Âme de Pureté

Chapitre 94 : L'Expiation | Chapitre 94

4242 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/06/2020 20:49

À l’instant où ma vue se brouille, je retiens mon souffle, le cœur serré. Le vacarme dans mes oreilles s’atténue puis disparait devant un lourd silence. Je ne décèle rien à plus d’un mètre, que du vide. Dans une tentative de me libérer de cette noirceur, j’esquisse un pas en avant. Mon pied provoque un bruit étrange, comme si j’écrasais du verre. Intriguée, je descends mon visage et constate que des brisures recouvrent le sol.

« Tu ne m’en voudras pas si j’appelle la police tant que tu es là ? Ce serait bête qu’ils viennent frapper à ta porte alors que tu es juste ici, prête à être cueillie. »

Je relève le nez, quelqu’un semble me parler derrière cette couche obscure. Sa voix est méconnaissable, peut-être celle d’une femme.

« Un monstre. Voilà ce que tu es. »

Un poids sur ma poitrine m’empêche de respirer. Une vive odeur de fer emplit mes narines. Au sol, une flaque rouge tache mes baskets blanches sans que je puisse exprimer quoi que ce soit de cohérent.

« Je ne t’offre que ce que tu mérites. Tout le monde doit découvrir que tu es un monstre. »

Les mains plaquées sur les tempes, j’essaie de lier cette voix à quelqu’un. Impossible, mes pensées deviennent floues et inutiles.

« Où est Joey ? »

J’ouvre subitement les yeux, cette fois, je reconnais ma propre voix.

« Ce gosse ? Il n’a eu que ce qu’il méritait. »

Du bout des ongles, je gratte nerveusement les racines de mes cheveux. Qui est cet homme au timbre grave et usé ? Je ne parviens pas à me souvenir.

— Lorène !

Soudain, le brouillard se dissipe, le voile s’efface d’une traite et me renvoie dans ce passage plongé dans une semi-obscurité. À quelques mètres, quatre types toisent nos amis. L’un d’eux maintient fermement Joey contre lui, un couteau à la main tandis que les trois autres plaquent Tristan contre le mur.

Pourtant, malgré l’agitation dans cette ruelle, personne ne bronche.

— Putain, j’arrive plus à bouger ! C’est quoi cette merde ?

Que s’est-il passé ? Je me souviens vaguement d’une intense douleur qui me saisissait les muscles et m’empêchait de me mouvoir. Par réflexe, je tends et contracte mes phalanges pour m’assurer de leur entière possession.

— C’est l’œuvre d’un démon !

Cette remarque m’arrache de ma contemplation. Un démon ? Ils ne doivent pas en croiser tous les jours pour affirmer une telle bêtise. Néanmoins, ils ne semblent pas avoir détecté l’origine de leur paralysie.

— Je ne peux pas bouger non plus, constate Tristan, à terre.

Il me toise du coin de l’œil, tout comme Joey dont le regard traduit une certaine appréhension. Les débris des fenêtres jonchent le sol mouillé et crasseux auquel se mélange le rhum de la bouteille d’une des brutes. Celui-ci étouffe des plaintes sous la douleur de sa main ensanglantée.

Est-ce moi qui suis à l’origine de ce chaos ?

Dérangée par la pénombre, je lève le menton pour observer le lampadaire, démuni de toute lumière.

— Hé ! La gamine blonde peut bouger !

Je baisse la tête aussitôt vers lui, confirmant ses propos. Une certaine tension habite mon corps, je sais que d’un claquement de doigts, le cours des choses peut reprendre et que Joey n’échappera peut-être pas à la lame tranchante de ce cinglé. J’inspire profondément et me conditionne à ce que je m’apprête à faire.

— Putain, les gars, elle a des pouvoirs !

— La ferme, je rétorque, sèchement.

Leurs visages traduisent la colère, l’inconfort et la peur. Si je les effraie suffisamment, ils déguerpiront sans demander leur reste. D’un pas lent, je me rapproche d’eux, le regard fixe.

