Âme de Pureté

Chapitre 22 : Corpse Party: chapitre 22

5627 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 14:47

- « Comment ça « elle t’a balancée » ? »

Entre deux cours, je récupère une série de bouquins conservés dans mon casier, installé à côté de celui de Zoé.

- « D’après ma mère, le lycée a demandé à ce que je justifie ma présence sur place le jour de l’incendie.

- Mais c’est du délire, ça pourrait être n’importe qui.

- Justement, et vu que Kaiba n’est pas décidé à m’aider sur ce coup, je vais devoir leur dire que j’ai simplement mener un duel sur le toit avant de rentrer chez moi. »

Cette nuit, j’ai cogité à tous les mensonges possibles pour me sortir de ce pétrin. Un cours de soutien prévu à cette heure-là ? Impossible, mon professeur principal connaissait mon horaire et d’autant plus que ces cours se donnaient obligatoirement les week-ends. Un rendez-vous avec un autre élève ? Non plus, je n’ai personne dans mes camarades de classe qui pourraient endosser ce rôle excepté Zoé et elle était de service au Tam-Tam ce soir-là. En fin de compte, j’ai décidé de m’en tenir à la vérité. Après tout, personne ne croira qu’un disque de duel soit capable de causer un tel accident. C’est ce que je me répète depuis deux semaines. Mon amie et moi marchons lentement en direction de notre nouvelle salle de classe attitrée.

- « Pourquoi tu ne leur dis pas que tu travailles ce soir ? » Surenchérit Zoé dont les méninges fusent d’idées en tout genre.

- « Déjà réfléchi, c’est la police, ils pourraient appeler la patronne pour me donner un congé ce soir et tu sais ce que nous risquons dans ce cas. »

J’entends d’ici les sirènes de la police prête à enfermer la terrible criminelle qui sommeille en toi.

Oh, je ne savais pas que tu te considérais comme une odieuse criminelle.

- « Désolée, j’aurais un peu de retard ce soir. Tu veux qu’on ouvre le bar plus tard ?

- J’aimerais qu’on arrête tout. »

Il nous restait quelques mètres à parcourir pour entrer en classe quand je me stoppe pour regarder mon amie. Au fond, je m’en doutais. Les poches sous ses yeux ne trompent personne, ni même les miennes qui concourent à devenir aussi grandes que les siennes. La sonnerie retentit, le professeur apparait à l’autre bout du couloir nous presse de prendre place dans la classe. Avant d’obtempérer, j’adresse à Zoé un signe de tête, indiquant mon accord, mais lui murmure d’attendre encore quelques jours pour nous laisser le temps de trouver une solution.

Kaiba n’est pas revenu en classe depuis la veille. A croire qu’il s’octroie la permission de se présenter en cours quand bon lui semble. Téa s’obstine à coller Yugi durant les pauses, au cas où il chercherait à me revoir en privé.

Ce n’est pas comme si on avait beaucoup de choses à lui dire…

 

La nuit poursuivait son court sur Flem quand Eléonore et moi disputions un nouveau jeu concocté par l’esprit ancien. Alors que le score était de 15 à 0 en ma faveur, je récoltais une fois de plus la carte de mon adversaire. Etrange, je m’attendais à ce qu’elle renverse la situation dès que j’aurai accepté son pari, mais il n’en était rien. Les cartes qu’elle jouait se montraient beaucoup trop faibles pour les miennes. De temps à autres, elle utilisait des effets magie et pièges pour envoyer des cartes de son deck dans son propre cimetière, mais je ne m’en incommodais pas.

- « Prépare-toi à me révéler quelques-uns de tes souvenirs. » L’ai-je taquinée en préparant un monstre de niveau 4.

L’air satisfait, Eléonore m’a jaugée de ses grands yeux turquoise. Avant même de choisir quelle carte combattra la mienne, ses doigts fins se sont baladés le long de la table et ont saisi l’une de ses deux cartes face verso.

- « J’active le Nid des Insectes Piquants. Cette carte me permet d’envoyer les cinq cartes au-dessus de mon deck directement dans mon cimetière. 

- A quoi cela peut bien te servir ? Tu possèdes que des monstres plus faibles que les miens.

