Âme de Pureté

Chapitre 24 : Corpse Party: chapitre 24

4777 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 14:49

D’épais nuages noirs ont assombri le ciel de Domino. De violentes bourrasques secouent les parcelles vertes qui entourent les avenues. Une pluie d’abord fine puis torrentielle se joint à tout ce qui ressemble à un orage. Les passants se réfugient sous les bâches et à l’intérieur des petits commerces de proximité. Mes cheveux sont déjà trempés lorsque l’idée de me couvrir me vient à l’esprit. Mon uniforme me colle à la peau, je frisonne tandis que le vent me glace la peau. Ma course effrénée dans les rues de la ville n’y arrange rien. Grâce à mon téléphone, j’ai appris que Monsieur Pegasus possède effectivement une demeure dans la périphérie de Domino. Avec un peu de chance, je risque de l’y croiser.

La route défile sans encombre, il faut dire qu’Eléonore et moi ciblons la même destination, bien que nos raisons tergiversent. Ainsi, dès que je parviens au niveau d’un énorme jardin entouré de barrières en fer hautes de deux mètres, mon corps commence à se réchauffer. La résidence secondaire ressemble à un énorme château, posé là, à côté des grandes entreprises de la ville. Après tout, Monsieur Pegasus a le droit de profiter d’un coin aussi contrasté vu l’argent engrangé par le Duel de Monstres.

J’espère qu’il est ici.

A l’entrée, je dépose mon vélo contre le mur de briques rouges qui sépare le portail des barrières. Instinctivement, je me dirige vers le boitier vocal encastré à même la pierre. Pendant un long moment, j’hésite à rebrousser chemin. Certes, mon envie de découvrir mon lien avec cet homme riche et célèbre m’obsède de plus en plus. Mais suis-je suffisamment forte pour empêcher Eléonore de commettre l’irréparable ? Bien sûr que non, il suffit de se rappeler l’état dans lequel j’étais il y a encore trois jours dans le garde-meuble. Je tourne les talons quand un grésillement s’élève à travers la boite métallique.

- « Bonjour, qui êtes-vous ? »

Cette voix ne me dit rien du tout, ce n’est pas celle de Monsieur Pegasus. Peut-être un gardien ou un gouvernant. Intriguée, je m’avance vers l’appareil et appuie sur le petit bouton tout en bas.

- « B-Bonjour, je m’appelle Lorène Yuurei. Je voulais savoir si Monsieur Pegasus était là. »

Rien ne vient. J’attends sous la pluie que l’homme qui m’a interpelée m’informe de la présence ou non du propriétaire de cette bâtisse. Cependant, à ma grande surprise, un bruit mécanique retentit et le portail s’ouvre progressivement. Dois-je prendre cela pour un « oui » ? En tout cas, je n’ai pas envie de rester indéfiniment ici pour mourir de froid. Un poil anxieuse, j’agrippe mon vélo et le range devant l’immense allée. Jonchées de toutes sortes de plantes et fleurs que je n’avais jamais rencontrées auparavant, l’endroit semble plongé dans une sphère où le temps ne s’écoule plus. Les arbustes sont parfaitement taillés, certains très simplement, d’autres à l’effigie de personnages de bandes dessinées. Pas de doute, je foule bien le territoire de Monsieur Maximilien Pegasus. En haut des marches menant à une imposante porte, je frappe trois coups contre le bois peint. Mon cœur s’emballe. Mes tremblements sont-ils dus au froid de l’extérieur ou bien de la soudaine excitation qui m’envahit ? J’en sais foutrement rien.

- « Mademoiselle ? »

La porte s’ouvre sur un homme au costume trois pièces impeccables. Je pencherai plutôt pour un gouvernant tout compte fait. Sans me quitter des yeux, il m’invite à traverser le seuil et me tend une serviette pour sécher mes cheveux.

- « Merci. » Je bredouille, un peu perdue.

Le sol est recouvert d’une épaisse moquette rougeâtre, à l’image du tapis de Canne. Une vraie star, ce Monsieur Pegasus. De grands cadres parsèment les murs de diverses œuvres. Parmi celles-ci, des peintures représentant une jeune femme blonde très distinguée. Serait-ce l’épouse du propriétaire ? Bizarre, je ne l’imaginais pas du tout en couple. Les clichés ont la vie dure dernièrement. Tandis que l’homme en costume me détaille de la tête aux pieds, je me racle la gorge pour attirer son attention.

