Pleuvent les pétales de soleil
Chapitre 1 : Pleuvent les pétales de soleil
6462 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 28/06/2022 15:37
[Pleuvent les pétales de soleil]
Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Retour en enfance - (mai juin 2022).
12 juin 2028, 12 h 26
Parc Ansiel
Approximativement un mois s’était écoulé depuis le retour de la petite équipe de l’agence à tout faire Wright et Compagnie en Californie. Un voyage intense venait de s’achever, les ayant transportés jusqu’à la lointaine contrée de Kura’in. Il s’était dévoilé riche en émotions et en réflexions pour tous autant qu’ils furent. Le vol se révéla agréable et se déroula sans encombre, il fallait dire qu’aucun d’eux ne craignait l’avion. En effet, ils avaient tous vécu des évènements bien plus intenses et troublants que cela, en particulier Phoenix Wright, l’avocat de renom ayant donné son nom à l’agence. Il avait survécu à l’effondrement d’un pont enflammé, chutant alors d’une hauteur considérable, d’un heurt de plein fouet d’une voiture l’ayant propulsé dans un poteau électrifié… Il devait certainement avoir une bonne étoile qui, sûrement très généreuse et fortement occupée, veillait sur lui constamment.
Ainsi, ils rentrèrent tous les cinq, laissant dans ce mystique pays Apollo Justice, disciple de Phoenix mais aussi collègue et ami. L’avocat toujours vêtu de son complet grenat allait leur manquer à tous, d’autant plus à Athena Cykes, la seconde disciple de Phoenix qui avait fait ses début d’avocate à ses côtés, mais également à Trucy qui s’était endormie sur l’épaule de Benjamin Hunter, l’ami de longue date de son père. Si la séparation les chagrinait tous, ils savaient qu’Apollo devait rester. Il souhaitait retrouver son frère de cœur comme à l’époque où ils ne se souciaient de rien, et renouer avec ces terres sacrées, berceau de ses principes et valeurs. Il lui fallait prendre un peu de repos avec lui-même, afin de panser les vides créés par la tragique disparition de Dhurke.
Cette belle journée de juin, Phoenix la passait en compagnie de la dernière passagère qui les avait accompagnés dans ce voyage, son amie Maya Fey. La jeune femme bientôt trentenaire, medium toujours très blagueuse à la tête du clan Kurain, un petit village dans les montagnes à une heure de train de l’agence, semblait sincèrement ravie de partager un peu de temps avec l’avocat. Ses cheveux ébène, attachés en un chignon, retombaient en cascade sur ses hanches, finalement réunis par un élastique violet. Sa tenue entière rappelait ces teintes lavande dont son kimono violet, qui recouvrait sa tunique blanche, le tout réuni par une obi mauve. Ses grands yeux bleus souriaient à son ami. Cela faisait si longtemps qu’ils n’en avaient pas eu réellement l’occasion, entre toutes les enquêtes, son entraînement à Kura’in, les problèmes de Phoenix avec les fausses preuves montées contre lui… Cependant, ils s’étaient retrouvés, et ce comme toujours, comme si rien ne les avait jamais séparés. Étincelait là toute la splendeur de leur amitié, leurs liens étaient devenus bien solides après plus de dix ans. Incassables, du moins c’est tout ce qu’ils espéraient. Si une ambiguïté pouvait parfois se ressentir entre les deux, jamais l’un ou l’autre n’avait engagé la discussion à ce sujet. Ils restaient meilleurs amis, la personne qui comptait le plus aux yeux de l’autre. Cela, ce fut Phoenix qui le dit un jour, mais Maya ne le sut jamais.
Le temps était chaud, rien d’invraisemblable pour un mois de juin, néanmoins l’humidité dominait l’air et les degrés se faisaient denses au-delà d’être élevés, chargeant lourdement l’atmosphère. Athena ayant accompagné Trucy pour une des répétitions de son spectacle de magie, n’étant chargée d’aucune affaire sur le dos – ou les ignorant volontairement – Phoenix et Maya avaient donc décidé, et rien ne pouvait les arrêter dans leur gourmand projet, de s’installer dans le Parc Ansiel afin de pique-niquer en savourant l’insouciance de l’été. Ils avaient déployé sur l’herbe verdoyante, qui toutefois commençait à jaunir, faute de pluie ces derniers jours, un long tissu où ils avaient disposé leurs sacs et étendu leurs jambes, leurs chaussures et sandales posées sur le côté.
