Âme de Pureté

Chapitre 34 : Corpse Party: chapitre 34

4726 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 14:59

Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec le célèbre champion de Duel de Monstres : Yugi Muto.

 

Au bout d’une quinzaine de tentatives, je ne parviens toujours pas à réaliser ce qu’il va se passer aujourd’hui ! Face à mon miroir, j’abandonne tout contrôle sur mon corps pour permettre à Eléonore de sélectionner sa tenue dans ma penderie.

- « Beaucoup trop sage tout ça. »

Ses mains virent une à une mes tenues favorites de l’armoire pour ne garder qu’un top semi-transparent noir et une mini-jupe à volants de même couleur. Le peu de pudeur qu’il me restait s’envole quand elle enfile des bottes à talons surmontés de chaussettes hautes montant jusqu’à mi-cuisse, dévoilant partiellement ma peau. Sans aucune gêne, elle récupère une des vestes en cuir de ma mère et admire le résultat dans le miroir de la salle de bain.

- « Je sais ce que tu te dis : oh par Râ, je peux être jolie en fait ! 

- Non, je me demandais combien je devrais réclamer si on te demande tes tarifs. »

Ma pique ne l’effleure même pas. Au lieu de ça, elle s’empare de plusieurs produits de beauté pour donner plus de volume à mes cheveux blonds.

- « Qu’est-ce que vous avez toutes à vouloir des cheveux raides, franchement. »

Une touche de maquillage et madame est enfin prête pour son rendez-vous. J’ai beau ne pas apprécier son petit jeu, je n’en suis pas moins excitée d’en découvrir plus au sujet du pharaon. Même si nous partageons mon corps depuis un petit moment, Eléonore s’évertue toujours à me dissimuler son passé alors qu’elle connait tout du mien. D’ailleurs, je me demande ce que ressent Yugi à l’heure qu’il est. Tout comme moi, il va devoir se mettre au second plan au profit de l’esprit du puzzle du Millénium. Quand je lui ai proposé cette idée de rendez-vous, je n’ai pas eu à aligner le moindre argument pour le convaincre. Atem est prêt à tout pour connaître son passé, pour le plus grand plaisir d’Eléonore. Parfois, je me demande si elle tient réellement à lui ou si son petit jeu n’a pour but que de l’amuser.

- « Tu peux arrêter de monopoliser ma tête ? Merci. 

- Hé oh, ça reste mon corps et donc ma tête, je te rappelle. Alors permets-moi de mettre quelques petites limites avant que tu ne t’autorises à faire n’importe quoi avec mon corps. »

D’après l’expression qu’elle renvoie dans le miroir, elle ne croit pas un seul instant à mon soudain regain d’autorité.

- « Premièrement, pas de meurtre. On a assez donné avec les cadavres à cacher pour en avoir de nouveaux sur les bras. 

- Je le jure. » Se moque-t-elle en levant solennellement la main droite tout en posant la jumelle contre sa poitrine.

- « Deuxièmement, pas d’attentat à la pudeur. Cela implique tout ce qui concerne les attouchements, consentants ou non, et tout ce qui pourrait m’humilier.

- Je ne lècherai pas ses pieds, si c’est ce qui t’inquiètes. »

Je tire la langue avant de brandir mon majeur avec les deux autres doigts.

- « Troisièmement, mh…

- Troisièmement, je jure sur la vie que je n’ai plus de ne pas lui lancer plus de dix sous-entendus sexuels de tout le rendez-vous. »

Le gloussement qui s’échappe de ses lèvres en dit long sur ses intentions. N’étant désormais que l’ombre de moi-même, je n’ai d’autres choix que de fermer les yeux sur toute cette journée qui s’annonce très longue.

 

Lorsque les portes du train s’ouvrent sur la gare de Domino, je ressens une certaine tension qui me comprime la poitrine. Eléonore se mord nerveusement les lèvres tandis qu’elle descend les marches de la gare, direction le centre-ville.

- « T-Tu es sûre que c’est par-là ? »

Des gens qui marchaient à côté se retournent et me dévisagent étrangement.

Chut ! Pas en public, n’oublie pas la règle numéro deux !

Ah… Oui.

Le bout de mes doigts tapote longuement le haut de ma jupe. Serait-il possible qu’Eléonore soit… intimidée par l’idée de rejoindre le pharaon ?

