces salissures.


Comprenant qu’il était inutile de protester, Reiko s'exécuta.


- Couvre-toi avec ce linge.

- Oui…


“Elle est effrayante quand elle est fâchée. En même temps, je me demande si elle était sérieuse…”

Kanna, qui avait senti le poids du regard de la pilote, fit volte-face.


- J’ai pesé chacun de mes mots.

- Tu n’es pas obligée…

- Je le fais parce que j’en ai envie et que tu en as besoin, affirma-t-elle en déversant un seau d’eau chaude sur le crâne de Reiko.


Une vague de chaleur envahit son cœur alors qu’un liquide brunâtre ruisselait de son corps. 


- Manabu ne sera peut-être pas d’accord, rétorqua-t-elle en souriant.

- Vu comme il est inquiet pour toi, permets-moi d’en douter. Oh, dans quel état tu es… Tes vêtements sont fichus.

- Normal j’ai été prise sous une pluie de rochers, expliqua-t-elle sur le ton de la plaisanterie.


Kanna se figea, la mine sombre.


- Trop tôt pour en rire. C’est noté.

- Exactement. Savonne-toi avec ça.

- Bien m’dame.

- Pour toi, c’est… Okaa-san.


La mère de Manabu marqua un silence.


- Enfin, si tu le veux aussi.

- Je… Je… Je ne mérite pas autant…

- C’est justement pour ça que je suis persuadée du contraire. Tu dois apprendre à te reposer sur les autres et moi, j’ai toujours désiré une fille, déclara-t-elle en lui lavant les cheveux. Nous nous rendons service mutuellement. Bon, il va nous falloir davantage de shampooing pour venir à bout de cette crasse.


Incapable d’émettre le moindre son, Reiko acquiesça.

Elle avait du mal à croire qu’une personne aussi généreuse que Kanna puisse lui témoigner de l’intérêt.

Elle essaya de masquer son trouble en frottant vigoureusement sa peau.

“Une nouvelle mère… Je n’aurais jamais pu imaginer que c’était possible. Est-ce que j'en ai seulement le droit ?”


*** 


Des coups résonnèrent contre le battant du bureau de Schwanhelt Bulge. Agacé, ce dernier leva les yeux du rapport dans lequel il était plongé.

“À qui le tour ? J’ai déjà eu droit au défilé du peloton Sirius, alors entre les lamentations de Louise et de Manabu, les supplications de Yûki et les emportements de Bruce, j’ai eu ma dose. Même Akatsuki et Murase s’y sont mis, c’est peu dire.”


- Entrez, lâcha-t-il, résigné.


“Il ne manquait plus que lui.”

Un homme se tenait dans l’encadrement de la porte. Une ride de contrariété barrait son front et son regard était si courroucé qu’il aurait pu arrêter un rhinocéros en pleine charge.


- Zero. Que me vaut ce plaisir ?

- Il n’y a aucun plaisir dans ma visite. Des désagréments et de l’ennui, c’est certain. Mais du plaisir ? Sûrement pas.

- Que puis-je faire vous ?, continua Bulge dont la patience était mise à rude épreuve.

- Ça fait une heure que j’erre de bureaux en bureaux pour dénicher une personne avec un peu plus de deux sous de jugeote à même de réintégrer Reiko. Tout ça pour découvrir que le Haut Commandement vous a confié cette décision.

- C’est exact.


Warrius s’approcha, menaçant.


- Et qu’est-ce que vous attendez ? Le déluge ?

- Ce ne sont pas vos affaires, ce qui se passe au sein de mon peloton.

- Si ça concerne Reiko, ça le devient.

- Et donc ? Vous allez faire quoi ? Mettre un terme à ma carrière ?

- S’il faut en arriver là, gronda le Commandant Zero, ça ne m’empêchera pas de dormir.

- Désolé, mais vous ne m’impressionnez pas. Et je ne crois pas que votre intervention soit du goût de votre protégée.

- C’est mon problème.


Le Commandant de la flotte indépendante terrienne serra les poings et retroussa ses manches, prêt à en découdre.


- On règle ça comment ?

