Au-delà des Mers

Chapitre 7 : Après la bataille

1993 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/05/2021 15:20

L’office religieux pour ceux tombés au combat dans la journée fut célébré en soirée. Il était peu conseillé de garder des cadavres trop longtemps sur un bateau.

Peu de beaux linges s’étaient joints aux affrontements et pourtant on dénombrait quatre victimes « de qualité » que leur famille accompagnèrent jusqu’au bout. L’office se déroula sans heurt, avec dignité.

Le vent que Mendoza avait craint un moment s’était apaisé pour laisser place à une mer d’huile.

A la tombée de la nuit, les quelques réparations nécessaires à la coque du Nazaré avaient été faites et les deux vaisseaux levèrent l’ancre pour reprendre ensemble leur chemin où ils l’avaient interrompu.

Des femmes ayant pris Marinchè en pitié, lui avaient donné de quoi se vêtir correctement et la donzelle inca se pavanait à présent dans une toilette impeccable lui rendant une partie de son éclat. Il lui faudrait encore reprendre quelques jolies formes féminines que les mois de carence alimentaire lui avaient volées, se refaire une santé et laisser repousser ses cheveux de jais. Mais l’essence de Marinchè était de retour, drapée dans une fierté sans égale.

Lors de son court interrogatoire, la jeune femme rousse s’était offusquée d’avoir été prise pour une Anglaise et se revendiqua « Irish ». Elle expliqua qu’elle avait été faite prisonnière par d’autres pirates tandis que le navire sur lequel elle avait embarqué pour rejoindre le Nouveau Monde s’était fait attaquer. Elle avait fait l’objet d’un échange de bons procédés entre deux Capitaines corsaires. Le Capitaine Gonansao et le Capitaine Sornas. Le second, grand amateur de musique, s’était vu offrir la jeune femme par le premier suite à une dette de jeu, afin qu’elle devienne la musicienne personnelle du second.

Elle avait alors passé de longs mois en mer à servir le Capitaine Sornas et à lui prodiguer ses talents musicaux, rentrant progressivement dans ses bonnes grâces et se voyant traitée de mieux en mieux au fil du temps. Et comme pour prouver ses dires, la jeune femme avait alors ravit les oreilles de tout l’équipage en jouant de son violon infatigablement pendant des heures. Passant du répertoire folklorique connu de tous les marins à de longues et envoutantes improvisations inspirées par les accents celtiques de sa contrée d’origine. Un vrai bonheur qui permit à chacun de retrouver un peu de sérénité après cette journée plus qu’agitée.

Assis sur le sol du pont de La Myrta, le dos callé contre le bastingage de proue, Mendoza regardait le reste de l’équipage et de ses occupants rire et festoyer. Rien de plus détendant qu’une grande peur qui s’évanouit avec le sentiment d’avoir survécu alors que rien ne le laissait présager. Un moment il se demanda où pouvait rester traîner Calmèque. Il ne l’avait plus vu depuis la fin du repas qui avait été offert par le Capitaine Diaz à tous ceux qui avaient pris part aux combats. Immanquablement penser à l’Olmèque le ramena à la proposition faite dans la lettre et à cette question à laquelle il n’était toujours pas certain de pouvoir répondre :

« Pouvait-il lui faire confiance ? »

A quelques coudées en retrait, Le Nazaré suivait le cap en silence, ayant affalé une partie de sa voilure afin de ne pas être plus rapide que son voisin.

A qui pouvait-on vraiment se fier après tout ? Ne lui avait-il pas sauvé la vie cet après-midi même ? Mais qui pouvait lui assurer qu’il en serait de même quand ils auraient touché terre et que son existence ne dépendrait plus exclusivement de celle du Navigateur ?

Un profond soupir et l’Espagnol se massa la nuque, encore un peu endolorie par le choc contre le mât de misaine que lui avait infligé son dernier assaillant.

Il resta longtemps dehors, à regarder les eaux sombrent se faire avaler par la coque du bateau, à contempler les reflets de la lune jouer avec les flots comme des coups de pinceaux et à écouter le silence de la nuit. Quand il partit se coucher et qu’il franchit le seuil de la cabine, il fut soulagé de trouvé son compagnon de voyage endormi, il n’avait aucune envie d’avoir à parler à qui que ce soit.

Le reste de la nuit fut courte et il ne parvint pas fermer l’œil. Quand les premières lueurs de l’aube apparurent, il avait pris sa décision.

Vers la moitié de la matinée, Mendoza, ayant fini par s’assoupir, fut réveillé en sursaut par quelqu’un qui frappait à la porte.

Debout depuis un moment, Calmèque, qui avait entreprit de laver ses vêtements tâchés de sang, ouvrit la porte. C’était Marinchè.

– Je peux entrer ?

En guise de réponse, l’Olmèque se contenta de s’écarter du chemin pour la laisser passer. Elle était vêtue simplement, mais avait définitivement relayé pantalon et guenilles au passé. Et Calmèque qui avait pris l’habitude de la voir en habits masculins la trouvait trop endimanchée malgré la simplicité de sa mise.

Sans un mot et visiblement tendue, elle s’assit sur une chaise et croisa les bras. Mendoza et Calmèque observèrent un silence religieux, l’un pas encore assez éveillé et l’autre curieux.

– Merci, finit par lâcher sèchement la belle Inca sans n’en regarder aucun.

Les deux autres se contentèrent de faire la moue, presque tous deux la même, impressionnés qu’ils étaient par l’effort. Ainsi donc, Marinchè était capable de reconnaissance. Voilà qui en faisait un personnage un poil plus sympathique que celui décrit par Mendoza quelques semaines plus tôt. Et l’évidente mauvaise humeur dans la quelle ça la mettait prouvait à quel point ça lui coûtait et combien c’était donc sincère. Que demander de plus ?

