Au-delà des Mers

Chapitre 24 : Un pari, un dindon et un gagnant

4669 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/05/2021 13:32

Matinée, le Capitaine tenait la barre. Ils gagneraient le port de Mahon, la capitale de Minorque, en fin de journée. Le ciel était clément et le soleil ne tapait pas trop dur, comme ça pouvait parfois être le cas dans ces eaux.

Leur trois mois et demi de quasi huit-clos allaient prendre fin d’ici une dizaine d’heures. Mendoza avait hâte de gagner la terre, une brusque envie de toucher le sable et d’observer la mer depuis un autre point de vue. Envie d’un bon lit aussi, celui de sa cabine commençait à singulièrement lui meurtrir les vertèbres. Il observait distraitement son petit monde lézarder sur le pont et profiter des derniers moments de calme. Tous savaient, que la suite des événements serait tout autre.

Marinchè taillait le bout de gras avec Catherine. Celle-ci n’avait pas l’intention de suivre sa maîtresse jusqu’en Angleterre. Elle projetait de poser ses bagages en Italie, où elle avait de la famille. Elle aurait volontiers renseigné son amie Inca sur les actions passées et desseins futurs de La Lady, mais en toute franchise, elle les ignorerait complètement. Tout ce qu’elle avait pu confirmer c’est qu’Élisabeth de Messy et ses trois dames de compagnie avaient fui le Palais du Vice Roi précipitamment lors d’une nuit, n’emportant que le strict minimum et gagnant en toute clandestinité le port de Lima. Catherine n’en savait pas plus et son rang ne lui permettait guerre de faire parler l’aristocrate. Marinchè était convaincue qu’elle disait vrai, Catherine était de nature très franche et directe et c’était sans doute ce qui avait permis que les deux femmes s’entendent.

Quelques matelots un peu rêveurs, appuyés au bastingage de proue de tribord, se perdaient dans la contemplation du retour. Andres, le jeune mousse, était heureux de toucher terre lui aussi. Il se tenait auprès du Second, Jimenez et de Calmèque, le sourire accroché aux lèvres comme un porte-manteau.

– Señores, dit-il s’adressant à ses deux supérieurs avec beaucoup de respect, vous croyez que le Capitaine va nous garder ? C’est que, c’est pas si souvent qu’on a une aussi bonne place.

Jiménez se tourna vers son interlocuteur, le visage inexpressif, comme d’habitude.

– Et bien, je ne pense pas qu’il ait l’intention de se séparer du Nazaré, je suppose donc qu’il lui faudra conserver un équipage. Il haussa les épaules. Mais c’est plutôt à lui qu’il faudrait le demander.

Le jeune mousse parut à moitié rassuré.

– De toutes façons, nous serons bientôt tous fixés sur nos missions futures, ajouta Calmèque. Ne t’inquiète pas trop Andres. Et il lança au jeune homme un petit clin d’œil qui en disait long.

Un sourire radieux ré-illumina le visage du mousse qui s’éloigna beaucoup plus léger.

– Tu sais des choses que j’ignore ? interrogea calmement Le Second du navire.

– Mendoza fera la lumière sur tout ça d’ici peu, mais à ce que j’aurais plus ou moins compris il va demander aux hommes qui veulent demeurer à bord de rester. Il compte sur un certain nombre de marins qui désireront retourner à terre pour une plus longue période pour réduire naturellement les effectifs. Si le petit veut rester, il aura sa place, conclut-t-il.

Calmèque adopta une position afin de protéger un peu ses yeux du soleil. Il était encore bas et tombait pile au mauvais endroit. C’était agaçant.

– Après je crois qu’il a l’intention de faire suivre les côtes espagnoles et françaises par le Nazaré, par l’ouest, afin de nous ménager une retraite par les eaux, au cas où. Il n’en a pas dit beaucoup plus. Tu sais comment il est, fit-il avec un certain amusement.

Effectivement, Jiménez savait.

A cet instant, notre charmante irlandaise fit son entrée, le visage un peu fermé, et vint s’intercaler sans crier gare antre les deux hommes, jouant un peu des coudes pour se faire une place.

– Vous permet que je m’introduis, lâcha-t-elle sur un ton un peu pincé.

A la main, elle avait son archet, mais pas son violon. Jiménez et Calmèque lui lancèrent de concert un regard interloqué. Elle n’avait pas l’air de bonne humeur.