- Il n’y a rien à régler. Vous arrivez trop tard, j’ai envoyé ma décision il y a vingt minutes.

- Qui est ?, exigea Zero, proche de l’explosion.

- Asseyez-vous, proposa Bulge en désignant une chaise.


Face à la raideur de Warrius, il poursuivit.


- Je vous explique ce qu’il en est ou vous me collez un pain. À vous de décider.

- Bien. Je choisis la première option mais si elle ne me satisfait pas, j’opterai pour la seconde.


Il s’affala sur le siège, toujours sous pression.

Schwanhelt Bulge déverrouilla un casier et en tira une bouteille et des verres. Il fit ensuite sauter le bouchon et versa le vin.


- Vous arrivez trop tard, reprit-il, car une partie de mon unité est déjà en chemin pour ramener Reiko.

- Vraiment ?, s’exclama-t-il avec soulagement.

- Oui. Je crois aux deuxièmes chances et elle n’était pas la seule fautive sur ce coup. L’erreur de la section Spica est indéniable et je m’en suis servi pour justifier sa remobilisation. Cependant, entre nous, je pense que cette punition était nécessaire.

- J’ai eu les détails. Les humanoïdes, hein ?

- Il y a une part d’ombre à l’intérieur de Reiko. Pour l’aider à trouver sa place ici, je dois en savoir plus. Harlock n’a pas voulu me parler et…


Warrius ricana.


- Et vous aimeriez que je vous en dise plus, c’est ça ?

- C’est ce que j’espère, oui. Pourquoi cette fille est si importante pour vous ?

- Je l’ai vue grandir et tout ce qu’elle a vécu… C’est ma faute.

- Vous vous sentez responsable d’elle ?

- Pas de la même manière que ce satané pirate, mais oui, on peut dire ça.


Le Commandant Zero s’adossa dans son siège.


- Pendant la guerre qui opposa les terriens aux humanoïdes, je n’ai pas pu empêcher les grands bombardements qui ont ravagé Tokyô. Reiko vivait là bas avec sa mère, qui est décédée ensevelie sous un immeuble. La gamine avait à peine six ans. Elle a survécu près de deux ans dans la rue avec un groupe d’enfants orphelins. Tous morts dans des circonstances atroces. Seule rescapée de cette tribu recomposée, elle a été capturée par des officiers humanoïdes qui l’ont torturée et laissée pour morte. Si Harlock ne l’avait pas trouvée, elle se serait vidée de son sang dans un caniveau. Voilà, vous savez tout, conclut-il en ingurgitant sa boisson d’une traite. Ne lui racontez jamais ce que je viens de vous révéler ou elle me le reprochera toute sa vie.

- Je vois, merci de cette confidence.

- Si j’avais été plus efficace ce jour-là, elle n’aurait pas subi tout ça. Voilà pourquoi son bonheur me tient tant à cœur.

- Je ferai de mon mieux pour qu’elle s’intègre ici. J’ai juste une dernière question. Connaissez-vous les raisons de son choix ? Je veux dire… Pourquoi la Space Defence Force ? Ce n’est pas l'alternative la plus logique quand on a été élevé sur le vaisseau pirate d’un anarchiste.

- C’est un mystère pour moi aussi. Il me semble que Maetel n’y est pas pour rien, mais je n’en sais pas plus. Pour Harlock, ça été un choc énorme. Il ne s’en est sûrement pas encore remis.


Warrius Zero se leva.


- Je dois y aller. J’ai passé plus de temps que prévu sur Destiny. Ne mentionnez pas ma visite à Reiko. Je compte sur vous.

- Compris.


Alors qu’il se dirigeait vers la sortie, le Commandant se retourna.


- Quand vous dites “une partie de votre unité”, de qui s’agit-il ? 


Bulge eut un petit sourire


- Une personne qu’elle apprécie tout particulièrement.


***


- Enfile ça.

- Mais…

- Y’a pas de mais, tes vêtements sont soit sales soit en lambeaux.

- Oui…


Reiko prit une profonde inspiration.


- Oui, Okaa-san.


“C’est étrange de le prononcer à haute voix.”

