Dollhouse
Je sortais en trombe de notre salle commune et claquai la porte derrière moi, m’enfuyant je ne savais trop où, sachant seulement que j’étais absolument et totalement incapable de rester là et de voir Theo dans un tel état par ma faute. Parce que j’étais un Malefoy. Parce que mon père avait failli à son devoir. Parce que son devoir m’était revenu à moi, et parce que je n’avais pas su empêcher mes amis de sombrer avec moi. Je n’avais pas été capable de les protéger de lui. Je n’avais pas été capable de les garder en sécurité. Il avait fallu que je sois égoïste, et que je les entraîne dans ma chute. Il avait fallu que j’accepte, lorsqu’ils avaient tous décidé de se rallier à cette cause en laquelle ils ne croyaient même pas. Je m’arrêtai dans ma course lorsque mon corps rencontra la rambarde de la tour d’astronomie. Je m’accrochai à celle-ci et prit une profonde inspiration alors que les larmes perlaient sur mon visage. J’enfouissais mon visage entre mes épaules qui tremblaient des sanglots qui me secouaient. J’avais failli perdre Theodore. Ce n’était pas un jeu. Ce n’était pas qu’une parenthèse dans ma vie. C’était réellement ma vie, de vivre avec cette menace que ma mère, mon frère, ou mes deux meilleurs amis, soient tués. Ce n’était pas un cauchemar lointain et ce n’était pas plus lointain maintenant que j’étais de retour à Poudlard. C’était simplement toujours là, au-dessus de ma tête, au-dessus de leurs têtes, et à tout instant, à chaque moment, tout pouvait s’arrêter, en un putain de clin d’œil. Tout pouvait…
- Malefoy, chuchota la voix trop douce de Granger derrière moi.
Elle interrompit le cours angoissant de mes pensées par sa simple voix, mais je ne comprenais pas ce qu’elle foutait là. Je ne comprenais pas ce qu’elle faisait toujours là. Elle avait vu et elle avait compris, lorsqu’elle était avec nous quand nos bras nous avaient brûlés, et que nous avions soudainement tous dû partir en affichant des visages qu’elle ne connaissait pas. Et elle avait attendu que nous rentrions, seule dans notre salle commune, et elle avait soigné Theodore quand nous étions finalement rentrés. Et elle était encore là. Elle était toujours là.
- Malefoy, répéta-t-elle plus doucement alors que sa voix se rapprochait de moi.
Je sentis sa main se poser sur mon épaule en un touché délicat. Un touché doux. Je me retournai vers elle pour lui faire face alors que des larmes continuaient de rouler sur mes joues, et découvris son propre visage marqué par la douleur, comme si elle comprenait. Comme si elle était touchée de ce qu’il m’arrivait. De ce qu’il nous arrivait, à ma famille et moi. La vue de son visage m’arracha de nouveaux sanglots et elle m’attira vers elle et enfoui mon visage dans son cou. Je me permis de sangloter contre son corps, parce qu’il n’y avait qu’elle en cet instant, et que pour je ne savais quelle raison, je me sentais en sécurité avec elle. Comme s’il ne pouvait rien arriver de terrible en cet instant précis. Comme si je pouvais enfin lâcher ce que je retenais depuis tant de temps. Comme si j’avais enfin le droit d’être faible, moi aussi. Comme si j’avais le droit d’avoir peur et d’avoir mal. Elle savait. Elle savait qui j’étais désormais. Et elle était là. Et elle me tenait contre elle. Contre son corps. Alors qu’elle savait.
Nous restions ainsi un instant, mon visage enfoui dans son cou alors que ce qui avait besoin de sortir de moi sortait en paix, puis nous nous étions assis ensemble au bord de la tour d’astronomie. Il faisait encore nuit.
- Est-ce qu’il est encore en danger ? finit-elle alors par demander à propos de Theo.
Je soupirai en regardant le ciel étoilé qui se dressait devant nous. Mes paupières étaient lourdes. Elles étaient si lourdes. J’étais épuisé. J’étais arrivé au bout de mes forces. Il ne restait plus rien à l’intérieur de moi.
- Il est toujours en danger, chuchotai-je alors. Nous le sommes tous, constamment.
- C’est pour ça que tu avais tant peur pour lui, l’autre jour ? questionna-t-elle désormais ouvertement curieuse. Parce que lui aussi, il a rejoint ses rangs ?