« Oh et, tu verras, j’ai fait ces sandwichs ce matin Nick ! J’espère que tu les aimeras, ils sont goût burger !
– Eh bien, fantastique Ma–… Quoi ? Pardon ? Attends mais c’est quoi des sandwichs au goût burger ?!
– Goûte, tes papilles réfléchiront à la place de ton cerveau ! »
Perplexe, le trentenaire observa du bleu de ses yeux le sandwich, pourtant appétissant, entre son pouce et son index, sans réussir à s’imaginer comment, tel qu’il apparaissait devant lui, il pouvait avoir le goût d’un hamburger qui n’avait rien à voir avec ça. Il passa son autre main dans ses cheveux de pics noirs, relevant au passage la petite mèche qui désirait sans cesse qu’on la remarque parmi les autres, sur son front. Son habituel complet bleu lui tenait bien trop chaud, et ils s’étaient cependant installés à l’ombre d’un grand arbre, mais sa veste de costume reposait à côté de lui, tandis qu’il avait desserré sa cravate rose pour se sentir plus libre de sa respiration. Son veston bleu ciel, boutonné par-dessus sa chemise blanche, s’accordait tout à fait au bleu de son costume. Il envoya un sourire un peu perdu à Maya.
Curieux, il s’apprêta tout de même à croquer dans ce que la jeune médium avait cuisiné, quand un impact soudain interrompit l’élan de sa bouche déjà ouverte. Cette goutte de pluie était particulièrement lourde, de fait. De la pluie ? Il leva les yeux vers le ciel pour s’apercevoir que celui-ci, bien qu’encore bleu et accompagné de l’étoile brûlante, accueillait désormais quelques nuages… Et ceux-ci semblaient bel et bien désirer faire preuve de leur présence ! C’est ainsi que, alors que rien n’indiquait ce changement de météo, sauf peut-être les sites et autres applications que les deux amis un peu idiots, surtout lorsqu’ils étaient ensemble, n’avaient pas songé à consulter, une fine pluie commença à tomber sur le Parc Ansiel. Ils auraient peut-être pu s’en douter, quand ils s’étaient installés et que les autres personnes autour d’eux dépliaient leurs parapluies plutôt que leur nappe de pique-nique…
Phoenix en était quelque peu grognon, comme par hasard, le jour où il décidait de s’accorder un peu de temps avec Maya, même la météo ne lui accordait pas cette faveur ! Les deux amis s’empressèrent donc d’enfiler chaussures et sandales puis de ranger tout ce qu’ils avaient sorti sur la nappe, et de replier celle-ci. Il avait même dû ranger son sandwich-burger, et cela eut matière à le frustrer, très particulièrement. En quelques minutes seulement, l’ondée légère s’était transformée en une averse considérable.
« On va retourner à l’agence Maya, qu’est-ce que tu en dis ?
– Je te suis Nick ! De toute façon, mes pieds sont déjà trempés… On se fera un pique-nique en intérieur, ce n’est pas grave ça ! »
Phoenix n’allait pas lui rétorquer que cela allait à l’encontre même du principe de pique-nique, puis songea qu’avec Maya finalement, cela avait du sens. Un certain sens, à la Maya, mais après tout c’est bien sa réflexion qui avait dessiné un sourire sur son visage. Alors qu’ils avaient entrepris leur marche sous un ciel habillé d’eau et de lumière en direction de l’agence Wright et Compagnie, la pluie s’intensifia sérieusement, sans pour autant occulter le soleil qui persistait à l’accompagner.
« Finalement Nick, ça te dirait qu’on se trouve un endroit qui pourrait nous abriter le temps que ça se calme un peu ?
– J’allais te proposer la même chose ! Ce kiosque, là-bas, fera l’affaire, c’est certainement mieux que rien. »
Accélérant le pas, proche de la course, les deux amis firent leur possible pour se rapprocher au plus vite de n’importe quel endroit qui pourrait les protéger temporairement. Phoenix avait déployé sa veste au-dessus de la tête de Maya, afin de la protéger des gouttes qui s’abattaient sans discontinuer, vainement. Sous les sandales de la jeune médium, l’eau clapotait étrangement, rythmant ses pas d’un bruit singulier dont l’avocat profita pour la taquiner malicieusement. N’importe quelle situation, même la plus atypique, devenait cocasse une fois ces deux grands idiots réunis, et ils n’avaient même pas à se forcer, non ! C’était là leur synergie naturelle.
