Âme de Pureté

Chapitre 55 : Eveil: chapitre 55

3059 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 15:13

Quand je m’imaginais retrouver ma ville de prédilection, je me voyais plutôt arpenter les rues de Flem avec un certain apaisement, au milieu d’une après-midi ensoleillée. J’admirais les cerisiers en fleurs déverser leur lot de pétales rosées à mes pieds tandis que je me baladerais sans but, hésitant à entrer dans telle ou telle échoppe pour au final me contenter de fixer les vitrines avec envie.

Non, au lieu de ça, je pédale frénétiquement au son des klaxons et autres exclamations pour une histoire de morts revenus à la vie.

Qu’est-ce que c’est chouette de vivre dans un monde où tout est possible.

Je grogne tout en évitant un piéton qui a eu l’audace de vouloir traverser sur le passage aux bandes blanches. J’envoie valser ce qui me semble être une insulte et m’efforce d’accélérer la cadence à l’entrée d’un énième carrefour.

Yoshida, réveillée ? Cela me parait improbable. La dernière fois que je l’ai vue, elle était allongée dans un lit d’hôpital, pâle et inerte, reliée à une aide respiratoire. Durant ma traversée, je souhaite intérieurement qu’il ne s’agit là que d’une hallucination de Zoé. Après tout, elle vient juste de se remettre du Sceau d’Orichalque, il se peut qu’elle n’ait plus tout sa tête !

Lorsque je parviens enfin à la place principale de Flem, mon cœur oscille entre joie et appréhension. En plein milieu de semaine, les bars et pubs ne regorgent pas d’autant de monde que le week-end. Il ne me faut pas plus de dix secondes pour repérer la silhouette grande et fine de Zoé, adossée à la vitrine éteinte d’un magasin d’antiquités. Son visage s’illumine quand elle me remarque à son tour. Je pédale doucement jusqu’à sa hauteur et descends de mon fidèle destrier, non sans une grimace d’inconfort à un endroit que je ne détaillerai pas.

- « C’est combien le tarif chez toi ? » Siffle-t-elle à la vue de mes vêtements.

Zoé pourrait me sortir les pires insanités du monde, je ne ressentirais aucune colère à son égard. Au contraire, l’entendre se moquer de mon accoutrement déclenche en moi une envie insatiable de la prendre dans mes bras, ce que je fais aussitôt. Elle a maigri, son tour de taille me l’indique. J’enfouis mon visage dans son épaisse chevelure brune et respire son odeur de menthe. Ses bras s’enroulent autour de mes épaules, mais contrairement à moi, elle se contente de me tapoter le dos dans un geste affectueux.

- « Pas en public, Lorène, on pourrait nous surprendre. »

Je pouffe doucement et la libère de mon câlin. Des poches se forment sous ses yeux. Etrange pour quelqu’un qui a dormi pendant plusieurs jours d’affilés. En revanche, ce n’est pas ce qui m’étonne le plus en ce moment.

- « Yoshida ? » Je lance, peu sûre de moi.

Son regard s’éclaire, comme si elle venait de se souvenir de la raison de notre présence ici. De son index, elle pointe le bar de l’autre côté de la rue, à quelques mètres de la place. Je reconnais sans mal le Tam-Tam, pub spécialisé dans les cocktails dans lequel nous avons travaillé durant plusieurs mois avant… avant un petit accident de rien du tout qui a plongé la patronne dans le Royaume des Ombres.

- « On dirait que son voyage est terminé. » Commente Zoé, face à mon silence.

- « J’aurais aimé qu’elle le prolonge un peu… 

- Tu crois qu’elle est revenue d’entre les morts pour nous punir de ne pas avoir fait le tapin pour elle ? »

Je lui assène une petite frappe sur l’épaule, réfrénant un sourire en dépit de la gravité de la situation.

- « On devrait prévenir Joey et Tristan. 

- Hors de question. » Je proteste vivement. « Pourquoi s’alarmer ? On ne sait même pas si ses souvenirs de la soirée sont intacts ! »

La brune secoue énergiquement la tête.

- « Et tu vas faire quoi si c’est le cas et qu’elle va tout raconter à la police ? »

La police.

- « Oh merde. Zoé. 

