A Galaxy Railways Story : Reiko
“Alerte ! Alerte ! À tous les membres du peloton Sirius, départ immédiat !”
Reiko, à peine arrivée au Quartier Général, courut dans les différents corridors en direction du quai n°001. Son manque de connaissance des lieux la fit se perdre à de nombreuses reprises dans le dédale des quais. Elle atteignit enfin le train mais elle n’eut pas le loisir de l’admirer. À peine avait-elle enjambé le marchepied que Big1 décolla aussitôt.
Elle pénétra dans la salle de commandement, complètement essoufflée.
- Mademoiselle Sakuramachi a daigné rejoindre son poste, se moqua Bruce sans lui accorder un seul regard.
- Assieds-toi, lui ordonna le Commandant, et assure-toi d’être à l’heure la prochaine fois.
L’idée de protester en arguant qu’elle s’était perdue lui traversa l’esprit un bref instant mais elle y renonça aussitôt. Elle ne voulait pas donner l’impression qu’elle se cherchait des excuses.
- Je suis désolée, ça ne se reproduira pas.
Les joues empourprées, elle prit place entre Louise et David.
Contrairement à ses coéquipiers, elle n’avait pas effectué ses classes et n’avait jamais touché à une seule console de trains galactiques.
Cependant, elle connaissait parfaitement celles des vaisseaux spatiaux.
- C’est sans doute un peu pareil, marmonna-t-elle pour elle-même.
Elle activa son écran et afficha les caractéristiques du train, puis ses différentes alimentations. Elle navigua ensuite sur son armement et ses multiples systèmes, constatant qu’elle n’avait pas trop de difficulté à se repérer.
Concentrée sur son travail, elle ne remarqua pas le regard brûlant du Commandant Bulge dans son dos.
- L’Express Cygnus à destination de Mars dans la Galaxie de la Voie Lactée a été intercepté à hauteur de Pluton. Nous n’avons pas de détails sur la raison de cet arrêt forcé car les communications sont brouillées par la proximité de la planète. Les interférences proviennent des minerais qui composent son sol.
- Pluton..
Reiko se perdit dans la contemplation de la représentation de la Voie Lactée, de Pluton et de l’Express. À l’échelle de l’univers, Pluton n’était qu’à un jet de pierres de la Terre.
- Nous y serons dans une heure, les informa Louise, les yeux rivés sur ses calculs.
- Le scan des chasseurs est-il terminé, Reiko ?
- Je.. Non.. Je…
- Hé bien qu’attends-tu ?, demanda Bruce.
- Doucement, elle est nouvelle, protesta Manabu. Laisse-la prendre ses marques.
- Si elle avait la formation adéquate, elle n’aurait pas besoin d’un babysitter ou d’un tiers-temps.
- Je n’ai peut-être pas fait mes classes, se défendit-elle, mais ce n’est pas pour autant que je manque de ressources.
- C’est ce qu’on verra.
- Moi non plus, je ne les ai pas faites, fit remarquer Manabu.
- Et on a vu ce que ça a donné, rétorqua Bruce en levant les yeux au ciel.
- C’est assez, tempéra le Commandant. Vas-y, Reiko.
- À vos ordres.
La jeune femme pianota sur son clavier quelques instants avant de trouver comment actionner les fonctions de vérification des chasseurs. Lorsque la barre de chargement s’afficha, elle poussa un discret soupir de soulagement.
- “Pas mal.”, lut-elle sur les lèvres de David.
Louise lui adressa également un “pouce” d’encouragement qui calma un peu la boule qu’elle avait dans l’estomac.
- Tous les systèmes sont opérationnels, annonça-t-elle une poignée de minutes plus tard, d’une voix un peu trop haut perchée.
- Très bien.
- Arrivée sur les lieux de l’incident dans 30 minutes, compléta Louise.
Reiko se leva, un peu vacillante.
- Si vous l’autorisez, Commandant, je voudrais effectuer un contrôle visuel de mon appareil.
Celui-ci hocha la tête avec un léger sourire.
- Tu n’as pas confiance en l’expertise de nos ordinateurs de bord ?
- Si.. Bien sûr… Mais on m’a appris que le meilleur des ordinateurs restait le cerveau humain, alors je voudrais..
- Pas celui de tout le monde, la coupa Bruce en adressant un regard appuyé à Manabu.