- Ne sois pas si impatiente. J’active ensuite la Permutation des Mondes, ce qui nous oblige toutes les deux à utiliser notre cimetière à la place de notre deck. En d’autres termes, les cartes dans notre deck sont envoyées au cimetière tandis que celles placées dans nos cimetières deviennent nos decks. »

Rien de très compliqué à première vue, du moins jusqu’à ce que j’attrape le tas correspondant à mon cimetière. Watapon, Eldeen, Agent du Catabolisme, je ne récupère que des cartes de faible puissance dans ma pioche.

- « Allons-y. »

Watapon VS Phoenix sacré de Nephtys

- « On dirait bien que j’ai de la veine ! »

Il n’est pas question de chance quand on joue des cartes d’une telle puissance. Nous tirons chacune une nouvelle carte silencieusement.

Marshmallon 3 « VS Métalzoa 8 «

Le jeu s’est ainsi poursuivi jusqu’à l’écoulement complet de nos decks. 16 à 24 pour Eléonore. Peut-être ai-je été trop stupide d’accepter son petit jeu tout en sachant qu’elle garderait un certain contrôle dessus. Néanmoins, en guise de consolation, Eléonore m’a glissée ces quelques mots avant de disparaître de ma vue.

- « Je ne cherche qu’à te protéger. »


Me protéger… Mais de quoi exactement ? Elle semble si remontée contre tout le monde que je peine à comprendre de qui je dois me méfier le plus.

- « Zoé a l’air épuisée. » Me souffle Tristan en s’installant au banc à ma droite. « Est-ce que tout va bien ? »

Par réflexe, je me tourne vers le fond de ma classe où mon amie pique du nez dans ses bouquins alors que Yugi tente de la tenir éveillée par tous les moyens.

- « Je… En fait… J’en sais rien, Tristan. »

Que suis-je sur le point d’avouer ? Je secoue doucement la tête, priant pour que le brun à mes côtés cesse de me poser des questions. Cependant, il faut croire que mon comportement a plus attiré sa curiosité qu’autre chose car il pose sa main sur mon poignet et m’intime de le regarder.

- « Je sais qu’on ne se connait que depuis le tournoi, mais Yugi et Joey ont vraiment l’air de s’inquiéter pour vous deux dernièrement, et moi aussi. Alors, s’il y a quoi que ce soit qu’on puisse faire…

- Tristan.

- Quoi ?

- J’ai brûlé le lycée de Flem et la police va m’interroger à ce propos après les cours. »

La première bombe est lâchée. Je sens en moi non pas un poids qui se lève mais un mauvais pressentiment instauré par Eléonore. Elle me répète à plusieurs reprises que tout leur avouer serait une terrible erreur. Tristan, quant à lui, scrute l’entièreté de mon visage, mes mouvements, à la recherche d’une once de moquerie.

- « Mademoiselle Yuurei, Monsieur Taylor, je peux vous aider ? »

Alerté par le professeur de mathématiques, Tristan retire sa main de mon poignet et fait mine de se reconcentrer sur son cahier, tout en jetant de rapides coups d’œil dans ma direction. Durant un long moment, je songe à la tête qu’il aurait si je lui avouais que Zoé et moi cachons un corps dans un garage depuis une semaine. Il se serait liquéfié sur sa chaise.

Lorsque les cours se terminent, toute l’appréhension que je ressentais au plus profond de mon corps se change en stress. Mon estomac se noue, mes jambes tremblent de temps à autres. Je m’efforce de paraître détendue au moment où j’enfile mes chaussures d’extérieur et reclape bruyamment mon casier en métal.

- « Lore, attends ! »

Mon cœur bondit sous le choc. Mes doigts se resserrent sur la sangle de mon sac alors que je me retourne, face à Tristan qui a visiblement décidé de ne pas me lâcher.

- « Qu’est-ce que tu vas leur dire ? Comment ça s’est produit ?! »

A son état, on pourrait croire que c’est lui qui est sur le point de passer sur le grill. Cette situation m’arrache un petit rictus, déplacé.

- « Mon disque de duel, celui que Kaiba a cassé, c’est de sa faute.

- Mais alors c’est à Kaiba de…

- Il m’a envoyée chier hier à ce sujet. » Je réponds avec amertume.

S’en suit un long soupir de ma part. L’heure tourne et il est grand temps pour moi de rejoindre mon ancien lycée, dévoré par des flammes qui se voulaient holographiques. Pourtant, je ne parviens pas à décoller les pieds de l’entrée. Ce pauvre Tristan se tapote le front avec sa main, comme si une idée de génie en jaillirait par magie. Adorable.