Ils parvinrent finalement sous le petit kiosque doté seulement d’une table centrale, fixée au sol. Il était certes simple mais il ferait l’affaire, ne plus ressentir la pluie les harasser de la sorte constituait déjà un certain soulagement chez les deux amis. Ils n’avaient même pas froid, le soleil continuant de réchauffer l’atmosphère malgré sa concurrence. Ils s’assirent sur la table, ce qui ne fut pas une expérience très agréable puisqu’elle était faite de pierre, puis éclatèrent d’un rire franc.
« Mais c’est vraiment pas possible ! C’est toujours comme ça avec nous, il y a toujours un imprévu !, finit par s’amuser l’avocat.
– Avoue que sans ça, et sans moi au passage, tu rigolerais pas autant quand-même !, rétorqua espièglement Maya.
– J’aimerais bien le nier, mais je crains bien trop que tu recommences à marcher pour produire ton incantation aquatique à l’aide de tes sandales. Elles n’ont pas vécu trop de séances de channeling, tu en es sûre ?
– Certaine, Nick ! C’est toi qui ne sais pas apprécier les choses à leur juste valeur ! Et mes sandales sont extrêmement précieuses. Extrêmement, répondit-elle en exagérant chaque syllabe de ce dernier mot.
– Mais si, si je t’assure. C’est juste que tu es encore plus amusante, quand tu gonfles les joues pour sembler en colère contre moi ! »
Maya feignit encore quelques instants de bouder son ami avant de repartir dans un grand rire, quand le vent fit virevolter sa frange noire. Ses yeux suivirent les mouvements de quelques feuilles emportées par le souffle de la nature.
« Oh…
– Tout va bien, Maya ?
– Bien sûr, c’est seulement que… ça sent si bon… Ah, c’est le pétrichor.
– C’est vrai que c’est une odeur agréable. Le sol devait vraiment être particulièrement chaud et sec. Rien qui ne soit étonnant, vu les derniers jours que la météo nous a offerts. »
Rêveuse, Maya observait les gouttes danser entre les rayons du soleil.
« Dis-moi… à quoi tu penses ? T’es rarement aussi silencieuse, demanda doucement Phoenix.
– Pardon ! J’étais dans mes pensées. Cette odeur est si particulière, à chaque fois que je la respire, ce sont toujours les mêmes souvenirs qui me reviennent…
– Est-ce que tu veux me les raconter ? Même après dix ans, tu sais, je ne refuserai pas d’apprendre tes mystères. Et l’averse semble s’être installée pour un moment. »
La medium hocha la tête, et porta la main à son magatama – son pendentif dont la forme évoquait celle d’une virgule – tout en remuant les jambes dans le vide. C’était tout un tourbillon de sentiments qui revenait à elle.
4 août 2002, 11 h 18
Village de Kurain
Les cigales chantaient le milieu d’un été où chaque minute devait compter comme si elle représentait à elle seule l’éternité tout entière. Dans le village de Kurain, bâti entre les pans de l’histoire et des montagnes cherchant à se rapprocher des divinités, une petite fille de quatre ans tentait, avec une difficulté fortement perceptible, de s’habiller convenablement. Elle vint chercher de l’aide auprès de sa grande sœur.
« Miiiaaa ! Tu peux m’aider, s’il te plait ? Je n’arrive pas à attacher mon obi ce matin !
– Eh bien alors, répondit la dénommée Mia alors âgée de quatorze ans, qu’est-ce qui t’arrive ? Tu y parviens sans problème d’habitude !
– Oui mais là, j’ai les mains qui tremblent… tante Morgan m’a grondée ce matin… »
La petite Maya baissa la tête, tandis que Mia s’agenouillait pour placer ses yeux à la hauteur des siens.
« Elle est toujours comme ça, que t’a-t-elle encore reproché cette fois-ci ? Elle nous trouvera toujours des défauts partout, elle ne peut pas s’en empêcher…
– Je faisais juste de la corde à sauter dans un espace du jardin, loin, tu vois ? Et elle m’a dit que je faisais trop de bruit, et qu’elle saturnait !
– Mais maman, elle, te dit pourtant que c’est très bien que tu dépenses ton énergie, tu en as beaucoup en plus, fit Mia en envoyant un clin d’œil complice à sa petite sœur.
– Et en plus, après elle a dit... Elle a dit que je ne méritais pas le sang de la branche principale de la famille, avoua la petite fille en se mordant la lèvre inférieure pour réprimer ses sanglots.