- Quoi ?

- Si Yoshida est sortie du Royaume des Ombres, cela signifie que toutes les personnes qui y étaient par ma faute le sont aussi ! »

Elle me dévisage quelques secondes, le temps qu’un groupe de lycéens nous contourne en riant à gorges déployées.

- « Tu te sens bien, Light Yagami ? 

- Très drôle… »

Mon attention se reporte sur les vitrines du bar où règne une atmosphère chaleureuse mais perturbante vue de dehors. La défaite de Dartz aurait-elle permis aux âmes piégées dans le Royaume des Ombres de s’échapper ?

Cela ne fait qu’un jour tout au plus. Personne ne peut s’en remettre aussi vite et reprendre son activité comme si de rien était.

On parle de Yoshida, rien n’est jamais normal avec elle. Je glisse mes mains dans les poches de ma veste pour les réchauffer.

- « Rentrons. 

- A l’intérieur ?

- Non, chez nous ! Ce serait de la folie de s’inviter dans le bar sans savoir ce qu’il en retourne ! »

Aux paires d’yeux qui se tournent dans notre direction, je remarque que je suis presque en train de crier. Zoé me lance un regard compatissant et hausse les épaules.

- « Comme tu veux. Rentre, tu dois être fatiguée.

- Tu peux le dire, le voyage en jet m’a lessivée.

- Ah, ces problèmes de riches…

- La ferme. »

D’un commun accord, nous nous éloignons chacune de la place de Flem. Elle à pieds, moi au dos de mon nouveau destrier de métal.

Durant tout le trajet, mon cœur tambourine frénétiquement contre ma poitrine. L’euphorie de revoir Zoé est retombée aussi vite qu’un soufflé raté. Un coup de klaxon m’alerte d’un énième feu rouge brûlé. En guise de réponse, j’enfonce ma pédale et zigzague entre les voitures engagées dans le carrefour. Mon crâne est plein et vide à la fois. Mes mouvements sont mus par l’instinct plutôt que par réflexions. Madame Yoshida, Monsieur Kageyama… Sont-ils si simplement revenus à la vie ? J’ai du mal à y croire. Après avoir observé la déchéance du corps de mon ancienne patronne dans un garde-meuble froid et sale, je ne pourrais plus jamais la regarder dans les yeux sans y voir son corps pâle et odorant.

Un instant, mes paupières se ferment sous cette image insupportable et mon guidon dévie brusquement sur le trottoir. De violentes crampes me contractent les mains et me forcent à redresser mon vélo afin de ne pas chuter.

Merci Eléonore.

Je viens de te sauver la vie, tu me dois quelque chose maintenant.

Je préfère encore m’exploser la gueule contre le bitume que de te devoir quoi que ce soit. Surtout depuis que tu as essayé d’étrangler Yugi de mes propres mains.

Arrivée en contrebas de la rue commerciale, je décide de descendre de ma bicyclette et de poursuivre mon chemin à pied. La série de lampadaires me semble interminable, mes poumons se vident à chaque pas de mon ascension. Cette sensation de fraicheur au plus profond de ma poitrine dissipe durant quelques minutes les doutes et peurs qui m’assaillent depuis plusieurs jours. Au détour d’une rue, j’aperçois ma maison. Mon pas ralentit progressivement, tellement que je m’arrête une dizaine de mètres sur le trottoir voisin. L’herbe est tondue, la barrière ouverte, les volets tirés. Ma maison était-elle si petite quand je suis partie ?

- « Bienvenue chez soi. » Pépie Eléonore en tapotant le caoutchouc du bout des ongles.

Elle me pousse en avant, pour m’insuffler le peu de courage qu’il me manquait. J’enchaine les derniers pas qui me séparent de la petite allée et dépose mon vélo sur la barrière après l’avoir refermée. Mes mains tremblent doucement. Je les serre en poings le long de mes hanches et inspire profondément. Ça y est, il est temps d’assumer.

Lorsque j’insère la clé dans la serrure, je compte jusqu’à trois avant de la déverrouiller et d’entrer. Une forte odeur de viennoiseries emplit mes narines. Je ne remarque cependant aucune lumière, ni dans la cuisine, ni même à l’étage. Maman doit dormir. Mais aussitôt ai-je glissé le premier pied en direction de l’odeur que la lampe du salon s’allume brusquement. Je déglutis et lâche mon sac quand la silhouette s’en dégage.

