Âme de Pureté

Chapitre 28 : Corpse Party: chapitre 28

4608 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 14:55

Un claquement bref retentit lorsque je referme mon casier après y avoir fourré une série de manuels de cours. Déjà trois semaines dans ce lycée. Je me demande bien quand nous pourrons récupérer nos locaux à Flem. Certainement pas avant la fin de l'enquête, je songe amèrement.

- « Tu es bien matinale. »

Mes épaules tressautent sous la surprise. Je me tourne, face au grand blond, les mains enfouies dans les poches de son pantalon d'uniforme. Joey affiche un visage plus lumineux que les autres jours. Lui qui dépense le trois-quarts de son énergie à se plaindre de son manque de sommeil, j'en suis presque impressionnée.

- « C'est à toi que je devrai dire ça ! » Je m'exclame joyeusement.

Soudain, alors que nous maintenions une distance raisonnable, le jeune homme s'avance d'un pas assuré. Par réflexe, je recule et bute du talon contre les casiers. Qu'est-ce qui lui prend ? Il me fixe de ses pupilles brunes, presque enflammées.

- « Je dois bien avouer que notre escapade nocturne m'a mis en appétit. »

Son timbre de voix se veut plus grave et indécent que d'habitude. Mon visage entier se consume tandis que j'essaie de détourner le regard. Quelque chose cloche dans son comportement et je vais très vite le rembarrer s'il ne s'écarte pas de moi tout de suite.

- « A ta place, je réfléchirai à deux fois avant de repousser ce cher Joey. » Déclare un homme à l'autre bout du couloir.

Cette voix appartient à Monsieur Pegasus. Bon sang mais que fiche-t-il dans ce lycée ? Je veux dire, il est beaucoup trop vieux pour venir ici ! Tant d'interrogations se bousculent dans ma tête quand, de façon un peu trop abrupte pour mon petit cœur, Joey se détache de moi pour rejoindre Pegasus. Ce dernier, visiblement très heureux que mon ami m'ait abandonnée pour lui, plaque une main contre la hanche du blond et approche son visage du sien.

- « Depuis le temps que j'attendais ce moment... » Susurre-t-il en penchant ses lèvres vers les siennes dans un geste si naturel que j'en perds l'équilibre.


- « Wow ! »

Le couloir du lycée s'est brusquement évanoui au profit d'un mur aux couleurs vives. Mes doigts agrippent les draps trempés de sueur sous mon corps. Constatant avec joie qu'il ne s'agissait que d'un rêve glauque, je pousse un soupir de soulagement si bruyant que ma voisine l'a probablement entendu. Joey avec Pegasus, je me laisse emporter dans un fou rire. Il ne manquerait plus que ça. Au moins, ce n'était pas un de ces énièmes rêves érotiques qu'on lit trop souvent dans les livres.

Alertée par la lumière vive transpercée à travers mes rideaux, je me rue sur mon téléphone et l'allume précipitamment. Merde, je risque d'être en retard si je ne file pas tout de suite ! Il faut dire que ma nuit n'a pas été de tout repos. Entre mes souvenirs retrouvés et mon duel sur ce vieux parking désert, je reconnais qu'enchaîner toutes ces péripéties en pleine semaine n'était pas le plus raisonnable de mes choix. Pas de temps à perdre, je file à la douche, m'habille en quatrième vitesse et attrape mon sac de cours dans un coin de ma chambre avant de m'échapper de la maison.

En dépit de ce rêve dérangeant, je déduis que mon esprit s'est apaisé. Je craignais en rentrant chez moi que les fragments de souvenir sur la mort de mes parents resurgiraient encore et encore.

- « Bonjour Monsieur Sanpei ! » Je crie en accélérant dans la pente de la rue commerciale.

