Âme de Pureté

Chapitre 21 : Corpse Party: chapitre 21

6478 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 14:47

Le reste de la semaine, je me suis décidée à rechercher ce supermarché qui m’obsède tant. A cette occasion, je me suis offert une bicyclette. Non seulement elle me permet d’empêcher tout idiot à pieds de me prendre en filature lorsque je vais vérifier l’état du cadavre, mais aussi d’élargir ma zone de recherches. Au bout de trois jours, j’étais parvenue à visiter tous les magasins de Flem et la moitié de ceux de Domino. Pendant les pauses, je passe la majeure partie de mon temps à quadriller les parcelles non visitées.

- « Tu avances ? » Me demande Joey, penché sur ma carte alors que les autres discutent entre eux.

Un stylo calé entre mes doigts, je lance au blondinet un regard désabusé.

- « Je vais finir par croire que tu avais raison en pensant que le supermarché n’était pas dans cette ville. »

Tout en m’écoutant, il profite que mon voisin de devant soit sorti de la classe pour s’installer devant moi et analyser ma carte de plus près. Il y a deux jours, je lui avais donné un croquis du magasin tel que je m’en souvenais. Non pas que j’aie envie que d’autres personnes laissent trainer leur nez dans mes affaires, mais l’aide de Joey se révèle être un atout de choix quand on sait qu’Eléonore évite le sujet. Mes yeux se baladent le long de la carte avant de s’arrête au niveau du poignet du grand blond couvert d’un énorme bleu. Intriguée, je ne peux m’empêcher de le pointer du doigt.

- « Tu t’es blessé ? 

- Oh ça ? »

Il découvre alors sa manche pour exposer toute une série de coups dans le même genre sur son avant-bras.

- « Ce n’est rien de spécial, juste un règlement de compte que j’ai gagné. » S’esclaffe-t-il, fier de lui avant de se reconcentrer sur ma carte. « Si les derniers commerces ne correspondent pas, qu’est-ce que tu comptes faire ? » Me demande-t-il en indiquant les quatre zones rouges encerclées sur le papier.

Mes yeux fixent ses cercles tour à tour, je n’en ai aucune idée. Peut-être vais-je continuer à chercher dans d’autres villes, de plus en plus loin jusqu’à tomber par hasard sur cet endroit rempli de mystères.

- « Eh bien… »

Ma phrase s’arrête brutalement quand un élève fait irruption dans la classe. Très grand, les cheveux bruns et le regard d’un bleu glacial. Je manque de tomber de ma chaise en reconnaissant l’allure de Seto Kaiba, affublé de l’uniforme bleu des garçons du lycée.

- « Je rêve…

- M’ouais, Kaiba est dans notre classe. Tu ne le savais pas ? »

Je dévisage Joey avec des grands yeux. Maintenant qu’il le dit, il me semble vaguement me souvenir d’une discussion avec Zoé à ce sujet. Kaiba remarque rapidement pas présence – après tout, la veste orange des lycéennes de Flem ne passe pas inaperçu parmi cette vague de rose. Lorsqu’il s’installe derrière son pupitre désert depuis des jours, je suis prise d’une soudaine envie d’aller lui parler.

- « Je reviens.

- Attends, t’as oublié la manière dont il nous a traités ? Ce type ne vaut rien de bon. »

J’approuve les dires de mon ami, mais il y a quelque chose que j’aimerais savoir et qu’il est le seul à pouvoir répondre. J’adresse donc un petit signe d’excuse auprès de Joey et traverse la classe pour me poster devant son bureau. Le nez plongé dans un bouquin, je ne doute pas que Kaiba ait noté ma présence. Pourtant, il ne lève pas une seule fois la tête pour soutenir mon regard.

- « Kaiba, je peux te parler ? »

Il ferme les yeux deux secondes, son air hautain me débectera toujours.

- « Va jouer dans ta cour de récré, Yuurei, j’ai mieux à faire. 

- Toujours aussi aimable, décidément. Sauf que ce que je voudrais savoir, c’est si tu avais du nouveau concernant le dysfonctionnement du disque de duel. »

L’appareil en question se trouve en ma possession, caché dans un coin de ma chambre. Néanmoins, étant donné que j’avais communiqué ces informations à Mokuba et son grand-frère, je m’attends à recevoir des réponses. Enfin, Kaiba se décide à lever le nez de son bouquin, même si c’est pour me dévisager.

