Un ballon bleu ! ( reddie)

Chapitre 1 : Un ballon Bleu !

Chapitre final

2603 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/08/2020 10:10

Es-tu déjà allé à la fête foraine ?


En fait, je vais répéter ma question.


As-tu déjà connu l’attente des jours précédents l’événement ? As-tu déjà plaisanté avec tes amis sur tout ce qui pourraient bien s’y passer ? As-tu déjà vu toutes ces couleurs qui sont l’essence même des forains ? As-tu déjà acheté des jetons pour les auto-tamponneuses ? As-tu déjà mangé de la barbe à papa ? As-tu ris ? As-tu été heureux ? As-tu…


Es-tu déjà allé à la fête foraine ?


Dans ce cas, je vais te demander d’imaginer.


D’imaginer un endroit, situé là où il te plaît, où une fête foraine a lieu. Tu a hâte d’y aller, plusieurs amis t’accompagneront. Tu as choisi une tenue que tu aimes particulièrement, que tu porteras avec tes nouvelles baskets rouges, parce que tout de même, elles sont incroyables. Lorsque enfin arrive le jour j et que tu te mets en route, tu sais que ça va être une soirée incroyable. Sur place, tu retrouves ta bande et vous discutez des dernières rumeurs. Ensuite, tu franchis l’entrée de la fête.


Dès lors, tu passes dans un tout autre monde. Ta perception de la réalité qui est entièrement déformée ne te permet pas de comprendre chaque action qui se déroule autour de toi.


Il y a d’abord les odeurs, les gaufres, les crêpes, les churros, ces délicieux parfums qui se mélangent, s’assemblent, s’harmonisent, pour créer le mélange nocturne. Ensuite, il y a le toucher, avec la surface dure des manèges, opposée au moelleux des sièges, le sucre des bonbons qui roule sous les doigts, la texture aérienne des barbes à papa, le béton où les bouteilles s’entasseront bientôt. L’ouïe, avec ses nombreuses musiques qui se cherchent, se trouvent et dansent dans les airs, le rock des manèges, les chansons enfantines des petits canards, les paroles mouvementées des attractions, les rires des groupes, les cris d’enfants, le son ambiant du bonheur. Le goût, le sucre de toutes les boissons fraîches, les grandes sucettes et les longues ficelles à la myrtille ou à la framboise, la saveur paradisiaque de la barbe rose qui pétille et qui fond doucement dans la bouche.


Mais avant tout cela, il y a d’abord la vue. Avant que tous les autres sens viennent à toi, en premier, ton attention est accaparée par tous les éléments offerts à ton regard.


Les manèges, ceux qui tournent, ceux qui roulent, ceux qui volent. La pêche aux canards, les jeux de tir à la carabine ou aux flèches, et toutes les récompenses attendant sagement d’être remportées. Toutes les friandises s’étalant à perde de vue et d’un nombre que nul se risquerait à calculer. Il y a beaucoup de monde. Les enfants qui courent, les adultes n’étant jamais loin, et les adolescents qui arrivent en groupe, accourent aux stands, s’approchent des manèges à sensations fortes.


La foule semblait poussée par énergie invisible, car au final, tous finissent devant la même et unique attraction : la maison du clown.


Est-ce que tu aperçois la foule ? Est-ce que le nuage rose te convient ? Est-ce que la limonade ravie tes papilles ? Est-ce que les hurlements provoqués par le grand manège parviennent à tes oreilles ? Est-ce que tu as toutes les sensations d’un tour d’auto tamponneuses ?


Est-ce que maintenant, tu n’imagines plus, mais tu es réellement à cette fête foraine ?


Parfait.


Tu as imaginé, maintenant, je vais te demander de regarder.


Les détails de la fête ne sont plus importants, mets les de coté, ils deviendront essentiels un peu plus tard. Pour le moment, il est seulement nécessaire de regarder.


Tu vois le garçon là-bas ?


Celui aux cheveux bruns lisses et aux tâches de rousseurs ? Celui au short beige et au polo rose ? Celui sourit ? Celui dont les néons de la fête foraine se reflètent dans ses yeux bruns ?


Il doit certainement être au lycée, il est sûrement passionné par les mathématiques, il aime peut-être un garçon de sa classe. Peut-être qu’aussi, les garçons et la fille qui l’accompagnent sont ses amis, peut-être que leur bande a un surnom, peut-être qu’ils sont meilleurs amis pour la vie. Peut-être....


Peut-être que tout cela est vrai, mais honnêtement, on s’en fiche. Sa vie, ses passions, son orientation sexuelle, ses sentiments, ses valeurs ne nous intéressent que très peu. Chercher à comprendre sa personnalité n’est pas nécessaire. Je n’ai pas de temps à perdre à essayer de connaître ce garçon insignifiant, car de toute manière, il sera bientôt mort.


