L'Ecrin des illusions

Chapitre 29 : La Belle endormie (troisième partie)

3167 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/05/2024 14:25

Rogue et Hazel se trouvaient à présent dans une petite rue peu animée. Le maître des potions fit disparaître la théière ébréchée et demanda à Hazel de le suivre. Elle lui emboîta le pas et constata, alors qu'ils traverseraient un passage piéton, qu'il ne manifestait aucune curiosité, ni même hostilité pour le monde moldu. Son air n'était qu'indifférence et il s'arrêta même lorsque le signal pour les piétons devint rouge ! La jeune sorcière s'était toujours imaginée qu'en bon Serpentard et digne directeur de sa Maison, le sinistre professeur avait été élevé dans une famille de Sangs-Purs, à l'écart du monde non magique. Ils quittèrent la petite rue et s'engagèrent dans une avenue bondée de monde. Ils marchèrent jusqu'à un bâtiment de briques rouges, bien misérable. Des mannequins poussiéreux, aux habits mités et élimés trônaient derrière une vitrine sale et couverte d'affiches datées. Hazel jeta un œil à l'écriteau décoloré suspendu à la porte du magasin : Fermé pour rénovations.


- Incroyable, marmonna une vieille femme tirant un petit chariot à roulettes derrière elle, cette boutique est encore fermée !

Hazel comprit que le magasin payant peu de mine était en réalité un leurre destiné à tromper la curiosité des Moldus. Rogue se pencha vers la vitrine, souffla dessus et y dessina un cercle.

- Je suis Severus Rogue.


L'un des mannequins tourna sa tête à moitié décapitée vers eux et leur fit signe d'avancer. Rogue s'approcha et disparut à travers la vitre. Hazel fit de même et se retrouva dans un hall bruyant et noir de monde. Une vieille sorcière affalée sur une chaise s'éventait avec un vieux numéro de la Gazette du sorcier, tout en tentant de dissimuler les pustules écarlates couvrant son visage. Un tout jeune sorcier, avachi à ses côtés, avait la tête recouverte de poils et une queue de singe traînait à ses pieds. Près de lui, se tenait près d'un homme qui, pour une obscure raison, avait une baguette magique coincée dans l'une de ses narines. Au milieu de ces sorciers et sorcières malades, ensorcelés ou blessés, circulaient des sorciers en robes vertes arborant un air plus qu'important.


- Où sommes-nous ? demanda Hazel en se rapprochant de Rogue.

- A Ste Mangouste, l'hôpital pour sorciers. Attendez-moi là et évitez d'enquiquiner qui que ce soit.


Sur cette dernière recommandation, il l'abandonna pour rejoindre la file s'étirant devant le comptoir de l'accueil. Hazel pivota sur ses talons et voyant une chaise vide, s'y précipita. Son voisin endormi, les épaules recouvertes d'un manteau maintes fois reprisé, avait les traits tirés et était fort peu conscient de l'agitation régnant tout autour de lui. Hazel, piquée par la curiosité, ne put résister au plaisir d'observer les patients s'agglutinant dans la file d'attente : un sorcier épuisé tenait par une ficelle reliée à sa cheville, une petite fille brune lévitant dans les airs ; un autre était pris de quintes de toux et expulsait des flammes rougeoyantes à chaque expiration. Rogue se dressait au milieu de cette drôle de cohorte, imperturbable.


Le voisin de Hazel s'éveilla en s'étirant. Sa main frôla l'épaule de la jeune sorcière et il s'excusa d'un ton gêné. Elle se tourna vers lui afin de le rassurer et lui offrit son plus beau sourire. L'homme mince devait être dans les âges de Rogue, en dépit des mèches grises ternissant ses cheveux châtains. Ses joues étaient zébrées de scarifications et son allure bien misérable n'était guère flatteuse. Leurs regards se croisèrent et une curieuse lueur s'alluma dans ses yeux marron.


- Je... Pardonnez-moi, j'ai cru voir...

Son regard stupéfait glissa sur les joues de la jeune sorcière avant de s'attarder sur sa bouche et son menton. Hazel fronça les sourcils, geste qui selon Charlie Weasley, accentuait sa ressemblance avec Sirius Black.

- Monsieur ? s'enquit-elle d'une voix inquiète. Vous allez bien ? Voulez-vous que j'appelle un médecin ?

- Un médecin, murmura-t-il d'un ton malicieux, on n'en trouve pas beaucoup ici. Ce que les Moldus appellent « médecins » sont considérés comme des charlatans par les sorciers. Non, ne vous dérangez pas pour moi, jeune demoiselle.

Il se redressa et posa ses mains sur ses genoux tremblants. Hazel jeta un coup d'œil au livre dissimulé sous sa main gauche. L'homme surprit sa curiosité et lui adressa un sourire amical.