Je ne vois pas de quoi tu parles. Je suis on-ne-peut-plus confiante sur l’issue de ce rendez-vous !

Même dans mes pensées je ne crois pas une seule seconde à ses paroles. Par chance, la météo s’annonce clémente en ce jour béni des Dieux.

Et après c’est moi qui en fais trop.

Chaque vitre croisée sur le chemin est une occasion pour Eléonore de se recoiffer ou de réajuster l’une ou l’autre chaussette. Au moins, ce que je dois lui reconnaitre, c’est qu’en changeant ainsi de style vestimentaire et capillaire, je ne risque pas d’être reconnue si facilement.

Arrivée sur la grande place de Domino où Zoé et moi avions gambadé une semaine auparavant, je remarque directement où se trouve Atem. Il faut dire qu’avec sa coupe de cheveux singulière, il est plutôt facile de le déceler dans une foule, même un samedi après-midi comme celui-ci. Eléonore inspire profondément puis s’avance à grands pas vers sa cible. Il ne semble pas nous avoir remarqué car il lance des regards dans la direction opposée. Il a troqué son uniforme de lycéen pour un débardeur et un jean noir accompagnés de quelques bijoux dorés. Dès qu’Eléonore franchit les derniers mètres qui les séparent, je sens en moi un brusque regain de confiance.

- « Coucou Chaton. » Siffle-t-elle d’une voix enjôleuse.

Atem sursaute et se retourne, l’air surpris. Sa main se porte instinctivement sur la chaine du puzzle qu’il garde autour du cou.

- « Bonjour Eléonore. Que… Que veux-tu qu’on fasse ? »

Balayant des yeux toute la place, Eléonore s’arrête sur la terrasse où Zoé et moi avions partagé un cocktail avant de nous rendre dans le café de Joey. Ni une, ni deux, elle glisse son bras sous celui du pharaon et l’y entraine tout naturellement. Le pauvre, il n’ose même pas la contredire tant il espère qu’elle lui révèle des informations capitales sur son passé.

- « Ne t’en fais pas, pharaon, je ne vais pas te manger. Du moins, pas tout de suite. »

Et d’un sous-entendu. Je sens que la limite va rapidement être dépassée. Elle lui adresse un sourire coquin auquel il reste de marbre. Mon petit doigt me dit que je n’ai pas fini d’assister à des scènes malaisantes aujourd’hui. Sans un mot, ils s’installent autour d’une table un peu isolée des autres. A peine a-t-elle pris la carte d’assaut qu’Eléonore pouffe discrètement.

- « Evidemment, vu que c’est moi qui t’ai trainé ici, c’est moi qui paie.

- Hé, ce n’est pas ton ar… !

- Tu as entendu quelque chose ? On dirait qu’une personne ne tient pas son engagement. »

Ma tentative de sauver mon portemonnaie tombe à l’eau. Dommage que le pharaon ne puisse pas me voir, je lui lance des signaux de détresse depuis ma forme fantomatique. Lorsque le serveur note leur commande et s’en va, la situation devient soudainement tendue.

- « Eléonore, j’aimerais comprendre ce qu’il se passe. »

Elle pose sa tête dans le creux de ses mains.

- « Il va falloir être un peu plus précis. 

- Qui es-tu ? »

De toutes les questions qu’il aura pu poser en première, jamais je n’aurais deviné qu’il choisirait celle-ci. Pourtant, cela ne décontenance pas Eléonore d’un poil.

- « Je m’appelle Eléonore, enchantée. » Glousse-t-elle en lui tendant sa main.

- « Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je veux savoir d’où tu me connais, quelle était notre relation quand j’étais pharaon. »

Voilà une question bien plus intéressante. Eléonore reprend sa main laissée vide et la ramène le long de sa joue. Durant un long moment, elle semble hésitante à l’idée de lui répondre.

- « Je n’étais rien pour toi, désolée de te l’apprendre. » Finit-elle par balancer à l’instant où le serveur dépose la commande sur la table.

Dans le camp adverse, Atem esquisse un mouvement de recul. Il la fixe intensément alors qu’elle sirote distraitement son jus de fruits à la paille.

