Âme de Pureté

Après un long moment à admirer la tour de duel s’animer de la bataille entre les deux Dieux Egyptiens à travers le hublot de la chambre de soin, Tristan a décidé sur un coup de tête de retirer tous les fils du corps de Joey, prétextant que voir un duel de monstres aiderait à le réveiller.

- « Par contre, à un moment, va falloir arrêter d’être con, ici. » Je marmonne, me remémorant la fois où Yugi lui a enfilé le disque de duel au bras pour les mêmes raisons.

- « On ne t’a pas demandé ton avis. » Rétorque Téa, soudainement revenue sur ses pas.

Elle est chanceuse qu’il y a trop de témoins dans cette chambre.

Je me contente de lui répondre d’un œil noir. Le médecin tente de raisonner Tristan qui persiste à vouloir tirer son ami de son lit pour l’emmener jusqu’au duel opposant Yugi et Kaiba. Duke et Sérénity sont aussi présents dans la pièce, cette dernière priant son frère de se réveiller.

- « Je t’en supplie, grand-frère… »

Le regard fixé sur la tour de fer, je m’efforce à ne pas prêter attention à la voix brisée de la petite brune, au risque de craquer à mon tour.

Tu vas aussi pleurer si cet empoté se souvient de ce que tu lui as fait.

Je fronce les sourcils, préférant balayer cette image de moi en train de le toucher sans son accord.

On appelle ça un viol.

Oui, j’avais compris. Au-delà du hublot, la bataille fait rage, les monstres de Dieux Egyptiens de Kaiba et Yugi s’entremêlent. Tout cela dépasse largement le cadre d’une bataille holographique, j’en ai bien peur.

- « J’espère que Yugi va bien. » Gémit Téa, tête baissée.

Peu importe qui gagne ce duel, il aura la lourde tâche d’éliminer Marek en finale. D’un point de vue pratique, j’aimerais que Yugi sorte vainqueur de ce duel. Si jamais c’est Kaiba qui l’élimine, on risque d’en entendre parler pendant les prochaines décennies.

Puis Kaiba n’aura plus aucune raison de vivre si Yugi ne le bat pas à son jeu fétiche.

Les paroles d’Eléonore, quoique teintée d’ironie, me tirent de véritables réflexions. Comment Kaiba abordera-t-il sa vie une fois qu’il aura vaincu Yugi au Duel de Monstres ? Lui qui semble vivre uniquement dans ce but, c’est la dépression assurée qui l’attend.

- « Au fait, Lorène, tu sais comment Eléonore connait le pharaon ? » Me demande soudainement Tristan, trainant le corps inanimé de Joey contre son flanc gauche.

Je hausse les épaules et grimace. En effet, cet esprit, pourtant bavard dernièrement, refuse de m’en dévoiler davantage. Je regrette de ne pas pouvoir lui répondre que par un simple geste. A ma droite, je sens Téa se raidir brusquement.

- « Ne parlons pas de ce que vous prenez pour un esprit, ça ne sert à rien vous le voyez bien.

- Qu’est-ce qui te prend, Téa ? » Demande Sérénity, inquiète.

Les garçons ne paraissent pas surpris de la réaction quelque peu exagérée de leur amie. Mon petit doigt me chuchote qu’elle leur a parlé de notre récent altercation. Tout en croisant les bras sous sa poitrine, Téa se tourne vers moi, fronçant les sourcils.

- « Alors, tu vas m’attaquer à nouveau maintenant qu’il y a des témoins ? Parce que tu étais beaucoup plus loquace tout à l’heure ! »

Je vais bien lui fermer son clapet si c’est ce qu’elle désire tant.

On se calme par ici ! En signe de paix, je lève mes deux mains devant moi et les secoue doucement.

- « Personne ne va agresser personne. Téa, si tu pouvais éviter de la provoquer, ça m’arrangerait au plus haut point. »

Il y a suffisamment de blessés dans ce tournoi pour se permettre d’en ajouter à cause d’une stupide querelle. A mon grand désarroi, la grande brune ne semble pas prête à tempérer ses propos.