– Maya… Viens donc dans mes bras. Tu sais comment on appelle ce sentiment néfaste ? La jalousie. Il est si mauvais qu’il pousse les gens à dire n’importe quoi, commettre des actes horribles. Ne te laisse pas avoir par sa provocation, tu vaux bien mieux que ça. Je suis persuadée que tu seras une médium de talent, comme maman l’est.
– Tu crois ?, souffla Maya, toujours dans les bras de sa sœur.
– J’en suis sûre. Et au fait Maya… on dit qu’elle « saturait ».
– Mais, et la planète dans le ciel ?!
– Haha, rien à voir !
– Oh… », lâcha simplement la petite fille, ayant vécu en seulement quelques minutes deux terribles désillusions.
Mia sourit à sa jeune sœur et finit de nouer correctement son obi, elle ressentait beaucoup de fierté pour elle, bien que ses pouvoirs tardassent à révéler leur puissance. Si en 2028, Maya était effectivement une médium talentueuse, digne héritière du titre de maître du clan Kurain, elle eut longtemps d’importants problèmes quant à la faiblesse de ses pouvoirs d’invocation des esprits. Main dans la main, les deux fillettes se dirigèrent vers leur chambre pour finir de se préparer. Malgré les dix années qui les séparaient, leur relation était fusionnelle et Mia veillait tendrement sur sa petite sœur, surtout depuis la mort de leur père.
Si Mia et Maya avaient tant hâte, il existait une très bonne raison à cela. Elles appréciaient, certes, chaque jour passé à Kurain, mais ils se faisaient, au fil du temps, parfois répétitifs, et elles rêvaient de voir d’autres choses, d’aventures. Peut-être allaient-elles en vivre une, ce qui faisait que cette journée était particulièrement importante pour elles. La veille, leur mère, Misty Fey, leur avait promis une surprise. Quelle en était la nature précise, elles l’ignoraient encore, mais elles partageaient une excitation d’enfant impossible à dissimuler. D’autant plus que leur mère, la maîtresse du village de son sang et de la puissance incontestable de ses pouvoirs, n’avait pas pour habitude de préparer des surprises à ses filles. Il ne s’agissait pas là de négligence envers elles, encore moins d’un manque quelconque d’affection, Misty chérissait ses enfants plus que tout ce qui pouvait bien exister en ce bas monde ! Seulement, comme tant de parents, de nombreuses et lourdes responsabilités pesaient sur ses épaules, et elle se devait de gérer chacune d’elles avec la même méticuleuse attention. Elle accomplissait tout cela, sans relâche, pour le futur et la prospérité du village, mais également pour celui de ses petites filles. La maîtresse, descendante d’Ami Fey qui fut la grande fondatrice du clan Fey, ne fatiguait ni ne pliait jamais, un apaisant et doux sourire sans cesse habillant son visage. D’aucuns pensaient qu’il était devenu un peu plus terne à la suite de la perte de son époux…
Chaque jour, Misty rythmait le village de son doux dynamisme, de sa présence et de son aide constants. Elle assurait quotidiennement les séances d’invocation d’esprit, dites de channeling, où elle pouvait communiquer avec les êtres décédés – ce qui représentait certainement, bien que personne n’en parlât, la majeure partie des revenus financiers du village… En plus de cela, elle donnait avec grand plaisir des conseils d’entraînement pour les plus jeunes s’exerçant afin d’accroître la puissance de leurs pouvoirs spirituels, comme Mia et Maya le faisaient. De ce fait, elle était appelée « Mystique Misty ». Toutefois, seules les jeunes filles étaient pourvues de ces grands dons, ainsi l’organisation matriarcale du clan menait, la plupart du temps, au rapide échec des mariages… Les hommes qui demeuraient malgré tout travaillaient, eux, hors du village.
Les deux jeunes sœurs s’étaient désormais apprêtées et avaient dégusté leur déjeuner, retrouvant leur maman dans sa propre chambre alors que cette dernière venait d’achever sa préparation après avoir médité sous la grande cascade du village pendant deux longues heures. La température de l’eau ne ravissait d’habitude certes que peu de médiums, mais en ce temps lourd d’été, son rafraîchissement était apprécié de toutes, dont Misty. Elle avait coiffé son carré, d’un noir absolu, très simplement en arrière, la pointe de ses cheveux caressant sa nuque. La couleur de son kimono rappelait à l’identique celui de ses filles, sa tunique blanche tombait, elle, jusqu’à ses chevilles. Celle de la petite Maya lui arrivait un peu au-dessus de ses cuisses, tout comme sa grande sœur. Les iris marron de la quarantenaire se posèrent avec une affection particulière sur les fillettes. Celles-ci lui sourirent en retour, mais ne lui avouèrent rien de ce que Morgan avait pu reprocher à Maya : il s’agissait en effet de la grande sœur de Misty, mais elles ne souhaitaient pour rien au monde que leur journée fût gâchée par un tel problème. Et elles avaient pleinement conscience, ou presque, de tout ce qu’endurait déjà leur maman.