- « Excusez-moi, est-ce que Monsieur Pegasus est ici ? »

Son visage se teint de légères rougeurs qu’il masque en me tournant le dos.

- « Veuillez me suivre, je vous prie. »

Je me contente de lui obéir, il ne m’a pas l’air méchant après tout. Mes yeux se baladent sur tous les bibelots qui ornent les meubles de la maison. Ils doivent valeur une petite fortune à eux seuls. Mais le détail qui me dérange le plus est ce silence constant. La vie semble avoir quitté ses lieux. Nos bruits rythment l’ambiance morne de ces couloirs vides. Pourquoi possède-t-il un domaine aussi immense que celui-ci pour y vivre avec sa femme ? D’ailleurs, sa femme, où est-elle ?

- « Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui habitent ici ? »

Ma question reste en suspens le temps que l’homme m’amène devant une porte creusée de sillons en arabesques. Il me scrute une nouvelle fois avant de l’ouvrir. Qu’est-ce qui lui prend, bon sang ? Il me fiche la chair de poule ! A y regarder de plus près, ce type n’est pas vraiment différent des hommes de mains de Kaiba. Ses cheveux de jais courts sont plaqués en arrière avec de la cire. Les rides au coin sous ses paupières témoignent d’un âge avancé. Je pencherais plutôt vers la cinquantaine, si ce n’est plus.

- « Monsieur Pegasus vous rejoindra plus tard. En attendant, il m’a demandé de vous emmener dans ce bureau. »

Du coin de l’œil, je jauge l’intérieur de la pièce. Il s’agit d’un bureau, plutôt grand pour le peu de meubles qu’il contient. De toute façon, je ne compte pas patienter dans ce couloir éternellement, je remercie vaguement l’homme au costume et pénètre dans la pièce. La porte se referme brusquement dans mon dos et un cliquetis m’informe qu’elle vient d’être verrouillée depuis l’extérieur.

- « On aurait dû se casser quand on en avait encore l’occasion. »

Je hausse les épaules et m’aventure vers la série de fenêtres de l’autre côté de la pièce. Du bout des doigts, je tire les rideaux en dentelle blanche et estime la distance entre cet étage et le sol. Pas même dix mètres.

- « A côté de la tour de duel, c’est de la gnognotte. »

Près des fenêtres trône un magnifique bureau en chêne massif. Je me précipite sur les tiroirs, à la recherche d’un quelconque objet capable de me sortir d’ici. Etonnement, il n’y a rien à l’intérieur, rien que de la poussière. A mes pieds, je repousse mon sac à main pour gagner de l’espace avant de me stopper subitement.

- « Pourquoi m’aurait-on enfermée ici avec mon téléphone pour prévenir la police ? »

A aucun moment l’homme n’a essayé de me voler mon sac. Pourtant, il doit bien se douter qu’une adolescente dans mon genre ne quitte jamais son téléphone portable. Hébétée, je me redresse sur mes deux jambes et remarque un classeur en cuir posé sur un coin du bureau. Contrairement à ce dernier, aucune trace de poussière n’entache sa beauté.

- « Cassons-nous d’ici, je sauterai. 

- Tu n’as pas envie de savoir la raison pour laquelle il nous a enfermées dans cette pièce ? » Je ricane en contournant le meuble pour me placer devant le classeur. 

Ma plaisanterie retombe lorsqu’une vague électrique me secoue les bras, encore ces foutues crampes. Une statue de cire, voilà à quoi je me destine. A peine je bouge mon poignet vers mon graal que celui-ci s’immobilise.

- « Qu’est-ce qu’il y a dans ce classeur ?

- J’en sais rien.

- Arrête tes mensonges, si c’était le cas, tu ne m’empêcherais pas d’y toucher. »

Ironiquement, cette scène ressemble point par point à celle que j’ai vécue dans la chambre nos âmes. Sauf qu’à ce moment-là, elle me refusait l’accès à ses pensées alors qu’elle s’immisce dans les miennes sans aucune gêne.

- « Tu ne pourras pas me paralyser indéfiniment. »

Mon bras se courbe le long de mon corps.

- « Rien dans ce que tu vas trouver là-dedans ne te rendra heureuse. »

Une poussée d’adrénaline me parcourt de fond en comble. Est-ce qu’elle est réellement en train de se foutre de moi ?