Je tournais le visage vers elle. Il n’y avait rien dans son comportement qui laissait paraître qu’elle cherchait des informations qu’elle voulait utiliser pour sa propre cause. Après tout, elle avait désormais tout ce dont elle avait besoin. Elle savait.
- Je vais devoir te faire un putain d’obliviate, soupirai-je alors.
- Tu le peux oui, si tu le veux, répliqua-t-elle alors avec la plus grande sincérité sans que je ne m’y attende une seule seconde. Mais on sait tous les deux que je découvrirais la vérité une deuxième fois, enchaîna-t-elle ensuite. Mais si tu y tiens, je te laisserai faire, m’assura-t-elle à voix basse. Mais dans ce cas, laisse-moi d’abord être là pour toi. Laisse-moi être vraiment là pour toi, murmura-t-elle.
Je me noyais dans ses yeux dorés. Ses yeux si chauds. Ses yeux si doux, et je me demandais ce qu’elle foutait là. Je me demandais ce qu’elle foutait tout court, à être encore là, maintenant qu’elle savait. Ce qu’elle foutait à laisser un mec comme moi la toucher. Ce qu’elle foutait à vouloir apaiser les maux d’un Mangemort avant de le laisser jouer avec son esprit pour lui faire oublier tout ce qu’il s’était passé ce soir-là. Mais elle était là. Et elle m’autorisait à effacer ce que je voulais de son esprit. Et j’avais besoin de quelqu’un. De quelqu’un qui n’était pas mes amis. De quelqu’un qui n’était pas dans toute cette noirceur. De quelqu’un à qui je pouvais dire ce qu’à eux je ne pouvais pas leur dire. D’elle. Je pris une profonde inspiration avant de lui répondre alors :
- Ils ont tous rejoint ses rangs. Theo, Blaise, Pansy. Ils l’ont tous fait quand il m’a obligé à les rejoindre.
- Pourquoi ? demanda-t-elle alors.
Mes yeux se mouillèrent de larmes une nouvelle fois et je fixais le sol sous mes pieds quand je lui répondis :
- Parce que ça n’était pas une option pour eux de me laisser tout seul là-dedans. Parce qu’ils sont ma famille, et parce que quand je leur ai dit ce qu’il m’avait fait, ce qu’il avait fait à mes parents, et ce qu’il m’avait obligé à faire et les choses que j’allais être obligé de faire ensuite, ce n’était tout simplement pas possible pour eux de juste me regarder sombrer sans sombrer avec moi.
Elle me regarda un instant avant de dire doucement :
- Ils t’aiment.
J’acquiesçai alors que des larmes ruisselaient sur mes joues.
- Ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils m’ont fait, en faisant ça. Je ne peux pas leur dire ça, mais j’aurais préféré mille fois qu’ils me laissent seul dans ma merde. C’était suffisant, ce qu’il a fait à mes parents, et ce qu’il m’a fait à moi. Mais être obligé de voir ce qu’il leur fait à eux… être obligé d’assister, à chaque fois, au spectacle atroce de leur âme qui se noircit un peu plus de jour en jour, avoir constamment peur de ce qu’il pourrait leur arriver et de ce qu’il pourrait leur faire… c’est pire que tout, lâchai-je finalement.
- Tu leur en veux ? me demanda-t-elle tout doucement.
- Putain oui, avouai-je alors qu’un sanglot me secouait. Putain oui, répétai-je alors que mes sanglots m’empêchèrent de parler un instant. Je porte sur mes épaules la responsabilité de leur mort imminente à tout instant du jour et de la nuit, chaque jour depuis qu’ils ont chacun reçu leur Marque. Et je porte sur moi le fait que désormais, et ce peu importe ce qu’il se passera à l’issue de cette guerre, quoi qu’il se passe, leurs âmes seront noircies à jamais à cause de ce qu’ils ont dû faire, et de ce qu’ils auront encore à faire à cause de moi. Et j’en peux plus putain, lâchai-je en cachant mon visage entre mes mains. J’en peux plus, c’est trop lourd. C’est trop lourd, répétai-je en un sanglot. A chaque seconde qui passe, la vie de ma mère dépend des actions que je ferais, de combien de personnes je trouverais, de combien de personnes je torturerai, d’avec quelle violence, et de comment je les tuerais. A chaque jour qui passe, la vie de mes meilleurs amis tient au seul fait qu’eux et moi demeurions capables de commettre atrocité sur atrocité sans nous laisser déborder par ce qu’on ressent. A tout instant de chaque putain de jour, la menace de la mort de ma mère, de celle de mon frère, celle de ma meilleure amie, et celle de mon meilleur ami pèsent sur moi. A chaque instant, de chaque putain de jour, appuyai-je en un sanglot.