Presque, effectivement, car si Mia avait bien compris les problèmes que rencontrait Misty depuis le mois de décembre de l’année précédente, et les avait expliqués à Maya, toutes deux ignoraient l’ampleur des évènements et ce qu’ils prédisaient pour le futur du clan Fey. De plus en plus, Benjamin Hunter déclamait, à qui désirait bien l’entendre, que Misty Fey et son clan ne valaient pas plus que des escrocs. Il considérait les pouvoirs qu’on pouvait leur louer comme une simple mise en scène. Il n’avait pas accepté le fait, lors de l’affaire dite « DL-6 », que Misty Fey ait pu invoquer l’esprit de son défunt père mais qu’elle fut incapable de, de cette façon, désigner un réel coupable. Le haut et puissant pouvoir du clan, à la fois politique et social, s’effritait peu à peu, et la honte s’abattait telle la punition des esprits. Misty songeait à une décision incisive et brutale, qui allait la détruire, il n’en pouvait être autrement, mais qui avait la possibilité de redorer l’image de la famille Fey.
Toutefois, l’heure n’était pas à l’accablement ou au ressassement du passé au sujet duquel, bien malheureusement, elles ne possédaient là aucun pouvoir n’ayant la force d’agir dessus. Bien au contraire, le temps était à la réjouissance. La chambre de la maîtresse de Kurain emplissait les narines d’une odeur humide, due possiblement aux vêtements utilisés pour la méditation, séchant doucement dans la chaleur du début de l’après-midi. Se propageaient également des senteurs de pivoine depuis ses cheveux mouvant au rythme de ses pas, offrant à Mia et Maya un réconfort à chaque fois qu’elles le percevaient.
« Je suis très amusée de vos petites têtes. Vous savez, vous êtes incapables de contenir votre impatience, et cela se lit sur tous les traits de vos visages ! Ne vous inquiétez pas, nous y allons désormais. Mais ne le dites à personne, bien sûr ! »
Aux derniers mots de Misty, les petites hochèrent vivement la tête. Oh ça, non, elles n’allaient pas le dire à quiconque ! Encore moins à leur tante Morgan. Sans doute se saisirait-elle de l’occasion pour, une fois de plus, faire pleuvoir ses multiples critiques à propos de la branche principale.
La maîtresse prit dans ses bras le panier en osier qui attendait à ses pieds, et pointa du doigt, le soleil rayonnant :
« Allons-y, tant qu’il est encore là pour nous éclairer sur notre chemin », leur dit-elle posément avec un large et réconfortant sourire. Les petites ne posèrent pas de question sur leur destination. Elles savaient pertinemment que leur maman ne leur révèlerait d’aucune façon quelconque indice qui eût pu les guider.
Elles entamèrent alors, quittant le village discrètement, une longue marche. Elles suivaient les chemins terreux des alentours de Kurain, s’aventurant plus loin que ce qu’elles connaissaient, et dans une direction qui ne leur était pas habituelle. Les sandales dont elles étaient pourvues ne se révélaient pas des plus adéquates pour réaliser une telle marche, mais les membres du clan y étaient habitués, et leurs pieds également. La petite famille unie avançait au gré des rires de Maya puis de Misty et Mia qui lui répondaient, leur conversation semblait alors des plus enthousiastes.
Bientôt se dessina devant elles un paysage des plus enchanteurs. Se dressaient fièrement, teintant l’horizon de leur jaune d’or, des centaines de tournesols, tous fidèlement tournés vers le soleil. Au milieu de ce champ aux fleurs regardant vers la radiance, trônait de manière solitaire un vigoureux arbre déployant avec panache ses branches feuillues et vertes de chlorophylle. Son épais tronc témoignait de ses précieuses, ainsi que nombreuses années de vie, tout comme ses sinueuses racines qui appréciaient jouer dans l’espace et se disperser à leur guise. Cet arbre semblait visiblement être un chêne du fait de ses feuilles simples, elliptiques dont la surface était d’un vert foncé brillant tandis que la face inférieure empruntait davantage ses teintes au jaune pâle. Une fine brise s’était invitée dans ce paysage au charme champêtre, et faisait ainsi tournoyer les quelques feuilles ayant déjà épousé le sol, de même que la mèche châtain de Mia. Les deux sœurs ne savaient que dire, leurs yeux ébahis et émerveillés promenaient leur regard d’un bout à l’autre de l’étendue, paraissant pourtant infinie, de ce paradis éclatant. Ce fut Maya qui habilla le silence de sa petite voix d’enfant :
« Merci, Maman… », fit-elle simplement, et ces deux mots suffirent à esquisser de tendres sourires sur les visages de sa maman et de Mia.
