L'ombre du renard

Chapitre 8 : Tome 1 - Reviviscence

5615 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/04/2024 15:15

8. Reviviscence

 

Nos vies s’entrelacent.

Nous sommes destinés l’un à l’autre.

J’en ai l’intime certitude.

 

 

La jeune femme était assise sur la terrasse en bois pour profiter du léger souffle automnal tandis qu’elle affutait une lame de son clan. Elle n’avait jamais été friande des chaleurs estivales et encore moins de l’inconfort qu’elles occasionnaient. Le vent frais caressait son visage et jouait dans ses longs cheveux anthracite. Elle releva la tête de son ouvrage, savourant cette brise qui l’apaisait. Elle n’avait pas choisi ce lieu au hasard. De sa place, elle avait vue sur l’atelier et était à proximité des outils nécessaires à son travail. Elle aimait le contact du métal sous ses doigts fins, sa maniabilité lorsque le feu de la forge le chauffait, l’odeur qui se dégageait quand elle trempait son œuvre dans l’eau glacée.

Des pas sur le gravier blanc dérangèrent son recueillement. Ses paupières restèrent baissées, espérant que l’intrus reculerait devant son visage fermé à toute discussion. La jeune femme sentit l’hésitation de l’inconnu au bruit de ses getas effectuant des allées et venues. Finalement, un tintement métallique atterrissant à ses côtés la fit sursauter. Elle devina que l’objet à sa droite était lourd et sa taille conséquente. Cédant à sa curiosité, la jeune femme l’examina. C’était un katana, enrobé dans un tissu grossier noir, qui aurait pu être magnifique si la lame n’avait pas été brisée.

« Femme, appelle ton maître ! Dis-lui que j’ai besoin de son talent. »

L’interpellée sourit d’un sourire sans joie, contraint par l’étiquette de son rang et de son éducation. Elle ne devait pas ébrécher la fierté des futurs clients et encore moins les qualifier de surnoms désobligeants même devant leur grande impolitesse. Pourtant, quand elle posa son regard sur le gringalet en face d’elle, elle ne put réprimer du mépris envers lui. Il ne devait être guère plus âgé qu’elle ; ses muscles n’étaient pas très développés et sa dégaine manquait d’assurance. Elle fut étonnée par la couleur de ses cheveux si semblable à de l’or mais encore plus par ses yeux. Les iris avaient la beauté de l’océan lors d’une journée d’été et étaient habités par une certaine innocence : le regard d’un jeune homme qui ne connaissait pas encore les déboires de la vie, ni le prix des conséquences de chaque acte accompli.

Lentement, la dame posa le coutelas qu’elle était en train d’affûter sur sa pierre. Elle croisa les mains sur ses genoux et s’inclina légèrement devant son visiteur.

« Je ne suis pas « femme », répondit-elle de sa voix douce. Je suis la dame Hyûga et je suis mon propre maître. Si vous avez la décence de me dire votre nom et la raison de votre venue, j’essayerai de satisfaire votre demande. »

Le jeune homme observa les alentours nerveusement. Il semblait être un animal pris au piège. Il n’appréciait guère les manières de cette femme. Elle était trop calme, trop distinguée, trop sûre d’elle pour ne représenter aucun danger. Or le danger rôdait toujours autour de lui. Il inspira calmement, ferma les yeux un instant et déploya ses sens afin d’écouter ce que son instinct lui murmurait.

Un malaise indescriptible s’était emparé de lui quand il avait croisé le regard de cette femme. Il n’avait jamais contemplé des yeux aussi magnifiques. Dénués de pupille, ils donnaient la sensation que l’observateur se tenait face à un miroir ou une fenêtre ouverte. Ils représentaient la pureté dans sa forme la plus primaire. La couleur nacrée possédait des nuances qui empêchaient de confondre ce regard avec celui d’un aveugle, sachant pertinemment que leur propriétaire pouvait percevoir l’invisible.