- Et la tienne, chuchota-t-elle. Ta mort à toi, aussi.
Un sanglot me secoua quand je m’autorisai à avouer, me rappelant que je lui ferais oublier tout ce que je venais de lui dire :
- Ces derniers temps, la perspective de ma propre mort est plutôt quelque chose qui me soulage.
Je levai les yeux vers elle et rencontrai ses yeux rougis par son inquiétude pour moi et les miens.
- Je suis arrivé à un point où ma mort me semble être un soulagement immense Granger. Je n’ai pas peur de mourir, pas une seule seconde. Si je suis honnête, je regrette juste profondément de ne pas pouvoir prendre ma propre vie, parce qu’eux, ils sont toujours là. Et qu’eux, ils en sont là à cause de moi. Et je pense que ça fait partie des raisons pour lesquelles je leur en veux, parce que maintenant qu’ils sont là-dedans avec moi, je n’ai plus d’échappatoire. Leurs vies sont en jeu. Je ne peux pas juste… je ne peux plus m’échapper.
Elle resta silencieuse un instant, interdite. Je lui avais formulé des choses que je ne m’étais jamais autorisé à m’avouer ne serait-ce qu’à moi-même, et encore moins à mes amis. Au bout d’un moment, elle creusa :
- Comment ça a commencé ? questionna-t-elle alors d’une voix si basse qu’elle était à peine audible.
J’observai son visage. Il était toujours emplein de douceur. Inquiet. Et sincère. Je lui ferai un obliviate après cette conversation. Je pouvais me permettre de tout dire.
- Après l’échec de mon père de récupérer la prophétie, au Ministère de la Magie, expliquai-je alors. C’était lui qui était en tête de l’opération, et c’était sur lui que pesait la responsabilité. Le Seigneur des Ténèbres était… furieux n’est même pas le mot. Il a enfermé mon père dans nos cachots, il a perdu toute confiance en lui. Quand je suis rentré de Poudlard, il était toujours aussi hors de lui, et il a décidé que je lui serais plus utile que mon père.
J’avalai difficilement ma salive alors que mon cœur commençait à battre plus vite dans ma poitrine alors que je m’apprêtai à lui livrer un récit auquel je m’interdisais à moi-même de penser.
- J’étais encore scolarisé à Poudlard, alors j’étais utile parce que j’avais un pied dans l’enceinte du château qu’il ne pouvait pas lui-même intégré. Il m’a forcé à punir mon père sous les yeux de ma mère, lui appris-je sans pouvoir la regarder dans les yeux. Il m’a forcé à lui faire subir le sortilège doloris sous les yeux de ma mère. Et il l’a tué. Il a tué mon père sous nos yeux, à ma mère et moi.
C’était là une partie de l’histoire que je ne racontais plus, et à laquelle je ne m’autorisai pas à penser. Cette première fois où j’avais vu la vie quitter un corps, et le fait que c’était le corps de mon père. Le fait que je n’avais plus de père. Le fait que la responsabilité de ma famille et de sa survie ne dépende plus que de moi, et de moi uniquement, parce qu’il n’était plus là. La douleur immense de ma mère, et son chagrin inconsolable d’avoir perdu l’homme de sa vie et que son fils ait dû prendre sa place auprès du Seigneur des Ténèbres. Je l’avais raconté une fois à Theo, une seule et unique fois, quand je lui avais dit tout ce qu’il s’était passé. Je lui avais dit que je ne voulais plus jamais, jamais parler de la mort de mon père, et que je comptais sur lui pour le raconter à Pansy et Blaise, et de bien faire passer le message que je refusais d’en parler. J’avais vu mon père mourir sous mes yeux juste après que j’ai été obligé de le torturer. J’avais vu la vie quitter son corps. Ce n’était pas un souvenir que j’étais capable de me remémorer. Je devais encore tenir, pour ma famille.