Revenons aux détails de la fête foraine. Tu vois ce néon qui clignote ? En général, que ce soit dans une série, un film ou un livre d’horreur, quand les lumières commencent à dérailler, c’est que quelque chose s’apprête à se produire. Et bien, ce sera la même chose ici. Il va se produire quelque chose de grave, de très grave.


Pour certains, ce n’est qu’une lumière qui ne fonctionne pas correctement, qui gêne les enfants accaparés par la pêche des petits canards et qui embête le propriétaire du stand. Pour la plupart, cela ne signifie rien de plus.

Seulement, ce n’est pas le seul détail qui va venir rompre cette nuit d’apparence si calme.


Le garçon, entouré de toute sa bande, attend dans la file pour entrer dans la maison du clown, il discute avec un autre gars, qui lui n’a pas de tâches de rousseurs mais qui arbore des lunettes noires qui cachent ses yeux foncés. Richie, avec des cheveux noirs corbeaux bouclés et des blagues à la limite de la décence. Les deux discutent ensemble, plaisantant en se surnommant avec de vulgaires sobriquets, riant sans raison, des étoiles brillant dans leurs yeux d’adolescents. Pourtant, malgré cet amusement, l’attention du premier est attirée ailleurs.

Le lycéen invente une excuse idiote, permet à ses amis de faire l’attraction sans lui s’il n’est pas de retour à temps, ne termine pas la discussion avec son celui aux lunettes noires, puis, s’en va, en promettant de revenir bien vite. À ce moment encore, il ne savait pas qu’il lui serait impossible de respecter sa promesse.


Le jeune quitte la foule, repart en sens inverse et s’éloigne de son meilleur ami. Une voix d’adolescente le guide, et lui, comme hypnotisé, ne cesse d’avancer vers l’arrière de l’attraction.


Il trouve une fille, certainement de son âge, avec des ballerines bleues, une robe en manches courtes, se terminant au dessous de ses genoux, à rayures bleues claires et foncées. Elle ne porte pas de bracelets à ses poignets, mais un collier autour de son cou. La chaîne argentée supporte un étrange pendentif.

On remarque un clown, enfin, juste sa tête. Celle-ci est toute maquillée de blanc, le contour des yeux maculé de bleu et un sourire immense de la même teinte.

L’adolescente a elle aussi le teint pâle, mais un sourire discret. Ses lèvres sont coloriées de rouge, la couleur est appliquée à la perfection. Du mascara et du crayon noir rendent son regard surpuissant. Ses cheveux sont entièrement bleus et les boucles retombent sur ses épaules.

Elle a un physique avantageux, et associé à son style particulier, il est vrai qu’elle a un certain charme. Elle est très jolie, tu ne peux le nier, et d’ailleurs, le jeune homme ne le nie pas non plus.


Elle est attirante, mais cela n’est qu’une de ses trop nombreuses apparences. Ce n’est qu’un trait de caractère parmi tout ceux dont elle sait se servir. Ce n’est qu’une partie de l’illusion.


Mais le soucis de cette illusion justement, c’est qu’elle s’apprête à se briser.


De cette adolescente au sourire discret, le garçon remarque un nouveau détail. Dans sa main gauche, il y a un fil blanc. Ses doigts y sont fermement agrippés. S’il n’a d’abord vu que le cordon, en levant les yeux, il réalise maintenant qu’une forme flotte dans les airs : un ballon. La jeune fille tient un ballon, un ballon bleu.


Il n’a ni le temps de baisser à nouveau le regard, ni de se demander pourquoi est-ce que bon sang, à près de vingt-trois heures, il a suivi une parfaite inconnue dans un endroit sombre et aussi sinistre, ni même d’apercevoir son sourire délicat devenir malsain, que soudain, il se met à pleuvoir.


La musique pour enfants de l’attraction se coupe brutalement, puis, reprend, sur un ton plus grave, plus lent. Elle donne mal au crâne.


Bientôt, un véritable déluge s’abat sur la fête. L’eau tombe sans s’arrêter.


Seulement, cela ne dure qu’un moment et une vingtaine de seconde après le début de l’averse, plus aucune une goutte n’est versée. Abandonnant le ciel du regard, l’adolescent fixe à nouveau le ballon.


Mais cette fois-ci, il y a quelque chose d’étrange.


Il est quasiment certain qu’avant, ce détail n’était pas là.


Il est quasiment certain qu’avant la pluie, la main qui retenait le ballon n’était pas couverte de sang.


Si la main avait été blafarde, elle est à présent écarlate, et il en est de même pour tout le bras gauche. Lui aussi en est couvert, il est couvert de sang.