Pour la première fois depuis son installation sur Tabito, elle avait dormi d’un sommeil lourd et sans rêve. Enfin en paix avec sa conscience et ses aspirations, elle se sentait plus légère.

Et puis, maintenant elle avait Kanna. 


- Bien, habille-toi.

- Il faut que je te dise quelque chose, marmonna Reiko en saisissant le tablier de sa mère adoptive.

- Je t’écoute. Qu’est-ce qu’il y a ?

- Lorsque le week-end sera terminé, je rentrerai sur Destiny. Je veux convaincre le Commandant Bulge de me reprendre. Ce n’est pas que je ne suis pas heureuse ici mais je souhaiterais au moins essayer. Est-ce que… Ça te contrarie ?


Kanna soupira.


- J’aurais aimé que tu restes avec moi, mais je crois également que c’est mieux pour toi. J’ai aussi songé à le contacter mais c’est préférable si tu t’en charges.

- Merci d’être si compréhensive…

- C’est normal, dit-elle en jetant un œil à  sa montre. J’ai encore du travail avant le service de ce midi, j’y vais.

- Je me dépêche et je te file un coup de main.


Reiko revêtit la robe pull orangée prêtée par son hôtesse. Celle-ci était munie d’un col roulé, de manches longues et elle descendait jusqu’à ses genoux. Elle attrapa ensuite un tablier propre et le noua autour de sa taille. Elle tressa sa chevelure qui retomba mollement sur sa poitrine.


- Allez, c’est parti !


Elle gagna la cuisine dans laquelle Kanna s’affairait déjà.


- Retire les muffins du four dans cinq minutes, je vais dresser les tables.

- Okay !


Reiko patienta en nettoyant la gazinière et l’évier et, une fois le temps écoulé, enleva le plateau du four.

La cloche de la porte d’entrée tinta et, quelques instants plus tard, Kanna l’interpella.


- J’ai une course à faire, peux-tu t’occuper du client ?

- Bien sûr !


La jeune femme fouilla sous la desserte et en extraya un carnet et un stylo. Elle écarta ensuite le rideau et pénétra dans la salle du restaurant.


- Bienvenue ! Que puis-je vous ser…


Elle hoqueta de surprise et son bloc-notes s’écrasa au sol.

Assis sur un tabouret du bar, Bruce la fixait avec un air goguenard.


- Salut, Reiko.

- Qu’est-ce-que tu fais là ?, peina-t-elle à articuler, sous le choc.


Tétanisée et incapable de décider quel comportement adopter, elle demeura coite.

“Est-ce qu’il est venu jusqu'ici pour m’annoncer mon renvoi définitif ?”


- T’as pas l’air enchantée de me voir. Tu m’as déjà oublié ?


Il la détailla en souriant.


- T’es plutôt mignonne en serveuse.

- Bruce…


Elle s’avança d’une démarche robotique avant de prendre appui sur le bar. Ses pensées s’entrechoquaient violemment. La joie et l’anxiété de ces retrouvailles se mélangeant tant et si bien qu’elle ne savait plus où donner de la tête.


- Est-ce que je t’ai manqué ?, insista-t-il, impitoyable.


Des larmes montèrent aux yeux de la pilote.

“Oui, évidemment.”


- Hé, dit-il en le remarquant. Je préfère voir ton joli sourire.


Il ouvrit les bras et Reiko s’y réfugia, tremblante. Le sniper lui caressa les cheveux jusqu’à ce qu'elle se calme.


- Je croyais que tu me détestais.

- Ça, j'aurais pu le parier.

- Tu n’as pas téléphoné.

- Je voulais te laisser respirer. Et… J’ai pas été exemplaire, que ce soit en tant qu’instructeur ou en tant que petit-ami.


Bruce souleva le menton de Reiko avec son index.


- Je suis désolé.

- Non, c’est moi.. J’ai.. J’ai fait n’importe quoi.

- C’est bon, arrête avec ça. Manabu a fait bien pire. Y’a pas besoin de dramatiser.

- Est-ce que… Je suis virée ?


L’artilleur entoura les jambes de la jeune femme et la hissa sur ses genoux. Celle-ci poussa un petit cri mais il ne s’en formalisa pas. Il extirpa ensuite un papier froissé de sa poche.