Le jeune homme déglutit à cette pensée. Pouvait-elle distinguer la noirceur de son âme ? Cette possibilité le dérangea sans se l’expliquer pour autant. Cette femme était dangereuse mais le danger n’émanait pas d’elle. 

Quelques secondes auparavant, il avait senti une autre présence dans la maisonnée. La présence était hésitante et apeurée. Et puis, des bruits de pas saccadés lui avaient révélé la fuite d’un petit corps vers une obscure destination. La femme et lui étaient seuls à présent. Rassuré, il fixa de nouveau ses prunelles sur elle.

« Je me nomme Naruto. Mes maîtres m’ont chargé de me présenter à vous pour réparer ce katana. De plus, ils demandent expressément que je suive l’entraînement rigoureux de votre maison.

-Vous semblez un peu jeune pour subir cet entraînement sans dommage. Nous avons la réputation que de ne garder que les meilleurs.

-J’ai déjà vingt-cinq printemps. »

La dame fronça les sourcils. Ce Naruto était plus âgé qu’elle, pourtant, il n’en avait pas l’apparence. Elle comprenait aisément le désir d’endurcir ce jeune guerrier. Il ferait pâle figure sur un champ de bataille. Elle reporta son attention sur l’arme. Du bout des doigts, elle effleura le métal froid. La lame n’était pas constituée de n’importe quel alliage. C’était du fer du pays de la Terre. Il était connu pour ses propriétés extraordinaires dont sa quasi-invulnérabilité. Comment l’épée avait-elle pu se briser ? Quelle force avait-elle dû affronter ?

« Qui sont vos maîtres ? le questionna la dame sans même relever la tête.

-Je suis au service de l’Akatsuki. »

 Le nom était celui d’une organisation puissante. Il était connu dans le milieu. Un frisson parcourut la jeune femme. Les augures ne semblaient guère appréciables si les êtres de l’ombre se tournaient vers elle.

« Comment êtes-vous parvenu jusqu’à moi ? Il y a des gardes dans cette demeure, des gens pour assurer ma protection. Nous ne sommes pas de vulgaires artisans perdus dans un village quelconque.

-Je les ai évités, répondit-il d’une voix hésitante. Les hommes armés me rendent nerveux. Mes maîtres m’ont dit que je ne devais m’adresser qu’à un maître-forgeron. Vous sembliez adroite pour aiguiser les lames. J’ai pensé… J’ai pensé que vous étiez l’assistante du maître. »

La dame Hyûga fixa sur lui des yeux étonnés. Il avait réussi à se faufiler entre ses meilleurs gardiens. Il cachait d’indéniables talents sous son apparence chétive. Peut-être que son maître d’armes parviendrait-il à extraire un diamant de cette roche informe qu’était ce jeune homme…

« Je ne suis pas une assistante. J’ai repris le titre de maître-forgeron à la mort de mon père. Je suis à présent le chef de la famille Hyûga. Je suis Hinata-hime.

-Mes hommages, dame Hyûga, présenta immédiatement Naruto en s’agenouillant en signe de respect. J’ignorais que le chef de ce clan était une femme.

-Vous êtes pardonné pour votre maîtrise.

-Hinata-sama ! Hinata-sama ! »

Le guerrier qui venait de crier ce nom arriva légèrement essoufflé devant sa maîtresse, s’interposant dans un même temps entre Naruto et elle. Il était grand, mince, à la peau blanche et aux cheveux sombres noués en queue de cheval. Son katana levé devant lui, il dégageait une aura belliqueuse et pleine d’animosité envers le jeune homme agenouillé.

« Etes-vous blessée, Hinata-sama ? Veuillez excuser mon incompétence. Sasuke m’a prévenu de la présence de cet intrus dès qu’il a entendu une voix étrangère dans votre patio. Hé toi ! Qui es-tu ?

-Paix, Itachi-san, calma la dame en posant une main sur son épaule. Cet homme est un client.