Qu'est-ce que je vais faire, maintenant ? Devrai-je d'abord reprendre contact avec Monsieur Pegasus pour obtenir des explications quant à mon adoption ? Non, ce serait comme donner un coup de pied dans une ruche... Non, je devrais profiter de ma bonne humeur pour avouer à Yugi que je connais le nom du pharaon pour nous relancer dans la quête de ses souvenirs perdus ! Mais avant ça, il faut que je rappelle Mokuba pour m'excuser de mon comportement lors de notre dernière entrevue. Mon visage pâlit rien qu'à l'idée que son frère Kaiba ait mis son portable sous surveillance pour se donner une bonne raison de me tuer. Mes jambes guident rapidement ma bicyclette jusqu'au lycée, comme si une force surhumaine avait absorbé toute la tristesse des jours précédents pour la transformer en adrénaline. Cette euphorie me rappelle des lendemains de beuverie où je devenais curieusement plus productive qu'en état de sobriété. 

Lorsque la sonnerie annonce le début des cours, je me rue à grandes enjambées jusqu'à la salle de classe où Madame Chono me lorgne de son coutumier air hautain. Quelques excuses bredouillées à la va-vite, j'adresse un clin d'œil à Yugi et Zoé, visiblement surpris. Malgré la vitesse avec laquelle je rejoins mon siège, un détail ne m'a pas échappé : Joey manque à l'appel. Un frisson de dégoût me parcourt quand les images de mon rêve s'imposent à mon esprit.

- « Je viens de perdre mille-deux-cents yens. » Gémit Tristan que j'ai oublié de saluer.

La tête toujours embrumée, j'oscille de droite à gauche en lui lançant un regard intrigué.

- « J'avais parié avec Soso que vous seriez en retard ensemble. »

Ses mains soutiennent à peine son visage exagérément décomposé. Une chose est sûre, je ne risque pas de lui partager le récit de ma soirée. Cela les pousserait à parier de plus en plus sur ma vie privée. Quoique... Si je pousse Zoé a parié sur mon adoption, on pourrait gagner un sacré paquet d'argent ! A réfléchir.

- « J'espère que tu as gagné ta bagarre vu ta joue.

- Je l'ai défoncée. » Je réponds, d'une évidence déconcertante.

- « Monsieur Wheeler est absent ? » Constate Madame Chono dont les doigts se baladent sur la liste de présence. « Rien d'étonnant. »

Une once de satisfaction teinte ses paroles tandis que ses lèvres d'un rouge intense s'étirent dans un rictus détestable. Quelle salope, cette prof. Elle doit sentir mon regard noir la gêner car elle se tourne presque instantanément vers moi avec le même sourire.

- « Mademoiselle Yuurei, vu que vous avez brillé par votre absence hier, nous feriez-vous l'honneur de nous lire la suite du texte que nous avons abordé en classe ? J'imagine que vous l'avez travaillé. »

Tout l'excitation qui m'envahissait retombe comme un moustique qui se prend une lampe à huile en pleine figure. Machinalement, je tapote la surface de mon bureau alors que mon voisin de classe se penche vers moi et m'indique le compartiment de rangement. Toujours épiée par le professeur, j'enfouis mes mains à l'intérieur et en ressors un manuel qui ressemble fortement au mien.

- « Bizarre, je l'avais laissé dans mon casier l'autre jour... » Je murmure pour moi-même.

Tristan me chuchote la page sur laquelle se tenait la leçon manquée. Très vite, je remarque que mon manuel a drastiquement changé. Alors qu'il était totalement vide la dernière fois que je l'ai ouvert, des notes inscrites au crayon suivaient chaque texte. Contrairement au reste du bouquin, ces annotations étaient écrites dans un japonais que je maîtrisais mieux que l'initial.

- « Alors ? Qu'attendez-vous ? »

Stupéfaite, je jette un regard à l'attention de Tristan qui cachait un rire tout en évitant les réprimandes de Madame Chono. Je commence à lire aussi naturellement le paragraphe en question. La réaction du professeur ne tarde pas, elle pousse un grognement si bruyant que même le fond de la classe l'a probablement entendu. La pression ressentie précédemment s'envole aussitôt, je profite de cet instant pour m'appliquer à chacune des syllabes. Une fois ma lecture terminée, je relève le menton et croise son regard médusé.