- Ton ordre de remobilisation. Tu es officiellement réintégrée et ce dès aujourd’hui.

- C’est pas vrai… Comment… Comment c’est possible ?

- Le contraire était inenvisageable, grommela-t-il.

- Il faut que je le dise à Okaa-san !

- À qui ?


Elle rougit.


- À Kanna.

- Oh, elle est avec Manabu, dehors.

- Il est… Venu aussi ?

- Ouais, j’ai dû me coltiner cette tête brûlée. Mais, avant que tu t’échappes…


Il renversa la nuque de Reiko en arrière et l’embrassa à pleine bouche. Une vague de bonheur pur déferla sur la pilote et elle crut que son cœur allait bondir hors de sa poitrine. Elle lui rendit son baiser avec ferveur.


- Est-ce que… Tu veux toujours de moi ?

- T’en as d’autres des questions idiotes ?

- Bruce…


Il posa ses lèvres sur celles de Reiko, peu désireux d’en entendre davantage. Comment pouvait-il lui faire comprendre qu’elle était tout pour lui et qu’il ne comptait pas la lâcher de sitôt ?

Cette imbécile avait si peu confiance en elle, qu’il ne doutait pas que les mots seraient loin d’être suffisants pour la convaincre.


***


- Mana… Manabu !

- Koko !


Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, riant et pleurant de soulagement.


- Contente de voir que t’as pas tout fait péter durant mon absence, lança Reiko entre deux larmes.

- Désolé de te l’apprendre, mais tu m’as officiellement remplacé en tant que trouble-fête.

- Ça reste encore à prouver, grogna Bruce.

- J’espère bien que c’était la première et la dernière fois.

- Ouais tout le monde a bien failli devenir fou. Bruce a cassé le bureau du Comm…


Le sniper toussota, le regard mauvais.


- Vraiment ?, s’étonna-t-elle.

- Même Murase a plaidé en ta faveur. Je le cite “La stagiaire a du sang-froid et une sacré paire de…”

- Manabu !, protesta Kanna.

- Ce qui serait bien, c’est qu’il ne m’appelle plus “la stagiaire”, mais j’apprécie le geste.

- Ouais, faut pas trop tabler là-dessus.


Manabu se pencha et chuchota à l’oreille de son amie.


- Il paraît que la famille s’est agrandie, hein ?


Reiko recula, soudain anxieuse.


- Est-ce que… C’est un problème ? Car si c’en est un…

- Non, ça m’a surpris, c’est tout. Vous avez l’air heureuses, alors moi aussi. Une sœur, c’est cool.

- Okay, c’est bizarre, j’en ai conscience.

- Un peu mais c’est pas… Désagréable.

- Merci, dit-elle en lui ébouriffant les cheveux.

- Hé !

- Bah, entre frère et soeur…

- Vous avez fini vos messes basses ?, s’irrita Bruce. Notre train décolle dans dix minutes.

- On part maintenant ?

- Ouais, étant donné l’humeur massacrante de Bulge ces jours-ci, on a intérêt à être de retour au QG en temps et en heure.

- À cause de moi ?

- En partie.


Elle déglutit de travers tant cette rencontre inéluctable la rendait anxieuse.


- Désolée Kanna, j’avais promis…

- Ne t’inquiète pas pour ça, j’ai l’habitude.


Elle happa Manabu et Reiko et les aplatit contre sa poitrine.


- Bruce, je m’en remets à vous pour veiller sur eux.

- Vu l’énergie que ça exige, je mérite une augmentation, ronchonna-t-il en arrachant ses équipiers à l’étreinte de la mère de famille. Va chercher tes affaires, on doit y aller.


***


Le train numéro 239 volait en direction de son terminus, la gare de triage de Destiny. Profondément endormie dans les bras de Bruce, Reiko ronflait doucement.

L’artilleur promena son gant sur sa tresse.

Il avait l’impression de retrouver l’équilibre qu’on lui avait dérobé sans vergogne.


- Si le Commandant est énervé, c’est surtout de ta faute, releva Manabu.