— Hé, toi, avec le couteau. Tu n’as pas envie de faire un petit tour en enfers ?

Ma proposition indécente n’a pas l’air de l’émoustiller. Il déglutit, en proie à des soubresauts. Je tâche donc de paraitre plus convaincante.

— Non ? Pourtant tu semblais si déterminé à l’idée de tuer ce pauvre garçon. Quelqu’un comme toi ne doit pas avoir peur de mourir, je me trompe ?

Je veux qu’il se chie dessus.

— Toi, sombre âme qui a péché par ses actes, tu ne mérites pas de vivre auprès du commun des mortels.

Ma peau s’embrase, le symbole du Millénium apparait sur mon front. Une sensation grisante s’insuffle au creux de mon ventre. Je me sens toute puissante.

— Qu’est-ce qu’elle fait ?! N-Non, je t’en supplie !

— Au nom du Royaume des Ombres, je décide de t’envoyer dans un endroit si noir

— Je ne veux pas mourir !

Lui servant de bouclier, Joey m’implore de ses yeux. Peut-être croit-il qu’Éléonore se cache derrière ce spectacle. Malheureusement, je ne peux pas lui expliquer la vérité tout de suite.

— Si noir, et horrible que tu n’en sortiras qu’une fois repenti.

— A… arrête ça, grogne le blond. Ils n’en valent pas la peine !

À sa hauteur, je glisse ma main sur celle de ma victime et récupère le couteau. Ses membres sont gelés, à rien de de se décoller. Au lieu d’achever l’incantation, je me tourne vers ses trois comparses.

— Maintenant, vous allez tous vous barrer très loin d’ici et nous laisser en paix. Si je vois ne serait-ce que l’un d’entre vous tenter quoi que ce soit contre mes amis, je n’hésiterai pas à déchaîner ce démon. Suis-je claire ?

L’œil du Millénium les hypnotise au point où ils acquiesceraient pour n’importe quoi.

Leurs hoquets de peur contrastent avec la ferveur montrée plutôt. Ils ne ressemblent plus à des brutes menaçantes, mais à de pauvres chiens effrayés par un orage.

Et cet orage, c’est moi.

Le manche du couteau fermement serré dans ma main, je m’écarte et les défie du regard.

— Allez, dégagez.

D’une traite, je relâche la pression et expire. La chaleur insupportable qui me brûlait les veines se dissipe, vite remplacée par de la glace, mordante. Quand il retrouve possession de son corps, l’agresseur de Joey trébuche en arrière et tombe lamentablement sur le sol. Le blond parvient à éviter d’être emporté dans sa chute. Les autres libèrent Tristan et lèvent les mains précautionneusement en signe de paix. De l’extérieur, cette scène parait invraisemblable. Une poignée d’hommes adultes terrorisés par une simple adolescente. Ridicule. Devant la lenteur de leurs mouvements, je commence à m’impatienter.

— Partez, tout de suite !

Complètement paniqués, ils déguerpissent sur le champ en direction de la shôtengai. Vidées, mes épaules s’affaissent, mes doigts retiennent négligemment la lame. Tristan pousse des gémissements plaintifs en se redressant sur ses jambes, le mur en guise en soutien. Dans les vapes, je ne remarque pas immédiatement que la main de Zoé enserrait mon bras.

— Ne restons pas ici, murmure-t-elle si bas que je crois avoir rêvé.


À bord du tram de retour, nous réussissons miraculeusement à nous dégoter des places assises. Le coude collé contre la vitre, je perds mon regard dans le vague. Les décors urbains me maintiennent éveillée. Je me sens si fatiguée que je doute en mes capacités de me réveiller si je sombre maintenant.

D’où provenaient ces voix ? L’une appartenait à une femme, l’autre à un homme. Toutefois, aucun des deux ne correspond à quelques souvenirs que ce soit. C’est tellement irritant.

— Ça va ?