-Je suis Naruto Uzumaki de l’Akatsuki et j’ai été envoyé ici pour être un de vos élèves. Cependant, si vous me chercher querelle, mon seigneur… dit-il en laissant l’iris de ses yeux se teindre de rouge.

-Un démon ! souffla le dénommé Itachi.

-Voilà qui est intéressant, murmura Hinata. Naruto-san, je te présente Itachi Uchiwa. Son frère et lui sont les derniers représentants d’une ancienne famille de ninja. Il est très puissant et sera ton maître d’armes dorénavant.

-Mais Hinata-sama…

-Silence ! Je suis le chef et mes décisions font office de loi ! Tu seras son maître. Tu l’entraineras. Il t’obéira en tout et s’il te manque de respect tu auras le droit de le punir comme il se doit. Sinon tu te devras de le protéger. Est-ce clair ?

-Oui, ma dame !

-Bien. Dans ce cas, montre-lui ses appartements, annonça-t-elle en se saisissant de l’épée cassée. J’ai de l’ouvrage qui m’attend », dit-elle, son regard pétillant d’excitation à l’idée de travailler sur un tel métal.

    Naruto ne put s’empêcher de la contempler, si gracieuse, si exquise dans son kimono bleu-nuit. Son regard ne se détourna que lorsque le dernier pan du tissu disparut derrière la cloison en parchemin de riz. Il remarqua que l’Uchiwa n’avait en rien perdu de son observation appuyée.

« Elle est belle, n’est-ce pas ? »

Naruto ne répondit pas. Il se contenta de baisser la tête, dans l’attente d’un ordre ou d’une permission de disposer. L’homme face à lui se pencha.

« Elle m’est promise. Nous sommes fiancés. Donc, si tes yeux regardent mais que tes mains restent tranquilles, je ne te les couperai pas », murmura-t-il avec vilénie.

L’estomac du démon se contracta à cette information. Cette délicate créature était destinée à cet homme peu confiant. Ses lèvres restèrent closes. Il n’avait pas à se mêler de la vie de ces gens. Il n’était qu’un instrument, un être sans âme au service de l’Akatsuki. Il n’était pas digne d’aimer et encore moins d’être aimé.

Itachi Uchiwa tapota l’épaule de Naruto, lui accordant le droit de se relever.

« Viens, je vais te montrer ta couche, jeune homme. »

 

 

La vision s’estompa. Le monde disparut au profit d’un désert immaculé. Sakura reprit conscience de son corps, de sa propre volonté et de sa présence dans cet univers dénué de vie. Elle inspecta les alentours. La vue d’une autre présence féminine lui permit de recouvrer un certain calme. La solitude était ce qu’elle haïssait le plus. C’était l’unique source de nervosité et de tristesse chez elle. La toute jeune adolescente reconnut immédiatement la femme face à elle.

« Hinata-sempai…

-Tu as vu, n’est-ce pas ? »

La fleur se contenta de hocher la tête. Hinata savait. Toute sa vie était en elle. Tout cela avait déjà été vécu. Tout cela était Sakura et ne l’était pas en même temps.

« Ce jour-là, je ne le savais pas encore mais je suis tombée sous son charme.

-C’était naturel. Il possède une beauté sauvage qui le différencie des hommes distingués, soi-disant bien-nés, et fadasses.

-Oui, c’est ce que j’ai pensé. C’était notre première rencontre. Ensuite, il est resté trois années à nos côtés à apprendre, à maîtriser, à acquérir un nindo qui lui soit propre.

-Trois années durant lesquelles votre amour n’a cessé de grandir à son encontre.

-Trois années durant lesquelles j’ai dû cacher cet amour parce que j’étais promise à un autre. J’aurai dû ressusciter le clan Uchiwa grâce à mon union avec Itachi.

-C’est ce à quoi je suis destinée ? La raison de ma réincarnation ? Avec Sasuke ?