- « Pourquoi est-ce que je t’en parlerai ? Tout ceci ne te regarde pas.

- Bien au contraire, Kaiba, je te rappelle que ça a causé un bon nombre de problème. Dont un… plus important que les autres et je n’aimerais pas être mêlée à ça. »

Plus les jours passent, plus je redoute les retombées de l’incendie de mon ancien lycée. D’un côté, je me plais à croire que Kageyama n’a rien révélé à propos de notre brulant duel. D’un autre, je tiens à être rassurée. Après tout, c’est de la faute de Kaiba si le disque de duel a littéralement pété un câble !

- « Ma société n’a aucun compte à te rendre, Yuurei, et encore moins à une manipulatrice comme toi.

Manipulatrice ? Il est tombé sur la tête ou quoi ? Résolue à ne pas le laisser m’écraser, je me penche et plaque mes mains sur son banc.

- « Qu’est-ce que c’est encore que ces conneries ? » Je peste sans couper notre jeu de regards.

Mes épaules tressaillent lorsque Kaiba ferme brusquement son bouquin et s’incline à son tour, rapprochant dangereusement nos visages l’un de l’autre.

- « Tu croyais qu’en intégrant mon tournoi je ne verrai pas ton petit manège ? C’est très mal me connaître Yuurei et peut-être que tes petits amis ne s’en sont pas encore aperçus, mais je n’hésiterais pas à t’éliminer si tu décidais de t’approcher un peu trop près de mes affaires ou même de Mokuba. »

Son ton menaçant me glace le sang. Je cherche dans ses yeux la raison de sa haine à mon égard, mais je n’y trouve que de la colère. Soudain, mes doigts subissent de douces vibrations qui s’étendent jusqu’à mes poignets.

- « Seto Kaiba. Très beau nom, n’est-ce pas ? Mais ce n’est pas ton ultimatum pitoyable qui va me faire céder. Le seul ici qui se prosternera, ce sera toi. »

La cloche retentit, signe que nous devons reprendre nos places pour la suite des cours. Kaiba serre la mâchoire et plisse les yeux. S’il avait la possibilité de me tuer à cet instant, il ne douterait pas une seconde. Sous le choc, je me laisse contrôler par Eléonore et rejoins mon siège, sous les regards étonnés de la bande de Yugi qui n’ont rien raté de la scène.

- « On dirait que tu fais forte impression auprès de Kaiba. » Souffle Tristan dès que je me suis assise.

Malgré moi, je lui affiche un large sourire, beaucoup trop étiré pour être naturel.

- « N’est-ce pas ? Après tout, je suis irrésistible, pas vrai Tristan ?  

- Hm, si tu le dis… »

Qu’est-ce que tu fiches ? Pourquoi ne me rends-tu pas le contrôle de mon corps comme d’habitude ?

Tu cherches beaucoup trop les ennuis à mon humble avis. Il faut bien que quelqu’un remette de l’ordre dans ta vie, n’est-ce pas ?

Peu importe ton avis, je te rappelle que c’est mon corps et non le tiens ! Tu ne peux pas énerver qui bon te semble sans me demander mon avis !

Ah… ? Depuis quand c’est toi qui décides ? Je pensais que tu l’avais compris.

Le professeur se dirige vers son pupitre pour faire l’appel. Mes avant-bras sont cloués sur mon propre bureau. A plusieurs reprises, j’essaie de les dévier de leur trajectoire mais la force d’Eléonore m’empêche d’esquisser le moindre geste.

- « Yuurei ?

- Présente ! »

Même mes cordes vocales n’obéissent plus à mon âme. Très drôle, Eléonore. Assez jouer, rends-moi mon corps, maintenant !

Ou sinon ?

Sinon je te jure sur ce que j’ai le plus cher que je vais péter un câble. De violentes crampes assènent mes membres un à un. La douleur s’accroit au fil des minutes, mais l’omniprésence d’Eléonore me retient de crier ou de me tordre dans tous les sens comme mon cerveau me le hurle. Le cours a débuté depuis une dizaine de minutes, chaque élève griffonne dans son cahier les quelques exercices de mathématiques que le professeur inscrit au tableau. Ma main se meut en rythme, la pointe de mon crayon imite mon écriture à la perfection, comme si mes doigts n’avaient même plus besoin de moi pour subsister.