Les yeux fermés mais de toutes évidences énervée, elle se tut quelques seconde pour ménager ses effets. Puis elle se tourna face à l’Olmèque, l’air pas commode et tapota nerveusement son archet contre la balustrade du bateau.

– Toi et moi on a un bœuf à peler !

« Le bœuf à peler » aurait pu être drôle, mais là… elle n’avait pas envie de rire et Calmèque s’abstint de relever la délicieuse faute de linguistique en tentant de se soustraire de ce mauvais pas par un mensonge. Depuis que Mendoza lui avait dit le fond de sa pensée à propos d’Erin, ça l’avait mis encore plus mal à l’aise, comme si, aussi longtemps que rien n’était possible, c’était gérable mais qu’une fois que les choses devenaient palpables, ce n’était plus possible. Du coup, ça faisait presque deux jours qu’il évitait soigneusement la donzelle, avec la voix de Mendoza, qui s’était invitée dans le fond de sa caboche pour lui suriner en boucle « sabotage ! ». Il fit la grimace et lança un air très appuyé à Jiménez, le prenant à témoin.

– Ca tombe vraiment mal Erin, j’aurais adoré qu’on ait cette discussion, mais il se trouve que je devais justement aller faire l’inventaire de l’arsenal avec Jiménez.

L’Espagnol s’empressa de répondre.

– Mais c’est pas grave, assura-t-il, je vais le faire tout seul.

Calmèque lui lança un regard noir et Jiménez eut du mal à réprimer un petit rire moqueur avant de s’en aller.

– Je vous laisse à votre « pelage de bovin », conclut-il.

L’Olmèque aurait bien rattrapé Jiménez pour lui dire ce qu’il pensait de son odieux lâchage et de son manque de solidarité masculine, mais devant lui il y avait Erin, martelant le balustre de son archet avec une régularité de métronome. Pas contente.

De son côté, tout à son aise, Le Second partit rejoindre le Capitaine, le sourire en coin. Il gravit les quelques marches qui menaient au sommet du château arrière, où se trouvait la barre, et adressa à son supérieur un rapide petit salut en hochant la tête. L’autre Espagnol lui rendit sa politesse très posément avant de prendre la parole.

– Elle a l’air remontée, constata-t-il en parlant de la musicienne.

– Je viens d’abandonner notre Atlante dans une fâcheuse position, avoua-t-il, mais il est comme quelqu’un qui apprend à nager, il faut le pousser à l’eau. Il va se débattre un moment jusqu’à ce qu’il s’aperçoive qu’il a pieds.

Mendoza s’amusa de la vision très personnelle de son subalterne, mais ne put que se ranger à son idée.

– J’ai peur qu’il ne boive la tasse quelques fois avant quand-même, remarqua-t-il amusé.

Une petite mine facétieuse vint compléter le faciès de Jiménez.

– Ca nous est tous arrivés.  

Non loin de là, Calmèque et Erin se faisaient toujours face.

– Je ne pas l’intention de me donner en spectacle.

Et elle pointa son archet en direction de son interlocuteur, un poil menaçante.

Décidément, ça faisait la deuxième fois en peu de temps qu’on l’assignait à coup d’objet, pensa l’Olmèque. D’abord Mendoza avec sa bouteille et maintenant Erin et son archet. Fallait-il y voir le signe de quelque chose ?

– Je t’attends donc en bas dans mon cabine ! conclut-elle en brandissant toujours son arme sous le nez du petit homme.

Calmèque devait bien avouer que cette altercation était principalement de sa faute, mais il n’était pas sûr d’avoir envie de se voir prendre en défaut de la sorte et il lui opposa un silence de mauvaise grâce, croisant les bras. La jeune femme ne se laissa en aucune manière démonter et, baissant son bout de bois de quelques centimètres, elle l’appuya très légèrement par deux fois juste au-dessous de la salière de l’Olmèque.

– Et t’as intérêt à venir, sinon, tu ne m’adresser plus jamais la parole !

Et ce étant dit, elle cessa de brandir son archet à la manière d’une cravache, se détourna fièrement, et disparut en direction de la coursive interne du Nazaré. Calmèque soupira les dents serrées, et dès qu’elle fut hors de vue, il se mit immédiatement en devoir d’aller régler ses comptes avec Jiménez. Et tandis qu’il montait encore les marches menant au petit pont supérieur, il invectiva le Second avec fiel.