- « T-Très bien, mais ne vous reposez pas sur vos lauriers. »

C'est avec un plaisir non dissimulé que je reprends place sur ma chaise et assène un coup de coude à Tristan qui n'ose toujours pas me regarder dans les yeux.

- « Dénonce-toi. » Je lui murmure sur un ton faussement menaçant.

- « Pas même sous la torture. »

Malheureusement, notre échange s'arrête ici. La peur de se faire chopper par le clown qui nous sert

de professeur a repris le dessus.


- « Tu m'as impressionnée tout à l'heure, Lore-chan ! »

Attablés autour de nos bureaux regroupés, nous ouvrons chacun nos bentos à nos tours. N'ayant pas eu le temps de préparer quoi que ce soit ce matin, Zoé se présente comme ma sauveuse et partage une partie de son repas avec moi.

- « A vrai dire... Ce n'était pas vraiment moi...

- Eléonore ? »

Durant un court instant, je ne saisis pas que Yugi parle de l'esprit et non de moi. Bordel, pourquoi devons-nous porter le même prénom ?

- « N-Non, non ! En fait, quelqu'un a annoté tout mon manuel avec des caractères que je comprenais... »

Un peu honteuse, je baisse la tête entre les épaules. En fin de compte, je me liste dans les derniers de la classe. Même Zoé s'en sort bien mieux que moi, il suffit de jeter un œil à ses résultats. Soudain, le visage de Yugi s'illumine et ses yeux améthyste commencent à briller.

- « Hé ! C'est de ça dont Joey et toi parliez à la pause, hier ? » Demande-t-il en se tournant vers Tristan, désespérément silencieux.

Au bout de quelques minutes d'insistance – ou de harcèlement selon certains points de vue, le grand brun finit par craquer.

- « Bon d'accord ! Je ne savais pas si j'avais le droit d'en parler, mais tous contre moi, c'est clairement injuste !

- Alors c'est vous ?

- M'oui. Disons qu'on te trouvait plutôt triste ces derniers jours sans savoir exactement pourquoi et quand la prof' s'est permise de te rabaisser en ton absence, on s'est dit que ce serait un poids en moins pour toi. »

Ne pas pleurer, Lorène, ne pas pleurer. C'est si adorable de leur part ! Hé, une minute...

- « Mais ce manuel, il était...

- Dans ton casier. » Siffle Zoé, amusée.

D'accord, je commence à comprendre leur mode opératoire. Excusez-moi, mais tout ça, c'est de la violation de ma propriété privée !

- « Je crois qu'au niveau des fraudes et crimes en tout genre, tu nous dépasses tous. » Rétorque-t-elle en appuyant sur chacun de ses mots.

Cette fille, à croire qu'elle a développé une capacité à lire dans mes pensées. Du coin de l'œil, je remarque que Téa n'ajoute rien. Elle demeure étrangement silencieuse alors que toute l'attention se porte sur moi, une fois de plus.

- « Merci les amis, c'est adorable.

- Remercie surtout Joey, c'est de lui que vient cette idée. »

Encore ? Non pas que je n'ai pas envie de le remercier, mais ça tourne en running gag. Ce type surgit de tous les coins de la terre pour me secourir, c'est dingue.

Le reste du repas, j'écoutais pendue aux lèvres de Zoé son récit sur son interrogatoire. Le policier qui l'avait questionnée ne comprenait même pas pourquoi elle avait été inscrite comme témoin potentiel. Il ne lui a donc pas fallu plus d'un quart d'heure pour classer l'affaire.

Avant la fin de la pause de midi, j'entreprends de m'éclipser dans un coin loin de l'agitation habituelle. Adossée près d'un radiateur éteint, je plonge ma main dans mon sac et attrape mon téléphone portable. Etonnement, il n'a pas beaucoup fonctionné depuis hier soir. Consciente du peu de temps qu'il me reste avant la reprise des cours, je compose rapidement le premier numéro de téléphone dans mon répertoire. La tonalité retentit quatre fois sans réponse. Je m'apprête à reporter cet appel quand finalement mon destinataire décroche.