Mais il y a d’autres détails encore. Si l’averse n’a que légèrement mouillé l’inconscient, l’inconnue, elle, est trempée. Ses cheveux bleus bouclés sont plaqués contre son crâne et quelques mèches sont collées à son front. De sa robe, on distingue plus aucune rayure, elle est désormais entièrement noire. Ses bottines elles aussi sont semblables au néant.

Le maquillage a coulé sur ses joues en longues traînées, défigurant complètement son visage de noir. Le rouge a quitté ses lèvres, déformant sa bouche.


La victime comprend enfin qu’un événement anormal est en train de se produire, que sa vie est en danger. Il doit s’en aller, faire un pas en arrière, fuir, il doit… quelque chose l’empêche de partir, peut-être la chaîne rouillée.


Car si la chose avait un collier argenté auparavant, la chaîne est maintenant toute brune et les couleurs du pendentif ont disparu. La robe est abîmée, et même déchirée par endroits, des pans entiers de tissu manquent. Les chaussures sont toutes usées, et reposent dans une immense flaque d’eau.


Le prisonnier ne cherche pas à s’enfuir, de toute manière, il n’en aurait pas la force. Tout autour de lui, tout se mélange, tout devient confus.


Tout dans la fête foraine lui parvient mélangé, et beaucoup trop intense. Toutes les odeurs assemblées sont dégoûtantes et sentent trop fort. Il a envie de vomir. Il y a des odeurs, trop d’odeurs, beaucoup trop d’odeurs. La musique des manèges pour les enfants, des petits canards, des marchands de bonbons, les sonneries de cellulaire, les cris, les bruits de pas, le moindre son, tout se mélange. Dans sa tête, la symphonie de l’enfer se joue en boucle. La musique est forte, trop forte, beaucoup trop forte. Il a mal au crâne, il n’arrive pas à avoir une seule pensée cohérente. Même les couleurs des néons lui sont insupportables. Il ne voit plus rien, aveuglé par les couleurs. Il y a des lumières, trop de lumières, beaucoup trop de lumières.


Le damné regarde celle qui aurait pu être adolescente, si elle n’avait pas été un clown. Mais le plus terrifiant n’est pas la pluie qui goutte encore de ses cheveux, ni ses vêtements déchirés, ni le sang qui colore le fil blanc du ballon. C’est un autre détail qui lui fait si peur.


Il y a son sourire.


Déformé par le rouge à lèvres et la folie qui la possède, son sourire n’est pas terrifiant. Il est angoissant, et fait trembler contre sa volonté le pauvre corps décharné du futur cadavre.


Mais ce sourire tout droit imaginé de l’enfer, c’est pourtant l’avant dernière chose que le condamné verra avant de mourir. Non, pas la dernière, car le perdu va avoir l’immense honneur d’être au premier rang pour assister au tout premier spectacle d’une bien longue liste.


Il y a d’abord un ballon bleu qui apparaît hors de l’obscurité, puis, un deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième… et bientôt, une vingtaine de ballon flottent autour du monstre.


Au même moment, la fête foraine est encore calme, et rien ne pourrait laisser soupçonner que ce soir, un adolescent va rendre l’âme.


Si ce n’est qu’à l’instant même où les ballons bleus s’envolent dans les airs, tous les néons s’éteignent, puis, se rallument d’une lumière aveuglante. Que toutes les musiques montent au volume maximum. Que dans la maison du clown, tous les miroirs se brisent.


Et que parmi la foule, une enfant, habillée de jaune, une sucette bleue à la main et âgée d’à peine 7 ans, lève les yeux au ciel, tire sa maman pour la manche de sa veste pour réclamer son attention, avant de lui déclarer : « Maman, regarde, un ballon bleu ! »


Le perdu, couvert de sang et allongé dans une flaque d’eau a les yeux embués de larmes, à cause de la douleur. Il ne peut ni bouger sa tête, ni même fermer ses paupières pour ne voir le sourire malsain. Alors, il regarde le sourire plein de sang, et les ballons, il regarde les ballons bleus.


Et à la seconde où une cinquante de ballon bleus ont atteints le ciel, le sourire de la créature s’agrandit, et les bulles éclatent une par une. Doucement, lentement, dans la douleur, torturé par l’angoisse et attentivement observé par la chose, le mourant perd son âme.


Alors ? Tu as parfaitement regardé et imaginé cette fête foraine ?


Merveilleux.


Oh, mais est-ce de la peur que je lis sur tes traits ? De la peur de cette fête foraine ? De la peur que tu as ressentie pour cet adolescent ? Tu t’es inquiété pour lui ?


Mais ne t’inquiète donc plus pour lui, car la prochaine fois, ce sera ton tour.


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