- Hé ! C’est pas drôle.
- Oh que si, ça l’est.
Schwanhelt Bulge se passa une main sur le front, visiblement fatigué par le trop plein d’énergie de son équipage.
- Vas-y et attends mes ordres là-bas. Akatsuki devrait être dans le coin.
- Aka.. ?
- Notre chef mécanicien.
Reiko salua avant de quitter rapidement la “control room” de Big1. Elle rejoignit à la hâte le wagon-hangar qui s’avéra être désert. Elle en profita pour enfiler un casque et une combinaison cosmo blanche sans passer par les vestiaires.
- J’imagine que le chef mécanicien est occupé, s’exclama-t-elle.
Elle s’approcha de l’un des jets du Galaxy Railways, appartenant au train n° G8001, communément appelés…
- “Eagles”. Ravie de te rencontrer.
Reiko poussa l’escabeau roulant jusqu’à ce qu’il bute contre le fuselage. Elle laissa sa main courir le long du métal froid avant de rencontrer une irrégularité dans la coque.
- Laisse-moi te déverrouiller, mon ami, dit-elle en enfonçant le bouton.
Le cockpit s’ouvrit et elle en détailla l’intérieur, constatant avec soulagement qu’il ressemblait à ce qu’elle avait pu piloter jusqu’alors.
- Tout me paraît en ordre, marmonna-t-elle en se glissant à l’intérieur.
Elle vérifia ensuite les différents circuits avant d’enclencher les émetteurs de communication.
- System check, Commandant.
Pour toute réponse, un écran s’activa sur la vitre du cockpit qui se refermait, dévoilant Pluton ainsi que l’Express Cygnus.
Muette de stupeur, elle observa les attaques qui se multipliaient contre le train du Galaxy Railways.
- Des chasseurs aux origines inconnues s’en prennent à l’Express, expliqua la voix du Commandant.
- La capacité de leur bouclier est réduite de 85%, les informa Louise.
- Il faut intervenir immédiatement !, s’exclama Manabu, visiblement tendu.
- Je suis parée à décoller, s’empressa d’ajouter Reiko.
- Bruce, prépare les canons pulsars. Reiko, tu interviendras en support de notre armement.
- Compris !
L’adrénaline stimulant ses gestes, elle démarra promptement les systèmes de décollage. Les vrombissements rassurants du moteur emplirent l’habitacle alors que les propulseurs se mettaient en marche et que la rampe de lancement se déployait.
- Commandant, à votre signal.
- Décollage autorisé.
Reiko tira brusquement le levier contre elle et le jet fila dans l’espace.
- Bruce, feu à volonté !
- Je vais les réduire en miettes.
Dirigeant l’appareil vers l’Express, la pilote déploya le viseur de ses canons lasers. Elle voltigea entre deux astéroïdes en ajustant sa visée. Lorsqu’un appareil ennemi se retrouva dans sa ligne de mire, elle ne put retenir un petit sourire de satisfaction.
- Je te tiens.
Elle appuya sur le bouton au-dessus de son levier directionnel et les rayons fusèrent en avant. Moins d’une seconde plus tard, une explosion envahit le vide spatial.
- Et de un.
Un coup d'œil à bâbord lui apprit que les tourelles et les canons pulsars de Big1 avaient exterminé au moins trois chasseurs ennemis.
- Je ne vais pas laisser ce fanfaron me damer le pion.
- Ton émetteur est toujours activé, railla une voix qu’elle reconnut comme celle de Bruce.
- Bon sang !, lâcha-t-elle entre ses dents.
Le rouge lui monta aux joues alors qu’elle prenait en chasse un nouvel adversaire.
- Feu !
Ses rayons lasers le percutèrent de nouveau de plein fouet.
- Mon écran ne me signale plus que deux vaisseaux de taille moyenne mais Pluton brouille mes recherches…
- Je m’en occupe !
- Une seconde, Reiko, ne t’éloigne pas !
La jeune femme piqua sur bâbord, survolant Big1. Elle avisa deux jets qui s’enfuyaient en contournant la planète.
- Je les ai dans ma ligne de mire.
- Reiko, reviens, nos données sont incertaines. Notre priorité est de secourir les passagers.
- Je les descends et j’arrive, Commandant. Feu !
L’un d’entre eux explosa en plein vol tandis que le second se camoufla derrière les satellites de Pluton.