La demande de Joey demeure sans réponse. Je lui en veux. S’il n’avait pas joué aux cons avec ces types, jamais je n’aurais été obligée d’utiliser les pouvoirs d’Éléonore. D’ailleurs, aucune trace d’elle depuis sa tentative de le tuer. La rancœur a pris le pas sur l’inquiétude, je refuse de leur accorder la moindre attention.

— Je… te rembourserai les frais de réparation.

Les sourcils froncés sous l’incompréhension, je le vois désigner du coin de l’œil la fissure de mon écran de téléphone. Je hausse les épaules. Pour être honnête, je ne savais même pas que c’était de sa faute.

— Dis quelque chose, même si c’est une insulte.

Les lèvres pincées, je m’efforce d’ignorer son ton suppliant. D’abord focalisée sur les secousses du tram, je promène ensuite mon regard du côté de mon voisin. Sa mâchoire rougie présage l’apparition d’un large bleu. Au vu du nombre de coups de poing encaissés, je n’imagine même pas l’état de son ventre sous ce fin t-shirt marine. Naturellement, mon instinct me guide vers son cou malmené, témoin de l’étranglement de l’autre type.

Ce n’est pas passé loin, je pense avec amertume.

— J’ai soif.

Ma réponse dénudée de contexte éclaire son visage. En deux temps, trois mouvements, il se contorsionne pour s’adresser à nos amis, installés un peu plus en amont dans le wagon. À l’instant où nous sommes montés à l’intérieur, Joey n’a pas insisté longtemps pour obtenir la permission de s’asseoir à côté de moi. Fier, il revient et me propose une bouteille d’eau. En silence, je l’accepte et dévisse le goulot pour en vider la moitié d’une traite. Une série de frissons me parcourent l’échine. Le radiateur est sûrement déréglé, j’ai si froid. En quête d’un peu de chaleur, j’emmitoufle dans mes bras et frotte ma peau gelée.


Le soleil s’enfonce à l’horizon lorsque le tram dépose Tristan et Zoé dans une gare proche de Domino City. À l’expression satisfaite sur son visage au moment de la fermeture des portes automatiques, le président du club d’embellissement n’est pas descendu à son arrêt.

— Certains ne perdent pas le nord.

— Ne jamais sous-estimer un mec amoureux.

Amoureux ou pas, il n’est pas au bout de ses peines Zoé. Elle sait se montrer impitoyable en matière de garçons. Il accomplirait l’exploit de devenir son premier petit-ami depuis notre rencontre.

Le ciel se voile d’obscurité quand nous achevons notre voyage d’un jour. Le long du chemin à proximité de la rue commerçante, j’enfonce mes ongles dans les sangles de mon sac à dos et serre les dents. Je n’ai pas pris part à la bagarre, mais mes muscles tétanisés peinent à se remettre. Contrecarrer la puissance d’Éléonore a requis un effort incommensurable. De la racine de mes cheveux à mes orteils, des crampes se réveillent au fil de mes pas. La douleur lancinante me fait tourner la tête.

— Lorène, m’appelle Joey, trois mètres devant.

Alors que je contemplais mes chaussures, je croise les yeux noisette du duelliste. La lumière des lampadaires souligne les séquelles de la bagarre. J’évite soigneusement de m’y attarder.

— Je sais que tu m’ignores à cause de tout à l’heure.

Il aura fallu le temps.

— Bravo Sherlock. Franchement, à quoi tu jouais ? Tu aurais pu te faire tuer !

L’image de cette lame à quelques centimètres de sa carotide resurgit dans mon esprit. Je la chasse aussitôt.

— J’ai merdé.

J’acquiesce vivement. Joey réduit la distance et s’arrête à ma hauteur. Au milieu du trottoir, quelques rares passants nous contournent, mais nous ne leur prêtons pas attention. Tout ce qui m’obnubile à présent, c’est le désir viscéral d’Éléonore de se débarrasser de lui.

— Est-ce qu’elle —

— Ton vœu l’a agitée.

Pour rien au monde, je ne souhaite revivre cette prise d’autorité.