- Il m’a forcé à me débarrasser de son corps, repris-je alors, et deux jours plus tard, un jeune sorcier du nom de Van Hadden était à genoux dans la salle de réception du manoir, et le Seigneur des Ténèbres m’attendait avec un sourire, et il m’a ordonné de le tuer pour rejoindre ses rangs, et reprendre la place de mon père. Si je ne le faisais pas, il tuerait également ma mère. Alors je l’ai fait, achevai-je alors.
Je tournai le visage vers elle. Une larme perlait sur sa joue et mon estomac se serra à cette vue.
- C’est d’abord à Theo que j’ai raconté ce qu’il m’avait fait, et ce qu’il avait fait à ma famille. Theo… Theo fait partit de ma famille. Comme son père était aussi un Mangemort, il venait souvent chez moi, bien avant Poudlard, et c’est comme ça que notre amitié a commencée. Il… il vivait des trucs atroces chez lui, son père était cinglé et il lui en faisait baver, alors avec ma mère on faisait en sorte qu’il passe le plus de temps possible avec nous. C’est…, les mots me manquèrent, c’est véritablement mon frère. Je suis allé le trouver pour lui raconter parce que j’avais besoin de mon frère, et il a pleuré, il a beaucoup pleuré, et il m’a dit qu’il ne me laisserait pas, et qu’il ne laisserait pas ma mère. Et puis Blaise et Pansy ont fait pareil, sans me demander mon avis une seule seconde. Ils ont tous dû tuer quelqu’un pour entrer dans ses rangs, pleurai-je alors. Et depuis ils… ils ont dû faire des choses, des choses atroces, juste parce qu’ils ne voulaient pas me laisser seul là-dedans.
- Ils ont pris leur propre décision, tu ne peux pas en être responsable, ils ne t’ont pas demandé ta permission, ils ont pris leur décision comme les adultes qu’ils sont, commenta-t-elle alors. Ce n’est pas à toi de porter sur tes épaules le poids de leurs décisions.
- Vraiment ? la questionnai-je alors. Quand je dois contenir physiquement Blaise qui est en train de péter les plombs et de tout casser autour de lui parce que sa rage le ronge de l’intérieur, ce n’est pas moi qui porte le poids de ses décisions ? Quand je dois ramasser Pansy sur le sol parce qu’elle s’est écroulée d’ivresse et qu’elle n’arrive plus à respirer tellement elle pleure, ce n’est pas moi qui porte le poids de ses décisions ? Et quand je porte dans mes bras le corps inconscient de mon meilleur ami et que je te demande de lui sauver la vie, ce n’est toujours pas moi qui porte le poids de leurs décisions ?
Elle ne me répondit rien, et je continuai plus doucement.
- Ils ont pris leur décision, mais ils l’ont prise pour moi. C’est la seule et unique raison pour laquelle ils ont fait ça. Aucun d’eux n’est rallié à cette cause. Il n’y a rien de ce qu’ils font qu’ils font avec conviction. Je suis la seule raison pour laquelle ils en sont là, et ça les détruit tous de l’intérieur. Ils ont eu beau prendre leur propre décision, si moi je n’en étais pas là, ils n’en seraient pas là non plus. Et ça, c’est mon poids à porter, achevai-je.
- Et toi tu n’en serais pas là si ton père ne s’était pas rallié à cette cause, commenta-t-elle.
- Oui, mais lui n’est plus là pour pouvoir prendre cette culpabilité sur lui.
Elle ne me répondit pas un instant, ce que je comprenais sans peine. Il n’y avait rien à répondre. J’avais tourné et retourné toute cette situation des milliards de fois dans mon esprit, et la conclusion était toujours la même. Désormais, la responsabilité reposait sur moi, que ce soit de façon explicite ou non, parce que mon père étant mort, nous en étions maintenant tous là simplement parce que moi, j’étais au milieu de tout ça.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé, ce soir ? demanda-t-elle alors en chuchotant.
- Il nous a appelé, répondis-je sincèrement. Quand il nous appelle à lui, il n’y a plus rien d’autre qui compte, parce que nos vies lui appartiennent, et qu’il tient celle de ma mère entre ses mains. Il nous a appelé parce que Theo, Blaise et moi avons fait quelque chose que nous n’aurions pas dû faire, et qu’il l’a découvert. Seulement c’est Pansy qu’il a accusé, et évidemment Theo a été absolument incapable de garder son calme puisqu’il est putain de dingue d’elle, et il a fallu qu’il se batte quand il l’a menacée. Il a pris tout le blâme sur lui, comme je savais qu’il allait le faire. J’ai…, putain, chuchotai-je alors que mes larmes m’empêchèrent de parler un instant, j’ai vraiment cru que j’allais le perdre, ce soir.