- « Tu sais ce qui nous arrangerait, à nous tous ? Que tu dégages, Yuurei. Tu n’as rien à foutre dans notre groupe et en plus de ça, tu es nocive. »

Accusant le coup, je ne peux m’empêcher de la dévisager. Ni Duke, ni Tristan n’ose ajouter quoi que ce soit. La fameuse bravoure masculine il faut croire. Sérénity, elle, se contente de nous prier tout bas de ne pas crier en présence des deux inconscients.

- « Téa, n’oublie pas que si j’ai pu jeter mon réceptacle du haut d’une tour, je peux facilement te noyer aux alentours de cette île. »

Aux dernières nouvelles, c’est ton réceptacle qui t’a jeté de cette tour.

N’en rajoute pas chérie, c’est assez compliqué comme ça.

Non mais je rêve…

- « On n’est pas obligé d’en arriver là… » Marmonne Duke si bas que j’aurai confondu ses paroles avec un grognement.

- « Tiens, t’as attrapé des couilles, toi ? »

Face à la tension montante, je ne parviens plus à bloquer le contrôle d’Eléonore qui profite de mon moment d’égarement pour narguer Téa.

- « Arrêtez ! »

Sérénity s’interpose entre nous deux. Ses épaules tremblent, elle croise mon regard avant de s’en détourner pour fixer Téa.

- « Je vous en supplie les filles, il faut qu’on reste tous soudés pour que tout rentre dans l’ordre. »

Pour peu, je l’aurais enlacée pour la rassurer mais Téa a réagi beaucoup trop vite à mon goût en déposant une main sur son épaule. Adossée à un des murs de la chambre, je les observe en silence, satisfaite de l’absence d’Eléonore.

- « Quand est-ce que tu comptes lui dire qu’elle te fait peur ? »

Circonspecte, je jauge la grande brune en coin. Bras croisés à mon tour, je ne comprends pas la signification du regard qu’elle envoie à Sérénity.

- « Téa, non s’il te plait. 

- Hé, Yuurei. Tu sais ce que m’a dit Sérénity tout à l’heure ? Que cet esprit lui fait peur et qu’elle pensait ne plus t’approcher tant que ce ne serait pas réglé. »

Un profond rire vibre au fond de mon âme. Perdue, je lance un appel rempli de questions à la principale intéressée. La benjamine des Wheeler se triture les doigts, quelques mèches de sa chevelure châtain masquent une partie de son visage. Signe d’embarra. Devant son absence de réaction, je me porte vers les garçons qui évitent également de croiser mon regard. Qu’est-ce que c’est que ce cirque ?

- « Sérénity ? » Je l’appelle doucement.

Elle secoue la tête et affiche une mine triste.

- « Je t’aime beaucoup mais je déteste cet esprit. »

Gênée par la difficulté avec laquelle Sérénity articule, je réprime un léger rire. Tous n’ont pas l’air de saisir la raison pour laquelle je ne déteste pas Eléonore.

- « Lorsque je suis arrivée dans ce dirigeable, elle m’a empêchée de tomber sous les mains de Marek et donc de causer des soucis à Joey et Yugi. 

Et puis, lors de ce rêve, ce qu'Eléonore m'a dit…

« Parce que tu crois que je n'existais pas avant d'entrer en contact avec toi ?»

Je dois absolument découvrir ce que ses paroles signifiaient.

- Parce que tu penses avoir réussi à les aider ? » Rétorque sèchement Téa.

Je serre les poings le long de mon corps, tentant de refreiner la montée d’adrénaline qui pulse dans mes veines.

- « J’ai sauté d’une tour haute d’une centaine de mètres pour ne pas… ! 