— Elle… m’a complètement dépossédée de mon corps. Je ne pouvais plus bouger.

Je lui relate dans les détails mes difficultés à me libérer de son emprise. Elle a composé le numéro de la police sans le moindre problème.

— Son esprit me hurlait que tu devais mourir. C’était terrifiant.

— Mais tu l’en as empêché.

— Et si j’avais échoué ? je lance, essoufflée. Si je ne m’étais pas servi de ces pouvoirs comme l’indiquait cette foutue note, peut-être qu’on ne serait plus là pour en parler !

Une lueur d’espoir nait dans ses yeux.

— Tu te souviens de quelque chose ?

Lasse, j’examine les environs avec minutie.

— Pas ici.

Naturellement, nous nous aventurons jusqu’au parc le plus proche de ma maison. Sur le chemin, je me surprends à éprouver un sentiment familier. Certes, nous traversons mon quartier, mais j’ai comme une vague impression de déjà-vu lorsque nous nous posons sur le dossier d’un banc à l’aube des balançoires.

Téléphone en main, je relis mes trois notes à voix haute, veillant à capter chaque réaction de Joey. La partie concernant Mokuba me rend passablement triste. Le pauvre, je suis sûre que Kaiba ne lui a rien expliqué pour lui faire croire que je l’ai oublié, encore. À la fin de ma lecture, je sens mon ami plus détendu.

— C’est donc pour ça que le Tam-Tam est fermé ? Parce que j’ai envoyé madame Yoshida au Royaume des Ombres ?

Il déglutit et hoche perceptiblement le menton.

— O-Ouais…

— D’autres choses que je devrais savoir ?

D’habitude sûr de lui, le duelliste se fond peu à peu dans un silence énigmatique. Quelque chose cloche. Tout à coup, il me présente sa main.

— Est-ce que je peux consulter tes messages ?

Le rouge me monte aux joues, je retire mon téléphone de sa portée.

— Tu es fou ?! Le portable d’une fille renferme tous ses petits secrets ! Tu crois sérieusement que je vais me risquer de te le donner ?

Outré, il démarre au quart de tour.

— T-Tu me prends pour quoi ?! Je ne suis pas un pervers ! Je veux juste lire la dernière note pour vérifier ce qu’elle contient !

Les bras croisés, il détourne rageusement son regard vers le portail du parc.

— Je te proposais simplement mon aide.

Son air boudeur me fait redescendre sur terre. Il n’a pas tort. Je me plains sans arrêt de la disparition de mes souvenirs et je ne suis pas foutue d’accepter son appui. D’un geste fébrile, je lui tends mon téléphone déverrouillé.

— Fais vite s’il te plait.

Joey le saisit de volée et rentre les deux pieds dans ma vie privée. Le sentiment d’être mise à nue devant quelqu’un est désagréable. Je ne peux m’empêcher de me pencher pour lorgner l’écran. Il se décale alors afin de me barrer la vue.

— C’est si grave que ça ? je m’enquiers, anxieuse.

Une boule se forme au niveau de mon estomac.

— Tu avais raison, ce n’est écrit nulle part.

Ses conclusions me paraissaient floues.

— Qu’est-ce que je n’ai pas écrit ?

— Nous deux, tu ne me mentionnes pas.

— J’aurais dû ? je réponds du tac au tac.

Il échappe un gémissement désabusé. L’heure est venue de clarifier certains détails.

— Comment pourrions-nous être ensemble alors que Yugi m’a bécoté deux fois ?

Son visage se crispe, il me considère tel un ahuri.

— D-Deux fois ? Comment ça deux fois ?

Je lui raconte brièvement la fin de mon premier rendez-vous avec le champion puis enchaîne sur le baiser que nous avons partagé dans ma chambre.

— Tu dois te tromper, ce n’est pas toi qu’il a embrassé. C’est même impossible que tu t’en souviennes !

Je fronce les sourcils à mon tour. Pour une fois que je me remémore quelque chose avec plus ou moins de précision, on clame le mensonge.