- « Depuis quand tu te soucies de mon bonheur ? Je te rappelle que tu m’as coupée, forcée à me balancer du haut d’une tour, à violer l’intimité d’un de mes amis et même à tuer une femme après l’avoir envoyée au Royaume de Ombre ! D’où oses-tu affirmer haut et fort que c’était pour moi ?! »

Je m’égosille, mes poumons me crient de reprendre de l’air tandis que mon cerveau fuse de reproches et ressasse encore et toujours les images de ces derniers jours, de la torpeur dans laquelle je plongeais chaque soir en me couchant. La peur que le matin, lorsque je sortais de chez moi, quelque chose m’empêche d’y revenir. Tout à coup, mes muscles se décontractent, quoique toujours douloureux. Je me masse les poignets sans quitter des yeux le présent sur le bureau.

Elle a abandonné ? Si facilement ?

Je n’ai pas le temps de me poser d’autres questions qu’une silhouette floue apparaît devant moi. Je reconnais ses cheveux emmêlés, sa peau tannée et son accoutrement sale et négligé. Sa projection se précise progressivement, on dirait qu’elle garde une distance raisonnable entre nous.

- « Joli tour de magie. »

J’espère qu’elle ne s’attendait pas à des remerciements de ma part pour m’avoir rendu le contrôle, car c’est raté.

- « Ecoute-moi. Ils me considèrent peut-être comme une ennemie d’Atem mais c’est beaucoup plus compliqué que ça. En ce qui te concerne, je sais pertinemment que tu ne devrais pas t’aventurer dans des histoires qui te dépassent.

- Magnifique changement de discours. Devrais-je t’appeler Maman à partir de maintenant ? »

Je tressaute quand ses mains agrippent mes épaules, comment peut-être me toucher alors qu’elle n’existe même pas ? Ses deux grandes prunelles turquoise me fixent intensément. De mon côté, je cherche à me défaire de ses tentatives.

- « Une fois que tu auras compris, je ne pourrai plus rien faire pour toi. Alors je t’en prie, écoute-moi, mon but n’est pas de te faire du mal comme tu le penses. »

Eléonore a beau répéter encore et encore les mêmes inepties, je ne lui donnerai jamais ma confiance.

- « Il n’y a que deux personnes auxquelles je tiens ici : Atem et toi. »

Ma gorge se serre, ou bien est-ce la sienne après tout. Ses doigts frôlent délicatement son cou avant d’essayer d’attraper mes mains. Une fois de plus, je recule d’un pas pour éviter tout contact.

- « Tu as une drôle de manière de le montrer. Si tu tenais réellement à lui, tu lui aurais révélé son nom dès le premier jour où tu lui as adressé la parole ! A la place, tout ce que tu lui as dit, c’est qu’il t’avait trahie. »

Evidemment, l’excuse selon laquelle c’est son seul moyen de maintenir l’attention du pharaon ne fonctionnera pas sur moi. C’est beaucoup trop cruel et sadique.

- « Ces bouquins noirs, c’étaient tes pensées et tes souvenirs, pas vrai ? »

Eléonore pousse un léger soupire et se décale contre le bureau. Son corps est illuminé d’une sorte d’aura dorée, néanmoins je ne dénote aucun symbole du millénium sur sa peau.

- « Pas exactement. 

- Ce que disaient Kaiba, Mokuba et Monsieur Pegasus était vrai, n’est-ce pas ? Je les ai déjà rencontrés par le passé ? »

Tant de questions qui s’accumulent mais elle ne décide toujours pas à m’octroyer la moindre réponse. Le temps défile et le bruit de la pluie s’écrasant contre les vitres anime ce bureau quasi-vide. Le gouvernant ne semble pas avoir remarqué que je parlais seule depuis tout à l’heure. Si elle ne se dévoue pas à m’avouer enfin la vérité, alors je…

- « Je ne suis pas stupide, je sais à quel point tu désires comprendre tout. J’aurais beau te crier que c’est pour ton bien, jamais tu ne me prendras au sérieux. Tant pis, ouvre cette merde, mais dès l’instant où tu l’ouvriras, tu pourras me dire adieu. »

Un ultimatum ? Un rire aigu s’échappe de mes lèvres, je la toise comme si elle était la dernière des idiotes à mes yeux.