-Je l’ignore, répondit-elle avec un sourire contrit. Le fait est que je suis tombée amoureuse de Naruto et que je n’aurais pas dû. Naruto n’avait jamais tué qui que ce soit avant notre rencontre. Il avait toujours laissé le soin à son double d’ôter la vie. Ainsi, il avait pu conserver une certaine innocence. Naruto Uzumaki a fait couler le sang pour la première fois en prenant la vie d’Itachi. »

Le silence s’abattit entre elles, lourd, pesant, empli de regrets ou de remords. Sakura eut une pensée pour l’enfant maudit qui avait refusé durant tout ce temps d’être un exécuteur et qui s’était contenté d’être un réceptacle. Il exécrait cette monstruosité qui vivait en son sein. Aujourd’hui, il appelait « frère » le démon rusé tapi au fond de son âme. Avait-il décidé qu’il était aussi démoniaque que lui lorsque son sabre avait fait rouler la tête de sa première victime ? Cela aurait été logique. Après tout, il avait lui-même décrété être un démon, que ces deux parts de lui-même étaient indissociables.

« Quant à toi, qu’en est-il ? demanda soudainement Hinata, brisant le silence installé.

-Que voulez-vous entendre par là ?

-Es-tu amoureuse de Naruto ? »

Sakura dévisagea son interlocutrice. Elle ne s’était jusqu’alors jamais sincèrement posée la question. L’évocation même de cette possibilité lui semblait absurde. Pourtant, elle se remémora sa contrariété et l’ambivalence de ses sentiments lorsqu’elle l’avait surpris en plein ébat avec une prostituée. Était-ce cela l’amour ? De la frustration et de la contrariété en permanence ?

Le rêve prit fin sans qu’aucune réponse ne franchît ses lèvres fines. Un jour, peut-être, pourrait-elle clamer haut et fort ses véritables sentiments, qu’ils fussent amicaux ou autres, sans une once d’hésitation.

 

 

Lorsqu’elle revint à elle, Sakura sentit immédiatement la chaleur du feu. Il était rare que son compagnon de voyage lui cédât ce genre de caprice. Il ne comprenait pas son désir de confort. Le Renard ne savait qu’une chose : un feu de camp était une cible peinte dans son dos. Néanmoins, il avait consenti ce soir à contenter son désir. Il avait sûrement eu pitié de son triste état à la suite de sa confrontation avec Orochimaru.

Péniblement, la jeune fleur s’assit. Elle sentait encore les effets du venin dans son corps. Machinalement, elle leva sa main vers son cou, là où les crocs de cette vermine rampante avaient percé sa peau tendre. Sous ses doigts, elle sentit les boursoufflures des deux piqûres. Les marques perdureraient certainement un moment. Elle devrait les cacher afin de n’éveiller aucun soupçon sur leur condition de criminels traqués.

Une couverture nouvellement acquise glissa pendant son entreprise. Sakura se pencha et la plaça sur ses épaules. Le froid faisait trembler tout son être. Son estomac n’était pas en meilleur état, se contractant sous la faim. Elle avait besoin de ses forces pour poursuivre leur voyage. Or le poison l’avait affaiblie au point qu’elle se sentait aussi fragile qu’un oisillon. Elle devait les recouvrer en s’alimentant correctement et en se reposant quelque peu. Une des étapes avait été accomplie avec succès après tout le stress occasionné par les derniers événements.

Elle ne put empêcher son esprit de revivre la scène. Elle se revoyait courir désespérément vers un Naruto au bord de l’explosion de chakra. Elle n’avait qu’une idée en tête : s’interposer entre les deux hommes tant aimés par sa vie antérieure. Elle avait prononcé les mots qui lui semblaient à cet instant les plus appropriés.

« Je ne suis pas morte. Je ne suis plus Hinata-sempai. Je ne te quitterai jamais. »

Naruto s’était rasséréné presque immédiatement. Ses bras l’avaient enlacée et serrée fort contre lui. Elle avait senti son visage se nicher dans son cou et humer son odeur comme pour s’assurer de la véracité du moment. Puis, un éclair de lucidité lui avait transpercé l’esprit auparavant embrouillé par la haine. Le Renard l’avait brusquement écartée et l’avait tenue à bout de bras.