Pathétique.

- « Hé. »

Franchissant les quelques pas qui nous séparent, je frappe gentiment son épaule de mon poing.

- « Ne t’inquiètes pas pour elle et moi, je trouverai un moyen de nous sortir de là. 

- Alors il y a encore autre chose que tu ne nous dis pas ? »

Je hoche la tête presque immédiatement, fatiguée de tourner autour du pot et de mentir sans véritable raison. Une poignée d’élèves nous contournent pour rejoindre la sortie, je sais pertinemment que je devrais partir si je ne veux pas rater le train pour Flem.

- « Si tu nous racontais tout maintenant, on pourrait vous aider ! 

- Qu’est-ce qui se passe, Tristan ? »

D’un coin du couloir intervient Joey. Il se place aux côtés de son ami et attend lui aussi que je réponde aux attentes de Tristan.

- « Je pense que je vous ai causé assez de soucis jusqu’ici, il suffit de regarder le pharaon pour comprendre que ce n’est pas près de s’arrêter. Je m’occupe de régler tout ça de mon côté et je vous en parlerai que tout sera fini, je vous le promets. »

Sur ce, je me courbe en signe d’excuse et m’élance en direction du portail, à la fois pour rattraper mon retard, mais aussi pour ne pas qu’ils remarquent mes jambes tremblantes sous la pression. Mon cœur tambourine contre ma cage thoracique dans ma course effrénée. Sur mon chemin, je bouscule une série de passants qui m’insultent, mais trop troublée par une multitude de réflexions agressives, je ne m’en excuse même pas. Ce n’est qu’une fois dans le train, adossée à la paroi que je m’autorise à reprendre mon souffle.

Ce soir, il faut que le cadavre ait disparu. Cette pensée et tout ce qu’elle implique me soulève les tripes jusqu’à me flanquer la nausée. Le visage fatigué de Zoé me revient tout de suite en tête. Ai-je réellement le choix ? J’espère simplement qu’Eléonore me filera un bon coup de main pour ce sale boulot.

Toujours présente pour toucher les morts.

Lorsque le train s’arrête en gare, je redécouvre les petites rues menant au lycée. Auparavant, je ne m’étais jamais attardée sur la propreté des maisons avoisinantes, ni même des nombreux vélos qui circulent dans les environs. Non, j’étais beaucoup trop plongée dans la musique dans mes oreilles pour relever les moindres détails comme je le fais à présent. Les battements de mon cœur résonnent de ma tête au bout de mes orteils. La bâtisse en travaux s’élève au loin. D’après les informations fournies par ma mère, je dois me rendre au commissariat à quelques pâtés de maisons de là. Ce trajet m’oblige à contourner l’école et ainsi constater les dégâts. Toutes les fenêtres du dernier étage ont explosé sous la chaleur des flammes. Toute cette partie de la façade s’est ainsi noircie des centres du toit. Seul le rez-de-chaussée et le premier étage demeurent intouchés. Je me focalise sur cet élément avant d’enfin arriver à mon lieu de repentance.


- « Veuillez-vous installer sur cette chaise. »

L’homme qui m’a accueillie se montre plutôt agréable, de quoi baisser d’un cran toute la pression qui occultait mon corps jusqu’ici. Sans me quitter de ses yeux verts en amandes, il prend place derrière un ordinateur, prêt à recueillir les informations sur l’incendie. Seules quelques plantes placées entre les armoires de la pièce égaient l’ambiance silencieuse qui en émane. Tandis qu’il pianote d’un rythme constant sur son clavier, je me masse les poignets, réfléchissant une dernière fois à ma déposition.

- « Pouvez-vous me rappeler votre nom et votre prénom ?

- Lorène Yuurei. » Je réponds avant d’en épeler chaque lettre.

- Parfait. Vous savez pourquoi vous êtes ici ? »

Il commence avec des questions plutôt simples, à mon plus grand bonheur.

- « Ma mère m’a dit que c’était pour l’incendie de mon lycée.

- Exactement. Etiez-vous sur place quand il s’est déclaré ? »

Je retire tout de suite ma dernière pensée.