- « Allô ? »

A travers le téléphone, je ne reconnais presque pas la voix de Joey, enrouée. On dirait que mon coup de fil l'a réveillé à l'instant.

- « Joey ? C'est Lorène. »

Un petit silence s'en suit. Il se racle la gorge à plusieurs reprises puis je me décide enfin à poursuivre la discussion.

- « Tout va bien ? On ne t'a pas vu ce matin.

- Merde, je viens de me réveiller, je pars tout de suite. » Grogne-t-il d'une voix rauque.

Un petit rire m'échappe mais, en vérité, je me sens coupable. Notre balade de nuit n'a pas dû l'aider à récupérer. Rassurée, je me prépare à raccrocher quand un bruit strident éclate en fond.

- « Tout va bien ? » Je demande, inquiète.

L'oreille collée contre l'émetteur, je distingue des râles qui s'apparentent à des plaintes à peine audibles. Une chose est sûre, elles ne proviennent pas de Joey, dont les soupirs fusent à travers le téléphone. Peut-être un parent proche ?

- « Ouais. A tout à l'heure. »

Joey raccroche aussitôt. Ces bruits en fond, ils ressemblaient à du verre qu'on éclate ou ceux d'une vitre qu'on brise. Doucement Lorène, ne commence pas à devenir parano. Si ça se trouve, c'est simplement des travaux dans sa maison. Un mauvais présentiment me parcourt l'échine. Après tout, je ne connais rien de Joey, si ce n'est qu'il a une jolie petite sœur et une chance incroyable. La sonnerie retentit dans tout le lycée, provoquant un mouvement de foule parmi le peu d'élèves dans les environs. Déconcertée, je range distraitement mon téléphone et cherche des yeux le couloir dans lequel se situe mon prochain cours. C'est alors qu'aux pieds des escaliers surgit Téa, qui semblait m'attendre.

- « Lorène ?

- Oh T-Téa ? Tu vas bien ? »

Ma voix sonne si peu naturelle que je regrette aussitôt mes paroles. Nous n'avons jamais eu d'atomes crochus et la seule fois où nous nous sommes retrouvées seules, cela s'est terminé en duel des ombres contre Marik. Pourtant, je ne perçois aucune animosité dans son regard.

- « O-Oui et toi ? » Dit-elle suivi d'un gloussement exagéré. « En fait, je voulais te parler. »

Pour paraître aussi gentille, elle doit avoir besoin de mon aide.

- « Je sais qu'on est partie du mauvais pied toutes les deux. »

C'est le moins qu'on puisse dire !

- « Mais le pharaon a réellement besoin de toi pour retrouver sa mémoire. De toi... et de cet autre esprit. »

Mon cœur me crie de jouer aux innocentes. Après tout, Téa a toujours nié l'existence d'Eléonore, au point d'affirmer haut et fort que tous ces événements autour de moi résultaient de ma propre volonté. D'ailleurs, je doute que les garçons l'ait mise au parfum concernant le corps que Zoé et moi avons caché.

- « C'est pourquoi... » Poursuit-elle en reportant son attention sur la fenêtre dans mon dos. « C'est pourquoi j'aimerais qu'on signe une trêve. »

Mes lèvres s'étirent malgré moi. En dépit de toute la bonne volonté dont elle fait preuve à ce moment, elle ne m'a pas proposé d'enterrer la hache de guerre mais de seulement la déposer sur le côté le temps de prouver à son coup de cœur qu'elle est capable de se comporter comme une adulte.