- Vous vous intéressez aux forces du mal, mademoiselle ?

- Disons que notre professeur avait une certaine fascination pour cet art.

- Oui, j'ai entendu parler de cette affaire, avoua-t-il du bout des lèvres. La magie noire est un art passionnant mais qui ne doit pas être enseigné à de mauvaises fins.


Hazel l'approuva d'un petit signe de tête et reporta son attention sur la silhouette de Rogue. Ce dernier, à en croire la petite ride marquant son front, commençait à s'impatienter et semblait être sur le point d'étrangler le garçonnet braillant à quelques pas de lui. Le voisin de Hazel se mit à s'agiter. Elle se tourna vers lui, inquiète. L'homme se saisit d'un mouchoir et épongea son front couvert de sueur. Ses mains étaient agitées de violents soubresauts.


- Qu'est-ce que Severus Rogue fait là ?

- Je ne sais pas, répondit la jeune sorcière avec méfiance. J'ai dû le suivre, mais j'ignore ce que nous faisons ici.


L'homme ramassa son mouchoir et porta sa main à sa bouche. Il se rongeait à présent les ongles et ne semblait guère pressé de rencontrer le maître des potions. Hazel le contempla un instant, ses yeux s'écarquillèrent de surprise quand elle le reconnut : dans les rares souvenirs de Rogue qu'elle avait pu découvrir, aux côtés de Sirius Black et de James Potter apparaissaient deux autres adolescents. L'un était un petit rondouillard avec une face de rat hypocrite et l'autre, un jeune homme maladif au regard doux et mélancolique. Un regard qui n'avait pas changé en dépit des années...


- Vous êtes donc une élève de Poudlard, chuchota son voisin. Je suppose que vous devez appartenir à la Maison Serpentard puisque vous vous trouvez en compagnie du professeur Rogue.

- Je suis à Gryffondor, répliqua-t-elle d'un ton crâneur.


Il fut sur le point de l'interroger quand Rogue revint. Il se figea en reconnaissant l'homme se tenant face à lui. Hazel, pourtant habituée à l'aigreur animant le maître des potions, fut stupéfaite par l'éclat haineux s'allumant dans ses yeux sombres.

- Lupin, décréta-t-il d'un ton venimeux, les lèvres retroussées sur ses dents jaunes et mal implantées. Quel déplaisir de vous voir... Miss Evans, vous devriez vous méfier de cet individu quelque peu « lunatique ».

Le dénommé Lupin blêmit et ses mains se crispèrent contre ses genoux agités de tics nerveux. Il se tourna avec lenteur avec Hazel qui s'était relevée. Il la regarda se placer aux côtés du maître des potions.

- Evans... murmura-t-il. Comme Lily...


À la grande stupeur de Hazel, la main de Rogue s'abattit sur son épaule et l'enveloppa d'une poigne paternelle. Jamais le maître des potions n'avait eu un geste aussi familier à son encontre ! Elle leva la tête vers lui et remarqua que sa grimace méprisante s'était muée en un rictus menaçant.

- Veuillez nous excuser Lupin, mais Hazel et moi sommes pressés.


En entendant son prénom, l'homme, puisant dans ses dernières forces, se releva et s'approcha d'un pas titubant. Étreint par l'émotion, il semblait sur le point de fondre en sanglots. Hazel s'avança vers Remus Lupin. Elle savait, grâce aux souvenirs de Rogue, quels liens, il entretenait avec Lily Potter et Sirius Black et elle comprenait son émotion à cet instant : sa ressemblance avec le célèbre prisonnier d'Azkaban et la mère défunte du fameux Harry Potter devait le troubler plus que raison. Lupin parut hésiter et, voyant que Hazel l'encourageait d'un petit sourire, il tendit une main intimidée vers elle. Elle s'empara de ses doigts tendus et les serra dans les siens. Il avait beau avoir été ami avec les mauvais garçons ayant harcelé Severus Rogue, elle devinait que cet homme souffrait et qu'il devait être bien solitaire. Rogue s'était éloigné et guettait la scène d'un œil perçant. Hazel salua le jeune homme et rejoignit le maître des potions.


Sans échanger le moindre mot, ils franchirent la double porte menant à un long couloir et passèrent devant les portraits des illustres guérisseurs ayant fait la fierté de l'établissement.

GrastouilleGrastouille ! beugla un petit homme rubicond doté d'un strabisme prononcé. Teint cireux et cheveux gras, cela mériterait bien une consultation !

Rogue fusilla la peinture du regard avant de surprendre le petit sourire flottant sur les lèvres de la Gryffondor.

- Evans, commença-t-il d'un air fort peu aimable, ôtez-moi...