– Alors Eugène ? attaqua-t-il, sachant que le Second détestait qu’on l’appelle par la version française de son prénom. On est content de soi ?

– Ne le prends pas comme ça, Amigo, lança l’autre sans se laisser ébranler par sa mauvaise humeur de circonstance. C’est pour ton bien. Il faut que tu arrêtes cette « Rumba de l’Esquive » avec la Señorita ! Et que tu te jettes à l’eau !

– Et que tu boives un peu la tasse, ajouta Mendoza avec un calme olympien. 

Jiménez sourit.

– Oui. Et tu verras que finalement, malgré vents et marrées, tu as pieds ! renchérit-il, sûr de lui, comme s’il venait d’énoncer de profondes paroles philosophiques.

Calmèque les observa tour à tour. Mendoza s’évertuait à regarder droit devant lui pour ne pas avoir à croiser le regard de l’Olmèque et Jiménez avait fermé les yeux.

– Vous faites dans la métaphore aquatique aujourd’hui ? s’enquit l’autre sur un ton pincé.

– On est marins, répondit Mendoza, toujours les yeux au loin.

– On est marrants, renchérit Jiménez, qui avait avalé un clown.

Et les deux navigateurs pouffèrent de rire ensemble, comme deux sales gosses, devant la mine affligée de leur vis-à-vis.

– C’est ça, vous avez raison ! Noyez le poisson et gardez le cap ! ironisa l’autre. C’est encore ce que vous faites le mieux !

Et il tourna les talons avec humeur.

Tandis qu’il s’éloignait, il entendit encore, dans son dos, les deux Espagnols partirent d’un éclat de rire et, désireux de leur clouer le bec, il pivota brusquement et lança son poignard qui vint se planter, pile au milieu de la barre, dans un bruit sec. Les deux hommes se turent un court instant. Jiménez se pencha vers son Capitaine. Goguenard.

– Tu crois qu’il a visé ?

– Je préfère croire que oui, s’amusa Mendoza.

– Et si je reviens pas, leur lança Calmèque, c’est que j’avais PAS pieds !

Jiménez se saisit du couteau et l’ôta de son point d’impacte.

– Tu devrais peut-être le prendre avec toi, héla-t-il à la boutade, à l’attention de l’Olmèque. Tu pourrais en avoir besoin.

Et sur ce, il prit son hélant et relança la lame qui vint se planter dans l’encadrement de la porte menant aux entrailles du navire, juste au moment où Calmèque y arrivait. Sans un mot, il récupéra son arme et la rengaina hargneusement. Et sans plus se retourner, il leur adressa un doigt d’honneur avant de disparaître.

– Je crois qu’on l’a énervé, remarqua Mendoza avec une pointe de sarcasme.

– La Rousse va nous le calmer.

– Y’a rien de moins sûre, objecta Mendoza.

– Mais si ! Tu vas voir.

Le Capitaine fit la moue, une moue facétieuse.

– A combien est la cote ? demanda-t-il.

– Seize contre un, annonça Jiménez. Seize contre un qu’il ne la touche pas avant qu’on touche terre, ajouta-t-il. Il n’est pas trop tard Mendoza… tu peux encore te joindre à nous.

Le Navigateur esquissa un petit rictus et réfléchit un instant, soupesant le pour et le contre.

– OK, j’en suis ! Cent pesos qu’il conclut. Non, deux cents ! se ravisa-t-il.

– He he he, ricana Jiménez, c’est noté ! Mais tu vas perdre !

– T’as parié contre ? s’étonna Mendoza

– Évidement ! Notre bonhomme a du cran pour pal mal de chose, mais pas pour ça !

– Tu viens pourtant de leur offrir une opportunité.

– Si j’avais rien fait, le jeu n’était plus drôle. Et puis le doute, ça relance la machine et ça fait monter les enchères ! La preuve, fit-il en tapotant l’épaule de Mendoza.

A cet instant, Montoya héla le Second et lui adressa un signe de tête interrogatif auquel Jiménez répondit en levant le pouce. L’autre en parût satisfait et partit rejoindre quelques matelots attroupés, attendant un retour.

Mendoza eut un regard en direction de sa Marinchè qui avait assisté à l’altercation avec l’Olmèque avec étonnement. Il lui fit comprendre qu’il n’y avait rien de grave et elle reprit sa conversation avec Catherine.

