Au-delà des Mers

Chapitre 26 : Loumen aka Menator

2247 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/05/2021 14:15

Les événements s’étaient brusquement accélérés en quelques mois et la situation était devenue plus tendue qu’on ne pouvait l’imaginer. Loumen n’avait pas encore découvert le pot aux roses concernant les expériences de son cadet, mais on pouvait sentir son souffle se rapprocher dangereusement de la vérité.

En ce jour, Loumen avait convoqué la plupart des habitants d’Apuchi à une sorte de réunion extraordinaire. Ils étaient tous réunis dans l’immense salle du cristal, curieux de comprendre la raison de cette demande. Les théories allaient bon train, certains convaincus que le vieux scientifique allait enfin leur faire part de la réussite de ses travaux, ce qui aurait été une nouvelle, oh combien soulageante.

Loumen attendait en retrait que l’ensemble des occupants de la base aient pris place afin d’entendre ce qu’il avait à annoncer. Il avait retourné le problème dans sa tête un millier de fois et c’était la seule solution qu’il avait trouvée. Faisait-il fausse route ? Avait-il un autre choix ? Il fixa le sol, profondément absorbé par des pensées compliquées. Non, il n’avait plus le choix, il ne pouvait plus reculer, il avait plus que jamais besoin d’avoir les coudées parfaitement libres, maintenant qu’il se livrait, en plus d’une course contre la montre pour la survie de son peuple, à une bataille contre son corps et la maladie qui le grignotait jour après jour et qui, bientôt, le réduirait à l’impuissance. Le cancer s’était métastasé dans son foi et bientôt il s’insinuerait partout, anéantissant la seule chance pour les siens. Il inspira profondément. Il était temps de prendre les choses en main. Il s’avança, aidé d’une canne, passant de l’ombre à la lumière et il sentit tous les regards se poser sur ses frêles épaules. Il balaya tristement l’assemblée du regard. Combien d’âme ces murs renfermaient-ils ? Il avait oublié. En fait, non, la vérité c’est qu’il ne s’en était jamais vraiment soucié et maintenant que la fin venait ricaner à ses oreilles, il prenait conscience de certains de ses manquements.

-Mes amis, commença-t-il d’une voix qu’il voulait la plus ferme et forte possible, ce n’était pas le moment de prêter le flanc. Une grande tragédie frappe notre peuple en ce jour.

Il se tut pour laisser aux uns et aux autres un instant pour prendre conscience des enjeux de cette annonce. Puis il poursuivit.

-Un groupe de dissidents fanatiques a propagé un virus mortel dans notre Capitale il y a quelques jours et… à l’heure où je vous parle, mis à part quelques rares survivants de cette catastrophe, nous sommes les derniers représentants de notre race.

Une rumeur d’effroi et quelques voix s’élevèrent. La stupeur avait étendu sa main froide sur tous les visages.

Loumen continua, essayant de ne pas se laisser envahir par l’émotion.

-J’ai donc décidé de nous couper de Sitnalta définitivement afin de nous laisser une chance de nous en sortir. La ville a été mise en quarantaine par les autorités et il y a peu de chance que nous puissions y retourner dans un avenir proche. Depuis plus de vingt-quatre heures, plus aucune communication ne nous parvient. Il semblerait que nous soyons complètement livrés à nous-mêmes.

Le vieil homme enchaîna.

-En ce jour je prends donc officiellement le titre de « Roi » de ce qu’il reste de notre ethnie et mon nom de couronnement sera « Men-Ator », telle que le veut notre coutume.

« Vous n’avez pas le droit de faire ça ! s’insurgea un Atlante à sa droite, sortant brusquement de son hébètement avec trop de véhémence. Il faut faire des élections ! »

Aussitôt, quelques gardes fendirent la foule et vinrent sans ménagement procéder à l’arrestation du protestant.

L’Atlante hurla au scandale et une quantité d’autres voix s’élevèrent dans un brouhaha discordant. Mais une détonation fit taire tout le monde. Le protestant venait d’être froidement abattu par un des militaires. Le regard de Loumen se durcit.

