L'Ecrin des illusions

Chapitre 30 : Les Larmes du Léthé (première partie)

2167 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/05/2024 11:49

Une fois sortis de Ste Mangouste, Rogue et Hazel utilisèrent à nouveau le Portoloin. À la grande stupeur de la jeune sorcière, ils se retrouvèrent dans un parc désert, surplombant une bien triste ville, écrasée par une brume poissarde. Hazel reconnut alors Carbones-les-Mines et ses bâtisses désolées, dominées par l'usine de briques rouges vomissant d'épaisses fumées noires. Elle suivit le maître des potions sans émettre la moindre question ou contestation. Ils longèrent un fleuve boueux crachant de nombreux détritus et des cadavres de poissons à moitié rongés par la corrosion. Ils s'engagèrent dans une rue aux boutiques vieillottes, n'invitant guère à la flânerie. Hazel fut saisie par l'écœurante odeur, une odeur de vieille moutarde toxique, empoisonnant les airs. Elle remonta le col de sa robe contre son nez et jeta un rapide coup d'œil aux magasins, tenus par des vendeurs aux visages hâves et maladifs, l'encerclant de toutes parts. Un serveur, les mains et la figure couvertes de pustules balayait la terrasse d'un minable tripot désert ; une frêle fleuriste arrangeait trois pauvres roses décharnées dans sa vitrine et une libraire revêche se faisait les ongles de pied dans sa boutique où seulement une dizaine de livres jaunis se battaient sur une étagère branlante. Quand la jeune sorcière passa devant la petite boutique sordide, la vieille femme lui décocha un regard mesquin qui la fit frémir. Se sentant de plus en plus oppressée par l'atmosphère mortifère de la ville agonisante, Hazel espérait que leur destination soit un peu plus enjouée que ce paysage industriel !


Malheureusement, Rogue tourna dans une ruelle délabrée portant le triste nom de Boulevard Noir, comme l'indiquait une vieille pancarte en fer à moitié arrachée. Ils passèrent devant une scierie à l'abandon. Un chat famélique jaillit d'une poubelle renversée et traversa devant eux, une arête à la gueule. Hazel accéléra le pas et se rapprocha de Rogue. Ce dernier, un brin moqueur, se contenta d'un rictus fort déplaisant avant de s'arrêter devant un pub miteux, aux vitres enduites de crasse. Hazel se tordit le cou pour tenter de déchiffrer le nom du tripot sur une enseigne branlante, représentant un batelier squelettique, suspendue au-dessus de la porte et livrée aux caprices de la météo. Elle parvint à déchiffrer les lettres composant un simple mot : Léthé.


Rogue poussa la porte en faisant tinter une petite clochette discordante. Le propriétaire des lieux, leur tournait le dos et essuyait des tasses ébréchées à l'aide d'un torchon à la propreté douteuse.

- C'est fermé, bougonna-t-il d'une voix fort peu amène.

- Le service laisse toujours autant à désirer, répliqua Rogue sur le même ton.


Le tenancier se retourna vers eux, un sourire édenté se dessina sur sa face de Pierrot Lunaire défraîchi. Il se pencha au-dessus du comptoir maculé de taches graisseuses, écarta un cendrier débordant de mégots et découvrit une Hazel intimidée.


- Qu'est-ce que tu amènes donc au vieux Coleridge ? Elle est bien trop âgée pour être à toi !

Il piocha une cacahuète dans une assiette posée près de sa main et l'engloutit d'une bouchée avant de s'appuyer sur ses deux coudes.

- Elle me rappelle un peu ta copine, tu sais la rouquine, mais en moins...

- Evans, le coupa Rogue lui épargnant ainsi l'inévitable comparaison avec Lily, est une élève de Poudlard.

Le vieux bonhomme jeta un regard à la porte et sa voix s'abaissa de plusieurs octaves :

- Tu sais que nous risquons d'avoir de gros ennuis si un policier moldu voit cette mouflette ici... T'avais qu'à l'amener à L'Impasse du Tisseur !

- Cet incapable de Cornelius Fudge sera ministre de la Magie, le jour où j'inviterais cette fouineuse chez moi ! rétorqua Rogue avant de s'asseoir à l'une des tables.


Hazel prit place face à lui et leva la tête vers la télévision accrochée non loin d'eux. Le petit homme râla pour la forme et revint avec une orangeade pour Hazel et un café noir pour Rogue.