« Comment cela tu n’es plus « Hinata » ? Comment connais-tu ce nom ? Je ne l’ai jamais prononcé devant toi. En fait, je ne l’ai plus jamais dit à voix haute depuis douze ans.

-Oui… Douze ans de séparation… » avait répondu la jeune fille, au bord de l’évanouissement.

Aussitôt, Sasuke Uchiwa avait réagi intelligemment. Il s’était placé devant sa coéquipière et lui avait demandé de le regarder dans les yeux. La conséquence ne s’était pas fait attendre. Karin, hypnotisée par la technique secrète du clan Uchiwa, avait sombré dans l’inconscience, un sourire béat aux lèvres. Sasuke l’avait couchée sur un lit de feuille morte, l’abandonnant à ses songes.

« Ainsi, nous ne serons pas dérangés, avait-il expliqué en s’approchant de l’étrange couple. Tout ce qui sera dit entre nous pourra donc rester confidentiel. Je suis très curieux d’entendre une histoire, ton histoire, petite Sakura. Ou devrais-je t’appeler « Hinata-sama » ? avait questionné le ténébreux à l’encontre de la jeune fleur se laissant aller dans les bras du démon.

-Je ne te l’ai déjà dit, avait-elle répondu d’une voix pâteuse. Arrête d’utiliser « sama » pour me qualifier. Je suis comme ta grande sœur.

-Hinata m’a élevé comme son frère. Par contre, toi, tu n’es rien pour moi sinon qu’une mission que je dois exécuter.

-Es-tu la réincarnation de Hinata ? avait demandé Naruto en la soulevant de terre. Es-tu l’enfant-vision qui remettra de l’ordre dans le fil des réincarnations de Hinata ?

-Je le suis. »

Les deux hommes s’étaient observés. C’était comme si une deuxième chance de protéger la femme qu’ils aimaient leur était donnée. Le passé n’était en rien effacé et un différend les opposait toujours. Toutefois, à cette seconde précise, une sorte trêve tacite s’était installée entre eux ; une association ayant comme point de convergence la protection du même être.

« Il faut que tu l’emmènes loin de l’Akatsuki, avait annoncé le dernier survivant du clan de l’éventail d’une voix pressante.

-Je le sais, avait rétorqué le Renard sur le même ton.

-S’ils la retrouvent, ils l’obligeront à travailler pour eux.

-Je le sais.

-Têtue comme elle l’est, elle refusera de se laisser manipuler.

-Je le sais ! Et je connais mieux que toi le châtiment pour ceux qui désobéissent, avait-il affirmé avec un ton lourd de sous-entendus.

-Je suis… Je suis un être libre… J’ai gagné ce droit… avait murmuré Sakura, ayant de plus en plus de mal à rester éveillée.

-Orochimaru la veut parce qu’elle est puissante. Elle peut faire appel à son don de voyance à volonté, contrairement à ses pairs. Cela vous sera utile pour leur échapper. Mais cela ne sera pas suffisant…

-Je sais ce que j’ai à faire ! l’avait-il coupé, excédé. Je leur échappe depuis une dizaine d’années. Je connais les moyens pour passer inaperçu.

-Non, justement, tu ne sais pas ! s’était énervé l’Uchiwa. Il ne s’agit plus de toi. Ils désirent cette jeune fille beaucoup plus qu’ils ne te voulaient toi. Quelque chose se prépare, Naruto. J’ignore ce que c’est mais c’est une chose qui rend nerveux tous nos supérieurs. Et Sakura est la clé ! Toi, tu n’es au mieux qu’un bonus dans leur échiquier géant, un pion qu’ils pensaient perdu mais qui pourrait s’avérer utile dans leur machination. Autant ils étaient à peine contrariés par ta fuite, autant ils ont besoin de cette enfant pour atteindre leur but !

