Quand on ne regarde que les étoiles

Chapitre 9 : Souvenirs, souvenirs - partie 1

2369 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 15/12/2023 12:49

— Moriarty. Ne fixez personne, ne parlez à personne, et suivez-moi jusqu'au Memory Den en ayant l'air de savoir ce que vous faites.


Goodneighbor, fichée au beau milieu du quartier des affaires de Boston n'était pas entourée d'un grand mur vert à la peinture éclatante. Autour de ce que j'avais connu comme Scollay Square, on avait installé des barrières de tôles, une flèche en néon pour indiquer l'entrée, et des gens avaient appelé ça une ville. Pas de garde, personne pour contrôler ceux qui passaient la porte en fer à la peinture délabrée. Pas de belles échoppes, pas de restaurant de nouilles, pas de sécurité pour patrouiller les rues.


Je n'avais pas trouvé Diamond City incroyable. Je ne l'avais pas trouvée minable non plus ; c'était une bonne moyenne, peut-être même aurais-je pu considérer Diamond City comme la ville type du Commonwealth.

Diamond City était sans doute le haut du panier, finalement. Je suivis Nick en regardant soigneusement le sol. Je regardais tellement le sol que je ne vis que les jambes de l'homme qui lança :

— Hé, les touristes. Première fois à Goodneighbor, hein ? Ouais, ouais, je vais être sympa, je vous laisse passer si vous allongez les capsules.

Je n'avais pas besoin de le voir pour imaginer à quoi il pouvait bien ressembler.

— T'as pas envie que je te montre à quel point je suis pas un touriste, répondit sèchement Nick sans ralentir.

— Ah ouais ? siffla le type.

Le bitume défoncé filait sous mes yeux, une main sale se posa sur mon épaule avant de violemment me tirer en arrière. Mon corps réagit immédiatement au contact de l'ivrogne ; le coup partit de lui-même, comme un réflexe impromptu.

— Oh, pardon, bafouillai-je pendant que le type se tenait le nez. Je suis vraiment désolée... Pardon.

De sa main libre, il leva le point, en marmonnant quelque chose qui n'avait pas l'air aimable du tout. Canigou émit un grondement menaçant, un unique avertissement.

— Venez, chuchota Nick en me faisant signe d'avancer.

— Ha ha ha ! Ah, bordel... Elle t'a pas loupé, Finn. Sacré spectacle.

Peut-être que ce type était sorti de nulle part ou peut-être ne l'avais-je tout simplement pas vu puisque j'étais trop occupée à regarder le sol.

Il était fringué n'importe comment.

— Mais bon, on peut pas dire que ça soit pas mérité. Tu te crois où, Finn ? Tu penses que c'est toi qui fait les règles, ici ? reprit le type aux goûts vestimentaires douteux.

J'avais déjà croisé des passants portant des vêtements qu'ils devaient penser être à la mode d'avant-guerre ; c'était surprenant, mais que pouvait-on faire de mieux ? C'était bien la première fois que je voyais quelqu'un portant aussi fièrement une redingote rouge et un tricorne.

— Non, mais, c'est pas... grommela Finn sans cesser de compresser son nez.

— Ceux qui passent nos portes, jusqu'à preuve du contraire, on les accueille comme des invités. Alors dégage.

Un tricorne.

Le fameux Finn ne bougea pas. Moi non plus, malgré la main de Nick sur mon bras qui essayait de me tirer en avant.

— T'es beaucoup trop sympa, Hancock, dit Finn en lâchant enfin son nez.

Il renifla, sans aucune élégance, et reprit :

— Continues à faire rentrer des gens comme ça, et bientôt... Bientôt, ta tête sera sur un petit piquet et on aura un nouveau maire.

C'était donc le maire. C'était peut-être sa tenue de maire, alors. Je n'avais jamais croisé celui de Diamond City, mais peut-être que lui aussi portait une redingote. Hancock soupira, un soupir long et appuyé. Il s'approcha tranquillement de Finn, sortit une lame de sa poche, et le poignarda à deux reprises. Comme ça.

— Fallait vraiment que tu me dises ça, hein ? souffla Hancock, comme une pensée après coup alors que Finn émettait des gargouillis.

Il regarda pendant quelques instants le sang qui se répandait sur l'asphalte, le sang qui coulait toujours du nez de Finn, et, comme s'il se souvint finalement de la présence d'un synthétique, d'une rescapée d'Abri et d'un chien juste à côté de lui, il lança :

— Mais c'est le bon vieux Nicky !

— Salut, Hancock, répondit calmement Nick.

Il lui tendit poliment une main ; Hancock répondit par une accolade emphatique, comme s'il ne venait pas du tout de tuer un homme.

— Désolé pour ça, dit Hancock en montrant de son pouce le corps de Finn. Mais bon...

Il haussa les épaules.

— Un maire doit faire son devoir, de temps en temps. Qu'est-ce qui vous amène dans ma belle Goodneighbor ?