- Au fait, reprit-il en leur servant les boissons, je te remercie pour les chocolats envoyés à Noël. Ils étaient excellents.


Hazel esquissa un sourire amusé, comprenant à qui avait été destiné le deuxième sachet de friandises acheté par le maître des potions chez Wonka & Bucket. Severus Rogue était décidément un sorcier plein de surprises ! Elle but une gorgée d'orangeade et fit mine de s'intéresser aux actualités moldues défilant sur l'écran, tout en écoutant la discussion entre les deux adultes.


- Comment se porte le vieux Tobias ? s'enquit Coleridge en posant son torchon sur son épaule.

- Aux dernières nouvelles, il se montrait odieux avec le personnel soignant et a essayé de faire passer de l'eau-de-vie clandestinement dans sa chambre.

- Changera jamais, ce sacré bouc... Je me suis rendu sur la tombe d'Eileen. Mon garçon, elle aurait sacrément besoin d'un bon coup de nettoyage !


Un amer reproche pointait dans le ton du vieux Coleridge. Hazel vit un bref éclat de tristesse traverser les yeux sombres de Rogue avant qu'il ne retrouve son air de parfaite indifférence.


- Eileen était la mère de Severus, la renseigna le petit homme avide de bavardages, c'était la meilleure amie de ma sœur dont le Cracmol que je suis, s'était entiché.


Rogue leva les yeux au ciel, marmonnant que toutes ces idioties poussiéreuses n'avaient pas à être divulguées et surtout pas devant une sacrée fouineuse de la trempe de Hazel Evans. La jeune Gryffondor fixait le sinistre professeur d'un air ébahi. Elle avait bien du mal à l'imaginer comme un enfant ayant eu des parents un jour !


- Eileen Prince était brillante, s'écria le vieil admirateur, elle se défendait en potions et elle était même championne de Bavboules !

Les Princes, c'était une sacrée lignée de Sangs-Purs ! Dommage que ce fichu nom soit voué à disparaître si Severus...

- Tais-toi, vieux fou! ordonna Rogue avec froideur en se redressant.


Il toisa le vieux tenancier d'un regard foudroyant. Le vieux Coleridge blêmit et balbutia quelques mots d'excuse, comprenant qu'il venait de toucher un point sensible chez cet être habituellement maître de ses émotions.


- Evans, grommela un Rogue oscillant entre la honte et la colère à peine contenue. Si vous bavez quoi ce soit au sujet de ma misérable parentèle...

- J'ai compris, soupira la sorcière, je récurerais des fonds de chaudron jusqu'à ma mort.

- Et même au-delà !

Il se tourna ensuite vers Coleridge.

- J'ai besoin de ta cave.

- Tu veux m'attirer des ennuis ou quoi ?! Je ne sais pas ce que tu manigances Severus, mais je n'ai pas envie de voir débarquer les Aurors !

- Sois tranquille... En attendant, occupe-toi d'Evans.


Rogue tourna les talons et se dirigea au fond de la salle. Hazel le vit ouvrir une porte et disparaître à l'intérieur. Le vieux tenancier alla chercher quelques douceurs dans la petite cuisine attenante et les déposa devant une Hazel qui commençait à mourir de faim. Elle le remercia et croqua dans un biscuit sec. Coleridge jeta un coup d'œil par-dessus son épaule et s'assit face à elle. Il écarta la tasse laissée intacte par Rogue et se mit à émietter un cookie.


- Severus n'est pas un mauvais bougre, j'ai toujours pensé qu'il aurait mieux fait d'aller à Serdaigle plutôt qu'à Serpentard, ça l'aurait empêché de faire de mauvais choix.

- Le professeur Rogue n'est pas très aimé, avoua Hazel, mais il m'a aidée à de nombreuses reprises.

- Me disais bien qu'il y avait un lien spécial entre toi et lui, répliqua le vieil homme en grattant son crâne dégarni.

Il esquissa un sourire attendri et se plongea dans ses souvenirs.

- Quand il était gamin, Severus venait souvent ici. Faut dire que c'était pas la joie avec le père Tobias. Il était déjà doué, ça se voyait qu'il serait un grand sorcier. Il a tenté, quand il était encore qu'un petit mouflet, de m'apprendre la magie. Il a changé en débarquant à Poudlard, j'pense que certains Serpentards lui ont grillé la cervelle.