Contrairement à sa déplorable habitude, il n'acheva pas sa phrase. Hazel la termina pour lui :

- Ce sourire ridicule, cela ne vous sied guère.


Le regard du maître des potions bougonna et tourna les talons. . Hazel s'élança à sa suite. Quand ils atteignirent le quatrième étage, une Médicomage les salua. Elle tenait par le bras une femme au regard perdu, avançant à petits pas chancelants. La femme vit Hazel, lui sourit et lui tendit un papier de bonbon. Hazel fixa l'offrande d'un œil perplexe mais finit par l'accepter de bon cœur.


- Merci Alice, grommela Rogue à la jeune femme.

La sorcière gloussa de plaisir et poursuivit sa marche en fredonnant une comptine pour enfants.

- Qui était-ce ? demanda Hazel en rangeant le papier dans sa poche.

- Une ancienne Auror ...


Rogue laissa son regard dévier jusqu'à la silhouette de la femme. Un rictus douloureux se dessina sur ses lèvres. Hazel fut alors frappée de plein fouet par les pensées traversant l'esprit du maître des potions. Il ne parvenait pas à maîtriser ses émotions, curieux et détonnant mélange teinté de haine et de pitié pour la pauvre Alice.


- Pourquoi ? murmura une Hazel saisie d'effroi, pourquoi pensez-vous que cette femme et son enfant auraient dû mourir à la place de Lily ?


Le flot des pensées s'interrompit net et Rogue lui décrocha un de ses terrifiants regards dont lui seul avait le secret. Il lui ferma à nouveau son esprit, bloquant tous ses secrets. Hazel avait fini par comprendre, grâce à ce lien maudit, que Severus Rogue avait aimé Lily Potter et qu'il continuait de chérir le souvenir de la brillante Gryffondor.


- Evans, l'apostropha Rogue, reprenez-vous tout de suite ! Bloquez vos maudites pensées !


Voyant la colère déformant les traits du sorcier, Hazel tenta de se reprendre en chassant l'image de Lily de son esprit. Elle y parvint au bout de longues minutes, au prix d'un effort considérable. Rogue, jugeant qu'elle s'était suffisamment apaisée, la conduisit devant une porte située au fond du couloir. Il posa sa main sur la poignée avant de se tourner vers elle.


- Evans, lorsque nous franchirons cette porte, promettez-moi de garder votre calme, de ne pas agir avec stupidité et de m'écouter.

- Je vous le promets, professeur.

Rogue se s'approcha d'elle.

- Hazel, reprit-il à voix basse, je m'excuse pour tous les torts que j'ai pu vous causer en vous condamnant à ce maudit sort. Soyez rassurée, tout cela sera bientôt terminé. Avant de rompre ce lien, j'ai demandé à Dumbledore l'autorisation de vous dévoiler un dernier secret vous concernant. Je... Je vous promets que ce soir, tout cela sera terminé.


Rogue ouvrit la porte et s'écarta pour permettre à Hazel d'entrer dans la petite chambre. La pièce était meublée avec simplicité et la fenêtre entrouverte donnait sur un jardinet rappelant celui entourant la petite maison des Evans. La jeune sorcière s'avança et eut un mouvement de surprise en reconnaissant le noisetier sous lequel, elle s'était tant de fois réfugiée. Elle tourna la tête et s'avança vers le lit où reposait une femme vêtue d'une longue robe blanche. À la voir si paisible, on aurait pu la croire morte et protégée de la décomposition par un sortilège. Hazel se pencha, vit la belle poitrine se dessinant sous le fin tissu immaculé se soulever au rythme d'une respiration sereine avant de s'abaisser dans un souffle. La jeune sorcière effleura d'une main tremblante, les longs cheveux noirs se déployant sur l'oreiller.


- Ma... Mam... Maman, bredouilla Hazel d'une voix enfantine. Maman.

Des larmes se mirent à couler le long de ses joues. Hazel redevint une petite fille et se laissa tomber à genoux près du lit, sa main s'emparant de celle de sa mère. Elle porta les doigts maternels à ses lèvres et les baisèrent avec tendresse ; elle avait oublié tout la haine qu'elle avait pu ressentir en apprenant la vérité sur le passé de cette femme distante, ayant brutalement quitté sa vie et qu'elle croyait morte...

- C'est bien Dahlia, confirma Rogue d'une voix rauque, comme s'il partageait les émotions de Hazel.


Il baissa la tête et d'une voix coupable, évoqua le terrible sort dont Dahlia Black avait été victime. Une nuit, quelques jours après sa fuite loin de l'Allée des Cerisiers, Dahlia avait cru trouver refuge dans la vieille maison abandonnée de son défunt père. Hyde avait fini par la retrouver et, après l'avoir torturée une bonne partie de la nuit, avait décidé de lui infliger un sort pire que la mort en la condamnant à un sommeil éternel.