- « Sérieusement ? Parce que tu crois vraiment que je vais te choisir ? Franchement, Eléonore, il aurait mieux valu que tu n’existes pas. »

Pour la première fois depuis notre rencontre, elle affiche une mine surprise puis blessée. Qu’elle tombe du haut de son égo, j’en ai rien à foutre. Pour prouver mes dires, je m’approche du classeur et, tout en continuant à la fixer, je découvre la première page. Eléonore ferme les yeux, son corps se désintègre sous mes yeux, mais je ne doute pas qu’elle n’a pas complètement disparu de mon enveloppe.

Enfin tranquille, je dévie mon regard vers le fameux classeur.

- « Un album photo ? »

En effet, un cliché aux couleurs délavées est collé sur la couverture. Au-dessus de celui-ci sont écrits les mots « Famille Pegasus » d’une écriture plutôt féminine. Sur cette photo, deux adultes posent devant la demeure. Ils sont accompagnés d’un couple et de deux enfants. Je reconnais immédiatement les deux enfants que j’avais croisés lors d’un de mes rêves lorsque j’étais inconsciente dans le dirigeable de la KaibaCorp. Le garçon porte une chemise boutonnée jusqu’au col et la gamine une robe bouffante similaire à celle qu’elle portait pendant mon sommeil.

- « Donc mes rêves étaient bien liés à la réalité. Très bien. »

Je tourne les pages une à une. Certains clichés sont beaucoup trop anciens et d’assez mauvaises qualités pour que je puisse en retirer quoi que ce soit. En revanche, je discerne une autre fille sur certaines photos, c’est la femme peinte sur plusieurs portraits à l’entrée. Sous l’une de ses photos accompagnées du garçon aux cheveux argentés, il est indiqué : Cecelia et Maximilien Pegasus. Comment ai-je pu être assez aveugle pour ne pas le reconnaître tout de suite ? Les deux adolescents sont assis sur un fauteuil, entrelaçant leurs mains, sourire aux lèvres. Monsieur Pegasus amoureux, on ne voit pas ça tous les jours ! Je tourne d’autres pages où un autre couple s’exhibe bras-dessus, bras-dessous. Vu le décor, on dirait une sorte de banquet. La femme est coiffée d’un haut chignon de cheveux blonds, elle porte une longue robe qui masquent ses jambes. A ses côtés, l’homme est affublé d’un costume similaire à celui de Monsieur Pegasus, excepté les couleurs moins excentriques. Celui-ci tient la main à une fille qui se hisse sur la pointe des pieds pour ne pas qu’il la lâche. Son visage rond illumine le cliché. Mais ce qui me choque le plus, c’est sa ressemblance avec son père, ils ont exactement les mêmes yeux bleus. L’encre au bas de la photo a légèrement été effacée mais certaines lettres ont perduré malgré les années.

- « Catherine, Mark et Eléonore Pegasus. »

J’inspire profondément et me concentre sur la pluie battant plutôt que les battements de mon cœur qui tambourine contre ma poitrine. Un rêve, une autre hallucination de ce putain d’esprit, ça ne peut être que ça. Sans réfléchir, je continue de tourner les pages encore et encore. Les photos ne représentent plus que Monsieur Pegasus accompagné de sa fiancée, à en croire les descriptions. La dernière s’arrête sur Cecelia Pegasus allongée dans un lit, embrassée par celui qui l’aime, ainsi que sur les mots : « A celle que j’ai aimé et chérirai toujours, Cecelia Pegasus ».

- « Mademoiselle ? »

Je frôle la crise cardiaque, je n’ai pas entendu la porte du bureau s’ouvrir. C’est encore l’homme de compagnie de Monsieur Pegasus. Sans que je ne lui dise quoi que ce soit, il s’invite jusqu’au bureau et referme le classeur. Lui, par contre, je ne l’ai vu sur aucune des photos.

- « Monsieur m’a demandé de ne rien vous dire avant que vous n’ayez vu cet album. Veuillez excuser mon comportement à votre égard, mademoiselle Pegasus. »

Autant je le trouvais louche à se murer dans son silence, autant l’écouter s’adresser à moi sous le nom Pegasus me donne le tournis. Je ne saisis pas, si je suis réellement cette Eléonore Pegasus sur les photos, alors pourquoi l’autre Eléonore a-t-elle tant essayé de m’empêcher de le savoir ? Et surtout, comment se fait-il que je n’en aie aucun souvenir ?