— Tu me traites de menteuse ?

— Non, mais Yugi m’a tout raconté. Il avait l’air embarrassé et avait peur que je lui en veuille. C’était un plan du pharaon pour récupérer l’œil du Millénium. Il ne t’aime pas comme ça, c’est évident.

Ses propos catégoriques me font l’effet d’une douche froide.

J’aimerais réfuter ses affirmations, mais les réactions de Yugi vont dans son sens. Pour être honnête, je pense que le plus blessant dans cette histoire, c’est de savoir que cette particularité de posséder un esprit maléfique, le jeune homme ne s’intéresserait pas à moi. Sans se douter de mes réflexions négatives, Joey me rend mon téléphone.

— Tiens, veille à ne pas l’ouvrir sans Zoé ou moi.

Seule dans ce parc, j’aurais pu lui demander de m’assister pour découvrir tout de suite le contenu de cette note. Un long soupir s’exfiltre de mes lèvres. Je suis lessivée, autant physiquement que psychologiquement. Je ne suis clairement pas prête pour un autre coup de massue.

— Entendu, je souffle. Je crois que je vais rentrer et me trouver une excuse pour l’absence d’aujourd’hui.

— Tu veux que je te raccompagne ?

L’envie d’un peu de solitude me pousse à décliner son offre. J’évite de croiser son regard et enfile une des sangles de mon sac à dos.

— Hé, si jamais tu te remémores de quoi que ce soit, fais-moi signe.

« Joey ? Il n’a eu que ce qu’il méritait. »

— J’ai… fait beaucoup de tort autour de moi, pas vrai ?

Face à son hésitation, je creuse ma réflexion un peu plus loin.

— Est-ce que je t’ai fait du mal ?

Ma question sonne faux. Pourquoi investirait-il autant de temps d’énergie dans ce cas ? Mon assurance s’évanouit quand il enfonce ses mains dans les poches de son pantalon.

— Qu’est-ce que j’ai ?

— Je ne sais pas, ment-il, épuisé.

Un sourire triste voile son visage. Il n’a pas envie de me blesser, ça se lit à des kilomètres. Je frotte les paumes contre mes jambes pour retrouver un tant soit peu de chaleur, mon esprit vagabonde dans une marée de questions.

— Au fait, c’était quoi ton vœu ?

Je hausse les épaules. Impossible d’en parler avec lui, ce serait trop embarrassant.

— Je veux devenir riche.

Notre voyage s’achève ici, dans ce parc. De retour chez moi, pelotonnée dans mes draps, je continue à me demander si c’était une bonne journée ou pas.


Le lendemain, au pied du portail de la cour, je lorgne avec envie le trottoir que je viens de traverser. En dépit de la fin catastrophique de notre passade à Togoshi, je regrette désormais de devoir rentrer dans les rangs. La cloche ne va pas tarder à sonner, je me résous à rejoindre les casiers d’un pas lent et triste.

— Éléonore !

Un violent frisson me secoue les entrailles, je me fige à quelques mètres de l’entrée. Agitée, je cherche désespérément l’origine de l’appel. Qui a osé dire ça ?

— Oui, c’est elle !

Pour une raison que j’ignore, des étudiants accourent du terrain de basket adjacent et forment une masse autour de moi. Ma gorge se noue tant je ne m’explique pas un tel attroupement pour m’accueillir. Cependant, quand l’un des garçons décide de s’approcher un cahier et un stylo à la main, je commence à comprendre.

— Est-ce que je peux avoir un autographe s’il te plait ?

J’ai envie de mourir, là tout de suite. Que quelqu’un creuse un trou d’un mètre cinquante-huit et me recouvre de sable crasseux jusqu’à ce que ma tête disparaisse ! Écœurée, je ne réagis pas. Le monde ne tourne pas rond.

— Pegasus-senpai ? tente-t-il en levant son cahier un peu plus haut.

Pegasus. Pegasus. Pegasus.