- « Je ne comprends pas… » Grogne-t-il en fermant les yeux. « A t’entendre, j’avais l’impression que je t’avais trahie par le passé. »

Elle lui répond par un soupir bruyant et ennuyé. Au fond, je ressens sa profonde envie de lui révéler tout ce qu’il désire connaître. Mais cette envie se heurte à son plaisir de s’amuser de son amnésie.

- « Tu m’as retiré ce que j’avais de plus cher. Peut-être que je devrais profiter de ton état actuel pour me débarrasser de toi pour toujours. Ce serait plutôt logique, tu ne trouves pas ? »

Sauf que cela va à l’encontre de la règle numéro une.

Regarde la peur dans ses yeux. On dirait un petit animal fragile.

- « J’étais donc un horrible pharaon… ? 

- Tu étais à la hauteur des gens qui te conseillaient, les mêmes qui ont ordonné l’exécution de Bakura, j’imagine. »

Bakura ? Tu veux dire ce type aux cheveux blancs qui a perdu contre Yugi pendant le tournoi de Bataille Ville ?

- « L’esprit de l’anneau du Millénium. » Corrige-t-elle suite à ma pensée.

S’il régnait une tension à leur table, les secondes qui suivent jettent un froid encore plus glacial. Le pharaon se prend la tête entre les mains sans oser jeter le moindre coup d’œil vers Eléonore qui agit comme si de rien était.

- « Alors tu es une alliée de cet esprit maléfique. »

Cette remarque ne plaît pas du tout à Eléonore dont le poing frappe violemment la table. Mais avant-même qu’elle ne lui rétorque quoi que ce soit de cinglant, elle se redresse subitement contre son siège et croise les bras.

- « L’histoire n’est écrite que par les vainqueurs, pas vrai ? Alors si je suis une amie de Bakura, je suis forcément quelqu’un de méchant ? Franchement, en cinq mille ans vous n’avez pas avancé d’un pouce. »

Mon cœur palpite si fort dans ma poitrine que j’hésite un moment à reprendre le contrôle de mon corps pour éviter le pire.

- « Je suis désolé. »

Tête baissée, le pharaon ne ressemble plus qu’à l’ombre de lui-même. Curieusement, son état de faiblesse ne provoque aucun plaisir à Eléonore, qui peine à rester impassible.

- « Tu voulais savoir qui j’étais ? Je n’étais ni ton amie, ni ta femme, ni quoi que ce soit. J’étais juste considérée comme ton esclave. »

Atem relève brusquement son visage vers le mien. Eléonore, une esclave ? Cela expliquerait entre autres la tenue dans laquelle elle se présente à moi quand je suis en possession de mes membres.

- « Qu’est-ce que j’ai faim… Mais la nourriture de ce pays est dégueulasse, franchement. »

Propre à elle-même, Eléonore avale d’une traite le reste de sa boisson et s’installe en tailleur sur son siège. A cet instant, des bruits sourds ressemblant à des chuchotements captent mon attention. Mais j’ai beau scruter les environs à l’aide de ma forme fantomatique, il n’y a rien. Bizarre, mon esprit doit me jouer des tours. Le pharaon n’a pas encore touché à son verre tant son regard se perd dans le vague. Comment une esclave comme Eléonore a-t-elle pu se réincarner à la même époque que lui ? Ce serait ma première question à sa place.

- « Ce n’est pas la première fois que tu demandes si tu étais autrefois quelqu’un de mauvais, mais je suis certainement une des pires personnes à consulter. »

Le ton employé par Eléonore est léger avec une once de sarcasme. Néanmoins, cela ne suffit pas à rassurer Atem qui persiste à fixer la paille de son verre. Eléonore soupire et se penche en avant pour poser sa main sur le poignet de son vis-à-vis.

- « Tu as fait de ton mieux. »

Le plus étrange dans cet échange, c’est la vitesse avec laquelle elle a retiré sa main aussitôt qu’Atem a croisé son regard. Il finit par se détendre et vider le contenu de son verre avant qu’ils ne quittent ensemble la terrasse pour le centre-ville.

 

Alors qu’au départ elle imposait ses règles au pharaon, Eléonore s’est finalement résolue à se laisser guider à travers la ville par le pharaon. Il est évident pour moi que Yugi se cache derrière chaque escale et je l’en remercie. Au fur et à mesure qu’ils discutaient ensemble, j’avais vaguement l’impression qu’Eléonore savait exactement où mener chacune de leur conversation. Pour une simple esclave, elle se comportait plutôt comme une proche d’Atem.