- « Vous avez terminé ? Je vais écrire les résultats. »

Ma bouche s’élargit d’un rictus quand elle constate que toutes ses réponses sont correctes. Tristan, alors penché sur mon cahier, me lance un regard surpris.

- « Eh bah, tu t’es améliorée en une semaine. 

- Merci Tristan, tu es un amour. »

Intérieurement, je peste contre cet esprit qui se croit supérieur à moi, mais encore plus contre mon ami qui ne s’est pas encore rendu compte qu’il ne s’agissait pas de mon identité.

Jalouse ? Je te l’ai dit, il est grand temps que quelqu’un reprenne cette pauvre vie en main.

Ses mouvements paraissent fluides et sans entraves, alors que j’essaie par tous les moyens de me défaire de son emprise. Le cours se poursuit. Mes crampes s’amplifient au fur et à mesure que je contracte mes doigts pour qu’ils m’obéissent à nouveau. Son pouvoir n’est pas éternel, mon duel contre Monsieur Pegasus l’a prouvé. Il me faut juste suffisamment de courage pour contrecarrer ses plans. Si Mai me voyait, elle me dirait certainement que je n’ai pas à me montrer faible au point de laisser un putain d’esprit diriger ma vie.

Je peux te sentir lutter. Cesse cela tout de suite, ça ne sert à rien.

Si je m’épuise pour rien, alors tant pis, mais je n’abandonnerai pas face à elle. La douleur se propage dans mes épaules et ma nuque, puis à l’entièreté de mon corps que je contracte dans l’espoir d’obtenir une quelconque réaction. Mes doigts se mettent à trembler, ça marche !

- « Bordel, qu’est-ce que c’est ?! » S’écrie un élève dans mon dos.

L’attention des étudiants présents se portent sur la gauche où les fenêtres de la classe vibrent étrangement. D’un coup, je parviens à serrer mes poings dans un mouvement brusque. Je ne m’enquiers même pas de l’affolement général. Cependant, lorsqu’un craquèlement atteint mes oreilles, je tourne immédiatement la tête, redevenue mienne. Tout à coup, les vitres fendues de fines fissures cèdent sous une pression invisible et explosent dans un bruit détonnant.

- « Attention ! »

Une main agrippe brusquement mes épaules et m’attire vers la droite pour me protéger de la chute des débris de verre. De furieuses bourrasques de vent s’engouffrent dans la salle de classe, perturbée par les cris d’effroi des élèves. Le professeur nous somme de nous calmer, mais dans la panique générale, certains se sont enfuis de la classe. De mon côté, je ne bouge pas d’un iota, emprisonnée dans les bras de Tristan qui me maintient en équilibre au bord de sa chaise. Les débris de vitres tombent le long des bancs les plus exposés. A l’affolement succède un silence pesant durant lequel nous nous jaugeons tous du regard. D’un coup d’œil en arrière, je constate que Kaiba n’est nullement impressionné parce qui vient de se passer.

- « R-Restez tous sagement ici, je vais prévenir le directeur. » Bredouille le professeur avant de s’enfuir par la porte.

Malgré le froid glacial qui s’invite dans la classe, je ne frisonne pas. Au contraire, tout mon corps bouillonne de cette sensation grisante de puissance. Eléonore ne résonne plus dans ma tête, elle ne s’active plus dans mes membres. Je ne suis plus le pantin qu’elle croyait contrôler au bout de ses fils.


Le directeur a décrété que les cours de cet après-midi seraient annulés pour événement exceptionnel. Il faut bien avouer qu’une explosion de vitres en plein milieu d’une leçon de mathématique n’est pas vraiment commun. A la sortie, je n’échange que quelques banalités avec Zoé, c’est son tour de vérifier l’état du cadavre aujourd’hui. Je lui souhaite donc bon courage et récupère mon vélo pour jeter un coup d’œil aux derniers supermarchés de ma liste.

- « Eléonore. »

En relevant la tête, de mon guidon, j’aperçois Yugi debout devant ma bicyclette, bras croisés. A cet instant, je pèse le pour et le contre d’entamer une discussion avec le pharaon.

- « Désolée, là, c’est Lorène. » Je rétorque en poussant ma bécane sur quelques mètres quand une main ferme s’abat sur le guidon.