- Lâche, tu peux te cacher, je vais te trouver !
- Reiko, dernier rappel !
La pilote secoua la tête, revenant peu à peu à elle-même et réalisant qu’elle s’apprêtait à désobéir aux ordres de son Commandant.
- Bien compris, je reviens, répondit-elle, dépitée de laisser l’un des assaillants s’en tirer.
- Début du sauvetage des passagers de l’Express Cygnus, les avertit Louise.
Alors qu’elle sortait du champ d'astéroïdes, elle avisa une dizaine de chasseurs qui l’attendaient de pied ferme.
Elle tira le levier contre son ventre pour redresser l’eagle à la verticale.
- Embuscade, Commandant !
Elle actionna son vidéo-transmetteur afin de projeter les images de son combat directement sur l’écran du wagon de commandement.
- Je… Je peux gérer.
- Ils sont trop nombreux, désengage, lui ordonna Bulge d’une voix où perçait une pointe d’inquiétude.
- Impossible ! Je mettrais tout le monde en danger.
Ses neurones s’agitaient dans tous les sens. Si elle retournait vers Big1, elle risquait de faire échouer l’évacuation des voyageurs.
- Où en est le sauvetage, Manabu ?
- 50% des passagers sont en sécurité.
- Je les contiens ici, Commandant.
- Bruce.
- J’y vais.
Reiko déployait tout son savoir-faire pour ne pas finir en passoire dès son premier jour. Elle avait l’effroyable impression que la situation lui échappait. À trop vouloir en faire, elle s’était délibérément mise en danger. Ses écrans de contrôle lui apprirent que deux ennemis venaient de l’engager. Elle serra les dents et enchaîna les vrilles, chandelles et autres exercices de voltige aérienne.
Bientôt, une certitude se fraya un chemin dans son esprit.
“Je ne tiendrai pas longtemps.”
Les mâchoires verrouillées et les doigts serrés autour du manche de son appareil, sa respiration se fit haletante. Ses gestes étaient devenus saccadés et son vol, hasardeux.
Alors qu’un tir frôlait son fuselage et qu’elle effectuait un rétablissement d’urgence, une voix se fit entendre dans son émetteur.
- Je savais bien que tu ne tiendrais pas une journée.
- Bruce ?
Les deux jets qui l’avaient pris en chasse explosèrent.
- Besoin de l’aide d’un fanfaron pour finir le travail ?
Elle avisa l’artilleur à tribord qui lui adressait un sourire goguenard et un salut militaire.
- Je… J’avais la situation en main !
- C’est ce que je vois.
Piquée au vif, elle s’empressa de descendre un, deux puis trois de leurs adversaires. Bruce faisait également le ménage de son côté jusqu’à ce que les avions rescapés tentent de s’enfuir.
- Je ne crois pas, non.
- Reiko, tu as été touchée.Ton eagle fume et ton aile est endommagée, retourne sur Big1.
- Je suis encore en mesure de voler. Mes voyants sont au vert.
- Reviens à bord, lui intima la voix du Commandant. L’évacuation est terminée et le remorquage est en cours. Bruce, tu prends la suite.
Le ton employé par Bulge lui fit l’effet d’un avertissement et elle comprit qu’il n’était pas dans son intérêt de protester. Elle effectua donc un virage à 180° pour rejoindre le train de la Space Defence Force. Le toit de l’un des wagons s’ouvrit et elle se posa en douceur. Pendant que son cockpit se déverrouillait, elle remarqua la fumée qui sortait du moteur ainsi que la voilure de l’une des ailes.
- Merde. Je vais me faire tuer.
Un homme vêtu d’une combinaison orange, aux cheveux noirs coupés en brosse, l’attendait dans le hangar.
- Tu ne l’as pas raté.
- Chef mécanicien, Akatsuki ?
- Tout juste.
- Désolée…, répondit-elle en baissant les yeux.
- Enfin, vue la situation, je suis étonné que tu aies si peu de dégâts. Ton pilotage n’est pas conventionnel, mais il est quand même efficace.
- Euh, merci ?
- Ne t’y trompe pas, le Commandant va te secouer pour avoir désobéi.
- Je n’ai pas vraiment… J’allais revenir…
- Je ne suis pas certain qu’il l’entende de cette oreille. Maintenant, file. Je m’occuperai du reste.