- « Qu'est-ce que tu en dis ? »

Pour appuyer ses mots, Téa me tend sa main droite. Tout ceci est trop solennel à mon goût. D'autant plus qu'Eléonore ne s'est plus manifestée depuis quelques jours déjà et que je n'ai aucune idée de quand elle arrêtera de me bouder. Autre subtilité, je la soupçonne d'avoir délibérément choisi ce moment où nous devons rejoindre nos classes pour me demander allégeance. Ainsi, je ne dispose pas d'énormément de temps pour prendre ma décision. Bien joué, Téa Gardner. Evidemment, je serre sa main de la mienne pour conclure ce pacte.

- « Puis de toute façon, tu n'es pas intéressée par lui, pas vrai ? »

Cette fois, je ne réprime pas mon rire et l'invite à me suivre dans le couloir. Sa question restera sans réponse. C'est ma façon à moi de la taquiner, en signe de notre nouvelle amitié.


A la fin du cours suivant, je réalise la raison pour laquelle Téa m'a demandé cette trêve. Le professeur d'histoire nous a donné un devoir en duo aux choix. A ma grande surprise, Yugi m'a demandé d'être sa partenaire tandis que le reste du groupe se répartissent entre eux. Cette situation donne l'occasion au maître du jeu de m'inviter dans la boutique de son grand-père pour s'arranger sur la répartition du travail. Bien sûr, cette combine cache bien plus de choses qu'il ne veut bien l'avouer. Yugi et moi dans la même pièce, nous savons parfaitement quel type d'étincelles nos esprits provoqueront. Finalement, Joey n'a pas pointé le bout de son nez jusqu'à la fin des cours. J'espère seulement qu'il s'est juste rendormi. Tristan m'a assuré qu'il réglait certainement ses affaires et qu'il reviendrait très vite en cours.

- « A demain les amis ! » Lance Téa d'un signe de la main un peu trop surjoué à mon goût.

- « Au revoir Téa, à demain. »

Enfin seuls. Jamais au cours de ces dernières semaines je ne songeais me retrouver en compagnie de Téa sans son garde du corps attitré. Mon visage doit transparaître cette impression car Yugi pousse un léger rire en me lorgnant du coin de l'œil.

- « Tu lui as parlé, j'imagine ?

- Oui. Elle a compris que même si cet esprit est un danger pour le pharaon, nous devons prendre ce risque pour découvrir ses souvenirs perdus. »

Ce « risque ». D'une part, je ressens une certaine amertume envers Eléonore pour ce qu'elle m'a fait dans le passé. D'autre part, j'ai la vague impression qu'elle ne mérite pas le terme de « risque » dans l'histoire du pharaon. Après tout, si elle souhaitait le tuer depuis le début, elle l'aurait tranché comme elle a coupé mon bras quelques heures après son apparition. Eléonore n'est pas du genre à attendre de vaincre les gens en duel pour s'en débarrasser.

- « Ce n'est plus très loin. »

La voix de Yugi se perd dans le vent qui balaie Domino en ce début de soirée. Le magasin de jeu de son grand-père se profile au bout de la rue. Une chose est sûre, c'est que la bâtisse dénote avec tous les buildings aux alentours ! Un peu intimidée à l'idée d'entrer chez le maître du jeu, je garde une distance raisonnable entre nous jusqu'à ce que nous passions le seuil de la boutique. Au fond, un homme assez petit et âgé, aux mêmes yeux que Yugi nous accueille avec un énorme sourire.

- « Encore une copine bien formée, Yugi !

- Grand-père ! » Le gronde-t-il avant de se tourner vers moi, paniqué. « Désolé Lore-chan, viens on monte dans ma chambre. »

L'envie de mourir ne m'a jamais frôlée d'aussi près. Je bafouille un bonjour rapide et me hâte dans les escaliers pour rejoindre Yugi au sommet des marches.

- « Excuse-moi, grand-père se comporte de la même façon avec Téa.

- C'est supposé me rassurer ou m'honorer ? » Je rétorque d'un air faussement mauvais.

- « D-Désolé...