Dévorée par la curiosité, Hazel s'apprêtait à poser des questions sur l'enfance de Rogue lorsqu'elle aperçut la biche argentée se tenant à quelques pas de sa table. Le vieillard se retourna et parut fasciné par cette curieuse apparition. Comprenant que Rogue l'attendait, la jeune sorcière s'excusa auprès de Coleridge et suivit le Patronus. Elle illumina le bout de sa baguette, ouvrit la porte donnant sur un escalier étroit et descendit à la suite de la créature magique. En posant le pied sur la dernière marche, elle se retrouva happée dans un dôme lumineux. Soufflée par la puissante magie émanant du sort lancé par Rogue, elle abaissa sa baguette et s'avança à travers la construction de lumière. Des orbes lumineux virevoltaient à travers le dôme. Hazel s'immobilisa et s'en saisit. L'orbe se mit à frémir au creux de sa paume avant de se transformer en un petit écran. Hazel se pencha et vit une silhouette se dessiner dans ce curieux miroir : celle d'une femme ingrate aux longs cheveux noirs. Au creux de ses bras, était niché un pâle nourrisson arborant déjà une épaisse tignasse brune. L'image s'embruma et le petit orbe s'échappa de ses doigts afin de rejoindre ses comparses.


Se sentant épiée, elle tourna la tête. Rogue se tenait dans un coin reculé de la cave sombre, sa baguette tendue vers le dôme. Hazel ne pouvait pas percevoir les émotions contradictoires s'affrontant dans son regard à cet instant. Il baissa la tête et après de longues minutes, se résolut enfin à pénétrer à son tour dans la lumière.


- Bien, déclara-t-il d'une voix rauque, le rituel permettant de rompre ce maudit lien va enfin commencer...


Il pointa sa baguette vers la poitrine de Hazel avec vivacité, comme s'il désirait au plus vite, s'acquitter de cette pénible besogne. Hazel sentit le fil palpiter. Elle porta la main à son cœur serré par une poigne de fer et vit le lien magique se déployer entre ses doigts. Celui-ci s'étira devant elle avant de venir s'entrelacer à celui jaillissant de la poitrine de Rogue. Leurs liens n'en formaient plus qu'un, unissant une ultime fois leurs esprits et leurs souvenirs. Une seule larme glissa sur la joue de Hazel, tandis que Rogue prononçait l'inévitable sortilège, qui briserait le Pacte maudt


- Hazel, ordonna Rogue, ouvrez les yeux et regardez-moi. Vous allez retrouver le souvenir qui est le vôtre et que j'ai gardé pour vous protéger, lui apprit-il avant de poser la pointe de sa baguette contre son cœur. Maintenant, faites comme moi.


Hazel exécuta l'ordre donné. Sa baguette rencontra la poitrine de Rogue.


- Une dernière chose, l'informa Rogue, il se pourrait que vous vous retrouviez dans certains de mes souvenirs au cours de ce rituel. Je vous en conjure, restez à votre place et ne les modifiez pas, contentez-vous de les regarder avant de les oublier.

- C'est entendu, chuchota la jeune sorcière.

- Je n'aimerais pas vous voir débarquer lors de ma Cérémonie de Répartition et être condamné par l'une de vos actions insensées, à finir chez les Gryffondor ou pire, les Poufsouffle !

- Vous ne seriez donc pas contre l'idée d'être envoyé à Serdaigle ? répliqua Hazel en lui adressant un sourire malicieux.


Il esquissa une rictus. Son regard se mit à détailler le visage de Hazel avec attention, s'attardant tout particulièrement sur l'affreuse cicatrice marquant sa peau. Pour la première fois depuis leur rencontre, Severus Rogue semblait la voir en tant que Hazel Evans et non comme l'ersatz imparfait de Lily Evans. Son regard évita ses yeux, avant de se poser sur ce nez empâté qu'elle avait hérité du côté maternel de son père, puis s'arrêta sur ses lèvres, ses maudites lèvres lui rappelant cruellement les sourires arrogants de Sirius Black. Rogue parut sur le point de parler, se ravisa et prononça les deux derniers mots concluant la rupture du Pacte :


Fractae Fidelitas


Note:

  1. La description de la ville de Carbone-les-Mines s'inspire de ma lecture de la saga des Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire de Lemony Snicket. Le nom du Boulevard noir est emprunté directement à ce livre, ainsi que l'usine crachant des fumées exhalant une odeur de moutarde toxique.



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