- « Oui, je… mes cours se sont terminés un peu avant que l’incendie ne se déclare. »

Le bruit de ses frappes s’élève dans toute la pièce, j’ai la vague impression qu’on me cogne le crâne à chaque fois que ses doigts enfoncent une série de touches.

- « Des témoins affirment vous avoir aperçue à la sortie peu après que le feu ait été déclaré. Avez-vous des explications à nous fournir ? »

La tournure de sa phrase m’intrigue quelque peu. Certes, je me suis échappée du lycée alors que les flammes rongeaient petit à petit le toit du bâtiment. En revanche, comment de simples passants, même des lycéens auraient-ils pu me reconnaître parmi les autres qui essaient de s’enfuir ? Que ce soit au lycée ou à la ville, personne ne pourrait pointer une photo de moi et affirmer avec ferveur qu’il s’agit de Lorène Yuurei.

- « Mademoiselle ? »

Visiblement, je prends beaucoup trop de temps de réflexion à son goût. Ses mains se baladent le long du clavier sans le toucher et son regard se balade de l’écran à moi.

- « Eh bien, comme je vous l’ai dit, mes cours se sont terminés un peu avant l’incendie et quelqu’un m’a défiée en Duel de Monstres. Du coup, nous avons joué et quand le feu s’est déclaré, on a arrêté notre jeu pour nous enfuir. »

D’ailleurs, si mes souvenirs s’avèrent exacts, Kageyama a quitté le toit bien avant moi. Oui, c’est moi qui ai fermé la porte avant de dévaler les escaliers jusqu’à la sortie !

- « Duel de Monstres, hein ? » L’inspecteur semble réprimer un rire moqueur avant de continuer. « Et cette personne qui jouait avec vous, elle peut témoigner ? »

Une série de picotements me traverse le dos. Non, cela m’étonnerait que Kageyama accepte de me venir en aide, mais autant donner son nom avant qu’il ne me considère comme un suspect potentiel.

- « Je pense oui, il s’agit d’une deuxième année : Risa Kageyama. »

Soudain, ses sourcils se froncent et l’homme cesse de taper sur son clavier. Comme s’il attendait que je revienne sur mes propos, il me dévisage et patiente de longues minutes avant de poursuivre.

- « Vous savez qu’il est vivement déconseillé de mentir à la police ? »

Son ton froid et ses paroles équivoques me fichent la chair de poule. Je resserre mon emprise sur mon poignet et me mords la lèvre inférieure. Mon esprit est totalement embrumé par son brusque changement d’attitude.

A côté de son clavier.

En penchant légèrement la tête comme me l’intimait Eléonore, je décèle effectivement un petit cadre à la gauche de son ordinateur. L’inspecteur remarque directement mon mouvement et se replace de telle manière à ce que je ne puisse pas observer la photo.

C’est son père.

Sans en avoir la preuve, je crois Eléonore sur paroles. Jusqu’ici, leur ressemblance ne m’avait pas sauté aux yeux. Mais quand on y regarde de plus près, ils possèdent certains traits en commun, comme la couleur de leurs iris ou encore leur nez aquilin.

- « Maintenant, vous allez me répéter ce que vous avez fait ce jour-là après vos cours. »

Sa question me paraît stupide. Il le sait très bien, je viens de tout lui servir sur un plateau si ce n’est l’incroyable dénouement de notre duel.

- « J’ai disputé un duel dans le lycée et je me suis enfuie une fois que le feu s’est déclaré. 

- Avec qui ?

- Risa Kageyama. » J’insiste, la mâchoire serrée.

Mes veines pulsent sous la colère et la frustration. De toute façon, je n’ai aucune autre alternative que d’accuser encore et encore sa fille. Je fonce tout droit dans le mur sans pouvoir dévier ma trajectoire. Je sursaute lorsque l’homme frappe sur le bureau de son poing.

- « Mademoiselle Kageyama n’était pas sur les lieux à ce moment-là, cessez de mentir ! 

- Et vous arrêtez de défendre votre putain de gosse qui harcèle les premières années ! »

Sous l’énervement, je me suis brusquement relevée de ma chaise, la laissant tomber sans vergogne tandis que j’hurlais mes accusations envers cette Kageyama. Sa chaise crisse à son tour quand il lâche son ordinateur pour se pencher vers moi. Les traits de son visage sont tirés à l’extrême. Son attitude m’apeure au point où j’esquisse l’envie de reculer quand il attrape rageusement la manche de ma veste scolaire.