- « Ce qu’il vient de se produire… C’est toi, n’est-ce pas ? »

Sa voix suave transparaît d’une certaine colère. Sur le coup, j’ai l’impression de me faire réprimander par mon père pour avoir cassé un jouet. 

- « Disons que c’est spécial. Mais bon, qui n’a jamais détruit des fenêtres à distance ? »

Embarrassée, je me mets à glousser, forçant des mains pour défaire mon vélo de l’emprise de Yugi.

- « Je ne peux pas te permettre de mettre mes amis en danger, il faut que tu apprennes à gérer Eléonore pour que cela ne se reproduise plus. 

- Parce que tu crois que c’est aussi simple que ça ? » Je lui adresse un regard noir, jugeant sa remarque comme déplacée.

- « Je sais bien. C’est pour ça que désormais, je t’accompagnerai pour t’aider à la contrôler. »

Mes tentatives de m’échapper s’arrêtent brusquement. L’expression sérieuse sur son visage me contrarie. Comment compte-t-il s’y prendre ? Pense-t-il réellement me coller durant toute ma vie jusqu’à ce que je réussisse à me défaire de cet esprit ? C’est complètement stupide.

- « Tu as quelque chose de prévu tout de suite ? » Me demande-t-il, ignorant totalement mon avis sur la question.

- « Eh bien, je devais aller dans plusieurs endroits pour…

- Très bien, ça peut attendre, suis-moi. »

… Kaiba, sors de ce corps, tout de suite. Son attitude soudainement devenue autoritaire me décontenance au point où j’accepte de le suivre, curieuse de savoir ce qu’il a derrière la tête. Au moment où nous franchissons le portail du lycée, une voix cruellement aigüe scande le nom de Yugi. Pas la peine de me retourner, j’identifie cette souffrance auditive à Téa. Ses bruits de pas s’élèvent dans mon dos, je prie pour ne pas qu’elle s’imp…

- « Où est-ce que vous allez vous deux ? 

- J’emmène Lorène au musée sur l’Egypte ancienne, je pense qu’on trouvera des réponses au passé d’Eléonore là-bas. »

Fin du suspense ! Dommage, j’aurais bien aimé qu’il garde la surprise jusqu’au bout. D’ailleurs, il semblerait que le petit Yugi ait repris son corps, le pharaon s’est apparemment effacé lorsque nous marchions côte à côte.

- « Oh, sympa ! Je peux vous accompagner ? 

- Non.

- Non. » Je surenchéris à la suite d’Eléonore.

Voilà au moins un sujet sur lequel nous sommes sur la même longueur d’onde. La grande brune, essuyant deux refus en l’espace d’une seconde, gonfle les joues et se tourne vers Yugi dont le courage va être mis à rude épreuve.

- « Je peux venir ? » Minaude Téa en le reluquant de la tête aux pieds.

Vivement qu’elle subisse le même sort que son ancêtre.

C’est-à-dire ?

Malencontreusement trainée sur une cinquantaine de mètres le pied attaché à un cheval en furie. Crois-moi, ça éclabousse beaucoup plus qu’on ne l’imagine.

- « A vrai dire… le pharaon aimerait s’entretenir seul avec Eléonore, mais on pourra y retourner ensemble un autre jour ! »

Yugi s’empresse de rassurer son amie, dont le sourire de façade s’effondre pour une moue boudeuse. Non, cette fois, il ne flanchera pas.

- « Très bien ! » Décrète-t-elle en s’avançant devant nous. « Dans ce cas, j’irai au musée toute seule ! 

- Mais Téa…

- Il n’y a pas de « mais » Yugi. S’il t’arrivait quoi que ce soit à cause de cette fille, je m’en voudrais. Alors vas-y, pars avec elle au musée, mais moi aussi j’ai envie d’y aller ! »

Encore et toujours des prises de tête inutiles avec cette gamine. Si elle pressentait si bien le danger autour d’Eléonore, alors elle devrait plutôt se tenir à carreaux plutôt que de la provoquer en permanence en l’empêchant de se retrouver avec le pharaon. Par la même occasion, elle me met moi aussi en danger.

- « Désolé, si tu ne veux plus y aller, je peux comprendre… » Bredouille Yugi tandis que nous reprenons la route, deux mètres derrière Téa.

Si cela me permet de trouver des réponses à mes questions sur Eléonore, alors je ne perds rien à supporter la présence de son amie le temps d’un après-midi.