- « J’ai toujours un peu de mal avec les Duels de Monstres. » Constate-t-elle en se baladant dans un rayon des cartes de jeu.

- « Ce n’est pas toi qui livres les duels ? »

Sa main attrape une série de paquets scellés à l’effigie du Magicien des Ténèbres.

- « Ça n’a jamais été moi. Bizarre, hein ? C’est Lorène qui livre chacun des duels de son côté. Au début ce n’était pas glorieux, mais elle commence à s’en sortir. »

En dépit de son attaque à peine dissimulée, une vraie question est soulevée : est-ce que Yugi sait se battre en duel ? A entendre le pharaon, j’ai l’impression que c’est lui qui joue à sa place pour chacun de ses affrontements.

- « Comment t’es-tu retrouvée dans le corps de Lorène ? » Demande-t-il soudainement.

Les bras m’en tombent. Enfin une question qui me concerne directement et à laquelle je cherche désespérément une réponse. On dirait qu’Eléonore a capté ma pensée car elle lâche un rire un peu trop aigu à mon goût.

- « Désolée, je ne peux pas répondre à cette question maintenant. Mais rassure-toi, tu n’as rien avoir là-dedans. »

Aucun mot ne peut estimer la grandeur de ma déception à ce moment précis. Bon, je ne m’attendais pas à ce qu’elle livre cette information sur un plateau d’argent, mais j’espérais tout de même quelques précisions…

- « Je me doute que tu le fais dans son intérêt. » Rétorque le pharaon en saisissant des doigts un des paquets dans la main d’Eléonore.

- « Qu’est-ce qui te dit que je ne cherche pas à la faire souffrir davantage ? Après tout, je ne suis qu’un esprit maléfique. »

D’une délicatesse démesurée, elle replace les paquets dans l’étalage et reporte son attention vers d’autres jeux concurrents. De temps à autre, elle lance des regards par-dessus son épaule pour s’assurer que son partenaire d’un jour n’a d’yeux que pour elle. Ses paroles semblent résonner en Atem qui s’immobilise quelques secondes avant de reposer le paquet à son tour.

- « Je sais que c’est faux.

Un sourire se dessine sur mes lèvres.

- Comment peux-tu en être si sûr si tu ne te souviens de rien à propos de moi ?

- Parce que c’est toi qui as insisté pour qu’on sorte ensemble. Tu voulais que je me souvienne de toi. »

Son sourire se transforme en moue qu’elle accompagne d’un haussement d’épaule. Distante jusqu’ici, Eléonore s’avance de quelques pas pour réduire considérablement l’espace entre eux.

- « C’est toi qui te trompes, j’avais simplement envie de jouer avec toi. » Siffle-t-elle en lui filant un coup de hanche.

En observant la scène de loin, je ne doute pas une seconde qu’Eléonore essaie de jouer les héroïnes auprès de lui. Finalement, peut-être qu’on n’est pas si différentes sur bien des points.

- « Mon instinct me dit que j’aimais bien jouer avec toi. »

Ses pas se stoppent à hauteur d’une étale de jeux de plateaux qu’elle fixe sans vraiment les regarder. Le commentaire d’Atem lui a provoqué un violent frisson. Il résonne encore en moi dans les minutes qui suivent. L’index enroulé dans mes mèches blondes, Eléonore se tourne légèrement vers le pharaon, le visage fermé.

- « J’étais seule quand ils m’ont enfermée dans ton palais. Tout ce qu’ils voulaient, c’était des informations sur les plans de Bakura. Mais vu que je ne savais rien, j’étais juste destinée à pourrir en tant qu’esclave. »

Ma voix est si grave que j’éprouve des difficultés à me reconnaitre à travers ses mots.

- « Ironiquement, tu étais le seul à passer me voir de temps en temps, le soir, pour ne pas éveiller les soupçons. Au début, tu voulais simplement t’assurer que je ne cachais rien. Je flippais rien qu’à l’idée que la nuit tombe pour entendre toujours la même rengaine. Et un soir, tu m’as proposé de jouer à un jeu. »

Atem l’écoute attentivement, immobile. Au fur et à mesure qu’elle s’exprime, des bribes de ses souvenirs se mélangent avec les miens. Les images du pharaon en tenue égyptienne me traversent l’esprit et confirment les dires d’Eléonore.