Bruce garda le silence, se contentant de rouler des yeux.


- Tu l’as harcelé pendant deux semaines. 

- C’était légitime.

- Tu sais qui d’autre a débarqué à la SDF ?


Manabu eut un sourire en coin.


- Warrius Zero. Louise a tout entendu à travers la porte. Il était prêt à en venir aux mains avec le Commandant. 

- Sans blague ?

- Elle m’a envoyé un message et, apparemment, c’est pas la seule chose qu’elle aurait découvert. Elle aimerait nous en parler.

- Hum.


Bruce reporta son attention sur Reiko, pensif, en se promettant d’interroger l’officière radar dès qu’il en aurait l’occasion.


***


- Hé, murmura-t-il doucement, réveille-toi, on est arrivés.

- Quoi ?


Confuse, Reiko frotta ses paupières en s’écartant de Bruce.


- Où…? Où ça ?

- Sur Destiny, précisa Manabu, hilare.

- Des… Tiny ?


Entraînée par ses collègues, elle quitta le 239, l’esprit embrumé par sa sieste.

“Je suis de retour. C’est improbable.”

Ils s’éloignèrent du quai et parcoururent rapidement la distance qui les séparait de leur salle de repos.


- Je dois d’abord passer au vestiaire. Je porte encore les habits que Kanna m’a prêtés.

- Plus tard, répondit Bruce.

- Si… Si tu veux.


“Il a l’air pressé.”

Alors qu’ils cheminaient dans les couloirs, ils tombèrent nez à nez avec Murase et Schneider.


- Bon…Jour, souffla Reiko.

- Ah, ils t’ont rappelée, la stagiaire ?

- Oui.

- Tant mieux. T’as appris de tes erreurs ?


Après un instant de réflexion, elle acquiesça.


- Oui, Commandant. 

- C’est bien. Nous avons beaucoup de travail, à plus tard.

- Moritz, commença la jeune femme. Concernant la soirée, je suis déso…

- C’est bon. Oublie, la coupa-t-il brusquement.

- Non, c’était grossier, je…


Elle fit un pas en avant, le cœur battant et les mains moites.


- J’avais trop bu et…


C’est ce moment que choisit Bruce pour lui entourer la taille et l’attirer contre lui.


- Et elle avait d’autres plans. Bonne journée.

- Attends !


L’artilleur la poussa devant lui et, tandis qu’ils disparaissaient dans un corridor adjacent, elle ne put qu’emporter avec elle le regard blessé de Moritz.

“Je suis une vraie gourde…”

Une boule se forma dans son estomac et elle se détacha de Bruce, énervée.


- Ça, c’était vraiment pas nécessaire, cracha-t-elle.

- Au contraire, cette mise au point s’imposait.

- Ce n’est pas mon avis.

- Reiko.


Le trio fit volte-face en reconnaissant la voix de Bulge.

Le Commandant s’approcha, les traits indéchiffrables.


- Bon retour parmi nous, dit-il simplement en posant une main sur son épaule.

- Ou… Oui !, balbutia-t-elle. Merci à vous de m’accorder cette chance. Je… Je vous promets de ne pas vous décevoir.

- J’y compte bien.


La pilote se mit au garde-à-vous avec le salut militaire de rigueur.


- Repos, soldat. Enfile ton uniforme, je te veux sur le pont dans dix minutes.

- Bien reçu !, répondit-elle joyeusement, oubliant par là même ses griefs contre Bruce.

- T’as été sauvé par le gong, fit remarquer Manabu.


Le sniper croisa les bras, forcé d’admettre que son partenaire avait raison.


- Les gars, c’est aussi valable pour vous. Salle de pause. Exécution immédiate.

- Compris !


***


- Est-ce que c’est ouvert ?


Kanna, qui était à genoux derrière le comptoir, sursauta.


- Oui, entrez !


Malgré le fait que la soirée soit déjà bien avancée, elle n’avait pas pu se résoudre à fermer le restaurant. Le départ de Reiko et le passage éclair de Manabu l’avait découragée plus qu’elle ne l’aurait cru.

“Cette solitude ne m’avait pas manqué.”