Le musée de Domino se situe en périphérie de la ville. De loin il ressemble à une grande université à l’architecture moderne. Quelques curieux semblent avoir fait le déplacement pour l’exposition sur l’Egypte ancienne et des objets rares qui y sont exposés. Un peu en retrait, je dépose mon vélo puis rejoins Yugi et Téa qui entrent à l’intérieur de la bâtisse.

Visiblement, ce n’est pas la première fois qu’ils se rendent dans ce lieu, Téa indique à son ami une série de vitrines qu’ils auraient observées au cours d’une précédente visite.

Il n’y a rien d’intéressant ici.

Mhh… Si c’était le cas, quel serait ton intérêt de me le dire ? J’y vois une sorte de stratagème pour me cacher un indice sur toi.

Pas vraiment, inspecteur Derrick. Disons que je n’ai pas envie de gâcher mon temps en compagnie de Téa. Regarde-la secouer son cul auprès du pharaon, elle me dégoûte.

Je ne peux réprimer un sourire amusé. En présence du pharaon, Eléonore se montre moins agressive, c’est plutôt de la jalousie que je ressens en contemplant le petit jeu de Téa pour attirer l’attention de Yugi.

- « Est-ce que ça te dit quelque chose ? » Me demande soudainement le pharaon en pointant une gigantesque épitaphe sillonnée de hiéroglyphes et de dessins représentant deux personnages.

Je me rapproche de celle-ci, examinant chaque illustration dans ses moindres détails. Les deux hommes tracés à même la pierre ressemblent étrangement à Yugi et Kaiba. Mise à part cela, rien de spécial ne me vient en regardant ce caillou.

Aucune chance que cela me touche.

- « Non, pas grand-chose. 

- Je le savais. » Pouffe Téa, sa bouche dissimulée par sa main.

- « Désolée… »

Yugi s’avance à mes côtés et pose une main sur mon épaule. Il arbore un air satisfait que je ne saisis pas.

- « Au contraire, cela signifie que je suis sur la bonne voie. 

Je le dévisage quelques instants puis l’invite à continuer.

- Depuis plusieurs jours, je songe à mon passé et son lien avec Eléonore. » Déclare-t-il très solennellement. « D’après ce qu’elle dit, je l’ai trahie elle et d’autres personnes dont je ne me souviens pas. Alors je me demandais, si je n’étais pas responsable de sa mort, bien avant que mon âme ne se retrouve dans le puzzle du millénium. 

- C’est idiot ! » S’offusque Téa. « Pourquoi aurais-tu fait une chose pareille ? Tu n’es pas quelqu’un de mauvais ! »

Les yeux du pharaon se baissent vers le sol. J’observe son visage, y décelant une pointe de tristesse, la même que je ressens en ce moment-même au fond de moi.

- « Peut-être que je ne m’en rappelle pas. Si ce n’était pas le cas, pourquoi Eléonore m’en voudrait-elle autant au point de refuser de m’aider à comprendre mon passé ? 

- Parce qu’elle est maléfique ! »

Les protestations de Téa n’avancent en rien le raisonnement du pharaon. Au contraire, elles nous empêchent tous deux de réfléchir posément au cas Eléonore. Celle-ci, d’ailleurs, préfère rester en retrait plutôt que d’éclairer nos lanternes. Yugi redresse la tête et plonge ses yeux dans les miens. Mon regard s’attarde sur une de ses mèches blondes qui caresse son visage pâle. Un frisson me parcourt l’échine, il faut bien avouer qu’il n’est pas désagréable à regarder de si près. A force de scruter ses traits, un étrange phénomène se produit à travers ma vue : sa peau habituellement si blanche bronze progressivement, soulignant davantage ses prunelles violettes. Sur l’image de Yugi le banal lycéen se superpose celle d’un homme plus mature, coiffé d’une parure aux symboles du millénium. Je comprends alors que celui qui se dresse devant moi n’a plus rien avoir avec le jeune garçon que j’admirais durant ses duels mais un véritable pharaon tel qu’il vivait il y a des millénaires.

- « Yugi, tu viens ? »

La voix nasillarde de Téa brise définitivement ce moment, le pharaon rompt le contact visuel que nous entretenions depuis de longues secondes et se tourne vers son amie.