- « Bien sûr, c’était une énième tentative de me tirer les vers du nez. Mais je me suis vraiment amusée. Les soirs qui ont suivi, tu es revenu et tu ne m’as plus jamais interrogée. »

Sérieuse dans un premier temps, Eléonore affiche désormais un large sourire, le regard en coin pour ne pas croiser le sien. Lorsqu’elle ponctue sa dernière phrase d’un rire sincère, elle prend soudainement conscience de sa situation et plaque sa main contre sa bouche. Son sourire s’efface brusquement quand elle reprend son récit.

- « Ils n’ont pas vraiment apprécié que tu me côtoies. Je faisais partie de l’ennemi et te mènerai à ta perte quoi qu’il arrive. Quand je t’en ai parlé à l’époque, tu m’avais promis de me protéger et qu’ils étaient sous tes ordres. »

Eléonore pousse un long soupir.

- « Quelques jours plus tard, j’ai été envoyée au Royaume des Ombres par la puissance des objets du Millénium. »

Sa dernière phrase me coupe le souffle. A quelques pas d’elle, Atem écarquille les yeux, bouche-bée par cette révélation à laquelle il n’était apparemment pas préparé. Comme à son habitude, Eléonore brise l’atmosphère morbide par une petite remarque.

- « M’enfin, rien de grave, ça a juste piqué un peu ! C’est fou comme la mort est moins longue qu’on ne le croit parfois ! »

Mais cette fois, le pharaon ne semble pas prêt à la laisser changer de sujet aussi facilement.

- « Pourquoi t’aurai-je tuée ? » Demande-t-il, la voix tremblante.

Eléonore croise les bras sous ma poitrine et le toise un instant avant de décaler son regard vers les étales de jeux.

- « J’en sais rien. Tout ce que je me souviens, ce sont tes gardes qui m’ont sortie de la cellule pour m’emmener dans la salle du trône. Vous étiez tous là à m’examiner. »

La scène me revient soudainement à l’esprit. Eléonore à genoux devant eux, les cheveux emmêlés entravant une partie de sa vue tandis que sa robe couvrait à peine ses jambes. Devant elle, Ishizu s’entretenait discrètement avec d’autres personnes, possédant des objets du Millénium.

Isis.

Je comprends mieux désormais pourquoi elle lui était si hostile la première fois que j’ai rencontré l’Egyptienne. Quand Eléonore m’a scarifiée devant elle, ce n’était pas pour me blesser directement, mais bien pour lui prouver qu’elle ne se prosternerait plus devant elle.

- « Je ne me souviens plus de grand-chose à vrai dire. Seulement de la douleur de sentir son âme quitter son corps par la force. Sentir son enveloppe être arrachée de part en part et de ne rien pouvoir faire, pas même crier. »

Voyant les traits du visage d’Atem se crisper sous cette vision d’horreur, Eléonore termine ici son récit sans me partager la suite de ses souvenirs. Je me retiens de penser quoi que ce soit, par peur ou par simple respect envers elle.

- « En fait. » Poursuit-elle après un moment de silence. « Pendant toutes ces années à errer jusqu’aujourd’hui, je pensais que tu l’avais fait pour te venger de Bakura ou pour lui prouver ta puissance. Après tout, je ne t’étais d’aucune utilité. 

- « Je… Je ne sais pas ! Mais j-jamais je n’aurai… !

- Mais pour une raison que j’ignore, je me demande si tu n’aurais pas fait ça pour me sauver, finalement. »

Mes doigts s’enfoncent dans le cuir de ma veste. Mon cœur tambourine furieusement contre ma poitrine et je sens monter en moi une vive émotion qu’Eléonore rejette aussi vite. Le pharaon, lui, demeure sous le choc, muré dans un mutisme.

- « Peut-être qu’ainsi tu espérais me trouver une meilleure destinée qu’enfermée entre quatre murs ou envoyée aux crocodiles comme le voulaient tes serviteurs. Je suis sûrement stupide de penser de la sorte alors que je suis morte et que rien ne pourra jamais me ramener. Mais en fin de compte, tu as peut-être réussi à me rendre heureuse malgré toi. »

Eléonore…

- « Bon, j’aurai pu rêver mieux comme réceptacle. Lorène n’est clairement pas une hôte que je recommanderai. Elle est chiante, elle me désobéit et agit comme une imbécile pour impressionner un mec complètement con !