— Poussez-vous ! s’exclame une voix énervée derrière la houle orange.

Dans cette marre noire, une lumière surgit : un soleil au doux nom de Soso Hirae. Sans vergogne, elle chahute le garçon et attrape mon poignet dans le but de m’emmener dans l’enceinte de l’établissement.

— M-merci, je bredouille, la bouche sèche.

— Ne me remercie pas tout de suite, tu n’as pas encore tout vu.

Je déglutis, mes mains deviennent moites au fur et à mesure que nous progressons dans les couloirs bondés du lycée.

À mon plus grand dam, mon étiquette est sur toutes les lèvres. Des inconnus m’épinglent, rapidement chassés par la détermination et les coups d’épaules de la brune. Arrivées à mon casier, je saisis désormais ce qu’elle insinuait par « tu n’as pas tout vu ». Des bouts de papier débordent, ou plutôt des lettres et des post-its sauvagement glissés entre les interstices. Ébahie, je me frotte les yeux pour vérifier que je ne nage pas en plein rêve.

— Non, c’est un cauchemar, je geins.

Devant la porte du casier, je peux lire des félicitations et d’autres demandes écrites sur des morceaux de feuilles déchirées. Éléonore. Ce nom revient partout, beaucoup trop à mon goût.

— Je te déconseille de l’ouvrir, murmure Zoé dans mon dos.

Cela tombe bien, je ne comptais pas mourir sous une avalanche de papier.

Les cours se déroulent dans une atmosphère particulière. En l’absence de ma légendaire et robuste garde du corps, mes camarades n’hésitent pas une seconde à interrompre la leçon pour me glisser des messages. De toute façon, il n’y avait plus de place dans mon casier pour les accueillir. Les rares fois où je me risque à satisfaire les demandes du professeur, tous les regards se braquent sur moi, plus que nécessaire. Étonnement, seule Kaoruko maintient une attitude naturelle à mon égard. Elle se contente de hausser les épaules et de glousser à chacune de mes mauvaises réponses.

C’est triste à dire, mais c’est le plus rassurant de toute cette histoire.


À la fin des cours, Zoé et moi empruntons une issue de secours pour désamorcer les paparazzis postés à l’entrée. Il est hors de question de revivre la même gêne que ce matin. J’ai dû me résoudre à passer mon temps de midi dans les toilettes pour filles afin de ne pas retenir l’attention. Alors qu’elle scrute les environs pour s’assurer que la voie est libre, mon amie m’envoie un regard désolé.

— Je crois que tu n’y couperas pas cette fois. Il reste des téméraires par là. À moins d’escalader la grille, je ne vois aucune possibilité de les semer.

Sa proposition ne semble pas si farfelue à mes yeux.

— Avec un peu de chance, je me romprai le cou en tombant de l’autre côté.

Son air sévère m’en dissuade. Irrité par la situation, je pousse un bruyant soupir et m’adosse à la porte de secours.

— C’est incroyable que du jour au lendemain, les gens me considèrent presque comme une divinité ! Tout ça à cause d’un pauvre duel que j’ai perdu ! Ils devaient se foutre de ma gueule plutôt que de m’aduler !

Je suis littéralement à deux doigts d’avouer préférer les insultes de Kaiba à ces messages d’amour.

— Cela m’étonnerait que le match soit l’unique raison d’un tel dévouement. Je crois plutôt que c’est à cause de ton nouveau nom de famille.

Pegasus. Bien sûr. Et dire que cela aurait pu être largement évité si ce connard de Kaiba avait décidé d’utiliser mon vrai prénom. Je suis certaine qu’il savait très exactement ce que j’allais vivre et qu’il s’en délecte quelque part dans sa tour de princesse.

— Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant ?

Les paupières closes, je songe à une solution rapide et efficace pour mettre un terme à ce cirque. Malheureusement, seule une personne aussi puissante que Kaiba qui accepterait de me venir en aide.

— Je vais rendre visite à mon cher nouvel oncle.

Après tout, il a dit devoir me rendre service.

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