- « Comment oses-tu parler de ma fille d’une telle sorte, gamine de merde ! »

Figée, je ne parviens plus exprimer le moindre mot. Ma tête me somme de me défaire de son emprise et de courir chercher de l’aide, mais mes jambes refusent de s’exécuter. Ma poitrine se soulève et s’abaisse sous ma respiration chaotique, ma vue se voile dangereusement. Tout en déglutissant, je saisis qu’il ne me reste plus qu’une échappatoire à cette situation. Me remémorant mon duel sur le dirigeable de Kaiba, je m’efface progressivement au profit de cet esprit, mon dernier recourt.

- « Toi, sombre âme qui a péché par ses actes, tu ne mérites par de vivre auprès du commun des mortels. Au nom du Royaume des Ombres, je décide de t’envoyer dans un endroit si noir et horrible que tu n’en sortiras qu’une fois repenti. Que le jeu des ténèbres commence. »

Mon visage entier brûle, je n’ose même pas regarder celui de mon vis-à-vis lorsqu’Eléonore prononce sa formule. Tout ce que j’entends, c’est le corps lourd de l’inspecteur qui s’écrase au sol, entrainant dans sa chute plusieurs objets, dont son clavier. Guidée par une force supérieure, je contourne le bureau et le récupère. Naturellement, Eléonore efface les dernières lignes écrites par l’homme et les remplace par des affirmations qui me nettoie de tout soupçon. Tel un fantôme, j’admire la sérénité avec laquelle elle s’exécute, jusqu’à couper une des dernières phrases avant de pousser un cri de terreur.

- « Au secours ! Il ne respire plus ! »

D’autres policiers ayant entendu son appel à l’aide se précipitent dans la salle d’interrogatoire. Eléonore leur sert une de ses meilleures prestations, leur clamant que cet homme s’est évanoui en plein milieu d’une question. Son visage paniqué que me convaincrait presque que nous ne venons pas à nouveau d’envoyer une âme aux Enfers.

Tout ce qui se produit ensuite, c’est un festival de sons, des sirènes d’ambulances qui fusent dans la rue, des pleurs de collègues qui s’inquiètent pour la victime. C’est également la voix rassurante d’un autre inspecteur qui m’autorise à rentrer chez moi et me propose même de me raccompagner en voiture.

- « C’est gentil, mais je dois rendre visite à quelqu’un. » A-t-elle simplement répondu avant de s’échapper de toute cette effervescence.


Mes jambes me guident peu à peu vers la zone industrielle aux limites de Flem. Le soleil décline dangereusement à l’horizon, réchauffant une dernière fois l’endroit avant de le plonger dans le froid de la nuit. Face à la grande allée où jonchent les garde-meubles, je m’arrête quelques secondes. Etrange, il m’a semblé entendre des chuchotements à l’instant. Impossible de me fier à mes sens, mon esprit vagabonde dans diverses directions.

Ce n’était que le vent.

Les doigts s’enfonçant dans le cuir de mon sac de cours, je me décide enfin à parcourir la trentaine de mètres jusqu’au garage numéro vingt-trois. Dans mes mouvements se mêle une force octroyée par Eléonore. Sans elle, je m’effondrerai par terre pour verser toutes les larmes de mon corps en pensant à ce que je suis sur le point de faire. Bloquant toute réflexion qui m’obligerait à faire marche arrière, j’insère la clé de Zoé dans le verrou et soulève la grille. Malgré l’obscurité, je décèle la forme bombée sous les couvertures au fond du garde-meuble. Cette impression se confirme lorsque j’allume la lampe pendue au plafond.

- « Qu’est-ce qu’on en fait ? 

- Elle ne reviendra jamais du Royaume des Ombres. Le mieux serait de la tuer et de nous débarrasser de son corps au plus vite. »

Une vive migraine suivie de nausées me déséquilibre quand mon esprit imagine la suite de la soirée. Une main plaquée contre ma bouche, je tâche de me calmer. Pour Zoé, je dois le faire. Enhardie par cette pensée, je trouve le courage de m’approcher des couvertures et de les tirer doucement. La pâleur de la peau de la patronne se découvre à la lumière de l’ampoule. Par réflexe, je vérifie son état. Stationnaire.