- « J-J’arrive. »

Troublés, il n’y a pas d’autres mots pour définir l’état dans lequel nous nous retrouvons. A-t-il lui aussi vu une autre personne à travers moi ? L’image d’Eléonore s’est-elle présentée à lui ? Il ne m’accorde pas un regard de plus jusqu’à ce que nous quittions le musée. Au sommet des marches, nous nous échangeons quelques banalités avant de nous séparer… Disons plutôt que Téa a saisi l’occasion pour proposer à Yugi de le raccompagner chez lui pour m’abandonner comme une merde dans cet endroit.

Atem…

Je tressaille, Eléonore résonne si intensément dans ma tête que je manque de perdre l’équilibre, attirant les moqueries des passants qui me dépassaient.

- « A…tem ? » Je répète doucement.

Soudain, je claque des doigts et me retiens de sauter sur place. Atem ! C’est le nom du pharaon, pas vrai ?!

T-Tu l’as vue, toi aussi, pas vrai ?

- « L’image du pharaon, un peu que je l’ai vue ! Il était tellement magnifique avec ses ornements royaux ! »

Dans mon corps s’entremêlent à la fois l’excitation d’avoir enfin tiré une réponse d’Eléonore, mais aussi une sorte d’euphorie émanant d’une autre âme. En fin de compte, Eléonore a bel et bien vécu à la même époque que le pharaon. Maintenant, il me reste à découvrir si la théorie selon laquelle il serait responsable de sa mort s’avère exacte ou s’il se trompe sur toute la ligne.

- « C’est tout simplement extra ! 

- Madame, est-ce que tout va bien ? Vous faites fuir les visiteurs en criant toute seule. »

Perdue devant le musée, je remarque le visage apeuré de l’homme qui a interrompu mes effusions de joie. Je me confonds en excuses avant de rejoindre mon vélo entreposé un peu plus loin pour filer droit vers le Tam-Tam, où une nouvelle soirée de travail m’attend.


Un souffle frais s’insinue dans mon cou tandis que je cadenasse ma bicyclette dans l’enceinte de mon jardin. La pleine lune scintille dans le ciel depuis trois heures déjà et la moitié des lampadaires de la rue grésillent étrangement. Le service s’est déroulé sans accroc, si on omet la tension grandissante entre Zoé et moi. Heureusement, l’état de la patronne n’en demeure pas moins stationnaire. Je me demande à quoi ressemble son voyage à travers le Royaume des Ombres. Si je m’en réfère aux paroles proférées par Eléonore avant que Madame Yoshida ne s’évanouisse, elle devra s’affranchir de ses péchés durant un jeu des ténèbres.

- « Un jeu des ténèbres… ? »

J’insère ma clé dans la serrure et déverrouille précautionneusement la porte d’entrée. De la lumière émane de la cuisine. De toute évidence, ma mère ne dort pas encore. Tout en me déchaussant dans l’entrée, j’annonce ma présence et dépose mon sac avant de me glisser dans la cuisine. Maman arbore de petites poches sous les yeux mais s’obstine à terminer ses papiers à s’en détruire la rétine. Pour une fois que nous nous croisons, je m’installe en face d’elle, munie d’un plat préparé dans le frigo et entame une discussion banale et sans réel intérêt.

Lorsqu’elle appose une ultime signature, maman se décide enfin à relever la tête.

- « J’ai reçu un appel du lycée cet après-midi. »

Mon sang ne fait qu’un tour. Du calme, Lorène, il n’y a aucune raison qu’on t’accuse d’avoir explosé les vitres de la classe. Ce serait te prendre pour une sorcière !

- « A-Ah oui ? Pourtant j’y étais.

- Je parle du lycée de Flem. »

Mes épaules s’affaissent, mais mon soulagement n’est que de courte durée.

- « Ils voudraient t’interroger concernant l’incendie. Tu ne m’avais pas dit que tu y étais. »

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ma mère ne semble pas fâchée de cet oubli. Je ressens plus de fatigue et de lassitude dans sa voix que de colère. Je m’empresse alors de me justifier.

- « En fait, une fille d’une autre classe m’a demandé pour jouer à ce jeu, tu sais, Duel de Monstres ? C’est sûrement elle qui a dû me balancer.