Misty lui répondit que ce n’était là qu’une partie de ce qu’elle leur avait préparé pour cet après-midi, et qu’elles allaient pouvoir en profiter davantage si elles se rendaient sous le grand arbre. Ses filles acquiescèrent avec joie, empruntant alors le petit chemin de terre qui, parmi les fleurs d’or, menait jusqu’au robuste chêne. Maya, d’humeur joueuse, tenta à de multiples reprises de se cacher entre les plantes qui la dépassaient largement, mais le violet de son kimono détonnant des couleurs du champ, il fut d’une aisance excessive de la retrouver à chaque fois. Faussement boudeuse, gonflant les joues, la petite espiègle rejoignit Mia et sa maman, ayant dû se rendre à l’évidence que remporter une partie de cache-cache serait pour elle impossible cet après-midi.
Finalement, elles parvinrent toutes les trois sous le chêne. L’ombre de ses feuilles leur permit de se protéger des rayons qui commençaient à peser trop puissamment sur elles. De son panier, Misty sortit un tissu carré, plié en quatre, qu’elle posa au sol. Violet aux petits pois jaune ambré, il était aux couleurs des magatama de Mia et Maya respectivement. C’était bien pour cette raison particulière qu’elle avait acheté cette couverture à la place de quelconque autre. Misty les invita donc à s’installer, tandis que Mia faisait pleurer Maya de rire avec des blagues qu’elle lui avait racontées mille fois, mais que sa sœur trouvait toujours aussi drôles. La maîtresse du clan sentit son cœur s’enserrer en observant ses filles et en pensant au futur, mais elle se força à chasser cette vile sensation et à profiter de ce moment présent qui était inestimable.
Elle tendit sa main vers le panier pour poser sur la couverture, qui leur servait de nappe, un plat circulaire recouvert d’un petit couvercle. Les deux sœurs, curieuses, en reniflaient le parfum sucré qui s’en échappait tandis qu’elle disposait à côté de lui quelques sandwichs et friandises qu’elle avait préparés pour Mia et Maya. Maya n’avait point tardé à reconnaître que la nature du gâteau qui reposait sous le couvercle n’était autre qu’une brioche. Les filles se regardèrent, complices, avant de soulever le couvercle coloré, dévoilant une brioche appétissante dont la cuisson dorée témoignait de la maîtrise de Misty quant à la recette de sa pâtisserie. Elle savait pertinemment que la brioche était une des douceurs favorites de ses filles, elle s’était donc mise à sa confection avant le lever du jour pour pouvoir la laisser reposer et la cuire suffisamment avant leur promenade. Les deux sœurs complimentèrent des plus belles louanges la brioche bien levée de leur maman avant que celle-ci ne vît ses jolies courbes aériennes se faire trancher afin de la diviser en plusieurs parts. Maya en reçut une particulièrement grosse, personne n’ignorait sa grande gourmandise. Elle remercia Misty, ses yeux pétillant de joie, et croqua à pleines dents dans le morceau qu’elle tenait entre ses petites mains.
Ce doux moment était tel un songe dont elles n'auraient jamais osé rêver, et Misty savait qu’il lui fallait le graver profondément dans son esprit pour le conserver intact. Elles ne prononçaient plus aucun mot, leurs bouches trop occupées à savourer leur brioche. Le chant du vent qui se levait les accompagnait dans leur goûter estival. Misty le releva puis en fit part à ses filles, leur recommandant de surveiller la météo et le ciel avec elle. Une fois le couvercle refermé sur le reste de la pâtisserie, qui n’aurait su faire barrage aux attaques des insectes gourmands, la petite famille s’appuya contre le tronc du chêne qui les accueillit toutes les trois. Là, l’imagination de Mia et Maya s’envola bien plus haut que la dernière feuille au sommet de l’arbre, et elles commencèrent alors à s’inventer des projets d’aventure, à prévoir où elles iraient pique-niquer la fois suivante. Elles lançaient, à tour de rôle, des lieux aussi éloignés qu’insensés pour elles qui n’étaient jamais allées plus loin qu’une petite ville à proximité de Kurain, notamment pour se rendre chez le médecin par exemple. Quand Maya cita le pôle Nord, car elle pensait que sa grande sœur y serait certainement à l’aise et cesserait donc de répéter qu’elle avait chaud, cette dernière fit résonner des éclats de rire qui firent même sourire les tournesols.