Elle passa sa main dans mon dos, et je ne soutenais toujours pas son regard.
- Quand le Seigneur des Ténèbres a compris que c’était Theo qui avait fait ce dont il avait accusé Pansy, il a aussi compris que Theo l’avait fait parce qu’il est amoureux de Pansy. Alors il a ordonné à Pansy de torturer Theo, et il nous a obligé à regarder, pour le punir.
- Je suis tellement désolée, murmura-t-elle en continuant de caresser mon dos. Vous ne méritez rien de ce qu’il vous arrive, chuchota-t-elle.
- J’ai fait des choses Granger…, lâchai-je alors que je m’écroulai, des choses abominables.
Elle ouvrit ses bras et me poussa à me laisser tomber sur son épaule.
- Tu as fait ce que tu devais faire pour survivre, et pour que ta mère survivre, continua-t-elle doucement. Ce n’est pas toi le monstre, c’est lui. Tu es sa victime, toi aussi.
Je m’éloignai d’elle et reprit ma place droite. Je ne supportai pas l’idée qu’elle pensait que j’étais quelqu’un de bien, je ne l’étais pas. J’avais chassé, torturé et tué des gens. J’avais livré des gens au Seigneur des Ténèbres pour ne pas être celui qui serait puni de sa main. J’avais entraîné mes amis dans ma chute et j’étais resté sans rien faire en les regardant sombrer avec moi. Je n’étais pas quelqu’un de bien.
- Tu n’as pas idée des choses que j’ai faites, dis-je alors plus gravement.
Elle me regarda un instant sans rien dire, puis elle demanda :
- Comment tu les gères, ces choses, une fois que tu les as faites ?
Je pouffai.
- Je ne les gère pas. Je finis en larmes dans les bras de Pansy une fois que la pression est redescendue et qu’il n’y a plus aucun Mangemort dans les parages, ou alors je finis réveillé en pleine nuit par des cauchemars plus abominables les uns que les autres et je vomis mes tripes sous les yeux inquiets de Theodore, ou alors je finis par taper des crises de colère contre Theo ou Blaise ou qui que ce soit qui se tient près de moi et qui n’a rien fait de mal, ou je me tape une putain de crise d’angoisse et je n’arrive plus à respirer tellement j’ai l’impression que toute la putain de planète est en train de s’écraser sur moi.
Elle resta silencieuse un instant, puis sa douce voix demanda :
- Qu’est-ce que tu vois, quand tu te regardes dans le miroir ?
De nouvelles larmes vinrent remplir mes yeux.
- Je suis incapable de faire ça, chuchotai-je en rencontrant son regard. Je suis incapable de me regarder dans le miroir et de me demander ce qu’il reste à l’intérieur de moi Granger.
Sa main vint rencontrer ma joue et d’un geste tendre elle effaça la larme qui y coulait. Ses propres yeux étaient à nouveau pleins de larmes et ses sourcils fins étaient froncés de la douleur qu’elle ressentait du récit que je lui avais livré. Elle utilisa deux doigts pour se saisir de mon menton et le releva pour que je soutienne son regard, et elle chuchota avec la voix la plus angélique que je n’avais jamais entendu de toute mon existence :
- Moi je te vois, Drago, murmura-t-elle.
Mon cœur se serra dans ma poitrine en entendant cette voix, cette voix si apaisante, cette voix si belle, m’appeler par mon prénom.
- Je te vois, répéta-t-elle doucement. Et tu ne me fais pas peur, chuchota-t-elle en maintenant son regard ambré dans le mien alors que des larmes perlaient sur mes joues. Ce que je vois, c’est que comme nous, tu ferais absolument n’importe quoi pour sauver les gens que tu aimes. La seule différence c’est que tu es né du mauvais côté, et ça, ce n’est pas de ta faute. Regarde-moi, murmura-t-elle alors que j’avais baissé mes yeux embués.
Je relevai les yeux vers elle alors que ses mots glissaient sur mon âme et l’apaisaient. Comme si elle réparait des choses qu’elle n’avait même pas briser elle-même. Comme si je n’étais pas un monstre. Comme si elle pouvait aimer ce qu’elle avait sous les yeux. Comme si je n’étais pas une personne absolument abominable. Comme si je méritais d’être aimé. Comme si elle était capable de m’aimer.