Hancock m'interrogeait de ses yeux presque noirs mais je n'arrivais pas à détacher les miens du cadavre. Il était vivant, et puis il était mort, comme ça. Certes, il avait été bien irrévérencieux. Mais l'irrévérence n'était pas une raison de se faire poignarder.

— On va au Memory Den, répondit Nick.

Il avait la posture tournée sur le côté que l'on a lorsqu'on cherche à s'éclipser d'une conversation qui dure un peu trop. Hancock ne semblait pas le remarquer ; ou alors, il s'en fichait.

— Tu vas voir Irma, hein ?

— Non. Je bosse.

— Ouais, ouais, fit Hancock avec un éclat de rire et un sourire en coin. Et c'est qui, celle-là ? Une nouvelle partenaire ?

— C'est ma cliente.

— Hm, répondit Hancock en semblant soupeser cette information. Ouais. Bah, amusez-vous bien, alors.

Il me fit un clin d'œil appuyé, effectua une pirouette sur lui-même, clama "Goodneighbor, par le peuple, pour le peuple !", et disparu dans des ruelles. Comme ça. Personne ne semblait se préoccuper du corps de Finn qui gisait toujours au milieu de la place. Nick me tira à nouveau par le bras, avec un peu plus d'insistance, cette fois.

— Venez, souffla-t-il.

— Pardon, fis-je en me remettant à avancer. C'était une goule, ce Hancock ?

C'était presque une question rhétorique. Le doute n'était pas vraiment permis quand on voyait sa peau couverte de cicatrices, de reliefs et de décolorations, mais peut-être avait-il eu un accident, qui sait.

— C'est ça, dites-le encore plus fort, pendant que vous y êtes, siffla Nick entre ses dents.

— Pardon, répétai-je.

— Il y en a beaucoup, ici. Et la plupart seront bien moins sympas que Hancock si vous commencez à poser des questions malvenues.


La ville n'était vraiment pas très grande. Tout était sombre, sale, délabré, et chaque recoin semblait chuchoter de surveiller ses arrières. Effectivement, il y avait bien plus de goules que d'êtres humains, avec des peaux variablement abîmées ; les yeux presque noirs semblaient être le seul dénominateur commun. Et, au milieu de tous ces gens qui avalaient des pilules ou s'injectaient je ne sais quoi en nous lançant des regards mauvais, le Memory Den. On ne pouvait pas le rater ; c'était la seule touche de couleur au milieu d'une ville grise.

À l'intérieur, tout était rouge. Le sol, le plafond, les rideaux de velours qui drapaient soigneusement les murs.

C'était une scène. Du moins, ça devait être une scène. A l'époque. Et sur les planches, à demi allongée sur une méridienne (rouge), une femme. Si c'était le Dr. Amari, ce n'est pas vraiment comme ça que je l'avais imaginée.

— Tiens, tiens, tiens. Monsieur  Valentine en personne, dit-elle en tirant une bouffée sur son long fume-cigarette. Ça faisait un moment. Je pensais que tu m'avais oubliée.

Chacun de ses gestes était beau. Il y a des gens comme ça ; même leur façon de se mouvoir est belle. Elle retira le fume-cigarette de ses lèvres, son poignet figé dans une flexion élégante qui semblait calculée au millimètre près.

— Même quand je ne suis pas ici, je te suis éternellement fidèle, Irma, répondit Nick avec un regard appuyé.

Elle eut un rire cristallin et battit des paupières.

— Amari est en bas. Baratineur.

Il me semblait, aussi.


Le sous-sol, lui, n'était pas rouge. Ça sentait à plein nez le repère de scientifique : étagères mal rangées, outils à la fonction inconnue... Et une femme, en blouse, en train de travailler sur un terminal, qui ne réagit pas du tout à notre irruption dans la pièce.

Nick toussota ; tiens.

— Nick ? demanda la femme en jetant un regard hâtif par-dessus son épaule. Qu'est-ce qui vous amène ici ?

Elle retourna à son terminal, réajusta ses lunettes sur son nez, puis insista, tournée vers l'écran :

— Vous ne venez pas prendre un café, je suppose ?

— Non, pas vraiment, dit Nick avec un soupir. Je vous épargne les détails : on aurait besoin de vous pour aller fouiller dans la tête d'un type. Mort.

Amari lâcha son clavier, secoua la tête et se retourna enfin. Elle fixa Nick, fixa Canigou, fixa les traces de pattes qu'avait laissées le chien sur son carrelage immaculé, me fixa, s'interrogea quelques secondes sur qui est-ce que je pouvais bien être, puis balaya cette interrogation pour revenir à ce que venait de dire Nick.

— Vous êtes complètement cinglé. Vous vous foutez de moi, non ? fit-elle sèchement. Et c'est qui, celle-là ? Et pourquoi y'a-t-il un chien avec vous ?

Finalement, l'interrogation était vite revenue.