- Te balancer… ? Bref, ils voulaient mon autorisation pour laisser la police t’interroger, et vu que tu n’as rien avoir avec ça, j’ai accepté. »

Mes joues s’étirent d’un sourire crispé. C’est cette Kageyama qui a sorti mon nom, j’en suis sûre. De légères crampes se présentent au niveau des muscles de mon visage. Je m’efforce de me détendre pour ne pas paraître suspecte aux yeux de ma propre mère.

- « D’accord, tu sais quand ?

- Demain après tes cours, tu n’es pas de service n’est-ce pas ? »

Merde ! C’est mon tour d’aller vérifier le cadavre avant de bosser au bar. Cette histoire commence réellement à mal tourner. Je ne peux décidément pas laisser tout ce bordel sur les épaules de Zoé.

- « En fait si, je travaille. »

Ma mère écarquille ses grands yeux bleus, ses doigts fins et abimés torturent le stylo qu’elle a utilisé pour remplir ses papiers.

- « Cette femme doit vraiment avoir besoin de toi pour t’employer autant durant la semaine ! Je ne me rappelle pas que tu aies autant travaillé l’année passée ! Tu reviens à peine à la maison ces derniers temps. »

Une vive chaleur s’installe dans mes veines. Peu à peu, je me sens acculée contre un mur invisible, prête à cracher toutes les horreurs commises ces dernières semaines.

Mais je ne peux pas.

- « Oh oui, ne m’en parle pas ! La boss n’arrête pas de m’appeler pour combler les soirs où se désistent les autres étudiants ! M’enfin, ne t’en fais pas, elle nous paie le double en ce moment, donc c’est tout bénef’ ! »

Mon petit jeu de comédienne semble la convaincre à moitié. N’ayant plus très faim, je jette le reste de mon plat préparé dans la poubelle et me prépare à rejoindre ma chambre pour une bonne nuit de sommeil. Cependant, au moment où je franchis la première marche des escaliers, une main douce se pose sur ma nuque.

- « Ne t’acharne pas trop, ma puce. C’est bien de travailler comme tu le fais, mais je ne voudrai pas perdre ma petite fille chérie, tu sais ? »

Touchée, je me mords la lèvre inférieure et caresse sa main de la mienne avant de la rassurer de quelques mièvres paroles. Durant un court instant, je songe à me tourner pour lui poser une question sur mes souvenirs d’enfance. Néanmoins, un blocage de mes membres imposés par Eléonore m’empêche de mettre ce plan à exécution.

Tu ne ferais que la blesser.

Trop fatiguée pour chercher des explications à son refus, je me laisse entrainer sous la douche pour me laver de toutes les saletés de cette journée. La colère de Kaiba, la jalousie de Téa, supporter ces deux-là m’épuise au quotidien. Et maintenant je vais devoir trouver une bonne explication à fournir à la police pour un incendie provoqué par un disque de duel.

- « Ils vont me prendre pour une cinglée… »

Séchée et habillée pour la nuit, je pénètre dans ma chambre et allume ma lampe de chevet. Au coin d’une armoire, l’objet du délit attend patiemment d’être enfilé. Lentement, je m’en approche et le soulève afin d’examiner son état. Quelques coups par-ci par-là, mais rien qui porte à croire qu’il provoquerait des accidents.

Ça te dit un petit jeu ?

L’appareil pressé contre ma poitrine, je pivote en direction de ma table basse et ouvre la bouche en grand. Comme dans mon rêve, la figure d’Eléonore contraste dans la pénombre. Elle se tient devant moi puis contourne ma table basse et s’assoit en tailleur. Son apparence n’a pas changé, ses doigts bronzés s’emmêlent dans sa longue masse blonde tandis que ses grandes prunelles turquoise me jaugent avec amusement. Ses airs de gamine adorable jurent amèrement avec l’odiosité de ses actes.

- « Allez, ne sois pas timide, ça commence à faire longtemps qu’on n’a pas joué. »

Contrairement à toutes ses interventions, mes lèvres n’ont pas bougé. Intriguée, je les frôle du bout de mon pouce, lui provoquant un rire strident. Eléonore frôle la table de ses mains et dégote un deck de cartes d’on-ne-sait-où. Je cède finalement à sa demande. Après tout, un simple jeu ne peut pas me faire du mal. Sans la quitter des yeux, subjuguée par sa beauté, je récupère mon paquet de cartes au bord d’une armoire et m’installe en face d’elle.

- « Un duel ?

Eléonore secoue vivement la tête, faisant virevolter sa chevelure le long de ses épaules.