-Toute rébellion sera écrasée sans ménagement. Je refuse qu’Apuchi soit une autre Sitnalta. Je serai sans pitié. Il nous faut survivre et pour ce faire, nous devons faire front commun. L’heure n’est plus à une pseudo-démocratie laxiste ! Je trouverai le moyen de nous faire traverser les siècles, je vous en fais le serment, mais vous devez me faire une confiance aveugle ! Ceux d’entre vous qui ne sont pas d’accord peuvent s’en aller, je ne retiens personne !

Menator jouait son joker, soit tout le monde s’inclinait, vaincu, soit la plupart quittait le navire. Mais il y avait fort à parier que le gros d’entre ses sujets n’oserait pas bouger le petit doigt. Il avait les militaires de son côté et les autres étaient une poignée de scientifiques peu préparés à d’éventuels conflits. Et puis, où auraient-ils été ? Dehors ? Le moindre Atlante se risquant à sortir de leur base aurait été rapidement fait prisonnier par une tribut locale pour finir de façon peu enviable, sacrifié à un dieu quelconque.

Plus personne ne protesta. Dans un silence glacial, les yeux se tournèrent vers le sol.

Les jeux étaient faits.

Satisfait, un léger rictus vint animer la commissure droite des lèvres du vieux scientifique.

A quelques pas, Kiémen avait pris la nouvelle comme une gifle. Son frère ne l’avait en rien tenu au courant de cette histoire. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Il lança un regard désespéré à son jeune collaborateur qui le lui rendit. Ils cherchèrent des yeux le Lieutenant Zamis, espérant pouvoir trouver auprès du militaire quelques explications. Mais il avait été posté à l’autre extrémité de la grande salle, près des issues, sans doute avait-il reçu des ordres précis. Il avait le visage sombre et Kannan cru y déceler une vive inquiétude. Le généticien eut une amorce de mouvement en direction de son ainé, mais celui-ci ne lui adressa pas même un regard et, pivotant sur lui-même, la démarche difficile, il disparut, absorbé par un mur de gardes infranchissable.

Que venait-il de se produire ? Kiémen n’arrivait pas à trouver une base solide pour déposer ses pensées, les analyser calmement. Perdu, comme quasiment tout le monde certainement. Ne venaient-ils pas d’assister à un coup d’État ? Si c’était bien le cas, ils étaient en danger, lui, Kannan et tous les gens impliqués dans ses recherches. Son frère ne tarderait plus à contrôler absolument tout, insinuant la peur en chaque personne et ouvrant la porte à la délation. Discrètement, Kannan fit comprendre à son ami qu’il avait l’intention de descendre dans leur laboratoire. Il avait compris, lui aussi, ce que ce brusque événement impliquait. Il fallait qu’ils discutent au plus vite. Le jeune homme s’approcha de Kiémen tandis que tous, autour d’eux, commençaient à reprendre pied, lentement, dans un chuchotement grandissant et effaré.

-Je vais essayer de parler à Zamis, je vous rejoins en bas, glissa le jeune homme à l’oreille de Kiémen.

Le scientifique acquiesça en silence.

Ils se séparèrent, laissant leurs congénères remonter à la surface, lentement, après ce coup de massue.

Dès que ce fut possible, Kannan tenta d’approcher le Lieutenant Zamis. Ce dernier, avec quelques hommes en armes, empêchait toute retraite vers l’extérieur aux occupants de la base en condamnant une des principales issues. Quand il vit arriver le laborantin, il lui fit signe d’attendre et de se retrouver ailleurs. Le jeune homme comprit que la prudence était de mise et que le Lieutenant n’était pas maître de ses mouvements pour le moment. Kannan obtempéra. Nerveux, il sortit de la Salle du Cristal et gagna en toute discrétion les sous-sols de la base. Kiémen le précédait de peu.

-« Je ne retiens personne », ironisa Kannan d’un ton mauvais en paraphrasant Loumen tandis qu’il pénétrait, très remonté, dans le laboratoire sous-terrain. Tu parles ! Zamis et la plupart des militaires sont postés aux différentes issues comme des cerbères. Je serais bien étonné que quelqu’un puisse vraiment sortir, cracha-t-il.

Il se tourna, l’air ahuri et passablement énervé vers le généticien.