- Je plaisantais Yugi. »

La pauvre, il ne cesse de se plier en deux devant moi pour implorer mon pardon. De mon côté, je ne peux m'empêcher d'observer l'artéfact pendu au bout de son cou. Le fameux puzzle du millénium renfermant l'âme d'Atem, le pharaon. Lorsqu'il retrouve enfin ses esprits, Yugi m'invite à pénétrer dans sa chambre pendant qu'il va nous chercher de quoi grignoter. Si on m'avait un jour demandé à quoi ressemblait la chambre d'un champion de cartes, j'aurai juré sur une décoration plus sobre que celle de Yugi. Les murs sont couverts de posters, non pas seulement en rapport avec le Duel de Monstres, mais de plein de jeux différents. Quelques figurines ornent ses meubles, rien d'étonnant pour un adolescent qui vit au-dessus d'un magasin de jouets. Ne sachant pas quoi faire, je finis par m'installer à sa table basse et sortir mes notes de mon sac. Le temps me paraît incroyablement long depuis qu'Eléonore s'est effacée de mon esprit. Comment vivais-je avant de la rencontrer ? Je peine à me remémorer mes moments de solitude.

- « J'espère que je n'ai pas été trop long. »

La voix de Yugi dans mon dos me provoque un léger sursaut. Il ferme lentement la porte de sa chambre et dépose sur la table deux verres de thé glacé. Je me courbe pour le remercier et reporte immédiatement mon attention sur mon cahier tandis qu'il s'assoit à ma droite.

- « Je suis content de faire ce travail avec toi. Nous n'avons pas vraiment eu l'occasion de discuter depuis notre visite au musée. »

Pourtant, notre dernière discussion en tête à tête remonte à cette soirée où nous avons traversé la ville pour rejoindre le Tam-Tam. Pendant ce temps, Joey et Tristan s'occupaient d'emmener mon ex-patronne à l'hôpital le plus proche. Loin de moi l'envie de raviver le souvenir de cette nuit d'horreur, je me contente d'un simple acquiescement.

- « Est-ce que... » enchaine-t-il d'un ton plus bas, presque hésitant. « Est-ce que tu as avancé avec Eléonore ? »

Oh. Soudain, je me rappelle d'une de nos conversations dans le dirigeable de la Kaiba Corp. Yugi m'avait conseillé d'apprendre à la connaître dans le but d'en savoir plus à propos du pharaon. Dans un sens, on peut dire que j'y suis parvenue étant donné que je connais son nom. Cependant...

- « Pas énormément. » Je mens.

Je me concentre sur ma voix pour ne pas me trahir. Quoique je puisse penser, une promesse est une promesse et j'ai perdu au petit jeu d'Eléonore.

- « Oh... Eh bien, j'imagine que ça viendra ! »

Beaucoup trop d'optimisme. L'idée que je pourrai lui mentir ne l'effleure pas même une seconde. J'ai du mal à l'imaginer aussi naïf avec la présence d'un autre esprit dans son corps. De tous, Yugi est la personnalité la plus complexe à laquelle j'ai eu affaires depuis le début. A vrai dire, plus il accepte tout sans rechigner, plus il m'irrite.

- « Moi-même j'ai dû attendre avant de m'habituer à la présence de mon ami le pharaon, alors je suis sûre que tu finiras par...

- Tu parles de l'époque où tu as tué les gens qui t'emmerdaient ? » Je lâche du tac au tac.

Aussitôt dites, je regrette mes paroles. Les yeux de Yugi s'écarquillent tandis qu'il me fixe, bouche-bée. Ses doigts, jusqu'ici enroulés sur son verre encore plein, se mettent à trembler. Ses ongles blanchissent à vue d'œil quand il y raffermit son emprise.

- « Co-Comment tu sais ça ? Non, laisse-moi. »

Cette seconde phrase ne me semblait pas destinée. Il jette un coup d'œil effaré vers son lit, vide selon mes propres yeux. Il revient immédiatement vers moi. Son expression n'a pas changé, il me supplie presque de lui expliquer d'où je tiens cette information.