Elle se redressa, s’obligeant à afficher une mine joviale.


- Bienvenue. Que désirez-vous… ? Oh… Vous…


“Je m’en doutais mais le rencontrer en personne, c’est tout autre chose.”


- Du brandy, vous avez ?

- Il doit m’en rester.


Elle fouilla fébrilement dans ses placards avant de remettre la main sur une vieille bouteille poussiéreuse.


- Voilà, dit-elle en versant le liquide dans un verre. Que me vaut l’honneur de cette visite ?

- Vous n’avez pas l’air étonnée.


Elle tira un tabouret et prit place en face de son interlocuteur. 


- J’aurais pu l’être mais Reiko parle dans son sommeil.

- Encore ses cauchemars ?

- Oui.


Harlock porta la boisson à ses lèvres.


- Elle vous appelle dans chacun d’eux. Et on ne peut pas dire que vous avez beaucoup d’homonymes dans l’univers.  

- J’aimerais qu’elle parvienne à s’en débarrasser.

- Avec le temps et du soutien, elle réussira.

- Si vous faites allusion à ce bellâtre aux yeux bleus…


Kanna eut un petit rire.


- Je vous ressers ?


Le pirate haussa un sourcil intrigué.


- Si c’est pour m’annoncer qu’ils sortent ensemble, ne rangez pas la bouteille et donnez m’en une autre.

- Je crois qu’on a pas mal de choses à se raconter.

- Oui, mais avant ça, je voudrais déjà vous remercier d’avoir pris soin de ma fille. Je n’ignore rien de ses faits et gestes à la SDF et, même si elle a choisi de se réfugier ici plutôt qu’à bord de l’Arcadia, je garde toujours un œil sur elle.

- C’était un plaisir car j’ai moi aussi gagné une fille.


Il riva son regard sur la restauratrice.


- Kanna Yuuki, c’est bien ça ?


Elle hocha la tête en empoignant le verre d’Harlock.


- Je vous l’emprunte, dit-elle en sirotant l’alcool sucré.


Un sourire amusé se dessina sur le visage du hors-la-loi.


- Je vous en prie.


***


Reiko fit irruption dans la salle de repos.


- Je suis là !


Louise balança son magazine sur un canapé et se rua vers son équipière. Elles s’étreignirent brièvement, émues.


- Je voulais venir mais le Commandant m’a collé à la paperasse.

- C’est pas grave.

- Dis moi tout, c’est comment Tabito ?

- Paumé mais… Chaleureux.

- Assieds-toi, je t’ai pris du thé au distributeur.


Les deux filles se plongèrent dans une discussion animée sous les yeux du reste de leur unité.


- Et moi, j’ai pas le droit à un câlin ?, ironisa David.

- Même pas en rêve, le prévint Bruce, nonchalamment installé dans un fauteuil.

- T’es premier degré mon vieux. 


Reiko adressa une œillade à l’artilleur qui signifiait clairement “Ne crois pas que j’ai oublié ton attitude.”

Celui-ci, peu intimidé, se passa une main dans les cheveux.

L’écran encastré dans le mur se déplia alors, tandis qu’une sonnerie stridente retentissait dans le quartier général.


“Alerte à tous les pelotons ! Des attaques simultanées d’une ampleur indéterminée prennent pour cible plusieurs de nos stations.”


Un hologramme du Galaxy Railways se matérialisa au centre de la pièce à l’instant où le Schwanhelt Bulge y pénétrait.


“Huit stations touchées dont trois détruites. Des bombes à diffusion ondulatoire semblent être à l’origine de ces drames. Les victimes se dénombrent par centaines. Que toutes les sections disponibles leur portent secours !”



Des images dont la violence était difficilement supportable défilèrent sur le téléviseur.

Des corps démembrés, mutilés et exsangues.

Des trains réduits en miettes.

Horrifiée, Reiko froissa le tissu de son uniforme entre ses doigts. 


- C’est abominable, murmura Louise, choquée.

- Vous avez entendu les ordres.

- Oui, Commandant !


Comme un seul homme, le peloton Sirius s’élança jusqu’au quai d’embarquement de Big1.



Laisser un commentaire ?