- Si Tristan et Duke n’avaient pas été là, tu te serais rompue le cou et tu aurais peiné Yugi et Joey ! »

Son éclat de voix résonne dans la pièce. Mon cœur tambourine si fort dans mes tempes que j’appuie une main contre le mur pour ne pas perdre l’équilibre.

- « Mais ça n’a pas été le cas et Joey a atteint la phase finale comme il le voulait ! 

- Et maintenant il est dans le Royaume des Ombres par ta faute ! »

Les sanglots de Sérénity s’élèvent dans la cohue générale, mais cette fois, elle s’accroche à Téa comme d’une bouée de sauvetage.

- « Sérieusement, vous entendez les conneries qu’elle débite ?! » Je grogne en marchant vers Tristan et Duke.

Aucune réaction de leur part, si ce n’est des toussotements d’embarra. A plusieurs reprises, je leur demande ce qu’ils pensent des accusations de leur amie, mais ils préfèrent fixer leurs chaussures plutôt que de me répondre. Constatant avec dégout que je n’obtiendrai aucun soutien de leur part, je décide de quitter rageusement la pièce, doigts agrippés aux pliures de ma jupe. Dès que je me retrouve dans le couloir, leur conversation reprend plus calmement, mais je n’ai aucune envie d’y retourner.

Sérieusement, comment peuvent-ils croire un instant que c’est de ma faute si Joey se retrouve coincé au Royaume des Ombres ? Les railleries d’Eléonore se poursuivent au fond de mon être.

Si j’avais su à quel point ils t’abandonneraient vite, je ne me serai même pas embêtée de leur parler !

Je pousse un grognement rauque en franchissant une des nombreuses portes automatiques du dirigeable. Sortir de cet appareil pour prendre l’air m’apparaît comme une bonne idée. Au moins, il n’y aura personne pour me reprocher quoi que ce soit.

Si j’avais écouté Eléonore lors de ce duel à cinq et que c’était moi qui avais dû affronter Marek en demi-finale et que j’avais échoué comme Joey, que ce serait-il passé ?

Une pointe de regret saupoudrée d’une bonne dose d’amertume.

Ses petites remarques ne suffisent plus à me tirer de mes gongs. Il faut croire qu’à force, j’ai fini par m’habituer à partager mes journées avec une inconnue qui interrompt chacune de mes réflexions.

Au fait, merci.

Au beau milieu du sas qui me sépare de l’île, je m’immobilise, croyant avoir mal entendu.

Merci de ne pas me détester.

Ses soudains remerciements me rendent perplexes. Face à Téa, je n’ai pas hésité un instant à prendre la défense d’Eléonore quant à ses agissements. Pourtant, j’ai toutes les raisons du monde pour vouloir m’en débarrasser : scarification involontaire, tentative de suicide, atteinte à la pudeur – ou viol. Un cocktail magique de délits en tout genre.

- « Je crois que je déteste plus Téa et ses morales à deux balles que toi. Mais ne viens pas à penser que je t’aime. »

Cela me suffit.

Je ferme les yeux et souffle doucement. Décidément, elle me réserve encore beaucoup de surprises. Un poil plus détendue, je descends les marches menant à la terre ferme. Au sommet de la tour, les Dieux Egyptiens ne sont plus. Après tout, malgré leur rareté, ils ne demeurent pas moins que des cartes de Duel de Monstres. Je réprime un léger frisson. Un vent chaud balaie l’île de ferraille de la KaibaCorp, je profite de ce court moment de répit pour admirer la vue de l’océan qui s’étend sous mes yeux.

Soudain, la porte d’entrée de la tour de duel s’ouvre. Je m’attends à apercevoir Yugi ou Kaiba, victorieux de ce deuxième duel de la demi-finale. A la place, c’est la silhouette de Marek, entourée d’une aura inquiétante, qui se détache de l’entrée. Il marque un temps d’arrêt lorsque nos regards se croisent. Mes yeux dévient en direction de sa main, où trône fièrement la baguette du millénium. L’Egyptien m’offre un large sourire en s’avançant vers moi.