- « Lorène Olivier Yuurei. »

Mes poils s’hérissent et je me fige comme un I. Ma mère n’évoque mon deuxième nom qu’en cas de force majeure. Je me cambre brusquement en avant et joins mes mains en signe de rédemption. Elle s’avance lentement jusqu’à ma hauteur. Fixant ses chaussons violets avec un certain intérêt, je n’ose pas relever la tête pour croiser son regard que j’imagine meurtrier.

- « Dans la cuisine, tout de suite. »

Son ton menaçant ne laisse aucun doute sur la tempête que je suis sur le point de subir. Ma gorge sèche peine à déglutir, obstruée parce que je ne nommerais « la trouille de ma vie ». Tel un robot, je la suis dans l’autre pièce, enivrée par les émanations de croissants chauds. Un instant, je me demande s’ils ont été cuisinés rien que pour moi, mais chasse cette pensée. La chaise crisse sous mon poids, je pose mes mains sur la table et gratte mes ongles sous le stress. Eléonore, sauve-moi.

Tu peux me demander de venir à bout de n’importe quoi : un être maléfique, un pharaon, un guerrier russe, mais pas la colère d’une daronne.

Bah merci pour la solidarité.

- « Lorène. »

Je me redresse brutalement. Les yeux bleus intenses de ma mère me brûlent la peau. Elle me toise de haut en bas, évaluant certainement ma nouvelle tenue, Ô combien légère pour une fille de mon âge.

- « O-Oui ? »

Je ne cherche plus à dissimuler mon embarras.

- « Qu’ai-je fait pour que tu agisses ainsi ? »

Si je me sentais coupable en franchissant le seuil de l’entrée, ce n’est rien à côté de ce que sa demande déclenche en moi. Sa voix n’est teintée d’aucun reproche, d’aucune animosité, pas la moindre trace de colère pourtant justifiée vu la situation. Devant mon absence de réaction, elle poursuit :

- « Je fais des pieds et des mains pour nous permettre de vivre dans un confort suffisant et propice à tes études, je te paie des cours de soutien – auxquels tu ne vas plus, c’est indéniable, et quand je rentre à la maison, tout ce que trouve c’est un mot de ta part qui dit que tu pars. Où ? Aucune information. Avec qui ? Non plus. »

Si seulement je pouvais m’enfoncer si profondément dans ma chaise qu’elle fusionnerait avec moi. Malgré mes appels à l’aide, Eléonore reste aux abonnés absents.

- « Lorène. 

- Oui, je sais. » Je réponds un peu trop sèchement. « Je me rattraperai au prochain semestre, c’est promis ! 

- Là n’est pas la question, Lorène ! » Reprend-t-elle énergiquement. « Il n’y a pas que l’école qui m’inquiète. Ecoute, j’ai discuté avec ton père. Je pensais que tu étais retournée le voir. »

Papa ? Ma dernière discussion avec lui remonte à plusieurs fois. Nous avions prévu de discuter au moins une fois par semaine après notre départ pour le Japon. Malheureusement, dans la réalité, je ne l’ai appelé qu’une dizaine de fois tout au plus. 

- « Je ne voulais pas en arriver là, mais je ne parviens plus à te canaliser. Je comprends que tu fasses ta crise d’adolescence comme tous les jeunes de ton âge. Mais si les choses ne se calment pas rapidement, tu retourneras chez ton père quelques temps. »

Un peu ébahie, je fronce les sourcils. Ma crise d’adolescence se résume jusqu’ici à combattre des inconnus en Duel de Monstres pour sauver le monde. Il y a bien pire que moi.

- « Tu peux me regarder comme ça, ton père et moi sommes du même avis. » Ajoute-t-elle d’un ton sérieux. « Nous sommes tes parents, je te rappelle. »

Sa dernière phrase me décoche un petit sourire en coin. Les images de mes rêves et fragments de mémoire resurgissent immédiatement dans mon esprit. Les coups de feu, l’orphelinat, Maximilien Pegasus. Je songe à lui balancer tout ça à la figure, mais me rétracte dans la seconde.