- Non, il existe beaucoup plus de jeux de monstres que tu ne puisses l’imaginer. Je t’explique les règles : nous allons piocher toutes les deux trois cartes. A chaque tour, nous allons opposer une carte à celle de notre adversaire. Celle qui gagne le combat remporte la carte adverse. Celle qui possède le plus de cartes à la fin du jeu remporte la victoire. Plus simple non ? »

Mes méninges fonctionnent à vive allure, mais très vite, quelque chose cloche dans ses explications.

- « Que fais-tu des cartes magies et des cartes pièges ?

- Bien sûr, tu peux les utiliser pour booster tes monstres ou neutraliser les miens. Par contre, n’oublie pas que les cartes pièges ne peuvent être utilisées qu’un tour après qu’elles aient été posées et que si elles ne provoquent pas la perte d’un monstre adverse, alors elles ne reviennent à personne. Alors, qu’en dis-tu ? »

Eléonore patiente le temps que je cherche parmi ses règles la moindre trace d’entourloupe. Le problème, c’est que je n’en décèle aucune.

- « J’accepte de jouer. »

Dès que je prononce ces mots, ma lampe de chevet s’éteint brusquement et plonge ma chambre dans le noir. Curieusement, je distingue malgré tout la silhouette d’Eléonore qui illumine l’obscurité ainsi que la table sur laquelle trônent nos deux decks.

- « Parfait ! »

En parfaite cohésion, nous piochons nos trois premières cartes. C’est dans ces circonstances que je percute enfin.

- « Mais tu connais mon deck ! »

L’illusion devant moi éclate de rire.

- « Tu ne vas pas en faire toute une histoire, hein ? »

Je me méfie de ses tours de passe-passe, ce ne serait pas la première fois qu’elle triche en ma présence. Pour ce premier affrontement, je coince entre mon index et mon majeur une de mes cartes monstres basiques. Eléonore décide de poser une carte face retournée devant elle avant de saisir une autre carte de son jeu.

- « C’est parti ! »

Nous révélons nos choix face recto.

Dame Guerrière D.D. 4« VS Watapon 1«

Watapon ? Cette carte ne me dit rien du tout. Toujours est-il que je remporte cette première manche et récupère sa carte.

- « Pas de chance… »

Comment peut-être parler de chance alors que son monstre ne pouvait vaincre aucun des miens ? Nous tirons chacune une nouvelle carte.

Ninja Blanc 4« VS Eldeen 3 «

- « Dommage, je pensais qu’en augmentant le niveau, je parviendrai à te battre… »

Son petit jeu ne séduirait pas même le pire abruti de cette planète. Néanmoins, si elle est décidée à me laisser gagner, alors je ne l’en empêcherai pas.

- « Eh, rendons ce jeu plus amusant ! »

Je lève un sourcil face à son excitation démesurée.

- « Qu’est-ce que tu proposes ?

- Un pari ! Si je gagne – et ça me semble mal engagé – tu devras me promettre quelque chose, et tu gagnes, tu as le droit de me demander ce que tu veux ! »

Et voilà, la raison pour laquelle elle m’a offert ces deux premiers tours. Cependant, même si je ne suis pas dupe, sa proposition n’en demeure pas moins intéressante, tout dépend de ce qu’elle va me demander.

- « Quelle promesse ?

- Si je gagne, tu ne révèleras pas le nom du pharaon. »

Evidemment, j’aurai dû m’en douter. Au fond, ses intentions envers Atem n’ont jamais changé et elle le lui a bien fait comprendre hier soir.

« Parce que si je le fais, alors tu n’auras plus jamais besoin de moi. »

Désolée pharaon, peut-être que tu trouveras ça cruel de ma part, mais je tiens là l’occasion d’obtenir des réponses à mes propres questions.

- « Par contre, si je gagne, tu devras m’expliquer ce qui se trame derrière cette chambre de l’âme dans laquelle tu m’as envoyée. »

Eléonore ne démontre pas la moindre surprise. Depuis le temps que je me questionne quant à ses livres noirs rangés entre mes souvenirs, il faut que je comprenne.

- « Marché conclu. »

Sans un mot, nous piochons une nouvelle carte. Eléonore arbore un large sourire, découvrant ses dents étonnamment blanches en dépit de son apparence négligée. C’est l’heure de connaître ses réelles intentions.

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