- « On dirait que ton saut de l’ange n’a pas eu l’effet escompté. »

Sa voix grave et sadique ne m’effraye pas plus que lors de sa dernière victoire.

- « Au moins, je serai la seule à ne pas avoir péris lors d’une de tes duels. » Je rétorque quand il parvient à ma hauteur. « Qui a gagné ? 

- Le duel du pharaon n’est pas encore terminé, mais j’ai à faire. »

J’ai un mauvais pressentiment. Jamais Marek n’aurait manqué le dénouement du duel entre Yugi et Kaiba sauf pour une urgence. Que peut-il bien se passer dans ce dirigeable pour qu’il ressente le besoin d’y retourner ?

- « Pourquoi es-tu revenu ? » Je lui demande alors qu’il me tourne le dos.

- « Ce n’est pas parce que tu possèdes un esprit assez puissant pour détourner le pouvoir de ma baguette du millénium que nous sommes alliés. »

Pour appuyer ses mots, Marek se décale légèrement et plante son regard violet et sombre dans le mien. Il me dégoûte.

- « Mais je dois te remercier de m’avoir offert Wheeler sur un plateau d’argent. »

Sa remarque me pique au vif. Aurait-il le pouvoir de lire dans les pensées en plus de ça ? Mon trouble lui tire un large rictus, le rendant encore plus laid qu’il ne l’était déjà. Alors qu’il se prépare à remonter les marches du dirigeable, je me sens portée par une force surhumaine et m’élance derrière lui pour lui crier :

- « Affronte-moi en duel ! »

Après tout, si c’était mon destin de sombrer face à Marek à la place de Joey, alors pourquoi ne pas le prouve dès maintenant ? Ce revirement de situation ne semble pas surprendre le finaliste.

- « Qu’est-ce que je gagnerai à vaincre une perdante ? »

Défaire les dessins maléfiques de Marek sera très certainement la chose la plus compliquée que tu aies faites jusqu’ici. Réfléchis bien.

Pour une fois, c’est au tour d’Eléonore de jouer aux voix de la raison. Mais maintenant que j’ai défié Marek, je ne me sens plus capable de reculer. De plus, je possède des éléments qui pourraient l’intéresser.

- « Si tu me bats en duel, je te révèlerai le véritable nom du pharaon. » Je mens ouvertement en le jaugeant du regard.

Le sourire de Marek s’élargit. Il abandonne totalement l’idée de rentrer dans le dirigeable et se pose à quelques centimètres de ma tête.

- « Tu serais donc prête à mettre le destin du pharaon en danger pour récupérer les âmes perdues du Royaume des Ombres ? »

Eléonore ne m’a jamais révélé cette information cruciale, et je la prie de ne pas le faire. De toute manière, je ne compte pas perdre ce duel et encore moins mettre Yugi en danger. Finalement, je hoche la tête pour sceller ma fausse promesse à Marek.

- « Parfait. J’espère que cette arène de duel improvisée te conviendra. »

Il indique le centre de l’île du bout de son index. Peu importe l’endroit où nous nous affrontons, tant que je venge Mai et Joey à ma manière. A mon bras droit, je porte toujours le disque de la duelliste harpies. L’image de son visage endormi me revient en tête. Au plus profond des ténèbres, je ne dois pas la décevoir. Nous nous plaçons chacun à un bout de ce terrain improvisé et mélangeons notre propre deck avant de l’insérer dans l’appareil.

J’inspire profondément, il s’agit là du duel le plus important que je n’ai jamais mené au cours de ma vie. Exit les stupides stratégies employées sur Internet. Désormais, je dois m’assurer que ce type ne fera plus jamais de mal à personne.

Cette fois-ci, nous mènerons le duel ensemble.

Pour Mai. Pour Joey.

Et pour le pharaon.

- « C’est l’heure du duel ! »