- « Je t’aime, maman. »

Quoi ? Mon visage se décompose en même temps que celui de ma mère. Je maudis Eléonore et ses idées à la con.

Un jour tu me remercieras. Montre plus de respect envers tes ainés, veux-tu.

- « Moi aussi ma chérie. »

Désormais, ses traits sont complètement détendus et elle me gratifie d’un sourire chaleureux. Mon cœur semble vouloir s’échapper de ma poitrine sous une espèce de joie indescriptible. Le souffle coupé, je suis ma mère du regard quand elle se lève et me propose de manger avant de me coucher. Demain, je devrais me rendre au lycée pour un entretien avec mon conseiller, celui qui s’occupe de mon dossier depuis mon arrivée à Flem. J’appréhende d’ores et déjà cette entrevue. Du plus loin que je me souvienne, mes résultats n’ont jamais été très glorieux et la situation s’est aggravée depuis deux mois.

Désormais seule, je décide de m’emparer de quelques viennoiseries et de me trainer jusqu’à ma chambre. M’affaler sur mon lit me parait irréel. Je ne compte plus les nuits où mon corps se pliait au confort sommaire des bancs, canapés et sièges d’avion. Mes membres lourds s’enfoncent dans le matelas moelleux. Je lâche un gémissement de plaisir puis constate les vibrations de mon téléphone contre mes côtes.

- « Quoi encore ? » Je grogne, rapprochant l’écran de mon visage à moitié caché dans mon coussin.

Numéro inconnu, je choisis malgré tout de décrocher.

- « M’allô ? 

- Yuurei, tu vas ramener immédiatement ramener ton cul dans mon tournoi. 

- K-Kaiba ? »

Mon exclamation s’étouffe au fond de ma gorge. De toutes les personnes qui pouvaient m’appeler à une heure pareille, Seto Kaiba figurait à la fin de ma liste.

- « Tu ne peux pas décliner mon invitation.

- Eh bien c’est justement ce que j’ai fait. Maintenant, j’aimerais dormir, Kaiba. Bonne nuit.

- Ne raccroche pas. »

Son air autoritaire se fait sentir à des kilomètres. Cependant, probablement à cause de mon envie de l’entendre galérer à m’inviter dans ton tournoi, j’attends patiemment qu’il continue.

- « Tu as peut-être battu Rafael, mais c’était un coup de chance. En tant que duelliste, tu te dois de participer à mon tournoi et de révéler à tout le monde la piètre duelliste que tu es. »

Il sait s’y prendre avec les filles, j’en suis époustouflée.

- « Kaiba, tu penses vraiment qu’en m’insultant je vais accepter ta proposition ?

- Ça marche bien avec l’idiot qui t’accompagne. »

Touché. Je me doutais bien que Mokuba lui rapporterait mon baiser avec Joey. En revanche, nous insulter tous les deux ne risque pas d’arranger ses affaires.

- « Si tu participes, je te raconterai ce que tu veux savoir sur l’orphelinat. »

Ma main se referme sur mon téléphone. En proie à une vive colère, je roule sur mon dos et me mords la lèvre inférieure. Quel connard, décidément.

- « Qu’est-ce que ça peut te foutre que je participe ou non à ton tournoi ? Tu n’y participes même pas.

- Si Yugi est réellement un champion, il te battra et je pourrai lui soutirer le titre qui me revient de droit. »

Alors à ses yeux, je suis incapable de porter le titre de Reine des Jeux ? Un râle rauque s’échappe de ma gorge. Ce type me dégoûte à un point inimaginable. Si je n’avais pas vaincu Rafael, jamais il ne m’aurait proposé de me dévoiler une partie de mes souvenirs enfouis.

- « Je t’envoie un hélicoptère à la première heure.

- Garde-le pour toi Kaiba. Va crever. »

Sur ce, je raccroche et envoie valser mon téléphone plus loin. Qu’est-ce qu’il peut être énervant ! Comment un homme peut-il accumuler autant de défauts et détenir autant de pouvoir à son âge ? Il est clair que je ne participerai pas à son tournoi. Ni maintenant, ni jamais.

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