-Que me suggères-tu ? avait répondu le Démon-Renard, une ire sourde dans la voix. De me terrer dans un trou avec elle le temps que les choses se tempèrent ? Navré mais ce n’est vraiment pas mon genre de fuir.

-Non, mais…

-Le désert ! » était parvenue à dire Sakura d’une voix étonnement claire.

La couleur de ses iris s’était voilée. Toute expression avait disparu sur ses traits qui étaient auparavant tirés par la fatigue. Son visage possédait le teint lisse propre aux poupées d’argile. Sa voix était monocorde. Ces symptômes étaient caractéristiques de son état de transe et donc de l’importance des mots qui allaient être prononcés.

« Nous devons nous rendre dans le désert. Gaara aura la réponse à nos questions. Gaara du désert est la solution à nos problèmes.

-Gaara du désert, dis-tu ? avait répété Naruto en jetant un regard interrogatif à Sasuke.

-Gaara du désert est un autre enfant-vision, un des rares qui n’est pas sous notre emprise. Il est sous la protection de la fratrie qui règne au pays du Vent. Il peut être un allié.

-Naruto, avait interpellé la fleur en s’agrippant à la blouse sombre de son protecteur, nous devons nous rendre au pays du Vent. Nous devons parler à Gaara…

-Partez, maintenant. J’essaierai de vous contacter en temps utile.

-Comment saurais-je que c’est toi et non un piège ?

-Tu sauras, mon vieil ennemi, avait-il répondu avec une lueur indescriptible dans le regard, tu sauras. »

Naruto n’avait pas répliqué à cette dernière phrase. C’était inutile d’ailleurs. Il avait voulu se saisir de l’arme de prédilection de sa protégée, mais celle-ci était en trop mauvais état pour la réparer. Il avait décidé de l’abandonner. Rassérénant sa prise sur le corps fragile, Naruto s’était positionné pour sauter.

« Hé, Naruto ! » avait appelé Sasuke.

Le Renard s’était tourné vers son ancien adversaire, curieux de ce subit appel alors que ce dernier le pressait de partir.

« Assomme-moi avant de t’évaporer dans la nature. Sinon, mon récit n’aura aucune crédibilité auprès de mes maîtres.

-Tu es bien serviable alors que tu voulais ma mort, il y a peu encore.

-Je n’oublie rien, assassin. Cependant, je dois tout à cette femme. Elle nous a recueillis, mon frère et moi ; elle m’a donné un toit, de la nourriture et beaucoup d’amour. Ma fidélité envers elle passe avant ma rancœur envers toi. Mais sache une chose : nous règlerons notre différend quand elle sera en sécurité et un seul d’entre nous s’en relèvera.

-J’ai hâte, mon vieil ami », avait répondu son interlocuteur, une pointe d’amertume dans la voix, tandis que son poing se levait.

 

 

Du bruit provenant d’un buisson ramena Sakura au moment présent. Elle était seule et sans défense, la proie idéale pour n’importe quel chasseur. Elle retint son souffle, ses prunelles examinant l’endroit d’où provenait le phonème incongru. Elle ne cacha pas son soulagement quand son protecteur sortit des fourrés. Un énorme oiseau était prisonnier de ses mains. Sakura en saliva d’avance. Son estomac s’exprima à sa place, laissant entendre un gargouillement sonore qui parvint à tirer un léger sourire à Naruto.

« Tiens, dit-il en lui tendant une feuille. Mâche cela pendant que je cuisine cette perdrix. Surtout ne l’avale pas. Cela adoucira ta faim.

-Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle en scrutant le végétal.

-Une feuille de coca(*).

-C’est de la drogue !