-Mais on vit quoi là ? C’est quoi ce délire ? Un virus… j’y crois pas une seconde ! Vous avez essayé de lui parler ? finit-il par demander en désespoir de cause après une avalanche de questions qui n’attendaient aucune réponse.

Mais Kiémen restait muet, la mine grave, les yeux tournés vers la petite salle plongée dans l’obscurité où H1 dormait depuis de longs mois. La grossesse était pratiquement arrivée à terme et ce qui aurait du être un immense bonheur serait entaché de façon indélébile par cet événement sans précédent. Dans son champs périphérique, il vit le laborantin s’approcher d’un ordinateur et tenter de se connecter au réseau mais, toute forme de communication avait été coupée avec la Capitale et ses efforts restèrent vains. Il le vit pester.

-Cet espèce de fils de pute complètement mégalo nous a coupé du monde ! s’emporta le jeune homme avant d’envoyer valser un dossier qui traînait là et qui fit les frais de sa colère.

-Vous m’écoutez ? s’en prit-il à Kiémen.

-Calme-toi, tâcha d’apaiser un peu le vieil homme.

-Me calmer ? C’est une blague ? Mais j’ai de la famille, moi, à Sitnalta ! Et je comptais bien les revoir un jour ! J’ai pas signé pour finir ma vie dans ce vieux volcan glauquissîme ! Vous avez peut-être pris l’habitude, vous, d’être sous le joug de votre taré de frangin, mais pas moi !

Le laborantin s’en voulu dans la seconde d’avoir été si injuste et il aurait voulu pouvoir revenir quelques secondes en arrière pour effacer son dernier reproche, mais c’était trop tard. Heureusement, Kiémen était un homme qui avait appris à ne pas monter dans ses tours et à passer l’éponge sur bien des débordements. Il se contenta de lui sourire tristement, l’air résigné.

-On va trouver une solution, assura ce dernier.

A cet instant, leur attention fut attirée par la porte du sas principal qu’on ouvrait, grâce au code d’accès connu de peu. Le lieutenant Zamis pénétra dans la pièce. Empressé. Kannan parut brusquement soulagé en le voyant.

-C’est explosif là-haut, se contenta-t-il de dire.

-Mais enfin ! C’est quoi cette histoire ? Tu étais au courant ? Pourquoi t’as rien dit ?

-Je n’ai été mis au courant qu’il y a deux heures à peine et depuis, interdit d’entrer en contact avec qui que ce soit, se défendit-il. Loumen a bien préparé son coup.

-Mais, si les militaires n’étaient pas de son côté, rien de tout cela ne serait possible ! opposa Kannan.

-Les deux tiers partagent sa vision des choses, fit-il la voix étranglée.

Les deux scientifiques l’observèrent. Il avait l’air très ébranlé par les événements.

-Que s’est-il passé Lieutenant ? interrogea Kiémen.

Le militaire mit un temps avant de répondre.

-Ceux qui ont manifesté leur opposition ont tous été abattus sans sommation. Djetho et Kobias sont morts…

Kannan et Kiémen prirent l’information de plein fouet et Kannan qui s’était levé, se laissa retomber sur sa chaise, détruit. Djetho et Kobias étaient deux proches amis du Lieutenant qui faisaient partie de la poignée de personnes au courant du projet H1. L’étau se resserrait.

-Et… cette histoire de virus ? demanda Kiémen.

Zamis sembla revenir une seconde sur terre en entendant la question du vieil homme.

-Je ne sais pas, avoua-t-il. Je trouve l’hypothèse plausible quoi que peu probable. Je crois surtout que ça l’arrange bien de couper les ponts. On sait tous les trois qu’il ne supportait plus les incursions et la main mise de la famille Tiz-Altis sur ses travaux. De cette façon, il nous prend en otages et s’assure de mener sa barque comme il l’entend. Il a tout à y gagner ! On est tellement loin de tout, on peut supposer que personne ne viendra jusqu’ici pour venir voir ce qui se passe, pourquoi on ne donne plus signe de vie, et puis si ça se produit, l’envoyé sera sûrement « bien » accueilli.

Il se tut avant de conclure avec morgue.

-Reste plus qu’à espérer que Loumen ne fasse pas de vieux os !


Laisser un commentaire ?