- Hé, je t’interdis de… ! » Je tente de reprendre le contrôle.

- « Mais je m’amuse bien dans cette vie. » Conclut-elle sans me laisser la parole.

Eléonore décroise les bras pour poser ses mains sur ses hanches. Comment ça, je ne suis pas une hôte satisfaisante ?! Je vais lui montrer moi à quel point je peux être chiante et stupide !

- « Allez, il commence à se faire tard. »

Atem se contente d’acquiescer. Il est fort à parier qu’il vit un véritable combat intérieur après les révélations d’Eléonore. Elle-même ne pourra jamais lui affirmer que sa mort n’est pas de sa faute, bien au contraire. Quant à Ishizu et les autres serviteurs, je commence à ressentir une certaine amertume envers eux. D’après ses dires, Eléonore ne dérangeait personne et possédait encore moins de pouvoir qu’aujourd’hui. Alors pour quelle raison voudraient-ils l’éliminer en bonne et due forme ?

Les deux esprits anciens quittent le magasin de jeu pour reprendre la direction de la gare de Domino. Le soleil décline dangereusement à l’horizon. En fin de compte, je ne me serai pas ennuyée de la journée. Je me demande ce qu’il en est du côté de Yugi. Lui aussi doit se poser plein de questions sur le passé commun de ces deux-là. J’ai presque hâte de le retrouver en petit comité pour entendre ses premières impressions.

Tandis que la gare se profile à l’horizon et que le vent se lève au passage des trains, je sens qu’Eléonore est beaucoup plus détendue depuis qu’elle a vidé son sac. Si j’avais su, je les aurais fourrés ensemble dès le début.

- « On est arrivés. » Déclare-t-elle en se tournant vers le pharaon. « Dommage, avec tout ça, je n’ai pas eu le temps de te montrer mes super-pouvoirs de séduction massives. Et je parle évidemment de mes seins. »

Ah tiens, j’avais arrêté de les compter ces allusions. Enfin, dans ce cas-ci, peut-on vraiment parler d’une allusion ?

- « Je me suis amusé. Merci pour tout ce que tu m’as confié. 

- C’était suffisant, tu penses ? »

Maintenant que j’y songe, il est vrai qu’elle n’a répondu qu’aux questions qui la concernaient directement et non lui. Bien que son histoire lui renvoie l’image d’un pharaon tyrannique.

- « Evidemment que j’aimerais en savoir plus. Je voudrai tellement retrouver tous les souvenirs de mon passé… 

- Dans ce cas… »

Eléonore s’avance près du jeune homme sans le quitter des yeux. Celui-ci lui adresse un regard intrigué qui lui tire un sourire de fierté. Sa main droite se glisse lentement le long de sa joue pendant que l’autre s’appuie sur son épaule quand elle se hisse sur la pointe des pieds. Mes lèvres effleurent celles de Yugi puis les embrassent franchement. Aucun mouvement de recul, ni de sa part ni de la mienne. Eléonore ferme les yeux et aventure sa main vers sa nuque alors que le bas de mon dos est subitement pressé par deux bras.

Je…

Au bout de quelques secondes, Eléonore met fin au baiser et recule légèrement son visage pour le décaler vers son oreille.

- « Il faudra remettre ça, Atem. »

Sous la surprise, ses bras qui me maintenaient fermement contre lui se détachent. Eléonore en profite pour se retirer, non sans glousser, avant de monter à grandes enjambées les marches de la gare où un train pour Flem est sur le point de partir.

Wow, c’était dingue !

J’ai embrassé Yugi.

Tu as vu sa tête quand je lui ai dit son nom ?

Tu as embrassé Yugi !

Quoi ? C’était pas ton premier baiser pourtant.

Là n’est pas la question ! Le souffle coupé, je m’installe au premier siège disponible et tâtonne mes lèvres du bout des doigts. Une douce euphorie me remonte les entrailles quand la scène se rejoue à plusieurs reprises dans ma tête.

 

J’ai embrassé Yugi.


 

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