« Oh, regardez, il y a plein de nuages dans le ciel maintenant !
– C’est certainement pour cela qu’il y a un peu plus d’ombre à l’horizon.
– Tu as raison maman ! Et regardez lui, on dirait presque qu’il a une forme de burger ! Ça fait si longtemps qu’on n’en a pas mangé…
– On vient à peine de finir de goûter que tu penses encore à de la nourriture, t’es incroyable !, s’amusa Mia
– Ce n’est pas de la nourriture, c’est un nuage ! C’est pas pareil ! »
Ce fut à contrecœur que Misty indiqua à ses filles qu’était venue l’heure de commencer le trajet inverse, pour retourner au village avant le début de la soirée. Les deux sœurs ne purent s’empêcher de demander quelques minutes supplémentaires, mais elles n’ignoraient pas qu’une après-midi hors du village constituait déjà un intervalle de temps déjà considérable pour la maîtresse du clan. Une fois les douceurs rangées dans le panier d’osier et la couverture à pois repliée, elles époussetèrent tuniques et kimonos avant de reprendre le chemin. Maya se retourna, secouant la main :
« Au revoir le grand chêne ! Merci de nous avoir accueillies sous tes branches ! »
Comme pour lui répondre, le chêne agita ses branches feuillues à l’aide du vent qui se levait. La petite fille, ravie de cet au revoir, pivota ensuite sur elle-même pour retrouver le sens correct de sa marche, puis Misty attrapa sa main ainsi que celle de Mia, et elles avancèrent toutes les trois, suivant la destination toute tracée par le sol terreux. Soudainement, Maya leva la tête, ayant ressenti un poids s’écraser sur sa tête.
« Je crois qu’il pleut… J’ai reçu une goutte j’en suis sûre ! Mais pourtant il fait encore soleil, je comprends pas ! »
Mia tendit sa main libre tandis que Misty leur expliquait que la coexistence météorologique du soleil et de la pluie n’avait rien d’invraisemblable et que ce phénomène ne se faisait pas rare, notamment lors des après-midi d’été tels que celui-ci. Les sœurs se montraient fascinées par les explications et l’observation de cette réunion atmosphérique dont elles ne soupçonnaient pas l’existence. Les gouttes éparses se transformèrent en une pluie fine mais régulière où était visible la réfraction des ondes solaires. Les petites s’en réjouissaient, la température très élevée leur permettait de ne pas subir cette averse désagréablement. Au contraire, elle les rafraîchissait, et le vent qui soufflait pour l’accompagner décoiffait malicieusement la frange de Maya ainsi que la mèche de Mia. Quand la plus jeune renifla l’air refroidi par la pluie, elle s’enthousiasma :
« Oh mais, ça sent super bon ! J’aime beaucoup cette odeur, je ne l’avais jamais sentie avant ! »
Alors, Misty reprit ses explications simplifiées, les éclairant sur ce parfum particulier dénommé pétrichor. Les jeunes filles découvrirent ainsi, absorbant les paroles de la maîtresse du village, que sur un sol asséché à cause d’une grande chaleur, la pluie qui tombait se mélangeait à des particules organiques pour provoquer la création d’une telle odeur. Celle-ci les suivit agréablement tout au long de leur trajet.
Quelques pétales de tournesol se détachaient, s’envolaient doucement, virevoltant et tourbillonnant autour d’elle comme pour les remercier d’être passées saluer leur champ d’or. L’un d’eux, un petit, se posa sur la frange de Maya qui le récupéra en riant :
« Le soleil fait même pleuvoir des pétales de tournesol ! »
Leurs cœurs débordant d’une radieuse félicité, elles poursuivirent ainsi leur chemin jusqu’au village. Elles rentrèrent trempées, mais emplies de la chaleur d’un amour familial à travers un souvenir qu’elles allaient conserver des années durant. Entre deux pages d’un vieux journal de bord de Maya reposait certainement, aujourd’hui encore, le pétale d’un tournesol accompagné de deux feuilles de chêne.