- Je te vois Drago, répéta-t-elle alors que des larmes coulaient sur ses joues.
Je me noyai dans ses yeux. Je me noyai véritablement dans le doré de ses yeux, mon âme apaisée par les mots qu’elle prononçait. Par le ton qu’elle employait quand elle me parlait. Par le touché qu’elle posait sur ma peau. Par la magie qu’elle me transmettait par sa seule présence. Je saisi son visage de mes deux mains et laissai mes lèvres rencontrer les siennes. Elle s’abandonna à moi immédiatement, sans la moindre résistance, tout comme je m’abandonnai à elle. Elle enferma ses bras autour de mon dos et me tira plus près d’elle. Nos langues se rencontrèrent avec une passion qui n’était pas frénétique comme plus tôt ce soir-là, lorsque nous nous étions embrassés juste avant que tout ne s’écroule. Juste avant qu’elle ne sache. Juste avant qu’elle ne sache tout. Ce n’était pas un baiser animal, impulsif et violent, pourtant il me semblait tout aussi intense, peut-être même l’était-t-il encore plus. Sa langue se mêlait à la mienne et ses lèvres se délectaient des miennes, et elle comme moi éprouvions la sensation insatiable que nous ne pourrions jamais en avoir assez, c’était tangible. Je ne pourrais jamais avoir assez de sa bouche, peu importait combien de temps et à quelle violence nous nous embrassions. C’était un baiser qui était bien plus profond, bien plus intime, et dix fois plus dangereux. Ce n’était pas simplement un baiser qui disait « je te veux, je te veux maintenant et tout de suite », c’était un baiser qui portait en lui l’emprunte des mots qu’elle avait utilisés pour apaiser mon âme, « je te vois ». C’était un baiser bien plus dangereux parce que c’était un baiser dans lequel je voulais me noyer, un baiser qui me donnait la sensation d’être encore vivant, et pire encore, c’était un baiser qui me donnait le sentiment que j’espérerai me réveiller le lendemain matin, et vivre une nouvelle journée, avec l’espoir de pouvoir recevoir à nouveau un baiser pareil. L’excitation animale et primale que je ressentais pour elle était délicieuse et j’aurais été incapable de m’en lasser. Mais cela, ce que j’expérimentai en cet instant, alors que je m’étais entièrement dévoilé à elle, d’une façon dont je ne m’étais jamais, jamais dévoilé à qui que ce soit, avec tout ce qu’il y avait de plus noir en moi, et la façon dont elle avait reçu cela, et dont elle était parvenue à m’apaiser, et à me donner la sensation que même ainsi, je n’étais pas un monstre, ce sentiment-là était d’un tout autre ordre. Et alors que je l’embrassai avec toute mon âme, pour la toute première fois de ma vie, c’était comme si je sentais que toutes les planètes étaient parfaitement, et totalement alignées, et que tout dans l’univers était divinement à sa place.
Soudainement, elle s’écarta de mes lèvres, et je regardai son visage demeurant dans le creux de mes mains tandis qu’elle gardait les yeux fermés, et elle murmura à mes lèvres :
- Fais-le maintenant. Je ne pourrais pas supporter plus longtemps de savoir que je vais oublier ça, alors fais-le maintenant je t’en prie.
Je regardai son visage que je tenais entre mes mains. Les taches de rousseur sur ses joues. La finesse de ses sourcils qui adoucissaient son regard déjà le plus doux qui soit. La forme délicate de son nez. Les lignes de ses lèvres qui étaient les lèvres les plus délicieuses que je n’avais jamais goûtées. Et je me demandai comment il était possible que cette femme, que cette femme-là, se tienne là au creux de mes mains, et m’embrasse de la sorte en sachant ce qu’elle savait de moi. Et je me demandai, rien que l’espace d’un instant, s’il y avait une chance, s’il existait une possibilité, quelque part dans l’univers, que cette femme-là demeure à mes côtés. Alors, je pris le plus gros risque de toute ma vie, aveuglé par l’espoir qu’elle m’avait donné en me disant simplement « je te vois, Drago », et j’embrassai à nouveau ses lèvres, au lieu de lui faire oublier les informations qu’elle avait récolté sur les personnes qui comptaient le plus au monde pour moi.