- « Co…mment tuer un humain… » Je souffle, les poumons à secs.

Je m’abandonne au profit d’Eléonore qui remonte mes mains au niveau du cou couvert d’hématomes. Un hoquet de surprise s’échappe de ma bouche lorsque ma peau entre en contact avec la sienne. Son pouls pulse sous mes paumes, résonnant dans ma tête comme s’il s’agissait de mes propres battements de cœur. En suis-je réellement capable ? Ai-je vraiment le choix ? Une floppée de questions se mélangent dans mon esprit tandis que de fortes vibrations m’intiment d’étrangler ce cou fin jusqu’à ce que le peu de vie qui anime encore ce corps s’éteigne à jamais. Ma vue se brouille, ressassant encore et encore les réflexions désagréables et les menaces de la patronne. Au fin fond de mon âme, je sens Eléonore me pousser dans mes derniers retranchements pour accomplir cet acte odieux.

- « Lorène, arrête ! »

Ce cri m’arrache de ma torpeur, mais mes mains demeurent fermement plaquées contre la peau du cadavre. Il est là. Raide comme un piquet, le pharaon me fixe de ses yeux écarquillés d’horreur. A ses côtés se dressent ses compagnons Joey et Tristan, tout deux aussi choqués par la scène qui se déroulent devant eux.

- « Va-t’en, pharaon. Tout ceci ne te regarde pas. »

Aucun d’eux n’ose approcher à moins de deux mètres, sûrement à cause du symbole du millénium qui jaillit de ma peau à cet instant. Etonnamment, je garde un certain contrôle sur mes membres, mais pour combien de temps, encore ?

- « Peu importe les raisons qui te poussent à tuer cette femme, ne le fais pas !

- Bordel mais qu’est-ce qui se passe ici ?! » S’insurge Joey d’un ton colérique que je ne connaissais pas.

La peau blanchâtre sous mes doigts devient peu à peu violacée, due à mes précédentes pressions. La présence du pharaon et de ses amis ne change en rien la situation dans laquelle je me suis mise. Si je ne me débarrasse pas d’elle au plus vite, alors… alors…

- « Vous ne comprenez rien à rien, vous. Je n’ai pas d’autres solutions que de me débarrasser d’elle et, croyez-moi, je lui épargne bien des souffrances. Le Royaume des Ombres se montre rarement clément avec les faibles dans son genre.

- Pourquoi l’as-tu envoyée au Royaume des Ombres ?! »

Les exclamations du pharaon me flanquent la frousse. Tétanisée, je n’ose pas même un regard de son côté et me contente d’observer l’absence de réaction de la patronne.

- « Je vous conseille de retourner d’où vous venez car je n’hésiterai pas à vous faire subir le même châtiment. 

- Si tu crois nous faire peur, alors c’est raté ! »

Sans que je ne puisse esquisser le moindre mouvement, je me sens soudainement projetée en arrière, le ventre entouré de deux bras. Joey me soulève comme si je n’étais qu’un vulgaire sac à patates. Tristan se jette rapidement à son secours en m’empêchant de me débattre tandis que la chaleur qui brûlait tout mon être s’accentue au fur et à mesure que je gesticule.

- « Toi, sombre âme qui a péché par ses actes, tu ne mérites par de vivre auprès du commun des mortels… »

Les muscles de ma nuque se tordent pour m’obliger à regarder Tristan dans les yeux. Celui-ci maintient mes poignets sans se rendre compte qu’il est sur le point de succomber aux désirs d’Eléonore.

- « Frappe-moi ! » Je lui hurle au visage.

Nous ne devons pas les laisser nous barrer le chemin !

- « Au nom du Royaume des Ombres, je décide de t’envoyer dans un endroit si noir et horrible que… »

Le grand brun ne parvient plus à bouger, la marque du millénium apparaît brusquement sur sa peau. Cependant, en plein milieu de l’incantation de l’esprit, une main agrippe le col de mon uniforme et me plaque violemment contre une étagère métallique. Je n’ai pas le temps de comprendre ce qu’il se passe qu’un coup de poing m’est asséné en plein estomac. Un cri de douleur s’étouffe au fond de ma gorge. Si je tiens encore sur mes deux jambes, c’est grâce au soutien de mon bourreau.

- « Bordel Joey ! Tu l’as sacrément amochée ! 