Pas encore vraiment décidé à affronter ses démons, Calmèque restait devant la porte de la cabine d’Erin, incertain. Elle avait pourtant été claire, s’il ne s’expliquait pas, il ne faudrait plus espérer lui parler à l’avenir. Il était donc obligé de se rendre. Ou alors il la perdait définitivement. Était-ce ce qu’il voulait ? Préfèrerait-il ne pas avoir à se poser ce genre de questions ? Reprendre son petit train-train sans s’encombrer de ces émotions perturbantes ? Peut-être était-ce mieux après tout ? Plus facile à gérer ? Moins troublant. Il eut une œillade en direction de sa cabine, deux portes plus loin à droite. Juste quelques pas, et on en parlait plus. Hésitation. Il se sentait tortiller ses doigts de nervosité.

« C’est n’importe quoi cette histoire !» se surina-t-il.

Nouveau regard vers la porte de sa cabine et machinalement, lâchement, il se sentit amorcer son premier pas vers sa retraite. Mais le destin en décida autrement, et avant même qu’il n’ait le temps de bouger réellement, la porte de la cabine de la musicienne s’ouvrit et la jeune femme apparut. L’air toujours un peu renfrogné. Il se statufia, pris sur le fait. Mais le fait de quoi ? D’être là ou de s’enfuir ? Avait-elle compris qu’il avait décidé de capituler ? Elle ne dit rien, en tout cas pas de suite. Et puis après quelques instants, elle se décida.

– Tu entres ou tu rester planté dans le couloir ?

C’était foutu.

Il entra. Le regard baissé. Il entendit qu’elle refermait la porte derrière lui. Piégé.

Seuls.

Elle le contourna et s’assis à quelques pas, sur son lit. A côté d’elle, son violon et quelques feuilles couvertes de portées et de notes, raturées de partout. Une compo ? Peut-être. Cela n’avait pas d’importance en ce moment à vrai dire. Inutile de laisser son cerveau partir en digression. Il fallait rester concentrer, ce ne serait pas facile. A ce stade, il fouilla sa cervelle à la recherche d’un truc à dire, histoire d’amorcer un semblant de conversation, mais il se fit la réflexion que sa tête était désespérément vide et que les deux hémisphères qui s’y battaient en duel si farouchement d’habitude avaient préféré prendre le large… Tiens… lui aussi, il faisait dans la « métaphore aquatique ». Toutes ces conneries d’échappatoire ne le préparèrent pas à encaisser le premier coup. Parce que soudain, la petite voix claire de la rouquine tinta d’une façon qui ne lui ressemblait pas. Ca manquait de profondeur, de douceur aussi. C’était un peu froid. Presque vide. Un son « amorphe ».

– C’est quoi ton problème ? Interrogea-t-elle.

Aïe, si ça démarrait comme ça, ça allait être compliqué de prendre le temps de ménager ses remparts et de riposter habilement.

« Mais qui parle d’habileté ? On s’en fout d’être habile ou non, là faut juste que tu survives ! Après on verra. »

Il prit son courage à deux mains et affronta ses yeux. Ses deux ravissants yeux bleus à tomber par terre. Ca se voyait qu’il n’en menait pas large ? Que cette conversation allait se résumer à quelques balbutiements à peine intelligibles et qu’il aurait grand peine à savoir ce qu’il aurait dit ou compris ?

Heureusement, la jeune femme sembla ne pas s’en rendre compte et poursuivit un peu sans attendre sa réponse.

– Ca fait deux jours, quand je vais à droite, tu vas à gauche ! Quand je veux te voir, tu as un truc super important à faire,… tu m’éviter tout le temps…! Je veux une explication, Right now !

Elle se figea, face à lui, attendant résolument une réaction… qui tardait à venir. Il sentit qu’elle s’impatientait. Il la vit se préparer à se montrer plus incisive et il parvint à la prendre de court.

– J’ai peur, dit-il simplement, contrit.

Les yeux d’Erin s’arrondirent comme ceux d’une chouette et elle resta interdite durant quelques secondes intemporelles.

– Tu as peur ? répéta-t-elle avec une voix à nouveau plus en phase avec sa personnalité, mais où l’étonnement prenait toute la place. De moi ? s’inquiéta-t-elle finalement.