- « Vous ne vous rappelez certainement pas de moi, mais je m’appelle Christian, je gère ce manoir depuis des années pour la famille Pegasus. 

- Chris…tian ? »

Plus je fixe son visage, plus des bribes de souvenirs me reviennent en tête. Mais allez savoir s’ils sont réels…

- « Je suis désolée, mais vous faites erreur. Je m’appelle Lorène Yuurei. » Je souffle en me massant le cou distraitement.

Tout ceci n’est qu’une énorme farce orchestrée par Eléonore et Monsieur Pegasus, il n’y a pas d’autres solutions. Et mes parents dans tout ça ? Je veux dire, pourquoi ma mère ne m’aurait-elle rien dit alors que j’ai des souvenirs très précis sur ma vie en Europe ?

- « Il faut que j’y aille, on m’attend chez moi. 

- Cela doit être très dur à accepter, de perdre une partie de sa mémoire, mais n’hésitez pas à revenir. »

Ce Christian m’a lâché ça si naturellement que je manque de m’écrouler. Perdre la mémoire, je veux bien, mais oublier une identité complète, c’est d’un autre ressort. En tout cas, je n’ai plus rien à faire ici. Aussitôt dit, je quitte la pièce et déambule dans les couloirs à la recherche des escaliers menant à la sortie. Sur mon chemin, je croise les mêmes bibelots.

- « Celui-ci, c’est maman qui l’a fabriqué ! »

D’où… D’où provient cette voix ? J’ai beau secoué la tête dans tous les sens, personne à l’horizon. Pourtant, j’aurais juré avoir entendu la voix d’une gamine m’exploser les tympans quand mon regard s’est arrêté sur une cloche en porcelaine. Je débloque complètement. Prise de panique, j’accélère le pas jusqu’à la sortie et arrache la poignée pour sortir de cet enfer. A peine ai-je descendu l’allée de la demeure que mes vêtements dégoulinent et que mes cheveux se plaquent contre mon visage. Tandis que j’accorde un dernier regard à la maison avant de chevaucher ma bicyclette, je sens mes entrailles se comprimer vivement. Mes oreilles bourdonnent et mes tempes sifflent. Pourquoi Eléonore s’évertue-t-elle à me faire autant souffrir ? C’est pour se venger ? Heureusement, le vacarme de l’orage couvre une partie des pensées que je souhaitais occulter.

Je dois rentrer, trouver ma mère et oublier cette journée.


La pluie s’est légèrement calmée lorsque j’atteins enfin ma rue. De toute façon, une goutte de plus ou de moins ne changera pas l’état de mon uniforme. Tout ce dont j’ai envie à cet instant, c’est de franchir le seuil de ma maison. Mais c’était sans compter la présence d’une limousine noire garée devant chez moi. Je ralentis à sa hauteur et descends de mon vélo pour signaler au conducteur de dégager. Cependant, au lieu de s’exécuter, la fenêtre arrière du véhicule s’abaisse devant un Seto Kaiba d’humeur exécrable si j’en crois son faciès.

- « Kaiba, ce n’est pas le moment.

- Qu’est-ce que je t’ai dit à propos de mon frère, Yuurei ? »

Son ton menaçant ne m’impressionne pas. Au contraire, après la journée que je viens de subir, il ferait mieux de repartir sur le champ s’il ne veut pas que je lui crève les pneus de son joujou.

- « Il a voulu me voir, je ne savais pas que…

- Que l’appeler par son surnom que lui donnait le blesserait ? Tu mériterais que j’ordonne à mon chauffeur de t’écraser tant qu’il en est encore temps. 

- Tu parles de « Maki » ? »

Etrange, ce nom me rappelle vaguement quelque chose maintenant. Plus j’y songe et me répète ce nom dans ma tête, plus l’image d’un petit garçon apeuré se précise. Il attendait sur une balançoire, fixant ses chaussures jusqu’à ce qu’un autre enfant, plus âgé ne vienne lui tenir compagnie.

- « La ferme. Peut-être que l’orphelinat ne t’a pas plus dérangé que ça, mais la prochaine fois que je te surprends à tourner autour de Mokuba, tu pourras dire adieux à tes stupides amis. 