La jeune pilote déglutit bruyamment et ôta son casque.
- Entendu.
Alors qu’elle s’apprêtait à quitter le wagon, le toit ouvrant s’enclencha de nouveau et l’eagle de Bruce se posa à côté du sien.
Le cœur de Reiko se mit à battre la chamade tandis qu’elle observait le sniper du peloton Sirius descendre de son cockpit. Ce dernier arracha son casque et son regard se durcit lorsqu’il remarqua son équipière.
- Ton imprudence aurait pu te coûter cher.
- Je…
- Tu avais la situation en main, oui. C’est ce que j’ai constaté.
Le poing de Bruce percuta la paroi derrière Reiko. Cette dernière sursauta, surprise par tant de véhémence.
- Je n’ai pas mis en danger les passagers, répliqua-t-elle.
- Tu as ignoré les ordres du Commandant. Tu t’es fourrée dans le pétrin et si je n’étais pas intervenu, je suis certain que tu te serais faite descendre. Tu es suicidaire, comme Manabu ?
- Mais pas du tout !, s’énerva-t-elle.
- Tu entends, mais tu n’écoutes pas !
- Bruce !, lança Akatsuki. C’est assez !
Le sniper n’était qu’à quelques centimètres du visage de Reiko et cette dernière le repoussa brutalement.
- Laisse-moi tranquille !
Sans lui donner l’occasion de répliquer, elle se faufila dans les wagons passagers, son casque toujours à la main.
Bruce laissa retomber son poing. Akatsuki posa une main qui se voulait apaisante sur son épaule.
- La fougue de la jeunesse, hein ?
- Epargnez-moi vos sermons, Akatsuki.
Le sniper planta le chef mécanicien pour rejoindre à son tour la “control room” du train. Pourquoi devait-il toujours se coltiner les nouveaux qui ne réfléchissent pas plus loin que le bout de leur nez ? Manabu avait déjà épuisé toute sa patience et voilà qu’on lui refilait cette fille qui se croit meilleure que tout le monde.
Autour de lui, les passagers de l’Express paraissaient plutôt sereins, ignorant tout du combat qui s’était déroulé sur l’autre face de Pluton.
Lorsqu’il débarqua dans la salle de commandement, Bulge était déjà en train de sermonner Reiko. Cette dernière avait les yeux baissés et il nota les tremblements qui agitaient ses mains.
- La prochaine fois que tu désobéis à l’un de mes ordres, je te mets à pied immédiatement, compris ?
- Oui.
- Dans quel état est ton eagle ?
- Des réparations sont nécessaires sur le moteur. Une aile a aussi été touchée.
- Dans ce cas, demain tu aideras l’équipe de mécaniciens. De toute façon, tu as du rattrapage à effectuer vu que tes classes n’ont pas été validées. Je ne veux pas te voir à bord tant que ton appareil n’est pas prêt à voler.
- Entendu.
- Tout a été dit. À ton poste.
Reiko regagna sa console, les épaules voûtées. Bruce réalisa à sa mine défaite, qu’il en avait sans doute un peu trop fait. Après tout, un premier jour, ce n’est jamais évident. De plus, avec ses allusions, il l’avait sans doute involontairement poussée à faire du zèle.
La jeune pilote était en effet dépitée par la tournure des événements. Jamais, elle n’avait fait l’objet d’autant de critiques en si peu de temps et, alors que la planète Destiny se profilait, elle éprouva une envie irrésistible de retourner auprès de son père adoptif.
Cependant, c’était impossible.
Elle s’était choisie une voie à suivre et elle ne pouvait pas abandonner si facilement. Elle savait que les mentalités étaient beaucoup plus strictes au sein de la SDF et elle avait accepté ce poste en connaissance de cause.
Et elle devrait supporter tous les Bruce qui croiseront son chemin sans pour autant en dévier.
- Hé, c’était vraiment pas mal, tenta de la rassurer David.
Elle ne répondit pas, les yeux rivés sur son écran de contrôle.
- Destiny en vue, les informa Louise.
Sa première mission s’achevait sur un sentiment bien amer alors qu’une désagréable sensation lui tiraillait les méninges.
Et si le Commandant lui ordonnait de rester à terre car il doutait de ses capacités comme agent de la SDF ?
Elle secoua la tête.
Ce n’était pas le moment de se décourager.