12 juin 2028, 13 h 40
Parc Ansiel
« Rien de plus normal que tu repenses à cela quand tu sens le pétrichor. C’est tellement symbolique ! Merci de m’avoir raconté ce souvenir Maya, confia doucement l’avocat.
– Tu sais… l’hiver d’après, maman disparut. Enfin, je dis disparaître parce que c’est l’impression que j’en ai eu. Elle était là, à nos côtés, le jour suivant elle s’était comme volatilisée. Elle avait fui le village pour ne pas ternir davantage sa réputation, pour son futur… pour nous deux. Quelque temps plus tard, Mia me demanda de prendre la succession du clan afin qu’elle devienne avocate. Elle désirait ardemment découvrir ce qui était réellement arrivé, mettre la vérité au jour. Je ne pouvais qu’accepter, après tout c’est comme ça qu’elle a pu devenir ta mentor et que nous nous sommes finalement rencontrés. Je ne peux pas en vouloir à Hunter pour tout cela, la seule personne qui est en tort dans cette histoire, c’est Von Karma.
– Mais on lui a mis une sacrée raclée au tribunal, n’est-ce pas ? lui souffla Phoenix.
– C’est vrai, c’est sûr, tant mieux. Je crois que je ne pourrai jamais lui pardonner malgré cela. Je n’en ai pas la force. Ni lui, ni Dahlia, ni Redd White. Ils m’ont si froidement dérobé maman et Mia… »
Elle inspira une grande bouffée d’air. L’intensité de la pluie avait d’ores et déjà commencé à faiblir, mais l’odeur du pétrichor n’avait pas encore disparu.
« Toutefois, je les sens toujours là, tout près de moi. Elles ne m’ont jamais réellement quittée. Et quand je respire cette odeur, je retombe en enfance, j’ai à nouveau quatre ans dans ce grand champ de tournesols avec maman et Mia. Le grand chêne est là, face à moi, et le goût de la brioche de maman me revient tout seul. Ça me fait tout drôle, c’est vrai, mais ça fait du bien ! C’est comme si elles me redonnaient de la force ! »
Le trentenaire sourit à son amie médium. Ils échangeaient rarement de si profondes paroles, du moins quand ils étaient plus jeunes. Le temps avait, certes légèrement, adouci l’espièglerie et le caractère taquin des deux amis, et se confier était plus naturel :
« Tu as toujours été vraiment forte Maya, ne dis pas l’inverse. T’es une des personnes les plus fortes que je connaisse et que j’aie toujours connues. Tu n’as jamais perdu ton enthousiasme malgré toutes les épreuves auxquelles tu as été confrontée, notamment celles que tu as citées, et c’est admirable. Tu ne t’es jamais découragée et aujourd’hui tu es quand-même la maîtresse de ton clan, ce qui est respectable ! »
Maya demeura interdite quelques secondes avant de déposer, en riant, une petite tape amicale sur le dos de Phoenix :
« Eh dis-moi, qu’est-ce qui te prend d’être si émotionnel, d’un coup ! La vieillesse ? La pluie ? »
Elle lâcha un soupir et les coins de sa bouche s’étirèrent pour former un franc sourire.
« Merci, Nick. Tu sais sans toi ç’aurait été tellement plus dur. Merci de m’avoir soutenue malgré le temps et la distance.
– Tu m’as aidé aussi, t’es au courant ?
– C’est vrai que piquer tes billets pour aller acheter des burgers à la boutique d’en bas était la meilleure aide que j’aie jamais pu t’apporter !
– Ce n’est pas de ça que je parlais !
– Oui, mais c’est ce dont je parle, moi ! », lui répondit la médium en lui tirant la langue.
Elle lui fit face, gênée par tant de sérieux, mais avoua sincèrement :
« Je suis comblée d’avoir un meilleur ami comme toi, Nick !
– C’est réciproque Maya. Merci pour ce souvenir, pour ta confiance et pour ta précieuse amitié. »
La pluie faiblissait tandis que la nostalgie de Maya s’estompait peu à peu. Ce souvenir resterait éternellement au creux de son âme, où Mia et Misty l’accompagnaient sur le chemin de sa vie. Elle se le remémorait à chaque fois que tombait la pluie, valsant avec les rayons de l’étoile diurne, à chaque regard posé sur le badge d’avocat que Phoenix accrochait en permanence à sa veste, arrondi, brillant et doré, reflétant la lumière de ses éclats scintillants. Il était son petit morceau de passé qui lui permettait de se tourner vers le futur avec apaisement, et de profiter du jour présent avec un doux sourire.