— C'est ma cliente.

Ce n'était vraiment pas glorieux d'être présentée de cette façon.

— Écoutez, Amari, c'est important, reprit Nick. Je ne serais pas venu vous voir si ce n'était pas le cas.

— Votre cli... commença Amari avant de secouer la tête à nouveau. Je ne peux rien faire pour vous. Sans même parler de tous les problèmes d'éthique... Pour utiliser la projection mémorielle, il faut un cerveau intact et un sujet vivant.

Elle amorça un geste pour retourner à son terminal, et finalement, se ravisa. Elle posa ses poings sur ses hanches et tapota machinalement le sol du pied : elle attendait la suite. Malgré ses sourcils froncés et ses yeux renfrognés, sa curiosité était piquée ; il fallait qu'elle sache.

— On parle d'un cerveau qui contient potentiellement des secrets de l'Institut, Amari. Ne me faites pas croire que vous n'avez même pas envie de jeter un œil.

Elle leva les yeux au ciel et souffla bruyamment.

— Vous l'avez avec vous ? Faites voir, dit-elle en tendant la main.

Valentine lui confia l'implant cybernétique. Amari l'attrapa entre le pouce et l'index et l'observa sans cesser de froncer ses sourcils - ce qui devait être douloureux, à force.

— Ce n'est pas un cerveau, grommela-t-elle. Attendez... C'est l'hippocampe ? Avec une interface neuronale ?

Elle rendit l'implant à Nick, se retourna, enfila une paire de gants, attrapa une loupe, et récupéra le dispositif d'un geste brusque.

— Ce truc a bien été créé par l'Institut, dit-elle sans en décrocher les yeux. Ils utilisent toujours les mêmes architectures sur leurs circuits... Aucune décomposition sur l'hippocampe. C'est fascinant. J'imagine que l'implant permet de conserver les tissus d'une façon ou d'une autre.

Elle releva les yeux vers nous. Elle souriait.

— C'est fascinant, répéta-t-elle.

— Mais est-ce qu'on peut s'en servir ? fis-je en me souvenant que je possédais la capacité de parler.

— Peut-être, dit-elle en se retournant pour brancher l'implant à son terminal. Non, le terminal ne peut pas y accéder, bien entendu...

Elle débrancha le dispositif, et dit :

— Il me faut une interface. Quelque chose qui soit compatible.

— C'est moi, l'interface, non ? dit platement Nick. Je suis sûrement foutu avec le même genre de circuits. Aucune raison que vous ne puissiez pas me brancher ça dans le crâne.

— Oui, c'est vrai, enfin... Il pourrait y avoir des... marmonna Amari.

— Branchez-moi, Doc, dit Nick en retirant son imper avant de le déposer sur une chaise.

— Il pourrait y avoir des effets secondaires, continua-t-elle comme s'il n'avait rien dit. C'est risqué.

— Valentine, on peut peut-être chercher une autre option, lançai-je.

C'était une politesse réflexe, de celles qui ne coûtent rien et qui ne changent rien non plus. Je n'avais absolument que faire des risques si l'implant permettait de révéler comment retrouver Shaun.

En guise de réponse, Nick s'assit dans le caisson.

— C'est bon, fit-il. Ça va bien se passer.

— Si vous le dites, dit Amari en s'approchant de sa tête avec un tournevis et l'implant de Kellogg. Bien, je vous branche. Continuez de parler. Je dois pouvoir constater le moindre changement dans vos fonctions cérébrales...

— Je vous ai déjà raconté la fois où j'ai fait croire à des gens que j'étais une goule malade ?

— Hmhm, marmonna Amari.

— En général, les gens y croient. Vous vous rendez compte ?

— Vous voyez quelque chose, là ?

Nick reprit son sérieux ; il ferma les yeux, se concentra quelques instants sur ce que pouvait bien lui montrer l'implant.

— Des flashs... Du bruit parasite. C'est pas très clair.

— C'est bien ce qu'il me semblait. L'implant est encodé, soupira Amari.

Elle tapota quelques instants son menton avant de se retourner vers moi.

— Si vous êtes d'accord... Mais qu'est-ce que vous foutez ?

— Désolée, dis-je nerveusement en retirant enfin de la bouche de Canigou l'objet en forme de balle qu'il avait volé. J'espère que ce n'était pas... Désolée.

Je lui rendis la sphère qu'elle attrapa avec une moue très plissée avant de le jeter dans une poubelle. Elle changea ses gants, soupira, puis reprit :

— J'aimerais essayer d'utiliser vos deux cerveaux conjointement. Nick servira d'hôte, et vous, vous serez... Enfin, vous vous baladerez dans les mémoires. Ça devrait faire sauter le verrou, ajouta-t-elle rapidement.

— Si vous le dites, fis-je en essuyant mes mains pleines de bave sur mon pantalon.

— Alors montez dans le pod, dit sèchement Amari. L'autre pod. 

Laisser un commentaire ?