-C’est un moyen comme un autre de tromper ton organisme et de survivre. Si tu en prends régulièrement, tu peux avoir des ennuis. D’ordinaire, je déteste ce genre de produit qui atténue tes sens et t’abrutit. Mais quand la faim t’empêche de réfléchir, il est utile de connaître des trucs de ce genre pour continuer à fonctionner en période de crise. »

Sakura ne répondit pas. C’était la première fois qu’elle connaissait une faim pareille au contraire de son compagnon. Qui était-elle pour juger ses pratiques de survie ? Elle mâcha lentement, en silence, observant ces grandes mains habiles déplumer l’oiseau. L’effet fut pratiquement immédiat. Elle sentit son corps s’endolorir. Après tous ces tourments et courbatures, c’était une sensation agréable qu’elle accueillit volontiers.

« Alors comme ça, tu es Hinata, lâcha Naruto sans lever la tête.

-Je ne suis pas Hinata-sempai.

-Tu es sa réincarnation. C’est un peu du pareil au même. Quand je pense que tu m’as questionné sur mon passé ou sur mon âge alors que tu connaissais tout depuis le début.

-Je voulais m’assurer que tu avais bien des capacités extraordinaires de récupération. Je voulais connaître leur étendue. Tu as toujours été secret avec tes maîtres d’armes. Et puis, je ne connais que ma version de l’histoire, pas la tienne.

-Tu t’es jouée de moi, dit-il sur un ton trop doucereux.

-Je ne me suis jamais jouée de toi…

-Dès notre première rencontre, tu savais qui j’étais, poursuivit-il sans même l’écouter.

-Je t’ai dit dès le début que je savais que tu étais un criminel.

-Tu as omis de me dire d’où provenaient tes informations. Allais-tu me laisser longtemps dans l’ignorance ? »

Sakura le dévisagea. Elle pouvait pressentir les tumultes de son âme ainsi que les afflictions de son cœur d’homme. La sensiblerie était pour les faibles. Or Naruto n’était pas un faible. Cette déviance qu’il éprouvait pour cette femelle n’était pas acceptable. Il était un démon. Les démons ne pouvaient ressentir de l’amour. Pourquoi cela le troublait-il autant ? Il n’était plus maître de ses émotions ; il était une proie, captif de ces grands yeux innocents. Il devait reprendre le contrôle de la situation.

« Vas-tu me répondre ou dois-je user d’autres moyens pour que ta langue se délie ? menaça-t-il d’une voix implacable, une lueur folle ravageant l’océan de ses yeux.

-Je… Je ne t’ai jamais menti. Je… Je n’ai jamais prétendu être quelqu’un que je ne suis pas.

-Putain ! Ne te fous pas de moi ! hurla-t-il. Tu es la réincarnation de la seule femme que j’ai jamais aimée. Tu sais tout ce qu’elle représentait pour moi tout comme ce que j’ai été pour elle.

-Cela ne change rien…

-Cela change tout au contraire !

-Je ne suis pas Hinata !

-Mais tu as ses souvenirs. Savais-tu qu’elle m’aimait ? Bien sûr que tu le sais, puisque tu es elle. Je suis parti le jour où elle m’a avoué son amour. Je lui avais promis de revenir pour l’épouser. Je voulais devenir quelqu’un dont elle ne pourrait avoir honte. Je voulais surpasser Itachi, pour elle. Je suis parti aussi pour la protéger. Je ne voulais pas céder à la tentation de la prendre alors que je savais qu’elle serait parfaitement consentante. Je ne voulais pas bafouer son honneur d’Hyûga avec l’animal que j’étais. Mais toi, tu as perdu ton honneur avec un autre ! M’as-tu attendu ? Ou t’es-tu donnée à Itachi avant qu’il ne te tranche la tête dans le but de sauver ta vie, comme il s’en est vanté à la fin ? M’aimes-tu encore aujourd’hui après tout ce que j’ai fait ?