- J’ai paniqué, elle allait t’envoyer au Royaume des Ombres. Hé, ça va ? »

Son visage penché vers le mien, Joey m’aide à m’asseoir sur le sol crasseux du garde-meuble. Ma fièvre a disparu, le symbole du millénium semble s’être effacé de mon front, sauvant Tristan d’un destin cruel.

Tu viens de nous saboter.

- « Peut-être bien… » Je toussote sans me soucier des six yeux tournés vers moi. « Mais je crois qu’il y a eu assez de victimes comme ça. 

- Qu’est-ce que tout cela signifie, Lorène ? » S’insurge le pharaon.

En quelques mots, je leur explique les raisons de la présence de ce corps emmitouflé dans les couvertures ainsi que l’implication de Zoé dans toute cette histoire. Le seul secret que je me garde d’avouer est la deuxième victime du jour, à savoir Monsieur Kageyama. Lasse, je récupère doucement mon souffle et enfouis une de mes mains dans mes cheveux.

- « Que comptez-vous faire, maintenant que vous connaissez la vérité ? Me dénoncer à la police ? » Je lâche, sur un ton exécrable.

Les trois garçons se jaugent à tour de rôle. Peut-être devrais-je profiter de mes dernières heures en liberté. Après tout, ils n’ont aucun intérêt de me laisser poursuivre. Puis, ce n’est pas comme si je m’en sentais toujours capable.

- « Tristan, tu te sens d’attaque ? » Souffle Joey, accroupi à mes côtés.

Il ne faut pas plus de deux secondes pour que le principal visé hoche la tête et se craque les phalanges.

- « J’avais prévu une soirée plus calme, mais on fera avec. 

- Yugi, tu saurais t’occuper de Lorène ? »

Ce dernier fronce les sourcils, l’air complètement perdu.

- « Oui, mais… Qu’est-ce que vous allez faire ? 

- Retourne au bar avec elle pour brûler toutes les pistes. Tristan et moi nous occupons du reste. »

Sa voix est si assurée que je doute un moment qu’il saisisse l’ampleur de la situation. Cependant, quand son regard se pose à nouveau sur moi, je comprends que je suis sûrement celle qui ne saisit pas tout.

- « Les clés. »

Une main contre mon ventre, je me redresse sur mes genoux pour attraper mon sac un peu plus loin. Sans une once d’hésitation, je lui confie les clés du garage qu’il accepte d’une main ferme. Obéissant aux ordres de Joey, Yugi se place à ma gauche et attrape ma hanche pour m’aider à me relever. Je me laisse ainsi entrainer jusqu’à l’extérieur, où il se décide enfin à m’adresser la parole.

- « Pourquoi ne nous en as-tu pas parlé avant… »

Ses mots sonnent comme des reproches mêlés à de la tristesse. Il guide mon corps jusqu’à la sortie de la zone industrielle, où les lumières de la ville contrastent avec l’obscurité du lieu salubre. A partir de là, j’indique à Yugi que je peux marcher sans son aide, tout en grognant à chacun de mes pas. Joey n’y est pas allé de main morte, jamais plus je ne le mettrai en colère, ça je peux vous l’assurer. Du bout des lèvres, je nous dirige dans les rues de Flem jusqu’au Tam-Tam.

- « Comment pouvais-je deviner que j’en arriverai là. » Je réponds assez bas pour qu’il soit le seul à m’entendre. « Comment expliquer à quelqu’un que le seul moyen de te protéger, c’est de faire disparaître le problème ?

- Tu penses toujours que ce que tu as fait était la seule possibilité ? »

Tandis que nous traversons une rue bondée, je me remémore ce soir-là dans le vestiaire. La patronne s’acharnait pour déverrouiller la porte alors qu’elle venait de m’annoncer l’obligation de répondre aux envies les plus étranges de ses clients.

- « Oui, c’était la seule. Ne blâme pas Eléonore pour cela, c’est moi qui le lui ai demandé. »

Atem se mure ensuite dans un silence pesant. Evidemment, il ne soutenait pas du tout ma décision, mais je ne lui en veux pas. En fin de compte, nos agissements, aussi terribles soient-ils, répondent à notre instinct de survie à elle et moi.

Sans l’avouer devant lui, je me convaincs que si des situations similaires se représenteraient, reproduirais exactement les mêmes actions.


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