Calmèque aurait préféré être n’importe où plutôt que là, mais il y était, et il y avait fort à parier qu’il ne pourrait pas sortir de cette pièce sans avoir offert le fond de sa pensée. Il fallait qu’il trouve le moyen d’expliquer tout ça sans passer pour un cinglé. Il essaya de « rassembler ses éloquences en fuite ».

– Non, pas de vous… plutôt de ce que vous représentez, tenta-t-il de formuler.

Il essaya d’étayer un peu son explication et parvint à aligner une série de mots pas forcément très cohérents, une sombre histoire de « pas l’habitude, de désarmement et de mal à l’aise qui filait la nausée et empêchaient de dormir… », mais Erin n’écoutait déjà plus, elle le regardait de façon étrange, se débattre avec son semblant d’excuse et sa gêne croissante, un évanescent petit sourire perdu au coin des lèvres. Elle le trouvait infiniment touchant à essayer de se confondre en un ramassis de confusions incompréhensible pour toute personne ne se trouvant pas dans sa tête. Elle se leva et s’approcha. Il recula. Un pas, deux pas, trois pas… cabine minuscule… quatre pas… mur.

Il se tut, de toute façon elle n’écoutait plus rien. En même temps qui aurait pu la blâmer, il n’était pas sûr de comprendre lui-même ce qu’il racontait, jamais il n’avait été si embrouillé.

Elle était vraiment près, bien trop près. Cette fille et les distances sociales, c’était vraiment un souci. Il vérifia si y’avait pas moyen de s’enfoncer un peu dans la paroi, sait-on jamais… mais non… il était bien boqué.

– Là par exemple, vous voyez, articula-t-il la voix mal assurée, vous me mettez très mal à l’aise.

– Ah oui ? fit-elle d’une voix ingénue. Moi j’en ai marre que tu me vouvoie, déclara-t-elle.

– Ah…

« 1 partout ? »

A combien de centimètres pouvait-elle se trouver ? Dix ? Quinze max ? Comment était-il sensé gérer ça ?

Et puis elle sentait bon. Si bon… merde !

– Si tu me vouvoies encore, renchérit-elle, une seule fois, je…

Elle fut coupée net dans sa phrase par l’indexe de l’Olmèque qui vint se poser sur ses lèvres, lui intimant de se taire. Son expression venait brusquement de se muer en quelque chose d’étrange et Erin fronça les sourcils. Il avait l’attention attirée par un élément extérieur. Elle se concentra et l’entendit aussi. De légers grincements, des froissements ténus,… Elle sourit de façon très malicieuse et tandis que l’Olmèque esquissait un mouvement en direction de la porte, elle le retint en se collant à lui. Et comme cette petite diversion lui avait happé l’esprit, il en fut presque surpris. Il se figea et il arrêta de respirer quand il sentit ses lèvres s’approcher de son oreille. Ce qu’elle lui susurra l’acheva littéralement.

– Chuuuut… ils ont parié sur nous… que tu me touches pas avant de toucher terre, comme ils dire, s’amusa-t-elle. Ils surveillent l’investissement, remarqua-t-elle. Mais je parié le contraire… et je vais gagner…, assura-t-elle dans un souffle.

Un putain de coup de massue, voilà ce que c’était ! Il ne sut pas quoi faire ou répondre et elle profita de leur proximité pour lui déposer un léger baiser dans le cou. Parce qu’elle en avait très envie et que la gêne dans laquelle ça le plongeait la récréait énormément. Elle fut surprise par la texture de sa peau et resta comme en apesanteur quelques secondes. Puis, elle reprit son ton taquin.

– Respire, lui dit-t-elle en chuchotant, frôlant une dernière fois sa peau par plaisir. C’est mieux pour le santé…

Puis elle se recula, les yeux rieurs et il la vit sur-articuler quelque chose en silence, pointant la porte du doigt. Il fronça les sourcils, pas encore bien remis de son contact avec la miss et un peu la tête à l’envers. On ne pouvait pas dire que c’était désagréable mais les circonstances étaient tellement brusquement dérangeantes qu’il ne savait pas trop quoi ressentir, ou alors il ne trouvait pas le mot pour définir ce qu’il ressentait. C’était tout lui ça, s’inquiéter de la sémantique dans un moment pareil ! C’est alors qu’il l’entendit chuchoter.

– Easy Money !