De son côté, la jeune femme attendit une réponse qui ne vint pas, ce qui accentua son malaise.

– Vous allez me laisser comme ça ? Comme une conne sans rien dire ?

Le Navigateur eut un haussement d’épaules en signe d’impuissance, la mine amusée par l’embarras de l’Inca.

– C’est que tu nous laisses sans voix. Tu ne nous as pas habitués à des gentillesses, taquina l’Olmèque.

– Il a raison. Tu nous prends de court, renchérit Mendoza. La prochaine fois, mets-nous ça par écrit.

La jolie bouche de Marinchè se pinça, d’abord dans une sorte de grimace puis finit par accepter de devenir un sourire. Les yeux tournés vers le sol, gênée, et de toutes évidences pas habituée à cet exercice, elle lâcha du leste et se détendit progressivement, s’accordant un instant simplement agréable avec ses deux compagnons de fortune. Mais après quelques minutes, elle redevint plus sérieuse et se tourna vers l’Olmèque.

– Calmèque, peux-tu nous laisser s’il te plaît ? J’aimerais parler à Mendoza.

Sa voix avait tinté comme rarement, avec beaucoup de douceur et Calmèque accepta de bonne grâce. Quand il fut sorti, Marinchè se releva et fit quelques pas dans la cabine, tournant le dos au Navigateur. Ce dernier n’avait pas la moindre idée de ce que l’Inca pouvait bien avoir à lui dire. Aussi attendit-il qu’elle prenne la parole.

– J’ai eu l’occasion de lire la lettre, avoua-t-elle.

Mendoza en fut surpris mais ne l’interrompit pas.

– Elle est plutôt explicite… que comptes-tu faire ?

– En quoi ça te regarde ?

– Et bien…

Elle mit un moment avant de poursuivre.

– Je suis forcée de constater que je dois la vie en grande partie à Calmèque et si tu avais décidé de t’engager dans cette expédition sans lui, tu le condamnerais à courte ou longue échéance. Donc… je me sens obligée de m’en inquiéter un minimum.

– Ca ne te ressemble pas de t’inquiéter pour les autres, Marinchè.

L’Inca se tourna vers l’Espagnol et fixa ses yeux presque noirs dans les siens.

– La vie, le temps et les événements nous changent Mendoza. Nous changent tous. Et elle insista sur ce dernier mot.

Des bruits de pas dans la coursive leur firent garder le silence un moment.

– Je sais bien Marinchè, admit-t-il au seuil de longues minutes d’introspection. J’y ai beaucoup réfléchi. Le fait est que je ne suis pas certain à cent pour cent de pouvoir lui faire confiance et me lancer dans une telle aventure avec quelqu’un sur lequel je ne suis pas sûre de pouvoir compter est très risqué.

Un nouveau silence.

– Dans ce cas, tu ferais mieux de le tuer toi-même,

Le Navigateur prit un air scandalisé.

– Cela vaudra mieux pour lui que de finir entre les mains des inquisiteurs, parce qu’il ne faut pas se voiler la face, avec la tête qu’il a, ils vont lui tomber dessus plus vite que des abeilles sur de la confiture.

Mendoza avait retourné le problème mainte et mainte fois dans sa tête. Il savait tout ça. Quand il avait embarqué Calmèque à Lima, il l’avait fait sous une impulsion difficile à expliquer. En de nombreuses occasions par le passé, il avait regretté que le peuple Olmèque, uniques descendants des Atlantes, ait disparu si bêtement. On pouvait leur reprocher tout ce qu’on voulait, mais Mendoza restait convaincu que la perte de tant de connaissances était un gâchis pour l’Humanité en tant que telle. Et quand il était tombé sur l’Olmèque à Lima, il s’était senti obligé de tenter de sauver cette infime partie de ce qu’il représentait. Comme un devoir de mémoire. Et maintenant, il était là, coincé entre son sentiment de responsabilité à l’égard de cet Olmèque et la réalité de ce qui les attendait.

– J’ai envisagé refuser, dit-il finalement. Mais ce serait stupide de ma part. L’occasion est trop belle.

Marinchè fronça les sourcils. Elle aurait bien, à ce propos, abordé un autre sujet, mais elle se ravisa. Il était bien trop tôt. Et elle poursuivit donc.

– Je peux me tromper, mais je pense que tu fais erreur Mendoza. J’ai l’intuition qu’il est bien plus digne de confiance que certaines personnes dont tu ne te méfies pas assez.

– Je suppose que tu fais allusion à Diaz ?

Faisant demi-tour, l’Inca s’apprêtait à sortir.

– Je constate avec soulagement, que tu n’es pas aussi naïf que je ne l’avais craint.

Le Navigateur lui répondit par un sourire qui en disait long quant au fait qu’il était loin d’être dupe. Diaz était un personnage détestable que seul l’argent intéressait. Ce qui le rendait à la fois prévisible mais aussi dangereux. Et Mendoza savait qu’il devait le garder à l’œil.

Avant de sortir, elle plaida une dernière fois en faveur du petit homme.

– Prends-le avec toi. Il est très malin, débrouillard, pas tire-au-flanc et il sait se battre. Ca te changera des deux boulets que tu te trimbalais avant. Et je suis certaine qu’il sait qu’il a tout intérêt à te rester fidèle.

Elle franchit le seuil.

– Et puis regarde, conclut-elle. Il est même parvenu à ce que nous ayons une conversation civilisée toi et moi. Il ne peut pas être si mauvais…

Et sur ce, elle referma la porte derrière elle, laissant l’Espagnol à ses réflexions.


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