- Votre père n'en sait rien et la croit morte, ajouta le maître des potions. Un Moldu n'aurait pas compris qu'il n'existe pas de remède à ce mal...

Hazel se redressa avec lenteur et déposa un baiser sur le front de la belle endormie. Elle avait gardé la main de sa mère dans la sienne.

- Professeur, murmura-t-elle, vous croyez qu'elle nous a aimés, mon père et moi ? Pourquoi a-t-elle choisi le « mauvais » camp ?

Rogue s'était rapproché d'elle. Hazel pouvait sentir sa présence à ses côtés.

- Dahlia Black a toujours aimé flirter avec l'interdit, avoua le sorcier, c'est un mal assez répandu dans votre lignée. Elle a pris peur quand elle a compris quelles folies animaient Hyde et ce qu'impliquait concrètement la fidélité offerte à Vous-Savez-Qui...


Il se tut et serra sa main autour de son avant-bras gauche. Hazel s'assit sur le bord du lit et replaça la main de Dahlia le long de son corps. Sa mère, en dépit des quelques mèches grises striant ses cheveux, avait conservé toute sa beauté et sa majesté. Elle comprenait pourquoi, Oliver Evans avait succombé à ses charmes. À l'instar d'un Sirius Black ou d'un Altaïr Hyde, Dahlia possédait cette beauté aristocratique capable d'ensorceler n'importe quel esprit humain, un tant soit peu sensible à ce type d'attrait.


- En ce qui concerne ses sentiments pour votre père, reprit Rogue, je ne peux vous répondre ; en ce qui vous concerne...

Il planta ses ongles dans son avant-bras, en proie à une lutte féroce contre lui-même. Vaincu, il finit par répondre :

- Il me semble bien difficile de ne pas s'attacher à votre personne.


Rogue s'éloigna de Hazel et trouva refuge près de la fenêtre, masquant ainsi son visage à la jeune sorcière. Hazel le contempla pendant quelques minutes avant de reporter son attention sur sa mère :

- Qui s'occupe d'elle ?

- Le personnel de Ste Mangouste, répondit Rogue d'un ton froid, bien heureux de faire porter la discussion sur un tout autre sujet. Je crois me souvenir que le vieil Alphard avait un elfe de maison. J'imagine qu'il doit rendre visite de temps à temps à votre mère.


Hazel s'allongea près de la sorcière endormie et se recroquevilla contre elle. Quand elle était petite fille, elle la suivait à travers toute la maison, comme si elle craignait que sa mère ne lui échappe ! Elle appuya sa tête contre l'épaule aimée et les yeux clos, lui raconta sa vie depuis leur séparation. Après avoir épuisé bien des larmes et des confidences, Hazel ouvrit de nouveau les yeux. Elle plongea son visage dans la chevelure de Dahlia, la huma avec force afin de s'imprégner de son odeur. Elle effleura le visage endormi du bout de ses doigts, dessinant chaque sillon, chaque pore de sa peau pour les garder en mémoire. Elle finit par déposer un dernier baiser sur la joue de sa mère et descendit du lit.


Elle s'avança jusqu'à Rogue et jeta un regard au noisetier esseulé occupant le petit jardin.

- Professeur, que dois-je faire ? Dois-je le dire à mon père ?

- Faites ce qui vous semble le plus juste, Evans.


Hazel s'accouda sur le rebord de la fenêtre et songea à son pauvre père. Oliver avait réussi, après bien des années, à faire enfin le deuil de cette femme qu'il avait aimée plus de raison, idéalisant son souvenir et chérissant leur passé commun tel un trésor précieux et inaltérable. Il semblait cruel à sa fille de lui révéler la vérité et de le forcer à s'intéresser à cette demi-morte. Rogue avait bien précisé que nombreux étaient les sorciers ayant tenté de guérir Dahlia Black ; malheureusement, son mal était incurable...


- Je ne dirai rien, répondit la jeune sorcière. Il risquerait d'en souffrir...

- Parfois, un mensonge vaut bien des vérités.


Hazel posa sa tête au creux de ses bras et se mit à sangloter. Sur quoi pleurait-elle ? Sur cette mère qu'elle venait de retrouver mais avec qui, elle ne pourrait jamais échanger ? Sur le mensonge, l'ignoble mensonge, qu'elle devrait raconter à son père afin de le préserver de la terrible vérité ? Sur tous les secrets qu'elle avait pu découvrir au cours de l'année écoulée ?


Rogue fut sur le point de poser sa main sur l'épaule de Hazel, mais se ravisa au dernier moment.


Perdus dans leurs pensées, ils ne virent pas le sourire esquissé par la sorcière endormie. Quelques années s'écouleraient avant que Dahlia Black ne s'éveille de son sommeil prétendument éternel...

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