Quelques instants plus tard, alors que je m’étais autorisé à être transparent et vulnérable avec l’ennemie la plus douce qu’il pouvait exister, je quittais finalement ses lèvres, et chuchotai :
- Je dois y aller.
Elle se languit de mes lèvres un moment, gardant ses yeux fermés, recherchant leur contact.
- Je dois aller voir comment il va, leur murmurai-je alors en les caressant, et je dois être là quand il se réveillera.
Elle ouvrit finalement les yeux, et ce fut des yeux qui avaient l’air ivres qui rencontrèrent les miens. Ivres de ce que nous venions de partager ensemble. Je caressai sa joue en tenant toujours son visage à deux mains alors que je m’autorisai à profiter de la vue de ces yeux-là, de ce regard-là.
- Je sais, chuchota-t-elle en se noyant dans mes yeux.
Je devais partir. Je devais la laisser là, avec tous mes secrets les plus intimes et les plus destructeurs, ainsi que ceux de mes amis et de ma famille. Je devais faire le choix que je ne pourrais plus jamais retirer de lui faire confiance non seulement avec ma vie, mais aussi avec celle de mes amis. Je laissai mes mains quitter son visage, et de nouvelles larmes naquirent dans mes yeux quand je réalisai que je ne pouvais pas la laisser ainsi. Pas avec la vie de Pansy entre ses mains. Pas avec la vie de Blaise au creux de ses paumes. Pas avec celle de ma mère en bout de ligne. Pas avec celle de Theo suspendue au bout de ses lèvres.
- Je suis désolé, chuchotai-je en sortant ma baguette de mon uniforme.
Elle leva vers moi des yeux soudainement radicalement différents. C’étaient des yeux apeurés, des yeux tristes. Des yeux déçus. Et je maintenais le contact avec ces yeux alors que je murmurai :
- Obliviate.
J’effaçai le souvenir de ces baisers, de cette conversation, de Theodore dont elle avait dû sauver la vie, et de la façon dont nous avions dû partir immédiatement lorsque nos bras nous avaient brûlés, et je la laissai avec le souvenir d’une soirée torride dans laquelle elle s’était jouée de moi, et seulement cela. Peu importait à quel point je désirai être égoïste et à quel point je voulais qu’elle sache, réalisai-je alors que je regardai les souvenirs s’effacer de son esprit. Peu important à quel point je désirai qu’elle garde tous ces souvenirs, qu’elle se souvienne de ce qu’elle avait ressenti à mon adresse et la façon dont elle m’avait embrassé. Peu importait à quel point je voulais qu’elle continue de me voir, de me voir vraiment. Et peu importait à quel point je brûlais pour l’espoir qu’elle m’avait donné ce soir, lorsqu’elle avait tout vu, et tout entendu, et qu’elle m’avait quand même embrassé avec toute son âme. Tout cela n’importait pas. Tout cela n’avait pas le droit d’importer, pas si c’était au risque des vies de ma famille. Je fermai les yeux alors qu’une larme dégoulinait sur ma joue, abaissai ma baguette et embrassai son front avant de m’en aller.
Lorsque j’étais retourné dans notre salle commune, le silence absolu régnait. Theo était toujours allongé sur le canapé, mais sa tête reposait désormais sur les genoux de Pansy qui s’était assise en bout de celui-ci, et qui avait une main qui caressait continuellement ses cheveux. Elle leva ses grands yeux verts gonflés des émotions intenses qu’elle avait ressenties ce soir-là et m’adressa un faible sourire avec toute la force qu’il lui restait. Je lui rendais ce sourire. Blaise était toujours affalé en face du canapé, sur le fauteuil, lui aussi endormi. Il avait un verre dans sa main droite qui n’avait pas encore rencontré le sol. Je regardai le visage de Theo. Pansy l’avait nettoyé, le sang qui avait dégouliné de ses yeux, son nez et sa bouche n’était plus sur son visage. Ses traits étaient encore marqués de douleur, mais il respirait. Son poitrail se soulevait et s’abaissait à intervalles lents et réguliers. Il respirait. Il était en vie. Ils l’étaient tous. Je choisissais de me satisfaire de cela, cette nuit-là, et me laissai tomber sur le sol de notre salle commune, au pied du canapé. Ma nuque rencontra le bord de ce canapé et je fermai les yeux en me laissant bercer par les respirations profondes de Theo.
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