-Je ne suis pas Hinata ! Je suis Sakura, une enfant de onze ans, presque douze, dont tu as fait la connaissance dans les bois il y a quelques mois de cela. Oui, c’est vrai ! Je possède les souvenirs d’Hinata Hyûga. Je suis continuellement déchirée entre mes réflexions d’enfants et celles d’adulte de Hinata. Mais ce corps est à moi ! Je prends mes propres décisions ! Je décide de mes propres sentiments ! Même si parfois cela est difficile parce que j’ignore si ce que je ressens est une réminiscence de ses sentiments ou si ce sont les miens. Quand je te regarde, je suis bien avec toi mais j’ignore si c’est « Sakura » qui apprécie ta compagnie ou si c’est « Hinata » qui…

-Tais-toi ! » la coupa-t-il en se levant, le souffle saccadé, les yeux exorbités.

Sakura comprit à son expression qu’elle avait été trop loin dans son explication. Naruto avait toujours souffert de la solitude et des préjugés. Hinata avait été la seule à l’accepter entièrement tel qu’il était. A un tournant de sa vie où il espérait s’être déniché une acolyte, il apprenait qu’il vivait dans le mensonge. Pire, cette soit-disante compagne était incapable de formuler ne serait-ce qu’un peu d’affection à son égard. Il se méprisait de quémander de la reconnaissance de sa part. C’était une gamine ! Par les dieux, était-il aussi désespéré que cela pour réclamer ainsi un peu d’amour ?

Silencieusement, il se rassit, reprenant son activité. Il se mura dans un mutisme antipathique, ses beaux sourcils dorés froncés. Il était un être indigne d’être aimé. Il devait l’accepter une bonne fois pour toute au lieu de courir après moult chimères.

Sakura fut un instant hypnotisée par ces plumes blanches et marron s’envolant près du feu. Elle attendait. Au bout d’un moment, elle s’approcha subrepticement de son compagnon irascible. Elle posa une main sur sa cuisse, la pressant doucement dans une volonté de réconfort.

« Tu sais, susurra-t-elle, ce n’est pas facile pour moi non plus. Mon corps est celui d’une enfant à peine nubile. Dans ma tête, je suis une adulte de vingt-trois ans et en même temps une fille ignorante du monde et puérile. Mon esprit est plus lucide que les jeunes de mon âge. Je connais les répercussions de chacun de mes actes et pourtant je commets des erreurs. Seulement, aujourd’hui, je ne suis plus à la tête d’un clan. Je ne possède plus de titres, plus de terres, plus de responsabilités et ne suis plus tenue par l’étiquette. Pour éviter la folie, je préfère n’être que Sakura : une jeune fille avec de grandes capacités. Une jeune fille libre ! Et ma liberté, je veux te la consacrer.

-Et tu resterais avec moi ? dit-il, les yeux légèrement embués par cette révélation.

-Je ne partirai pas. Je resterai toujours avec toi. Du moins, autant que je le pourrai.

-Et pour cela, nous devons nous rendre au pays du Vent.

-Nous devons nous rendre effectivement au pays du Vent, acquiesça-t-elle.

-Dans ce cas, nous partirons dès que tu te sentiras mieux. »

Sakura hocha la tête en signe d’assentiment. Le moral de son compagnon semblait aller mieux. Intérieurement, elle soupira. Elle avait réussi à détourner la question cruciale à laquelle elle n’avait encore point de réponse. Elle leva la tête, cherchant son regard afin d’établir une connexion. Elle le vit cligner à plusieurs reprises. Elle sourit en en comprenant la raison. Elle tendit la main vers le coin d’un de ses yeux, rencontrant un liquide salé menaçant de rouler sur une de ses joues.

« Tu pleures ? Es-tu ému ?

-Ne sois pas stupide, gamine ! Je suis un démon. Les démons ne pleurent jamais ! »



Mots de l'auteur


Merci d'avoir lu ce chapitre. Ici on en apprend un peu plus sur la rencontre entre Hinata et Naruto ainsi que sa relation avec Itachi. Sakura et Naruto se rapprochent un peu plus. J'espère que ce rapprochement vous a plu. Bon week-end et à la semaine prochaine!


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