Il n’avait pas la moindre idée de ce que ça pouvait vouloir dire, mais à en juger par son expression, ça semblait beaucoup lui plaire. Et puis brusquement il sut. Les quelques éléments du puzzle venaient de trouver leur place et avant même que le premier son ne sorte de sa bouche, il comprit ce qu’elle s’apprêtait à faire et il se sentit blêmir. Il se serait bien jeté sur elle pour la faire taire, mais c’était trop tard. Et elle poussa son premier soupir, puis un second, puis un petit gémissement, puis quelques mots en anglais en soupirant d’aise, le tout allant en s’intensifiant.

Absolument et complètement abasourdi par ce qui se passait devant lui, il prit de plein fouet tout l’envergure du mot « inconvenante » et il se prit le visage dans ses mains, dépassé. Il se tourna vers le mur et laissa tomber son front contre la paroi en fermant les yeux, mort de honte. Jamais il ne s’en remettrait… et l’autre derrière qui n’en finissait pas d’en rajouter. Au dehors, dans la coursive, il entendit quelques jurons et des bruits de pas s’éloigner. Il se tourna à demi vers elle, le visage à mi-chemin entre l’atterrement et la réprobation, l’adjurant du regard de s’arrêter. Mais rien n’y fit et elle poursuivit son petit manège lascif et embarrassant, histoire d’être crédible sans doute mais aussi surtout parce que ça l’amusait pas mal. Il regarda autour de lui, impuissant, et d’un coup, une idée ! Et il s’empara de son violon resté sur le lit. Elle se pétrifia instantanément. Tandis qu’il se saisissait d’une des chevilles de la mécanique d’accordage et se mettait à la tourner lentement, sur-tendant la corde aigüe dans un bruit strident, il vit son expression devenir aussi dur qu’on pouvait l’imaginer et elle lui lança un regard noir.

– Don’t ! grinça-elle le plus bas possible en brandissant son indexe en signe d’avertissement.

Mais Calmèque continua de torturer la malheureuse corde qui ne tarderait pas à céder s’il ne s’arrêtait pas. Et d’un coup elle se jeta sur le lui, essayant de sauver son précieux instrument. Mais il parvint à le mettre hors de sa portée à la dernière seconde et couchés l’un sur l’autre, ils se toisèrent du regard un temps qui parut interminable.

– Dépêche-toi de jouir, lui ordonna l’Olmèque tenant toujours l’instrument en otage. Ou ton « mi » n’en sera plus jamais un ! menaça-t-il d’un ton qui ne donnait pas envie de tergiverser.

Les deux yeux couleur azur s’étirèrent en une ligne de mépris et elle obtempéra de très mauvaise grâce. Elle se redressa sensiblement et poussa un gémissement et quelques hoquettements de conclusion, oh combien convaincants. L’instant d’après, elle tendit sa main sèchement en direction de l’Olmèque, attendant qu’il exécute à son tour sa part du marcher. Et il lui rendit « la prunelle de ses yeux ». Elle le récupéra et se hâta de détendre la malheureuse corde malmenée… le boyau avaient tenu par miracle… et elle soupira de soulagement.

– C’était pour rire, lui lança-t-elle sur un ton de reproche tandis qu’elle vérifiait rapidement que son instrument sonnait toujours normalement.

– Ouais bah moi ça m’a pas fait rigoler, rétorqua-t-il.

Elle caressa deux ou trois fois en sourdine les cordes de son fiddle avec les crins de son archet.

– Je pensais partager les gains avec toi, mais tu mérites pas, renchérit-elle, très contrariée.

Elle boudait.

Lui aussi.

Quelques minutes s’écoulèrent. Dans une atmosphère tendue au possible.

– Fait chier ! maugréa-t-il finalement en se levant rageusement au bout d’un moment.

Ne trouvant vraiment plus rien à rajouter. Dégoûté, il se dirigea vers la porte.

– Tu pas sortir si vite ! opposa-t-elle, craignant que le subterfuge ne soit démasqué.

– Je sors si je veux !

Mais il se statufia un éclair de seconde en ouvrant le battant.

Les bras croisés, le sourire en coin, Mendoza était adossé au mur opposé en regard de la porte. Parfaitement silencieux.

L’Olmèque se renfrogna.

– Erin… j’ai peur que tu ne sois obligée de partager tes gains avec quelqu’un d’autre ! lâcha-t-il sarcastiquement et de très mauvaise humeur, avant d’obliquer vers sa propre cabine et d’y disparaître en claquant exagérément la porte.


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