- Orphelinat ? Hé, attends ! »

Mais trop tard, Kaiba avait déjà relevé la vitre et ordonné à son chauffeur de redémarrer la limousine. Je l’appelle à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le véhicule disparaisse de mon champ de vision. Excédée, je descends de ma bicyclette et la balance contre la barrière de mon jardin. Le boucan engendré provoque les râles d’une des voisines qui peste à travers sa fenêtre. On verra si elle gueule toujours quand j’aurais enterré son gosse dans son jardin.

Excédée, je traverse les quelques mètres qui me séparent de l’entrée et m’engouffre à l’intérieur de la maison pour me plaquer dos contre la porte. Silence total. Maman n’est sûrement pas rentrée.

- « Maman… » Je répète, la gorge en feu.

Soudain, une idée me vient à l’esprit. Il me reste une solution pour prouver que ce que j’ai appris cet après-midi n’est qu’une vaste blague organisée par Eléonore : mes albums photos de famille ! Lorsque ma mère a entrepris de déménager au Japon, elle a conclu avec mon père qu’elle emmènerait tous nos clichés et autres souvenirs d’enfance. Une nouvelle poussée d’adrénaline me parcourt les veines. J’en profite pour me précipiter en direction de mon salon où deux armoires longent tout un pan de mur. Depuis notre arrivée, je ne me rappelle pas avoir surpris maman en train de regarder ces albums. Probablement préfère-t-elle ne pas s’épuiser à repenser à notre vie passée. Je la comprends.

Par chance, je tombe directement sur une pile de classeurs, beaucoup moins classieux que ceux des Pegasus. Un à un, je les retire et, les mains tremblantes, je tourne les pages et imprime chaque cliché dans mon esprit. Une gamine de moins de dix ans, c’est ce que je recherche. Très vite, les premiers classeurs sont jetés un peu plus loin, trop récents. Mes yeux s’illuminent quand, au bout d’une dizaine de minutes, je rencontre une photo d’un de mes grands-frères, à ce moment âgé de neuf ans. Mes mains ralentissent, j’attrape précautionneusement chacune des pages, comme si elles avaient le pouvoir de me brûler les doigts. Mon souffle se coupe. La dernière photo de l’album représente mes deux parents côte à côte dans la cour d’un bâtiment ressemblant à une école. A leur pied, une petite fille aux yeux gonflés, elle ne regarde pas l’objectif mais autre chose hors champ. Je me fige. En arrière-plan, une bannière écrite en caractères japonais. « Portes ouvertes de l’orphelinat » suivis d’autres informations qui, sur le coup, n’ont aucune importance pour moi.

- « Alors Lorène, prête à partir ? »

Calée contre l’armoire, je me laisse emporter par des fragments de souvenirs qui surgissent dans ma tête. Le décor de la photo se précise dans mon esprit. Plus loin, il y avait une balançoire sur laquelle attendait un petit garçon. C’est lui que je fixais, au grand dam du directeur de l’orphelinat qui me suppliait de regarder l’objectif.

- « Lorène ? » Je répétais sans comprendre.

- Oui, c'est comme ça que tu t'appelleras désormais. »

La dame qui essayait de m'expliquer la raison pour laquelle je devrais répondre à un nouveau prénom s'emmêlait les pinceaux, si bien que mon attention a rapidement dévié vers l'air de jeux. Le petit garçon me lançait un signe de la main avec un sourire triste. Je levais la mienne discrètement pour ne pas alerter la dame. A côté de moi, deux inconnus discutaient avec le directeur de l'orphelinat. Ils avaient un accent à couper au couteau, je détestais le son de leur voix et priais pour qu'ils s'en aillent très vite. Je ne comprenais même pas pourquoi on m'avait forcée à poser avec eux alors que je préférais retourner jouer avec Maki.

Mes doigts tremblaient en maintenant la photo. Pas besoin de plus d'images pour comprendre l'horrible manège qui se jouait dans ma tête. Eléonore m'a, d'une manière ou d'une autres, complètement lavé le cerveau au point où je ne me souvenais même pas ne pas appartenir à la famille Yuurei. Sur le coup, je suis trop choquée pour pleurer ou même crier, malgré la pression qui comprime ma poitrine. A la place, je glisse la photo dans l'album et range tous les classeurs à leur place, en veillant à ce que tout le salon reprenne la même forme qu'à mon arrivée. 


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