- « Des bruits de couloir. Honnêtement, après le discours moralisateur du pharaon le soir où vous m'avez découverte dans ce garage, je ne m'y attendais pas. »

Mon but en lui dévoilant les paroles de Joey n'était pas de le blesser ou quoi que ce soit. Si Yugi est parvenu à éviter le pire avec Atem et de le rendre doux comme un agneau, alors moi aussi je veux connaître son petit secret. Je ne suis pas surprise lorsque le puzzle du millénium scintille de mille feux, réduisant au silence les bégaiements de Yugi. Son visage s'assombrit sous les traits du pharaon.

- « Eléonore, ne t'en prends pas à Yugi. » Grogne-t-il en fronçant ses sourcils déjà marqués.

Paupières closes, je pouffe du nez. A chaque fois que je me permets de bousculer l'un d'entre eux, mes paroles sont immédiatement attribuées à Eléonore. Que c'est pratique.

- « Explique-moi, pharaon, pourquoi as-tu fait ça ? » Je demande d'une voix plus douce pour apaiser sa colère.

Je ne sais pas s'il a compris à cet instant qu'il s'agissait de moi, mais il ouvre la bouche avant de la refermer.

- « Cela ne te regarde pas. Tout ceci appartient au passé.

- Tout comme ton nom. »

Je pousse un hoquet de surprise. Ai-je rêvé ? Mes lèvres se sont bien mues par elles-mêmes ? Eléonore aurait-elle enfin décidé de refaire surface après tout ce temps ? Dans mon euphorie, je ne prête pas attention au soufflement d'agacement du pharaon.

- « SI tu comptes jouer là-dessus pour obtenir des informations de ma part, alors tu ne vaux pas mieux que Kaiba. »

Au vu des dernières révélations, je pourrais parier que j'ai appris de ce cher PDG. En dépit de son regard froid supposé m'apeurer, je persiste à croire qu'il existe dans son âme un gros secret qui pourrait m'aider à comprendre les miens. Puis Eléonore... Si elle s'est manifestée à travers moi, c'est de par la présence du pharaon. Peut-être que si j'entrevois une ouverture avec lui, elle se décidera à revenir ? Enhardie par cette réflexion, je me hisse sur mes genoux et me penche vers lui. Une de mes mains descend contre l'artéfact millénaire tandis que je me tiens en équilibre grâce à l'autre, appuyée contre lui. Si son grand-père débarquait à l'improviste, je jurerais qu'il en perdrait toutes ses dents.

- « Allez, dis-le-moi. Comment es-tu devenu si raisonnable ? »

Au creux de ma main, je ressens une certaine chaleur, comme si l'œil du puzzle réagissait en ma présence, ou plutôt celle d'Eléonore. Ces deux-là entretiennent un lien qu'il serait bon d'élucider. En tout cas, au plus profond de mon corps, une autre personne apprécie particulièrement mon initiative. Pour peu, de petites fourmis s'infiltrent dans ma main gauche pour m'intimer à m'aventurer plus bas. Atem a suivi le moindre de mes mouvements avec une attention particulière. Néanmoins, il ne bouge pas d'un pouce malgré la faible distance qui nous sépare.

- « Je ne te dirai rien. » Déclare-t-il.

Même s'il se veut inébranlable, sa respiration quelque peu saccadée m'indique qu'il ne m'est pas insensible. Je n'obtiendrai rien aujourd'hui, mais lui non plus. De cette pensée, je me redresse et vide d'une traite le thé glacé posé sur la table. Mes notes rejoignent rapidement mon sac que je ferme avant de le balancer contre mon épaule. Peu importe le devoir d'histoire. Si je dois le faire languir jusqu'à ce que les ténèbres de son cœur s'imposent à moi, alors je jouerai le jeu pendant tout le temps qu'il faudra.

Yugi ne réagit pas lorsque je quitte sa chambre sans un mot.


J'ai peut-être perdu un esprit, mais un autre est sur le point de rejaillir.


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